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L’Irlande: la reconnaissance légale de l’union homosexuelle

publié dans regards sur le monde le 13 juin 2015


Dans son ouvrage L’âme de tout apostolat, dom Jean-Baptiste Chautard (1858-1935), abbé trappiste de Sept-Fons, énonce cette maxime : «A prêtre saint, peuple fervent ; à prêtre fervent, peuple pieux ; à prêtre pieux, peuple honnête ; à pretre honnête, peuple impie»S’il est vrai qu’il y a toujours un degré de vie spirituelle de moins entre le clergé et le peuple catholique, il nous faudrait alors ajouter, à la suite du vote de Dublin ce 22 mai : «A prêtre impie, peuple apostat».

L’Irlande est en effet le premier pays où la reconnaissance légale de l’union homosexuelle a été introduite non par le haut, mais par le bas, par voie de référendum populaire; mais l’Irlande est aussi l’un des pays dont la tradition catholique est la plus ancienne et enracinée, où l’influence du clergé sur une partie de la population est encore relativement forte.

Que le “oui” aux mariages gay soit appuyé par tous les partis, de droite, de centre et de gauche, ce n’est pas là une nouveauté; on ne s’étonne pas non plus que tous les médias aient soutenu la campagne LGTB, ni qu’il y ait eu un puissant soutien financier étranger en faveur de cette campagne; il est évident que 60 % de la population ayant voté, seul 37,5 % des citoyens ont exprimé leur adhésion et que le gouvernement a habilement mélangé les cartes, par l’introduction en janvier 2015 d’une loi qui autorise l’adoption homosexuelle, avant la reconnaissance du pseudo-mariage gay. Mais ce qui constitue le plus grand scandale, ce sont les silences, les omissions et les complicités des prêtres et évêques irlandais au cours de la campagne électorale.

Pour ne citer qu’un exemple, avant les élections, l’archevêque de Dublin Diamund Martin a déclaré qu’il voterait contre le mariage homosexuel, mais ne donnerait pas d’instruction de vote aux catholiques (LifeSiteNews.com, 21 mai). Après le vote, il a déclaré à la télévision nationale irlandaise qu’«on ne peut nier l’évidence» et que l’Eglise en Irlande «doit tenir compte de la réalité». Ce qui est arrivé, a ajouté Mgr Martin, «n’est pas seulement l’issue d’une campagne pour ou contre, mais atteste d’un phénomène bien plus profond» pour lequel «il est également nécessaire de revoir la pastorale des jeunes : le référendum a été remporté par le vote des jeunes et 90 % des jeunes qui ont voté ont fréquenté les écoles catholiques» (www.corriere.it/esteri/. 15_maggio).

Cette position reflète, dans son ensemble et à de rares exceptions près, celle du clergé irlandais qui a adopté la ligne souhaitée en Italie par le secrétaire général de la CEI Mgr Nunzio Galantino : éviter à tout prix les polémiques et conflits : «il ne s’agit pas de donner raison à qui crie le plus fort, les ‘pasdaran’ des deux parties s’excluent entre eux» (“Corriere della Sera”, 24 mai). Ce qui signifie : laissons de côté la prédication de l’Evangile et des valeurs de la foi et de la Tradition catholique pour chercher un point de rencontre et de compromis avec les adversaires.

Et pourtant le 19 mars 2010, dans sa Lettre aux catholiques d’Irlande, Benoît XVI avait invité le clergé et le peuple irlandais à revenir «aux idéaux de sainteté, de charité et de sagesse transcendante», «qui par le passé firent l’Europe et peuvent aujourd’hui encore la refonder» (n° 3) et à «tirer inspiration des richesses d’une grande tradition religieuse et culturelle» (n° 12), qui n’a pas décliné, même s’il s’y est opposé «un changement social très rapide, qui a souvent eu des effets contraires à l’adhésion traditionnelle des personnes à l’égard de l’enseignement et des valeurs catholiques» (n. 4).

Dans sa Lettre aux catholiques d’Irlande, Benoît XVI affirme que dans les années Soixante, fut «déterminante» «la tendance, de la part de prêtres et de religieux, à adopter des façons de penser et à considérer les réalités séculières sans référence suffisante à l’Evangile». Cette tendance est celle-là même que nous retrouvons aujourd’hui. C’est elle qui a été la cause d’un processus de dégradation morale qui depuis les années du Concile Vatican II a emporté comme une avalanche les coutumes et institutions catholiques. Si aujourd’hui les irlandais, alors qu’ils restent majoritairement catholiques, abandonnent la foi, ce n’est pas seulement du fait de la perte de prestige et de consensus de l’Eglise suite aux scandales sur les abus sexuels.

La véritable cause est la reddition culturelle et morale au monde de leurs pasteurs qui acceptent cette dégradation comme une évidence sociologique, sans se poser le problème de leurs propres responsabilités. En ce sens leur comportement est impie, privé de piété, outrageant à l’égard de la religion, même s’il n’est pas formellement hérétique. Mais tout catholique qui a voté pour, et donc la majorité des catholiques irlandais qui se sont rendus aux urnes, s’est entâché d’apostasie. L’apostasie d’un peuple dont la constitution s’ouvre encore par un invocation à la Très Sainte Trinité.

L’apostasie est un péché plus grave que l’impiété, parce qu’elle comporte un reniement explicite de la foi et de la morale catholique, mais la responsabilité la plus lourde de ce péché public incombe aux pasteurs qui par leur comportement l’ont encouragé et toléré. Les conséquences du référendum irlandais seront maintenant dévastratrices. Quarante-huit heures après le vote, se sont réunis à Rome, sous la direction du cardinal Reinhard Marx, les principaux représentants des conférences épiscopales allemande, suisse et française pour planifier leur action en vue du prochain Synode.

Selon le journaliste présent, «mariage et divorce», «sexualité comme expression de l’amour» sont les thèmes qui ont été discutés (La Repubblica, 26 mai 2015). La ligne est celle tracée par le cardinal Kasper : la sécularisation est un processus irréversible auquel il faut adapter la réalité pastorale. Et pour l’archevêque Bruno Forte, celui qui lors du dernier Synode demandait «la codification des droits homosexuels» et qui a été confirmé par le pape comme secrétaire spécial du Synode sur la Famille, «il s’agit d’un processus culturel de sécularisation, impulsion dans laquelle l’Europe est pleinement engagée» (Corriere della Sera, 25 mai 2015).

Il reste une dernière question qu’on ne peut éluder : le silence sépulcral du pape François sur l’Irlande. Pendant la messe pour l’ouverture de l’Assemblée Caritas, le 12 mai dernier, le Pape a tonné contre «les puissants de la terre», leur rappelant «qu’un jour Dieu les jugera et que se manifestera s’ils ont vraiment essayé de Le nourrir en chaque personne (Mt 25,35) et s’ils ont œuvré pour que l’environnement ne soit pas détruit mais qu’il puisse produire cette nourriture».

Le 21 novembre 2014, commentant le passage de l’Evangile où Jésus chasse les marchands du temple, le pape lança son anathème contre une Eglise qui pense seulement à faire des affaires et qui fait un «péché de scandale». François fustige souvent la corruption, le trafic d’armes et d’esclaves, la vanité du pouvoir et de l’argent. Faisant référence le 11 juin 2014 aux politiciens corrompus, à ceux qui profitent du «travail esclave» et aux «marchands de mort», le pape avertit «que la crainte de Dieu leur fasse comprendre qu’un jour tout finira et qu’il devront rendre compte à Dieu». La «crainte de Dieu» ouvre le coeur des hommes «à la bonté, à la miséricorde» de Dieu, mais «est aussi une alarme contre l’endurcissement du péché».

Mais l’inscription dans les lois du vice contre-nature n’est-elle pas incomparablement plus grave que les péchés que le pape rappelle si fréquemment ? Pourquoi, dans les jours qui ont précédé le vote, le Saint-Père n’a-t-il pas lancé un appel vigoureux et vibrant aux irlandais leur rappelant que la violation de la loi divine et naturelle est un péché social dont le peuple et ses pasteurs devront un jour rendre compte à Dieu ? Par ce silence, ne s’est-il pas fait lui aussi complice de ce scandale ? (Roberto de Mattei)

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