Le cardinal belge Godfried Danneels a publiquement reconnu lors de la présentation de sa biographie officielle qu’il faisait partie du groupe de Sankt-Gallen, une réunion annuelle convoquée depuis 1996 à l’initiative de l’évêque de cette petite ville Suisse, Ivo Fürer, en résistance à la montée en puissance du cardinal Ratzinger.
« Le nom chic, c’étatit le groupe de Sankt-Gallen. Mais nous, nous l’appelions “la Mafia” », dit-il goguenard devant un public ravi, réuni dans l’enceinte de la basilique de du Sacré-Cœur de Koekelberg en Belgique, mercredi soir.
« Il y avait quelques évêques, quelques cardinaux, trop pour les nommer tous », explique-t-il. Le cardinal Martini faisait partie des fondateurs ; les biographes de l’ancien primat de Belgique évoquent aussi la présence, au fil des ans, des cardinaux Kasper, Karl Lehmann, Basil Hume, Achille Silverstrini et l’ancien primat des Pays-Bas Mgr Ad van Luyn, qui fut de 2006 à 2012 président de la Conférence des évêques de l’Union européenne (COMECE).
Néerlandais, Belge, Allemands, Autrichiens, un ou des Français… Tout n’a pas été dit sur l’identité des conspirateurs de Sankt-Gallen mais on en sait tout de même assez pour comprendre que c’était du sérieux.
C’était pour eux des « vacances spirituelles » où ils pouvaient s’épancher alors que le pouvoir était de plus en plus centralisé à Rome sous Jean-Paul II. Ils n’avaient pas de candidat précis, expliquent-ils. Mais ils avaient des idées. Des idées qui étaient radicalement opposées à celles de Ratzinger, « le pessimiste » ; et qui ont triomphé avec l’élection du pape François. Pour Danneels, ce fut une « résurrection personnelle », dit-il lui-même.
Ses biographes, Jürgen Mettepenningen et Karim Schelkens, ont fait un travail « scientifique », ayant accès à toutes les archives personnelles du cardinal Danneels. Ils le présentent comme un « faiseur de roi » : le groupe de Sankt-Gallen a favorisé l’élection du cardinal Bergoglio qui aurait déjà été son favori en 2005, après la démission du pape Benoît XVI. Depuis lors, le cardinal Danneels est régulièrement invité par le pape François.
« L’élection de Bergoglio a été préparée à Saint-Gall, ça ne fait aucun doute. Et les grandes lignes de son programme sont celles dont Danneels et ses confrères discutaient depuis plus de dix ans » écrit Schelkens,
souligne belgicatho.
Toute la presse belge bruit de leurs révélations en soi ahurissantes, mais en outre insultantes pour le pape émérite.
Danneels a rêvé en tant qu’évêque et cardinal « d’une certaine sorte d’Eglise », expliquent ses biographes : « Elle commence à se concrétiser avec le pape François ».
« Au cours du long pontificat de Jean-Paul II il y a eu une tendance croissante à la centralisation de tout ce qui était imposé depuis le haut, avec la marge du freedom of speech (liberté de parole) qui se rétrécissait. C’est depuis 1996 qu’un groupe a été érigé à Sankt-Gallen par l’évêque de Sankt-Gallen, Ivo Fürer : un groupe de cardinaux et d’évêques d’Europe de premier plan qui trouvaient quelque part cette freedom of speech ensemble. Depuis 1999, le cardinal Danneels en a été membre lui-même ; avec Ivo Fürer il en a été le plus longtemps membre.
Personne n’en savait rien mais on avait des soupçons à Rome, où en fait on était not amused [« pas amusé » à la manière de la reine Victoria, NDLR] de savoir qu’il y avait ce groupe que nous avons appelé de Sankt Gallen dans la biographie – et que le cardinal lui-même, apparemment, appelle la mafia, mais c’est un nom affectueux, signe d’une certaine espièglerie… »
Interrogé sur le fait de savoir si « Bergoglio en faisait partie », le biographe répond :
« Non, c’est un réseau de cardinaux et d’évêques européens haut placés. Dans l’engagement de ce petit groupe qui voulait la réforme de l’Eglise, qui voulait la rendre plus proche du cœur des gens, on y est allé progressivement. Au début des années 2000, alors que la fin de Jean-Paul II était désormais prévisible, on a pensé de manière plus stratégique à ce qu’il allait advenir de cette Eglise après Jean-Paul II. Depuis la venue du cardinal Silvestrini dans ce groupe de Sankt-Gallen celui-ci a pris un caractère plus tactique et plus stratégique. C’est ce qui explique la déception chez le cardinal Danneels et bien d’autres personnes lors de l’élection du pape Benoît XVI – car l’Eglise ne se réformerait pas sous Benoît XVI. Cela ne commence vraiment à se faire que sous le pape François. »
Dès avant ces réunions le cardinal Danneels n’était pas en odeur de sainteté à Rome : la biographie précise qu’il était sur le point de devenir président de la COMECE lorsqu’un coup de fil depuis le Vatican l’en a empêché.
Danneels avait été chargé en 1980 du synode spécial des évêques néerlandais au moment où il fallait mettre de l’ordre dans l’Eglise des Pays-Bas. A peine le synode achevé, Godfried Danneels allait participer au synode général des évêques où Ratzinger s’exprime de manière pessimiste sur le divorce et la déliquescence des mœurs. Danneels – déjà – lui répons qu’il faut « un nouvel équilibre entre la loi et la miséricorde ». C’était nouveau,
relève la presse belge. C’est l’esprit qui prévalait à Sankt-Gallen.
Pourquoi Danneels a-t-il parlé de ce groupe, pourquoi maintenant ? Besoin de se montrer important ou victorieux ? A vrai dire, il semble qu’il y ait de sa part une volonté de réhabilitation : éclaboussé par les enquêtes policières sur les affaires de prêtres pédophiles, il a quitté son poste en 2010 sous un nuage sombre, son image liée à celle de cette ancienne Eglise qu’au fond il n’aime pas. En rattachant de manière aussi spectaculaire son nom à celui du pape François, bien-aimé des médias, Danneels redorerait-il son blason ?
On peut supposer qu’il n’a pas révélé les noms de ses confrères dans cette « mafia » autoproclamé sans leur accord, tout comme on peut imaginer qu’il s’est abstenu de parler de ceux qui ont préféré que le secret qui avait eu cours jusqu’alors et qui l’ont toujours gardé.
Les manœuvres d’un faiseur de papes
La sortie en Belgique d’une biographie explosive du cardinal Danneels ramène au premier plan les coulisses de l’élection du 13 mars 2013, et le rôle décisif de l’influent prélat belge, à travers un « travail » de longue haleine de sape du Pontificat de Benoît XVI.
Un article publié sur «Le Vif», issu du magazine néerlandophone «Knack», transmis par Isabelle.
On observera l’incroyable violence du ton, carrément insultant pour le Pape émérite et ses fidèles.
GODFRIED DANNEELS A OEUVRÉ PENDANT DES ANNÉES À L’ÉLECTION DU PAPE FRANÇOIS
Walter Pauli
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Les historiens de l’Église Jürgen Mettepenningen et Karim Schelkens viennent de publier une biographie du cardinal Godfried Danneels dans laquelle l’archevêque apparaît comme un défenseur de l’Église moderne. Il aurait même oeuvré pendant des années à l’élection du pape François.
Opposé au pouvoir grandissant de Ratzinger et de sa clique [sic] au Vatican, l’archevêque de Milan Carlo Maria Martini a commencé à organiser des réunions « secrètes » d’évêques et de cardinaux à Saint-Gall en Suisse à partir de 1996. Ces rencontres étaient vaguement connues de certains spécialistes, mais il n’y a jamais eu de compte rendu aussi détaillé des activités du « groupe de Saint-Gall » que dans la biographie de Jürgen Mettepenningen et Karim Schelkens. En 1999, Danneels a rejoint le groupe, dans lequel figuraient aussi l’évêque néerlandais Adriaan Van Luyn, les cardinaux allemands Walter Kasper et Karl Lehman, le Britannique Basil Hume et l’Italien Achille Silvestrini [ndr: « Mon cardinal »?]. Pour Danneels et les autres, il s’agissait de « vacances spirituelles », une forme de consolation et de soutien mutuel à une époque sombre [sic].
Le Vatican a envoyé le sinistre [sic] cardinal Camilo Ruini pour sonder de quoi il retournait, mais ce dernier a fait chou blanc. En même temps, le « Groupe de Saint-Gall » essayait d’influencer les agissements du Vatican. La question que l’on se posait de plus en plus expressément était la suivante : « Que se passera-t-il après Jean Paul II ? Comment éviter que Ratzinger ne devienne pape ? »
Lors du conclave de 2005, Joseph Ratzinger s’est avéré trop fort. Danneels et les autres membres du groupe Saint-Gall ont à peine réussi à cacher leur déception. Ils ont mis leur manque d’enthousiasme sur le compte de la fatigue. Mais leur analyse fondamentale, que l’appareil du Vatican avait besoin d’être innové et que le message de l’Église devait être beaucoup plus optimiste, était prémonitoire. Le pontificat de Ratzinger a tourné à la catastrophe [sic] et l’Église a gémi sous les affaires de mœurs et de corruption. Entraîné par l’évêque brugeois Roger Vangheluwe à un entretien avec la famille du neveu avec qui il avait eu une « petite relation » et suspecté dans l’Opération Calice, Danneels a également été mêlé aux scandales.
Cependant, l’élection de Jorge Mario Bergoglio en pape François met fin à cette période sombre. « L’élection de Bergoglio a été préparée à Saint-Gall, ça ne fait aucun doute. Et les grandes lignes de son programme sont celles dont Danneels et ses confrères discutaient depuis plus de dix ans » écrit Schelkens.
Le 13 mars 2013, une vieille connaissance se tenait d’ailleurs aux côtés du nouveau pape François : Godfried Danneels. Officiellement, il était là en tant que doyen des cardinaux-prêtres , mais en réalité il a oeuvré pendant des années comme faiseur de rois discret d’un pape capable de rendre un avenir à « son » Église.