SOURCE – Paix Liturgique – lettre n°499 – 6 juillet 2015
À l’automne 2015 seront publiés plusieurs livres portant la signature du cardinal Raymond Leo Burke dontUn cardinal au cœur de l’Église, livre d’entretien avec Guillaume d’Alançon (Artège) et La Sainte Eucharistie, sacrement de l’amour divin (Via Romana). Cette traduction française de Divine Love Made Flesh(2012) comportera un entretien inédit avec le Cardinal Patron de l’Ordre de Malte, réalisé par l’abbé Claude Barthe. Pour fêter le huitième anniversaire de la publication du Motu Proprio Summorum Pontificum par le pape Benoît XVI, nous vous livrons en exclusivité quelques morceaux choisis de cet entretien, avec l’aimable autorisation de l’éditeur (*).
L’ouvrage à paraître chez Via Romana traite de manière très profonde, en même temps que très accessible, du « sacrements des sacrements », dans lequel réside substantiellement le bien commun spirituel de toute l’Église (saint Thomas). Il permet de mieux connaître, tant du point de vue théologique que du point de vue spirituel, la pensée de l’un des cardinaux les plus familiers avec la célébration de la liturgie traditionnelle.
Abbé Claude Barthe : Éminence, le 7 juillet 2015 marque l’anniversaire du Motu Proprio Summorum Pontificum. Est-il exagéré de dire que ce texte est particulièrement significatif du pontificat de Benoît XVI ?
Cardinal Raymond Leo Burke : En un certain sens, je dirais qu’il est, en effet, l’expression la plus haute de la pensée du cardinal Ratzinger, devenu Benoît XVI. Il montre ce qu’a été pour lui la compréhension du concile Vatican II. Car malheureusement, après le second concile œcuménique du Vatican, mais certainement pas à cause de l’enseignement du Concile, eurent lieu de nombreux abus, notamment dans la célébration de la sainte liturgie. On voit comment, dans la lettre apostolique Summorum Pontificum, a été trouvée par le Pape une forme juridique qui établit un lien organique entre le nouveau et l’ancien, entre la forme ordinaire et la forme extraordinaire.
CB : Ce texte venait après 50 ans de crise liturgique, cette crise dont vous avez parlé dans votre contribution au colloque Summorum Pontificum, à Rome, le 13 juin 2015, « Un trésor pour toute l’Église », en disant que, dès 1970, « le cheval s’était emballé ». Le Motu Proprio ouvrait-il une voie pour voie pour la résolution de cette crise ?
Card. Burke : Oui, certainement. Benoît XVI a vécu très douloureusement toute la crise liturgique, ainsi qu’il l’a raconté dans son autobiographie (Ma Vie, Fayard, 2005). Dans la Lettre aux évêques, qui accompagnait le Motu Proprio, il a fait justement état de cette expérience qui a été la sienne : « En de nombreux endroits, disait-il, on ne célébrait pas fidèlement selon les prescriptions du nouveau Missel ; au contraire, celui-ci finissait par être interprété comme une autorisation, voire même une obligation de créativité ; cette créativité a souvent porté à des déformations de la liturgie à la limite du supportable. Je parle d’expérience, parce que j’ai vécu moi aussi cette période, avec toutes ses attentes et ses confusions ». Et je pense qu’en permettant de retrouver la forme de la sainte liturgie qui avait existé dans l’Église romaine durant un millénaire et demi, le pape Benoît XVI apportait la possibilité de procéder à la correction des abus et aussi une référence pour apporter un nécessaire enrichissement à la forme ordinaire.
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CB : Comme pistes de cet enrichissement, le cardinal Cañizares, Préfet de la Congrégation pour le Culte divin, avait présenté au pape Benoît XVI des propositions pour l’usage ad libitum des anciennes prières de l’offertoire dans la forme ordinaire et l’encadrement des concélébrations : qu’en pensez-vous ?
Card. Burke : Je ne sais pas si le cardinal Cañizares a fait de telles propositions mais suis pleinement d’accord avec l’idée de récupérer des prières comme celles qui sont conservées dans l’offertoire de la forme extraordinaire, parce qu’elles sont très expressives du grand mystère sacrificiel qui est célébré. Tout dans la messe doit attirer l’attention sur l’action divine qui est accomplie sur l’autel, et ces prières le font particulièrement. Dans un important article donné par le cardinal Sarah, Préfet du Culte divin, àL’Osservatore Romano le 12 juin, celui-ci écrit qu’il serait souhaitable d’insérer le rite de la pénitence (il veut dire les « prières au bas de l’autel ») et l’offertoire de l’usus antiquior comme annexe d’une prochaine édition du missel. À propos des prières au bas de l’autel, le psaume utilisé, le psaume 42 de la Vulgate (« J’irai vers l’autel de Dieu, vers Dieu qui réjouis ma jeunesse »), était celui chanté par les prêtres avant d’entrer dans le Temple de Jérusalem, tournés vers l’autel : c’est donc une belle expression de l’unité du culte « en esprit et en vérité » (Jn 4, 23) de la Nouvelle Alliance et du culte de l’Ancienne Alliance, le nouveau culte achevant et perfectionnant l’ancien.
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CB : En donnant sa place à la messe en son état traditionnel, celui du missel de 1962 de Jean XXIII, le pape Benoît XVI a donc voulu mettre une référence à la disposition de toute l’Église.
Card. Burke : Oui, nous devons voir cette forme extraordinaire comme le trésor conservé par l’Église romaine durant les siècles. Ce rite est en substance identique à celui de saint Grégoire le Grand.
CB : … et est particulièrement adapté l’action de l’Église aujourd’hui : vous insistez souvent sur l’application de l’adage lex orandi, lex credendi à la nouvelle évangélisation ou ré-évangélisation.
Card. Burke : La lex orandi est toujours liée à la lex credendi. Selon la manière dont l’homme prie, bien ou pas bien, il croit, bien ou pas bien, et il se comporte, bien ou pas bien. La sainte liturgie est absolument le premier acte de la nouvelle évangélisation. Si nous n’adorons pas Dieu en esprit et en vérité, si nous ne célébrons pas la liturgie avec la plus grande foi possible, spécialement dans l’action divine qui se déroule au cours de la messe, alors nous ne pouvons avoir l’inspiration et la grâce nécessaire pour participer à l’évangélisation. La sainte liturgie contient en somme la forme de l’évangélisation, dans la mesure où elle est une rencontre directe avec le mystère de la foi que nous avons à apporter aux âmes vers lesquelles Dieu nous dirige.
Par elle-même, elle peut aussi conduire vers la connaissance des mystères de la foi. Si la sainte liturgie est célébrée d’une manière anthropocentrique, si elle n’est qu’une simple activité sociale, elle n’a pas d’impact durable sur la vie spirituelle. Une des manières de ramener les hommes vers la foi est de restaurer la dignité de la liturgie. Célébrer une messe avec vénération a toujours attiré des hommes vers le mystère de la rédemption. C’est pourquoi je pense que la célébration de la messe en forme extraordinaire peut avoir un rôle très important dans la nouvelle évangélisation en raison de l’accent qu’elle met sur la transcendance de la sainte liturgie. Elle souligne la réalité de l’union du Ciel et de la terre exprimée par la sainte liturgie. L’action du Christ à travers les signes du sacrement, à travers les prêtres, instruments du Christ, est très évidente dans la forme extraordinaire. Et d’ailleurs, elle nous aide aussi à être plus respectueux dans la célébration de la forme ordinaire.
Tous voient la nécessité de cette évangélisation dans ce monde qui vit aujourd’hui comme si Dieu n’existait pas. Il est important de lier cette nouvelle évangélisation à la célébration la meilleure possible de la liturgie. J’ai rencontré beaucoup de gens athées ou non-chrétiens que j’ai vu expérimenter qu’ils étaient bien en présence de l’action de Dieu par la connaissance qu’ils prenaient de la messe en la forme extraordinaire. Et ensuite, cette expérience leur a permis de recevoir l’enseignement de la religion. Les hommes doivent comprendre que le prêtre agit en la personne du Christ. Ils doivent comprendre que c’est le Christ lui-même qui descend sur l’autel pour renouveler le sacrifice de la Croix. Ils doivent comprendre qu’ils ont à unir leurs propres cœurs à son Cœur transpercé pour les purifier du péché et faire grandir en eux l’amour de Dieu et l’amour du prochain. Nous devons donc catéchiser les hommes avec les profondes réalités de la messe, particulièrement au moyen de la forme extraordinaire du rite romain.
CB : À propos du rapport entre la doctrine et la liturgie, on remarque souvent que les séminaristes qui sont attirés par la forme extraordinaire, sont aussi désireux d’avoir une formation théologique vraiment structurée. Il faut dire qu’en France la forme traditionnelle attire beaucoup de séminaristes.
Card. Burke : Mais en Allemagne aussi, et aux États-Unis, et en Italie. On prétendait que les Italiens n’étaient pas attirés par la liturgie traditionnelle : c’est absolument faux.
Pour les séminaristes, quand j’étais archevêque de de Saint-Louis, lorsque Benoît XVI a promulgué Summorum Pontificum, j’ai immédiatement demandé que, dans le séminaire, tous les séminaristes soient instruits de la forme extraordinaire, de son rite, de sa spiritualité, et qu’elle soit célébrée au séminaire une fois par semaine. J’ai demandé aussi que les séminaristes qui avaient la capacité d’apprendre le latin soient formés pour célébrer la forme extraordinaire. Toute cette réglementation a été très bien reçue et a produit, je pense, de bons fruits dans l’archidiocèse.
CB : Car cette messe plaît aux jeunes.
Card. Burke : Oui, le pape Benoît XVI disait aux évêques qu’on avait pu croire que la demande de la messe ancienne concernait la génération plus âgée, mais qu’il était apparu clairement que des personnes jeunes découvraient cette forme liturgique, se sentaient attirées par elle et y trouvaient une forme de rencontre avec le mystère de l’eucharistie qui leur convenait particulièrement. Moi-même, quand je célèbre la messe traditionnelle, je vois de nombreuses belles et jeunes familles avec de nombreux enfants qui y assistent. Je ne pense pas que ces familles n’ont pas de problèmes, mais il est clair qu’elles se sentent plus de force pour les affronter. J’ai toujours été très frappé par le nombre de jeunes qui étaient attirés par la forme extraordinaire de la messe. Et cela non pas parce que la forme extraordinaire est plus valide que la forme ordinaire. Ils sont attirés par elle parce qu’elle est très richement articulée et qu’elle captive l’attention sur ce qui est en train de se produire à l’autel.
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(*) Pour les lecteurs de Paix liturgique, le livre du cardinal Burke « La Sainte Eucharistie, sacrement de l’amour divin » est disponible en pré-vente auprès de Via Romana au prix de 23 euros, port compris, jusqu’au 15 septembre (date de parution) :
VIA ROMANA
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