Prédication pour le 14ème dimanche après la Pentecôte
publié dans couvent saint-paul le 4 septembre 2009
« Venez, réjouissez-vous dans le Seigneur. Poussons des cris de joie vers Dieu, notre Sauveur »
Voilà le chant qui constitue l’Alleluia de cette messe.
Ce sont les premiers versets du Psaume 94. C’est le psaume que le prêtre dit tous les jours lorsqu’il ouvre son bréviaire et qu’il chante ou récite les mâtines, le « chant du matin ».
L’Eglise qui met ce psaume 94 dans la bouche du prêtre doit considérer que ce psaume 94 est un psaume sacerdotal, que les sentiments qu’il exprime doivent être aussi ceux que le prêtre ressent dans son coeur. Ces acclamations sont sur ses lèvres. Ces acclamations sont dans son cœur. Elles expriment sa « spiritualité », elles expriment sa pensée. Elles façonnent sa pensée, elles « l’énervent »…dans le sens qu’elles lui donnent corps, force et grandeur. Voilà la spiritualité sacerdotale : une spiritualité de joie, d’allégresse, d’acclamation, tout à l’honneur de Dieu. Le prêtre est celui qui, pour le peuple, honore Dieu pour ce qu’Il est. Le prêtre, dès le matin, loue Dieu et l’acclame, le chante pour toutes ses merveilles. La prière du prêtre a pour objet Dieu et sa munificence. L’univers de la pensée du prêtre, c’est Dieu et rien d’autre. Ce n’est pas « Mamon » dont nous parle l’Evangile de ce dimanche. Ce n’est pas le monde et ses attraits et ses passions et sa richesse et ses plaisirs. C’est Dieu. Le prêtre se porte à Dieu, vers Dieu et nullement vers le monde. Son cœur est à Dieu et à nul autre. Il aime Dieu et le chante. Comme le dit saint Augustin commentant ce psaume : le prophète David, dès le matin, appelle le prêtre auprès de Dieu « afin qu’il le goûte ». Il n’y a rien de plus doux que Dieu. Il est à mon cœur ce qu’un rayon de miel est à mon palais.
C’est donc avec joie et allégresse, par ses chants, que le prêtre doit louer le Seigneur. C’est son premier devoir. C’est son premier cri du matin comme le premier cri de l’enfant entrant dans le monde, cri d’émerveillement.
« Venez réjouissons nous dans le Seigneur. Poussons des cris de joie en Dieu notre Sauveur ».
Ainsi ce psaume, comme le dit toujours saint Augustin, nous « invite au grand festin de l’allégresse ». Il faut que le prêtre goûte en Dieu une sainte joie s’il veut sans crainte vivre dans le siècle, « mépriser le siècle », dit même saint Augustin. C’est très juste. L’amour de Dieu dans le cœur du prêtre est la meilleure garantie pour qu’il ne se laisse pas attirer par les plaisirs du monde.
Et ce même psaume nous indique aussi et surtout les raisons de ce chant d’allégresse, de ce festin. Il nous indique « ce qu’il nous faut chanter ».
Et que nous faut-il chanter et goûter.
Il doit goûter et chanter et louer et acclamer et confesser dans sa jubilation, la majesté de Dieu, sa toute puissance. Il doit s’en émerveiller : « C’est que Dieu, le Seigneur, est grand, c’est qu’il est un roi plus grand que tous les dieux » Et à l’occasion de ce verset, saint Augustin cite une merveilleuse parole de saint Paul aux Corinthiens dans sa première lettre : « S’il est des êtres appelés dieux, soit dans le ciel, soit sur la terre et qu’ainsi il est plusieurs dieux et plusieurs seigneurs, néanmoins il n’y a pour nous qu’un seul Dieu, de qui vient toute chose et qui nous a faits pour lui ; il n’y a qu’un seul Seigneur, Jésus-Christ par qui toutes choses ont été faites et nous sommes en lui ». (1 Cor 8 5-6)
Voilà ce que chante le prêtre
Voilà l’objet de la pensée du prêtre, toute centrée sur le Christ Jésus, sa grandeur, sa Majesté. Et nous pensons à ce que confesse saint Jean dans le prologue de son évangile : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu…Tout par lui a été fait, et sans lui n’a été fait rien de ce qui existe…En lui était la vie, et la vie était la lumière des hommes…Il vint chez lui, et les siens ne l’ont pas reçu. Mais quant à tous ceux qui l’ont reçu, Il leur a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu, à ceux qui croient en son nom… »
Il a fait de nous, de ceux qui croient et confessent sa divinité, des enfants de Dieu. Pouvoir. Grandeur, Magnificence. Notre filiation divine en est la preuve. Et donc, comme le conclut saint Augustin : « louange à Dieu, confession à Dieu, jubilation à Dieu, « car le Seigneur est grand, il est roi par-dessus tous les dieux ». « Il tient dans sa main les profondeurs de la terre et à qui appartiennent les cimes des montagnes et la mer, car il l’a créée et la terre qu’ont façonnée ses mains »
« Venez. Adorons et prosternons nous. Fléchissons le genou devant Dieu notre créateur. Oui il est notre Dieu ».
Mais aussi notre Sauveur : « Jubilemus Deo salutari nostro ».
Oui le prêtre confesse, se rappelle chaque matin le salut opéré par magnificence et par miséricorde par le Dieu tout puissant. Il est notre « Sauveur »…Et le prêtre se souvient de cette grande œuvre de salut, preuve de miséricorde : le salut par la Croix, par l’humiliation du Verbe fait chair. Il a pris chair pour être un des nôtres et à notre place, pour, à notre avantage, offrir à Dieu, son Père et notre Père, la rançon de notre délivrance, l’hommage qui lui est dû et dont l’offrande a réconcilié les hommes avec Dieu. Et le prêtre, alors , se souvenant de ces merveilles, affirme avec saint Paul : « Notre Sauveur Dieu veut que tous les homes soient sauvés et viennent à la connaissance de la vérité. Car il n’y a qu’un seul Dieu, un seul médiateur aussi de Dieu et des hommes : Jésus-Christ qui s’est donné lui-même en rançon pour nous. Ce témoignage fut rendu en son temps pour lequel j’ai été établi héraut et apôtre…docteur des nations dans la foi et la vérité ».
Le prêtre c’est cela. Il se nourrit de cette miséricorde de Dieu qui se prouve par ce salut opéré sur la Croix. Il prêche et cette miséricorde et cette Croix et cette justice divine. Justice divine qui n’a pas voulu pardonner sans une rançon versée. Miséricorde puisqu’il a donné Celui là seul qui pouvait, parce que homme-Dieu, payer cette rançon due en raison de la malice infini du péché originel et des péchés personnels des hommes. Ainsi donc, le salut, le sauveur, ce Dieu sauveur, ce plan de salut montrent tout à la fois la justice de Dieu, la miséricorde de Dieu, la gravité du péché.
La salut, le Dieu sauveur, la vie éternelle, raison de ce plan de salut : voilà l’univers du prêtre, les objets de sa contemplation, l’objet de son chant, de sa joie, de son allégresse : le Christ, la raison de notre gloire, la sagesse de Dieu, Celui qui a réalisé le plan salvifique sur le bois de la Croix, bois de la Croix qui révèle la laideur du péché.
Voilà ce que le prêtre médite chaque matin en lisant ce psaume 94. Il est par la pensée au pied du sacrifice de la Croix, lieu de la rédemption, avant de l’actualiser par la célébration de la sainte Messe. Là aussi il exprime la joie de son cœur d’offrir le sacrifice cette fois au pied de l’autel : « je monterai à l’autel de Dieu, du Dieu qui réjouit ma jeunesse ». « Introïbo ad altare Dei. Ad eum qui laetificat juventutem meam » Il le répétera même deux fois tant ce sentiment de joie est profond ;
Alors vous comprenez que l’on puisse dire que le prêtre est l’homme du sacrifice de la Croix. Sa raison est de s’en réjouir et de le vivre et de le prêcher. C’est l’homme de Dieu, au service de Dieu pour rappeler et vivre cette œuvre de salut.
« Jubilemus Deo salutari nostro ». Soit.
Et le psaume poursuit : « Il est notre Dieu et nous sommes son peuple dont il est le pasteur »
Ainsi le prêtre est aussi l’homme de la mémoire, l’homme qui se souvient de la miséricorde de Dieu à l’égard de son peuple. Ce peuple qu’il a délivré de l’esclavage égyptien par la force de son bras devant l’obstination et le refus du Pharaon de laisser partir ce peuple de Dieu selon l’ordre divin. Alors il voit le passage du peuple à travers la mer rouge, à pied sec…Il voit les chars du Pharaon ensevelis… « Car éternelle est sa miséricorde ». Il voit le miracle de la manne pour nourrir son peuple, figure de l’Eucharistie…Il voit le bâton de Moïse frappant le rocher d’où jaillit l’eau en abondance et pour le peuple et le bétail… « Car éternelle est sa miséricorde ». Mais il voit surtout le grand mystère révélé par saint Paul dans l’épître aux Romains : l’appel des païens à la foi au Christ et au salut. Ils feront eux aussi parti du peuple de Dieu. Il voit l’épître aux Ephésiens qui précise que les gentils sont admis au même héritage que le peuple élu…qu’ils doivent constituer avec eux, un même corps, donc participer à une même Eglise, enfin bénéficier des mêmes promesses : « J’ai eu par révélation connaissance du mystère …du Christ, mystère du Christ qui n’a pas été manifesté aux fils des hommes dans les âges antérieurs, comme l’Esprit l’a révélé de nos jours aux saints apôtres et prophètes de Jésus-Christ, à savoir que les Gentils sont admis au même héritage et qu’ils sont membres du même corps et qu’ils participent aux mêmes promesses dans le Christ Jésus par le moyen de l’Evangile » ( Eph 3 3-6)
« Oui il est notre Dieu et nous sommes le peuple dont il est le pasteur et le troupeau que sa main conduit »
C’est pourquoi l’évangile de ce dimanche est par excellence l’évangile du peuple de Dieu conduit par la main de Dieu. Il s’en remet à la protection divine.
Rien n’est plus beau que ce passage de l’Evangile qu’il faut méditer dans ce monde inquiet et troublé et d’où peut venir les tentations. Et sur ce sujet des tentations, saint Augustin a de très belles considérations : « tu redoutes les tentations du monde? .Elles ne te nuiront point, Dieu en a posé les bornes : « Car la mer est à lui ». Ce monde effectivement est une mer, et Dieu a fait la mer. Les flots ne peuvent pousser leur violence que jusqu’au rivage, où il leur a mis un terme. Viennent donc les tentations, viennent les tribulations, qu’elles consomment ta vertu sans te consumer. Vois si les tentations ne sont point utiles. Ecoute l’Apôtre « Dieu est fidèle, et ne vous laissera point tenter au-dessus de vos forces; mais il vous rendra la tentation avantageuse, afin que vous puissiez persévérer» (1 Cor 10 13). Il ne dit point: Il vous délivrera de toute tentation; car, refuser la tentation, c’est refuser la perfection. Dieu donc nous réforme par là; et s’il nous réforme, nous sommes entre les mains de l’ouvrier. Il retranche en nous, il redresse, il aplanit, il purifie; il agit en nous comme avec le fer; il y a des scandales ici-bas, mais toi, ne redoute que de tomber des mains du Créateur. Nulle tentation ne sera au-dessus de tes forces. Dieu le permet pour ton avantage, afin de stimuler tes progrès….. Craindrais-tu donc encore la mer? Sois sans crainte : « Puisque la mer est à Dieu, et qu’il en est le créateur ».
Ainsi puisqu’il en est ainsi… Pour toutes ces raisons : à savoir, sa magnificence, celle de sa création, sa miséricorde, sa justice dans le salut, sa prévenance dans le cour des choses, dans le cour de ma vie…pour toutes ses raisons, Dieu est digne de louange. Ainsi le prêtre répète-t-il inlassablement, alors qu’il récite ce psaume 94 : « venez adorons le Seigneur, prosternons nous devant Lui »… Car c’est Lui qui est le Seigneur notre Dieu, Lui qui conduit de sa main le troupeau.
Or malgré toutes ces bontés, le peuple les a refusées. Beaucoup ont endurci leur cœur n’écoutant pas la sagesse divine et n’observant pas la loi du Seigneur et son décalogue, hier dans la traversée du désert, aujourd’hui dans le temps des nations : « Aussi ai-je juré dans ma colère qu’ils n’entreront jamais dans le lieu de mon repos » « Ideo juravit in ira mea, non introibunt in requiem meam ».
Mais oh ! peuple : « si tu accomplis ses préceptes, conclut saint Augustin, tu dois être aussi certain de parvenir à son repos, à sa félicité, à son éternité, à son immortalité comme certain de la mort, des flammes éternelles, de la damnation avec le diable, si tu les méprises ».