Quels nouveaux prêtres demain?
publié dans nouvelles de chrétienté le 12 juillet 2016
La Lettre de Paix liturgique
lettre 550 du 11 Juillet 2016
QUELS NOUVEAUX PRÊTRES DEMAIN ? Les ordinations sacerdotales en France en 2016 |
La scène se déroule dans une église d’un diocèse rural, où vient d’être célébrée une messe traditionnelle, et que visite le vicaire général. Une dame de la paroisse l’interpelle : « Père, je trouve scandaleux que vous laissiez dire une messe intégriste dans cette église ! » Et le vicaire général de répondre : « Madame, il va falloir vous y faire. Nous n’avons plus d’ordinations. Dans quelques années, seuls les prêtres traditionalistes célébreront dans nos campagnes… »I) Une ordination sur 5 en France pour la forme extraordinaire
« Pour les évêques, les tradis font de la concurrence déloyale », titre Floris de Bonneville, ancien directeur de l’Agence Gamma, dans un article publié par Boulevard Voltaire, le 25 juin dernier. « Certains évêques seraient-ils jaloux des succès engendrés par certaines paroisses où souffle, en latin, le Saint-Esprit ou la liturgie la plus tradi possible ? Depuis le désastre de l’après-Vatican II qui a vu les églises se vider à un rythme soutenu, la liturgie traditionnelle n’avait jamais été interdite de pratique, mais il aura fallu attendre un motu proprio de Benoît XVI pour autoriser le retour « légal » de la messe tridentine. À la discrétion des évêques mais à la grande satisfaction des pratiquants, car effectivement, là où un prêtre est autorisé à dire la messe, en latin, le visage tourné vers l’Orient, il y a foule. Foule de pratiquants et foule de diverses activités. Avec non pas une majorité de têtes grises, comme c’est le cas, hélas, dans la grande majorité de nos paroisses (sauf chez les petits gris ou sur le territoire d’évêques comme Mgr Rey, Mgr Aillet ou Mgr Crépy), mais avec des jeunes, souvent très jeunes, des scouts, des couples aux nombreux enfants qui disent trouver dans ces messes tridentines le recueillement dans la beauté et la sublimation d’une liturgie riche des siècles pendant lesquels elle a été pratiquée, au temps où la France était fière d’être catholique. » Et Floris de Bonneville de conclure : « Nos Éminences sont-elles aveugles au point de ne pas voir que les pélés traditionnels font des malheurs, que les églises tradis, en latin ou en français, sont pleines ? Il semblerait que le Saint-Esprit aime le latin, l’encens et la soutane. » En réalité, les responsables de l’Église de France le savent bien. Comme tous les ans, au mois de juin, le décompte des ordinations diocésaines est publié par la Conférence des Évêques de France (CEF). D’après le tableau de la CEF, 79 prêtres diocésains (dont des prêtres de nouvelles communautés qui auront un ministère diocésain) seront ordonnés cette année. Les détails du tableau sont intéressants : une majorité de diocèses n’ont aucune ordination (Clermont, Coutances, Créteil, Le Havre, Le Mans, Le Puy, Rodez, Marseille, etc.) ; un quart n’a qu’une ou deux ordinations (Aix, Chartres, Évry, etc.). Font exception : Versailles (4) ; Luçon (4) ; Bordeaux (5) ; Toulon (6) ; Vannes (7) ; Paris (11). C’est une légère remontée car ils étaient 71 en 2015. Mais la tendance lourde est à la baisse. Il y avait encore en 1966, après le Concile, 566 ordinations. La chute a été vertigineuse dans les années 70. On est ensuite resté sur un palier de 120 jusque dans les années 2000, pour tomber à moins de 100 prêtres diocésains depuis. Dans le même temps (dans les années 2000), les ordinations de prêtres traditionnels assimilables à des prêtres diocésains (instituts Ecclesia Dei, religieux exceptés, plus Fraternité Saint-Pie-X) sont 18 en moyenne. En 2016, la comparaison s’établit ainsi : Soit près de 20% (19,4%) d’ordinations pour la forme extraordinaire pour la France. Ce qui permet à Jean-Pierre Maugendre d’écrire, dans un article publié par Renaissance catholique le 4 juillet 2016 : « Ainsi, dans l’Église de France, les deux millions de paroissiens ordinaires (3% de pratiquants sur 66 millions d’habitants) fournissent quatre fois plus de prêtres que les 100 000 paroissiens extraordinaires (5% des deux millions de pratiquants réguliers). Une communauté « extraordinaire » est donc, en termes de vocations, cinq fois plus « féconde » qu’une communauté « ordinaire ». » Sans être comparable aux taux de jadis dans les terres de chrétienté – Bretagne, Aveyron, Pays Basque – le « taux de fécondité sacerdotale » des communautés traditionnelles équivaut à ce qu’il était pour le catholicisme français en général en 1962, avant le Concile. II) Vers un nouveau type de prêtre diocésain ? La Communauté Saint-Martin avec ses 5 ordinations sacerdotales et ses près de 100 séminaristes (propédeutiques compris) se porte très bien. Mais nul n’ignore que l’association fondée par Monseigneur Guérin est de type très traditionnel (études fondées sur le thomisme, liturgie très classique, port de la soutane), et aussi qu’elle recrute une part non négligeable de ses vocations dans des familles attachées à la liturgie traditionnelle. Floris de Bonneville, dans l’article que nous citions, évoque aussi le cas de la Fraternité des Saints-Apôtres, fondée en Belgique par le P. Michel-Marie Zanotti-Sorkine. Ancien curé de l’église des Réformés de Marseille, connu pour son apostolat très classique et son fort charisme, le père Zanotti-Sorkine avait répondu à l’appel de Mgr Léonard en 2013 pour installer sa communauté dans le diocèse de Malines-Bruxelles. En trois ans, cette fondation a attiré 21 séminaristes et rempli l’église Sainte-Catherine de Bruxelles, qui était sur le point d’être désaffectée. Le successeur de Mgr Léonard, Mgr De Kesel, nouveau primat de Belgique, semble vouloir s’en débarrasser (lire l’article de La Croix à ce sujet) considérant que cette communauté – qui offre une vie sacerdotale pleine et identitaire (port de la soutane, célébration quotidienne de la messe, confession régulière, etc.) – « manifeste un grave manquement à la solidarité entre évêques » au simple prétexte qu’elle priverait de vocations les diocèses d’origine des jeunes qui la rejoignent…. Il faut évoquer aussi, parmi les jeunes prêtres diocésains, quasiment tous très profondément classiques, ceux qui manifestent un intérêt pour la forme extraordinaire, la célèbrent en privé, et souvent assurent les messes paroissiales en cette forme selon les dispositions du Motu Proprio de 2007. Quoique souvent avec un temps de retard, le pragmatisme de certains évêques s’accorde à ce phénomène général de « fin des idéologies » (pour l’Église de France, un épuisement de l’état d’esprit Concile/Mai 68 dans le clergé). Beaucoup lorgnent du côté de Fréjus-Toulon, où l’évêque a délibérément opté pour une politique d’accueil et des communautés nouvelles et des prêtres traditionnels. Appliquant sereinement le Motu Proprio Summorum Pontificum, Mgr Rey laisse à ses curés toute liberté de dire ou de faire dire, en fonction de la demande des paroissiens, la messe en forme extraordinaire, et offre à ses séminaristes la possibilité de se former à la liturgie traditionnelle (la messe traditionnelle est célébrée pour tous les séminaristes une fois par semaine, y compris par le recteur lui-même). Aujourd’hui, le diocèse de Fréjus-Toulon compte 220 prêtres en activité, à comparer avec la situation des diocèses voisins : 75 prêtres en activité à Marseille, 65 à Aix, 66 à Nice, 60 à Avignon. 30 de ces prêtres diocésains célèbrent librement et paisiblement la messe traditionnelle, une part importante d’entre-eux usant de l’une comme de l’autre forme. À ce sujet, et pour revenir aux ordinations en France, il est un signe qui ne trompe pas : les premières messes traditionnelles que célèbrent chaque année de plus en plus de nouveaux ordonnés diocésains, souvent dans la paroisse ou communauté dont ils sont issus. Cette année, à Paris, deux des onze prêtres ordonnés par le cardinal Vingt-Trois ont dit une première messe en forme extraordinaire, l’un dans l’église Sainte-Jeanne de Chantal, l’autre dans la chapelle Notre-Dame du Lys. En fait, ce que révèlent ces statistiques sur les ordinations sacerdotales diocésaines, c’est l’osmose qui se réalise toujours davantage entre Église de France et le catholicisme traditionnel : les pratiquants traditionnels sont toujours une minorité, mais qui devient d’année en année une composante de plus en plus incontournable du catholicisme français. |