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Entraide et Tradition

Méditation du temps de Carême sur l’hymne des Matines Ex more docti mystico

publié dans couvent saint-paul le 5 avril 2021


Les hymnes du temps du Carême

Hymne de Matines

Ex more docti mystico

Ex more docti mýstico Servémus hoc ieiúnium, Deno diérum círculo Ducto quater notíssimo.
Instruits par une tradition mystérieuse, gardons avec soin ce jeûne célèbre qui parcourt le cercle de dix jours, quatre fois répétés

Quelle est donc cette « tradition mystérieuse » ou «  mystique » ? C’est celle qui a traversé tous les siècles de la Révélation de Dieu, de l’Ancien au Nouveau Testament. Nous pensons, bien sûr, immédiatement aux quarante jours de jeunes de Jésus Notre Seigneur  au désert après qu’il eut reçu le baptême de Jean Baptiste. On lit en effet dans saint Matthieu : « 13 Alors Jésus, venant de Galilée, alla trouver Jean au Jourdain pour être baptisé par lui. 14 Jean s’en défendait en disant :  » C’est moi qui doit être baptisé par vous, et vous venez à moi !  » 15 Jésus lui répondit :  » Laisse faire maintenant, car il convient que nous accomplissions ainsi toute justice.  » Alors Jean le laissa faire.
16 Jésus ayant été baptisé sortit aussitôt de l’eau, et voilà que les cieux lui furent ouverts, et il vit l’Esprit de Dieu descendre comme une colombe et venir sur lui. 17 Et du ciel une voix disait :  » Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui j’ai mis mes complaisances. «  (Mt3 13-17)
1 Alors Jésus fut conduit par l’Esprit dans le désert pour y être tenté par le diable.2 Après avoir jeûné pendant quarante jours et quarante nuits, il eut faim. 3 Et le tentateur, s’approchant, lui dit :  » Si vous êtes le Fils de Dieu, commandez que ces pierres deviennent des pains.  » 4 Jésus lui répondit :  » Il est écrit : L’homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu.  » 5 Alors le diable le transporta dans la ville sainte, et l’ayant posé sur le pinacle du temple, 6 il lui dit :  » Si vous êtes le Fils de Dieu, jetez-vous en bas ; car il est écrit : Il a donné pour vous des ordres à ses anges, et ils vous porteront dans leurs mains, de peur que votre pied ne heurte contre la pierre.  » 7 Jésus lui dit :  » Il est écrit aussi : Tu ne tenteras point le Seigneur, ton Dieu.  » 8 Le diable, de nouveau, le transporta sur une montagne très élevée, et lui montrant tous les royaumes du monde, avec leur gloire, 9 il lui dit :  » Je vous donnerai tout cela, si, tombant à mes pieds, vous m’adorez « .
10 Alors Jésus lui dit :  » Retire-toi, Satan ; car il est écrit : Tu adoreras le Seigneur, ton Dieu, et tu ne serviras que lui seul.  »
11 Alors le diable le laissa ; aussitôt des anges s’approchèrent, et ils le servaient » (Mt 4 1-11).

Ce baptême de Jésus par Jean-Baptiste est l’occasion pour le Père éternel de chanter la gloire de son Fils : «   16 Jésus ayant été baptisé sortit aussitôt de l’eau, et voilà que les cieux lui furent ouverts, et il vit l’Esprit de Dieu descendre comme une colombe et venir sur lui. 17 Et du ciel une voix disait :  » Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui j’ai mis mes complaisances. «  (Mt3 13-17)

Ce baptême accompli,  cette Révélation faite sur Jésus, des plus importante,  l’Esprit Saint le « conduisit » au désert, selon saint Matthieu,  « ducere », – le poussa au désert – « expullere » selon saint Marc,  où il jeuna quarante jours et quarante nuits. C’est pourquoi « gardons avec soin  ce jeûne célèbre qui parcourt le cercle de quarante journées ». « Servemus hoc ieiúnium». Ce jeune sanctifié par le Seigneur: « ce jeune mystique » « mystérieux ». Tout ce qu’il fait, tout ce qu’il touche est saint « Servare ». Ce verbe est bien choisi et décrit bien l’attitude du fidèle, disciple du Christ Seigneur.  Il veut dire en effet : « conserver, garder, observer, respecter, être fidèle à, surveiller, veiller à,  avoir l’œil sur, faire attention, observer, ne pas quitter des yeux ». Voilà en effet l’attitude de ceux qui imite le Seigneur dans son jeune : «  gardons avec soin  ce jeûne célèbre ». Oh combien célèbre ! Celui du Fils de Dieu fait chair ! qui a duré rien moins que quarante jours pleins. A tel point qu’à l’issue, il eut fin –  ce qui montre entre autre, la réalité de son humanité. Il a pris une chair comme la nôtre, hors le péché dans le sein de la Vierge Marie. Il eut faim au bout de ces quarante jours. « Deno diérum círculo Ducto quater notíssimo » « qui parcourt le cercle de dix jours, quatre fois répétés ». En utilisant cette expression solennelle et compliquée, mais peut être d’abord poétique, l’auteur veut attirer notre attention sur cet étonnant jeune, étonnamment long : « ducto quater notissimo »

« Ex more docti mýstico » « Instruits par une tradition mystérieuse ».

Quel est le sens « mystérieux », disons « mystique » de ce jeune appliqué à la vie de Notre Seigneur Jésus-Christ, vrai Fils de Dieu? C’est peut-être Louis Chardon O.P. (dominicain du 17ème siècle) qui donne la meilleure explication de ce jeune au désert, je dirais mieux, le sens théologique de cette conduite au désert par l’Esprit Saint où il fit un si long jeune, au milieu même des animaux, nous dira saint Marc. Pourquoi tout cela ?

La thèse de Louis Chardon est d’affirmer « que Jésus met sa grandeur dans les tourments de sa passion ». Voilà pourquoi il s’appelle sans cesse le « fils de l’homme ».  « L’amour qu’il a  pour la croix ne peut permettre à aucune autre pensée d’altérer l’attrait que la grâce lui donne de mourir entre ses bras. C’est pourquoi il incline son souvenir vers sa condition d’homme mortel et se plait à exposer les circonstances qui doivent le faire paraître en proie à la honte, aux opprobres et à la souffrance » (La Croix de Jésus T I p 101)

Voilà le sens profond de la conduite parfois étonnante de Jésus en bien des circonstances de sa vie publique, et tout particulièrement à sa fuite au désert conduit par l’Esprit Saint.

« L’amour qu’il a pour la croix, nous dit encore Louis Chardon, pendant qu’il a vécu parmi nous mortel sur la terre avait pleinement possédé son cœur et dominait son esprit. Il n’estimait d’autres richesses, d’autre gloire et d’autres grandeurs que celles qu’il désirait puiser dans le sein de la croix (et dans sa condition d’homme mortel). Il y tourne toutes ses affections. Les torrents même que la gloire éternelle verse dans son âme sainte, dont elle enveloppe ses puissances, n’emporteront point cette inclination. Voilà pourquoi il demande à ses disciples, Pierre, Jacques et jean qui ont assisté à son exaltation au Thabor de garder le silence sur ce qu’ils ont vu jusqu’à sa Résurrection. C’est le témoignage formel de saint Marc : « 1 Six jours après, Jésus prit avec lui Pierre, Jacques et Jean, et les conduisit seuls, à l’écart, sur une haute montagne, et il fut transfiguré devant eux. 2 Ses vêtements devinrent étincelants, d’une blancheur aussi éclatante que la neige, et tels qu’aucun foulon sur la terre ne saurait blanchir ainsi. 3 Puis Elie et Moïse leur apparurent, conversant avec Jésus. 4 Pierre, prenant la parole, dit à Jésus :  » Maître, il nous est bon d’être ici ; dressons trois tentes, une pour vous, une pour Moïse, et une pour Elie.  » 5 Il ne savait ce qu’il disait, l’effroi les ayant saisis. 6 Et une nuée les couvrit de son ombre, et de la nuée sortit une voix :  » Celui-ci est mon Fils bien-aimé ; écoutez-le.  » 7 Aussitôt, regardant tou t autour, ils ne virent plus personne, si ce n’est Jésus, seul avec eux. 8 Comme ils descendaient de la montagne, il leur défendit de raconter à personne ce qu’ils avaient vu, jusqu’à ce que le Fils de l’homme fût ressuscité des morts. 9 Et ils gardèrent pour eux la chose, tout en se demandant entre eux ce que signifiait ce mot :  » être ressuscité des morts ! « 

Po Pourquoi cela? «  L’amour béatifique ne gagnera rien sur l’amour de la croix et lorsque le sentiment de sa gloire lui est présenté avec l’allégresse inénarrable qui en découle, il la refuse et donne la préférence à la pensée de la confusion de la Croix et de sa condition d’homme mortel » (L Chardon) .

C’est de cette hauteur que Louis  Chardon commente la scène du baptême de Jésus et le fait que l’Esprit Saint le conduise au désert après que la voix du Père se soit fait entendre sur son Fils : « Voici mon Fils bien aimé ». « Je conclus, dit Louis Chardon, par une remarque de saint Luc. Lors du baptême de Jésus, nous dit cet évangéliste : aussitôt que le Père céleste eut reconnu et proclamé, comme depuis sur le Thabor, que Jésus était son Fils, le saint Esprit, source de grâce en son âme, le conduisit au désert pour y demeurer pendant quarante jours, et s’y livrer au jeune. Saint Marc nous signale la même coïncidence en ces termes : Une voix vint du Ciel disant : Tu es mon Fils, bien aimé ! «  et aussitôt l’esprit l’entraina dans le désert.  Quel rapport entre le désert et les cieux que Jésus voit ouvert ? Entre la toute-puissance attestation du Père, la complaisance qu’il manifeste trouver en son Fils unique et l’austérité, la rigueur de la pénitence qu’on lui impose ? Quelle liaison entre l’honneur que Jésus reçoit du Saint Esprit descendant visiblement sur lui et un changement si subit et si méprisable ? Saint Marc ne dit point que le Saint Esprit lui commande, qu’il le presse, qu’il l’inspire, mais qu’il l’entraine au désert. En cela il s’accommode bien de la disposition de l’âme de Jésus, puisque, quand on entendit cette voix du tonnerre qui disait : « je l’ai glorifié et le glorifierai encore », il se cacha après avoir répondu par la parole de la Croix. Proclamé par la bouche même de Dieu l’image de sa gloire, il semble ne plus oser paraître en la présence des hommes. A peine la sainte épouse des Cantiques s’est-elle échappée des bras de son bien-aimé ; à peine a-t-elle quitté ses divines caresses qu’elle s’entend dire : « O la plus belle entre toute les femmes ! Si vous ne vous connaissez pas, allez vers les troupeaux de vos compagnes et menez paître vos chevreaux près des tentes des Pasteurs (Cant. 1 7). Que voir en ces paroles, si ce n’est des menaces, ou plutôt des encouragements puissants, pour faire savourer à cette âme bénie le bonheur de sa condition présente, en regard de celle, si humble, d’où elle avait été tirée ? Ce n’est point ainsi que le Fils unique du Père céleste est traité. Le Saint Esprit, qui est le lien d’amour de la  Divinité, le jette, pour ainsi dire hors du sein de sa naissance  éternelle, et, non content de le séparer de la source des douceurs qui lui sont dues, il le chasse de la maison ainsi qu’un étranger, il le bannit comme s’il était indigne non seulement de la société divine mais encore de toute société humaine, civile et politique. Il lui défend toutes sortes de commerce avec les hommes ; il le condamne à vivre avec les bêtes. C’est ainsi que parle saint Marc : « Jésus a été, dit-il, au désert pendant quarante jours et quarante nuits ; il y était tenté par le démon et il y demeurait avec les bêtes sauvages » (La Croix de jésus T 1 p 105-108).

Une seule chose compte pour Jésus : accomplir la volonté de son Père qui était de sauver les hommes par la Croix et la tribulation. « Je viens oh Dieu faire votre volonté ». « Ma nourriture est de faire la volonté de mon Père ». Cette volonté avait totalement possédé son cœur. Et qui voulait s’opposer à la pente de son cœur, se voyait « rabrouer » comme saint Pierre, et  traité même de « Satan » : « Arrière Satan tu m’es une occasion de scandale » parce qu’il voulait s’opposer au désir de son coeur de monter sur la Croix pour opérer notre salut. Alors que Judas, il l’accueillit  au jardin de Gethsémani, lui donnant le beau titre « d’ami » parce qu’il lui permettait d’accomplir sa sainte volonté, celle de son Père.

« Lex et prophétæ prímitus Hoc prætulérunt, póstmodum Christus sacrávit, ómnium Rex atque factor témporum » « La Loi, et les Prophètes en ont jadis montré le sens ; le Christ enfin l’a consacré, lui, des temps le Maître et le Roi ».

Et de fait, le chiffre biblique 40, 40 jours, 40 ans revient souvent dans l’Ancien Testament. C’est pendant « quarante jours et quarante nuits » que les pluies du Déluge s’abattent sur la Terre faisant tanguer l’arche de Noé. Moïse, dont la vie se découpe en trois périodes de quarante ans, a jeûné quarante jours.

Cette liste est loin d’être exhaustive.

Il faut citer aussi que le nombre 40 tient son origine dans le livre de l’Exode: « les quarante ans du peuple hébreu dans le désert ». Conduits par Moïse et son frère Aaron, les Hébreux quittent le pays de Pharaon après quatre siècles d’esclavage. Ils laissent derrière eux  la mer Rouge que Moïse a ouverte à la demande de Dieu, et devant eux, se trouve alors la « Terre promise ». Et  les Hébreux vont errer dans cet inconfortable intervalle pendant quarante ans. « Ces quarante ans symbolisent la période durant laquelle Israël va totalement retrouver son Dieu. Ainsi cette quarantaine est un temps de purification et de retrouvailles pour se réapproprier son Dieu. En voilà le symbole, la signification ! C’est d’ailleurs à ce moment que Moïse reçoit de Dieu la Loi sur le mont Sinaï . Purification et retour vers Dieu : tels sont  les significations, ou le symbolisme  des quarante jours de jeune.

Et on retrouve ce chiffre de quarante aussi dans le Nouveau Testament.  C’est bien quarante jours après la résurrection de Jésus à Pâques que vient l’Ascension. Ce temps a permis au Christ de manifester pleinement l’historicité de sa Résurrection. Il s’agit de quarante jours de manifestation du ressuscité devant ses disciples. Et saint Thomas dans la Somme affirme que ce temps fut suffisant pour que le Christ manifeste sa Résurrection. Elle est manifestée par le témoignage des Anges et des Ecritures. C’est le magnifique récit des disciples d’Emmaüs dans saint Luc. Et cette Résurrection, le Christ la manifestât en faisant toucher son corps à ses disciples, en conversant avec eux, en mangeant aussi avec eux, en faisant voir et toucher les plais de sa Passion, « c’est bien moi ». Et en faisant également constater sa nature divine par le miracle de la pêche miraculeuse sur le lac de Tibériade, et en montant au Ciel sous leurs yeux.

Vous le voyez aussi bien dans l’Ancien que dans le Nouveau Testament,  ce chiffre n’est pas anodin. 40 est un nombre aussi mystérieux que crucial pour la Bible. Tant dans l’Ancien que du Nouveau Testament, il revient sans cesse. L’auteur de notre hymne a raison de dire : « La loi et les Prophètes en ont jadis montré le sens ; le Christ enfin l’a consacré » lors de son baptême et de son séjour au désert. Nous en avons parlé plus haut. Et c’est aussi quarante jours après la Nativité qu’eut lieu la fête de la Présentation  de Jésus au Temple, la fête de la Purification.

Puis notre auteur conclut cette strophe par ces magnifiques paroles : « lui, des temps le Maître et le Roi », «  ómnium Rex atque factor témporum » Exactement le Roi de tout et le Maître des temps. « factor ». C’est une merveilleuse confession de foi en la divinité de NSJC. « Rex » et « Factor ». Ce sont là des expressions que j’aime.

« Utamur ergo parcius, Verbis, cibis et potibus, somno, iocis, et arctius perstemus in custodia » « Servons nous plus discrétement du parler, du manger, du boire, du sommeil, des jeux, et veillons plus strictement sur la garde de nous-mêmes ».

Dans la strophe précédente, notre auteur nous disait que,  de ce jeune,  l’Ecriture, soit l’Ancien soit le Nouveau Testament,  nous en donnait le sens. Il s’agissait d’un retour plus sensible à Dieu. Dans le jeune du Christ, il s’agissait d’un jeune total pendant quarante jours, touchant tous les sens. Ici, dans cette strophe, notre hauteur explicite à son tour l’ampleur du jeune, si l’on peut dire : « utamur parcius » « usons avec réserve, d’une manière peu abondante » – le Carême est donc un temps de restriction, d’austérité, de pénitence – Et  de quoi faut-il user avec réserve en ce Carême ? Il faut user avec mesure, « du parler, du manger, du boire, du sommeil, et même des jeux ». Voilà pour les sens. Mais il y a aussi une dimension  plus morale qui est fort bien d’écrite : « et veillons plus strictement sur la garde de nous-mêmes ». en latin c’est fort beau : « arctius perstemus in custodia ». « Perstemus » de « persto, perstare » : «  se tenir debout » du verbe «  sto » « stare », être ferme, comme le soldat au garde à vous ; au figuré, c’est « demeurer ferme », « persévérer dans l’effort ». Et cette attitude morale est encore souligné par le mot «  arctius » du verbe «  arcto, arctare »  qui veut dire « serrer, resserrer ». Ce serait bien traduit en disant « demeurer plus ferme ou encore « persévérer plus ferme »,  « in custodia » : « être sur ses gardes ». « Custodium » de « custos », « le gardien. Celui qui garde, par exemple le « Custos du tissu de Turin… Donc cette expression latine veut dire : « être plus ferme », « être  sur ses gardes ». Traduire finalement, moralement, « être vigilant, être sur ses gardes » serait, me semble-t-il, parfait. Voilà pour l’attitude morale en Carême. Nous avons là une belle description du Carême et dans les efforts physiques et moraux qu’il faut faire.

Vitemus autem noxia quae subruunt mentes vagas :nullumque demus callidi  Hostis locum tyrannidi » « Evitons ces périls où succombe l’âme inattentive : Gardons de laisser la moindre entrée à notre tyran perfide ».

Dans cette strophe, notre auteur fait allusion aux tentations, pourquoi pas aussi aux tentations du Christ au désert que nous raconte saint Luc. Les trois tentations. Souvenez-vous du récit de saint Luc dans son chapitre 4 des versets 1 à 13 :

« 1 Jésus, rempli de l’Esprit-Saint, revint du Jourdain, et il fut poussé par l’Esprit dans le désert, 2 pendant quarante jours. Il ne mangea rien durant ces jours-là, et quand ils furent passés, il eut faim. 3 Alors le diable lui dit :  » Si vous êtes Fils de Dieu, commandez à cette pierre de se changer en pain.  »
4 Jésus lui répondit :  » Il est écrit : L’homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole de Dieu.  » 5 Et le diable l’ayant emmené sur une haute montagne, lui montra en un instant tous les royaumes de la terre, 6 et lui dit :  » Je vous donnerai toute cette puissance et toute la gloire de ces royaumes ; car elle m’a été livrée, et je la donne à qui je veux. Si donc vous vous prosternez devant moi, elle sera toute à vous.  » 8 Jésus lui répondit :  » Il est écrit : Tu adoreras le Seigneur ton Dieu, et tu le serviras lui seul.  »
9 Le démon le conduisit encore à Jérusalem, et l’ayant placé sur le pinacle du temple, il lui dit :  » Si vous êtes Fils de Dieu, jetez-vous d’ici en bas. 10 Car il est écrit : Il a été donné pour vous l’ordre à ses anges de vous garder, 11 et ils vous prendront entre leurs mains, de peur que votre pied ne heurte contre la pierre.  »
12 Jésus lui répondit :  » Il a été écrit : Tu ne tenteras point le Seigneur ton Dieu.  » 13 Après l’avoir ainsi tenté de toutes manières, le diable se retira de lui pour un temps ».

« Vitemus autem noxia » « Evitons ces périls » du diable en évitant   une vie « frivole ». Soyons vigilants, sur nos gardes pour ne pas succomber, là où tombent ces esprits  « vagabonds » « inconstants », «  quae subruunt mentes vagas ». C’est ce que nous demande Jésus : « Vigilate » « Veillez afin de ne pas succomber à la tentation ». Et saint Paul nous rappelle de même « state in fide », « demeurez ferme dans la foi ». On retrouve notre verbe « stare ». C’est aussi l’attitude de Notre Dame au pied de la croix : « Stabat Maria dolorosa ».  De cette force, de cette vigilance, Jésus-Christ dans ses tentations nous en donne  l’exemple. Et avec quelle  promptitude et énergie  répond-il au Démon. C’est magnifique. Les « jeunes » diraient : il répond « du tac au tac ».

Flectamus iram vindicem Ploremus ante judicem, clamemus ore supplici dicamus omnes cernui » « fléchissons la colère vengeresse, Pleurons aux pieds de notre juge ; poussons des cris suppliants et prosternés devant notre Juge, disons lui » : 

Nous avons dans cette strophe une belle description du pénitent repentant. Les fils de Dieu se savent pécheurs et faibles. Ils le confesse ici. Comment ? Par leur attitude physique : « flectamus » On pense tout de suite au « flectamus genua » des  oraisons des Messe du temps de Carême. «  par leurs larmes aux pieds de leur Juge »,  voire, par leur cris suppliant devant le Juge, et plus encore : par leur prosternation toujours devant le Juge. On pense ici à l’attitude de Notre Seigneur dans son agonie. Il porte les péchés du monde, quoiqu’innocent.  Il est le « serviteur souffrant d’Isaïe décrit dans son chapitre 53, il « tombe à terre » devant le Père le suppliant d’éloigner cette coupe…Mais c’est pour cela qu’il est venu. Lisons le récit de saint Marc en son  Chapitre  14 : « 32 Ils arrivèrent à un domaine appelé Gethsémani, et il dit à ses disciples :  » Asseyez-vous ici pendant que je prierai. « 33 Et ayant pris avec lui Pierre, Jacques et Jean, il commença à sentir de la frayeur et de l’abattement. 34 Et il leur dit :  » Mon âme est triste jusqu’à la mort ; restez ici et veillez.  » 35 S’étant un peu avancé, il se jeta contre terre ; et il priait que cette heure, s’il se pouvait, s’éloignât de lui.
36 Et il disait :  » Abba (Père), tout vous est possible, éloignez de moi ce calice ; cependant, non pas ma volonté, mais la vôtre !  »
37 Il vint ensuite et trouva ses disciples endormis ; et il dit à Pierre :  » Simon, tu dors ! Tu n’as pu veiller une heure !
38 Veillez et priez afin que vous n’entriez point en tentation.
L’esprit est prompt, mais la chair est faible.  »
39 Et, s’éloignant de nouveau, il pria, disant les mêmes paroles.
40 Puis, étant revenu, il les trouva encore endormis ; car leurs yeux étaient appesantis, et ils ne savaient que lui répondre.
41 Il revint une troisième fois et leur dit :  » Dormez, maintenant, et reposez-vous. — C’est assez ! L’heure est venue ; voici que le Fils de l’homme est livré aux mains des pécheurs.
42 Levez-vous, allons ; celui qui me trahit est près d’ici. « 

J’attire votre attention sur l’expression de saint Marc traduit ici par : « il se jeta à terre » ; en latin  nous avons  « procidit super terream ». Il « tomba à terre ». expression qui exprime d’abord la faiblesse du Maître mais aussi sa prière : il se prosterne devant son Père.  Epuisé, il se prosterne devant son Père et le supplie : :  Abba (Père), tout vous est possible, éloignez de moi ce calice ; cependant, non pas ma volonté, mais la vôtre !  » Voilà sa prière, sa supplique. Ici, dans notre hymne nous avons « clamemus ore supplici » c’est une prière, une clameur « clamemus » qui s’exprime « ore » par la bouche, une supplique : supplici comme celle du Christ en son Agonie.
On va connaître maintenant, dans cette nouvelle strophe, l’objet de la supplique du pénitent de cette hymne :

«Nostris malis offendimus Tuam Deus clementiam : effunde nobis desuper, remissor, indulgentiam » « O Dieu par nos péchés, nous avons offensé votre clémence, daignez étendre sur nous votre pardon ».

Cette supplique est parfaitement en situation. Par faiblesse, nous avons succombé aux tentations du Démon et commis, contre votre bonté, le péché qui est la pire des choses puisque Saint Thomas définit l’acte peccamineux comme une « conversio ad créaturas et une « aversion a Deo ». Peut-il y avoir plus grand mal, plus grand mépris, puisque Dieu est le souverain bien, souverainement aimable,  et qui est tel que, comme le dit Saint Louis,  « meilleur ne se peut ».  Cette « aversio a Deo » est vraiment la pire de chose. Mais si l’on ajoute à cette considération que le péché commis contre Dieu a une certaine infinité de malice puisqu’il se lève contre Dieu qui est le bien infini, on en comprend toute la gravité. De plus pour comprendre la malice du péché, il suffit de regarder la Passion du Christ, de se remémorer toutes ses souffrances, son humiliation, son couronnement d’épine, sa flagellation, son crucifiement… Saint Ignace nous propose cette méditation dans ses Exercices spirituels lorsqu’il fait méditer son retraitant sur le péché.  « O Dieu par nos péchés, nous avons offensé votre clémence » » daignez étendre sur nous votre pardon ». « votre indulgence et votre pardon ».

Et la prière se prolonge merveilleusement dans la strophe suivante :

« Memento quod sumus tui, licet caduci, plasmatis : Ne des honorem nominis tui precamur, alteri » «  Souvenez-vous que malgré notre fragilité nous sommes l’œuvre de vos mains ; ne cédez pas à un autre l’honneur de votre nom,. (ou « à l’Autre », dans certaines traductions, peut-être le Diable)

C’est une très belle stophe, d’un enseignement très riche, et surtout très réaliste. Il campe devant nos yeux la créature, il en fait remarquer la fragilité : «  caduci, plasmatis ». « caduci » de cado » qui veut dire « tomber », «  s’abattre ». Et ce qualificatif de « faiblesse »  est encore accentué par «  plasmatis » « plasma plasmatis »  qui veut dire, création, créature : « licet caduci, plasmatis », bien que fragiles, bien que créature « contingentes », i.e. qui n’a pas en elle-même la raison de son existence et puisqu’elle est, elle l’a nécessairement en un autre qui a l’être par lui-même et qu’on appelle Dieu. Oui cet être « contingent est fragile, faible. il est dépendant. Et c’est pourquoi notre auteur ajoute à juste titre : bien que fragiles, « nous sommes l’oeuvre de vos mains » exactement :« memento quod sumus tui ».  Voilà le réalisme de la création, affirmé ! Voilà, ontologiquement, selon l’être,  ce que nous sommes réellement. Nous sommes son œuvre, son ouvrage : « sumus tui » : « même tombés, même faibles, nous restons son œuvre », son « ouvrage ». « Sumus tui » : peut-on mieux exprimer ce que nous sommes que par ces deux mots. Et c’est certainement une erreur  de notre monde, de ne plus vouloir confesser notre petitesse et vouloir même prendre la place de Dieu. Ce siècle est anthropocentrique. Il veut prendre la place de Dieu. Il refuse sa subordination à Dieu, sa soumission à Dieu. Comme le dit Jacques Maritan, dans « Antimoderne » : « Désormais l’animal raisonnable (depuis la Réforme) va s’appuyer sur lui-même ; (Il refuse de confesser qu’il est à Dieu, dépend de Dieu dans son être). Comme le dit notre hymne : « Sumus tui » « Nous sommes à toi », « nous sommes tiens ». Nous dépendons de toi dans tout notre être. Voilà la réalité. Affirmer le contraire c’est tomber dans l’orgueil. La pierre d’angle ne sera plus le Christ (Dieu) L’esprit d’indépendance absolue, qui, en définitive porte l’homme à revendiquer pour lui-même l’aseité, et que l’on peut appeler l’esprit de la Révolution antichrétienne, qui  s’introduit victorieusement en Europe avec la Renaissance et la Réforme….Et vise à remplacer partout le culte des Trois personnes divines par le culte du Moi humain » (Antimoderne p. 198).

Et c’est bien Jean Paul II qui a le dernier mot en cette affaire en faisant remonter ce culte du Moi humain à l’idéalisme cartésien. Il écrivait cela dans  son livre posthume : « Mémoire et Identité » Il écrivait : il faut attribuer cet orgueil humain à la philosophie cartésienne à l’idéalisme : «  Pour mieux illustrer un tel phénomène, il faut remonter à la période antérieure aux Lumières, en particulier à la révolution de la pensée philosophique opérée par Descartes (p. 20) ; « N’est-ce pas ce monstrueux orgueil de  Descartes que le monde moderne a pris pour maître quand l’homme n’y veut dépendre que de lui-même (p. 103). Il expliquait : « l’orgueil cartésien va poser les principes de l’idéalisme en mettant en doute le lien vivant, la solidarité naturelle entre la pensée qui connaît et le réel qu’elle connait : pour ne rien devoir qu’à sa propre pensée, Descartes veut que nous ne connaissions que nos idées – et c’est cet idéalisme – qui enferme l’homme dans ses idées, qui opère la rupture de la pensée et du réel….Si la pensée n’est pas, dès son premier éveil, suspendue au réel , accueil du réel en elle, elle ne rejoindra jamais le réel et elle n’a plus qu’à construire librement son système d’idées sans se soucier d’aucune vérité absolue qui s’impose à elle (celle, par exemple , de notre dépendance à Dieu, « sumus tui ») : toute la libre pensée est en germe dans l’idéalisme cartésien dont Kant ne fera que suivre la logique interne et développer les conséquences normales » (p 103-104)

Il poursuivait disant : « Le « cogito ergo sum » apporta un bouleversement dans la manière de faire de la philosophie. Dans la période pré-catésienne, la philosophie et donc le cogito ou plutôt le cognosco étaient subordonné à l’esse qui était considéré comme quelque chose de premier. Pour Descartes à l’inverse, l’esse apparaissait comme second tandis qu’il considérait le cogito comme premier. Ainsi non seulement on opérait un changement de direction, dans la façon de faire de la philosophie, mais on abandonnait de manière décisive ce que la philosophie avait été jusque-là, en particulier la philosophie de saint Thomas : la philosophie de l’esse. Auparavant tout était interprété dans la perspective de l’esse et l’on cherchait une explication de tout selon cette perspective. Dieu, comme être pleinement auto-suffisant (ens subsistens) était considéré comme le soutien indispensable pour tous ens non subsistens (c’est pourquoi notre auteur dit clairement « sumus tui)  pour tout ens participativum, i.e. pour tout être créé et donc aussi pour l’homme. Le cogito ergo sum portait en lui la rupture avec cette ligne de pensée. L’ens cogitans  (l’être pensant) devenait désormais premier. Après Descartes la philosophie devient une science de la pure pensée : tout ce qui est « esse » – tout autant le monde créé que le Créateur – se situe dans le champ du cogito, en tant que contenu de la conscience humaine. La philosophie s’occupe des êtres en tant que contenus de la conscience, et non en tant qu’existants en dehors d’elle » (p21)

Dès lors, avec une telle philosophie idéaliste, l’intelligence façonne son objet à sa guise. C’est l’arbitraire qui s’introduit. La pensée rompt avec le réel. Liberté à l’égard de l’objet, cette philosophie idéaliste  est la mère nourricière de toutes les libertés humines, c’est la plus belle conquête du Progrès, qui nous rend, pour n’être mesuré par rien, également soumis à n’importe quoi, mais  pas à Dieu, ni à sa création. C’est dans la pensée cartésienne, que se prépare dans les assemblées démocratiques toute une législation contre nature. Et le Pape de conclure son développement remarquable, en écrivant : « Pourquoi tout cela arrive-t-il ? Pourquoi ces législations contre nature ? Quelle est la racine de ses idéologies de l’après Lumière ? En définitive la réponse est simple cela arrive parce que Dieu en tant que créateur a été rejeté et, du même coup, la source de détermination de ce qui est bien et de ce qui est mal. On a aussi rejeté la notion de ce qui, de manière plus profonde, nous constitue comme êtres humains, à savoir la notion de « nature humaine » comme « donné réel » et à  sa place, on  a mis un produit de la pensée librement formée et librement modifiable en fonction des circonstances » (p 25) et en fonction du nombre. Oui ! l’homme juge tout avec une indépendance absolue. Il est son monde et devient à peu près son Dieu.

Eh bien notre auteur se dresse contre une telle philosophie. Réaliste, il écrit « sumus tui licet caduci, plasmatis ». C’est qu’il écrivait avant Descartes….

« Ne des honorem nominis Tui precamur, alteri » « ne cedez pas à un autre (ou à l’Autre, dans certaines traductions) l’honneur de votre nom ».

De grâce, nous vous en supplions « precamur », ne donnez pas à un autre l’honneur dû à votre nom. C’est vous le Créateur et nul autre ne peut vous ravir cet honneur.

Laxa malum, quod fecimus, Auge bonum, quod poscimus: placer quo tandem tibi Possimus hic et perpetim » « Ôtez le mal que nous faisons, aidez au bien que nous voulons, pour que nous plaisions à vos yeux aujourd’hui et dans tous les temps »

Cette strophe pourrait nous faire penser à l’affirmation de saint Paul suppliant Dieu de le délivrer du mal qu’il fait sans pourtant vouloir le faire ; Souvenez-vous de ce qu’il dit en Rm 7 21 : « 14 Nous savons, en effet, que la Loi est spirituelle ; mais moi, je suis charnel, vendu au péché. 15 Car je ne sais pas ce que je fais : je ne fais pas ce que je veux, et je fais ce que je hais. 16 Or, si je fais ce que je ne voudrais pas, je reconnais par-là que la Loi est bonne.
17 Mais alors ce n’est plus moi qui le fais, c’est le péché qui habite en moi. 18 Car je sais que le bien n’habite pas en moi, c’est-à-dire dans ma chair ; le vouloir est à ma portée, mais non le pouvoir de l’accomplir. 19 Car je ne fais pas le bien que je veux, et je fais le mal que je ne veux pas. 20 Or, si je fais ce que je ne veux pas, ce n’est plus moi qui le fais, c’est le péché qui habite en moi.
21 Je trouve donc cette loi en moi : quand je veux faire le bien, le mal est près de moi. 22 Car je prends plaisir à la loi de Dieu, selon l’homme intérieur ; 23 mais je vois dans mes membres une autre loi qui lutte contre la loi de ma raison, et qui me rend captif de la loi du péché qui est dans mes membres. 24 Malheureux que je suis ! Qui me délivrera de ce corps de mort ? 25 Grâces soient rendues à Dieu par Jésus-Christ Notre-Seigneur ! Ainsi donc moi-même, par l’esprit, je suis l’esclave de la loi de Dieu, et par la chair l’esclave de la loi du péché »
(Rm 7 14-25)

C’est tout simplement fabuleux. Oui ! Seigneur : « aidez au bien que nous voulons » selon l’Esprit afin «  que nous plaisions à vos yeux aujourd’hui et dans tous les temps ».En latin c’est tout simplement merveilleux : «  Placére quo tandem tibi
Possímus hic, et pérpetim ».

 
La conclusion s’impose très objectivement  « Præsta, beáta Trínitas,Concede, simplex unitas, ut fructuosa sint tuis Jeiuniorum munera » Amen. « que vous exhaussiez, sainte Trinité  et tout autant Unité » quant à l’essence divine,  les bienfaits de ce jeune « annuel ». .

 

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