Quitte ou double
publié dans flash infos le 20 février 2015
Quitte ou double
19 février 2015
Par Jacques Sapir
Le gouvernement Grec se trouve aujourd’hui à la tête d’un conflit contre l’austérité, représentée en Grèce par la « Troïka », c’est à dire par l’association du FMI, de la BCE et de la commission européenne. Il a annoncé le jeudi 19 février, dans sa demande de prolongation des prêts européens, sa volonté de« coopérer étroitement avec les institutions européennes et le FMI », ainsi que celle d’ « honorer ses obligations financières vis-à-vis de ses créanciers ». Il s’est engagé à « financer pleinement toute nouvelle mesure tout en s’abstenant de toute action unilatérale qui saperait les objectifs budgétaires, la reprise économique et la stabilité financière », tout en introduisant une « flexibilité » permettant « des réformes substantielles »afin de « rétablir le niveau de vie des millions de citoyens grecs »[1]. Les termes semblent avoir été pensés au millimètre. En fait, le gouvernement grec ne s’engage QUE sur le maintien d’un solde primaire en équilibre, mais il ne renonce pas à sa volonté d’utiliser l’argent prévu pour les paiements des intérêts et du principal de la dette pour financer des mesures sociales. En réalité, il n’y a pas de changements sur le fond. Et c’est pourquoi le gouvernement allemand annonce d’ores et déjà son opposition à cette demande.
Nous en sommes dès aujourd’hui au cœur du problème. L’Allemagne fait de la Troïka et de l’austérité, l’alpha et l’oméga de sa politique, car ces mesures lui assurent sa prédominance en Europe. En faisant des concessions de pure forme, le gouvernement grec démasque l’attitude allemande et reporte sur l’Allemagne la responsabilité d’un conflit[2]. Car, il est peu probable que l’Allemagne cède sur ce point.En fait, le gouvernement Grec vient de tendre un piège à l’Allemagne. Les concessions de pure forme qu’il fait mettent l’accent sur la rigidité allemande.
Un livre important.
Un livre récent signé de Costas Lapavitsas et Heiner Flassbeck, publié en anglais, montre bien la question centrale, tant pour la politique allemande que pour l’Europe du « régime de la Troïka », Against the Troika. Crisis and Austerity in the Eurozone. Publié chez Verso, Londres[3].
Costas Lapavitsas est un professeur d’économie qui enseigne à Londres à la SOAS. Estimé et respecté de ses collègues, il a pris depuis ces dernières années des positions radicales sur la question de la gestion de la crise de la dette dans la zone Euro. Il a publié avec ses collègues de nombreux rapports et documents, comme Crisis in the Eurozone , en 2012. Il a été élu sur la liste de SYRIZA aux élections du 25 janvier. Heiner Flassbeck est un économiste allemand qui a été vice-ministre des Finances et 1998-1999 puis a dirigé le centre des recherches économiques de la CNUCED (UNCTAD en anglais) à Genève jusqu’en 2012. Ce livre contient de plus des préfaces d’Oskar Lafontaine, ex-dirigeant du SPD et fondateur de Die Linke et de Paul Mason, ainsi qu’une postface d’Alberto Garzon Espinosa.
Il devient impossible de dire que les réflexions qui alimentent le gouvernement grec sont issues de « marginaux », que ce soit d’un point de vue académique ou même institutionnel.
Ce livre est une très importante contribution à l’analyse de l’Euro-austérité engendrée par la monnaie unique et voulue par l’Allemagne car elle en tire un profit immense. Cette politique est décrite comme du néo-mercantilisme. Elle engendre, de fait, des pressions déflationnistes extrêmement puissantes sur l’ensemble des économies de la zone Euro. Ce livre présente en plusieurs chapitres un tableau complet tant de l’origine de l’Euro-austérité, que de ses effets, que ce soit sur l’économie européenne mais aussi sur l’économie mondiale. Il permet de comprendre les effets asymétriques de la politique d’austérité en Allemagne et dans les autres pays. De ce point de vue, il y a une très grande parenté entre le travail de Lapavitsas et Flassbeck, et celui de Jorg Bibow[4]. Ce livre insiste bien sur les conséquences désastreuses que l’Euro pourrait avoir sur l’Europe. Ce point est particulièrement mis en avant par Oskar Lafontaine, qui fut l’un des « pères » de l’Euro et qui, dans sa préface, insiste sur le fait que l’Euro porte en lui la mort de l’Europe.
Un eurogroupe décisif ?
La réunion de l’Eurogroupe qui se tiendra vendredi 20 février sera à cette égard un moment décisif. On verra clairement où se rangent les divers gouvernements. Pour la France, il est clair qu’il se rangera du côté de l’Allemagne. Certes, avec des sanglots dans la voix. Les sanglots ne coûtent pas cher. Mais, l’alignement sur Berlin sera probablement complet. Nous verrons, alors si le gouvernement Grec tient bon sur la ligne qu’il a définie, et s’il est prêt à en assumer les conséquences. Il est possible que les négociations durent jusqu’au 28 février, mais nous aurons alors une vue très claire de comment elles vont se dérouler : l’intransigeance allemande portera la responsabilité immédiate, tout comme la politique économique allemande porte la responsabilité à long terme, de la crise et de l’éclatement de la zone Euro.
[1] http://www.lesechos.fr/monde/europe/0204170723979-la-grece-demande-officiellement-une-aide-prolongee-
[2] Godin R., http://www.latribune.fr/actualites/economie/union-europeenne/20150219tribff46afd9d/grece-un-eurogroupe-sous-haute-tension.html
[3] http://www.amazon.com/Against-Troika-Crisis-Austerity-Eurozone…dp/B00TCI4RNM/ref=sr_1_
[4] Dont il faut lire Bibow J et A. Terzi (eds.), Euroland and the World Economy—Global Player or Global Drag? Londres, Palgrave, 200