Hymne en la fête des sept douleurs de Notre Dame (2)
publié dans doctrine politique le 21 octobre 2016
Hymne (2)
De Matines
en la fête des sept douleurs de Notre Dame
(suite)
Ière strophe
Q quot undis lacrimarum, Quo dolore volvitur, Luctuosa de cruento Dum revulsum stipite, Cernit ulnis incubantem Virgo Mater Filium
Q quels torrents de larmes, quel flot de douleur, lorsque la Vierge Mère navrée, voit son Fils couché sur son sein, détaché de l’arbre sanglant !
Cette strophe de l’hymne de Matines nous compte les souffrances de la « Vierge Mère » comme l’appelle notre auteur, après la crucifixion. C’est la description de la belle et émouvante scène que la piété populaire a retenu sous le nom de : « la piéta » que Michael Ange a si bien sculptée.
Le coup de lance du romain vient d’être donné. Du sang et de l’eau sortent de ce cœur transpercé, au témoignage de l’Evangéliste Saint Jean. « Aucun de ses os ne sera brisés ». Un petit groupe d’hommes s’approche du Calvaire. Jésus est l’objet de leur venue. Ils apportent une nouvelle douleur pour Marie, mais non un nouvel outrage. Ce sont Joseph d’Arimathie et Nicodème, accompagnés de leurs serviteurs. Tous les deux étaient des disciples de Notre Seigneur, mais en secret. Ils étaient des hommes timides. Joseph était un « sénateur, homme de bien et juste » qui n’avait pas consenti au dessein ni aux actions des autres, parce qu’il « attendait aussi le Royaume de Dieu ». Nicodème était un homme instruit dans les Ecritures, celui qui était venu trouver Jésus, pendant la nuit de peur des Juifs, et qui avait appris de lui la doctrine de la régénération baptismale. Joseph était allé trouver Pilate auprès duquel il avait probablement accès en sa qualité de sénateur et il avait demandé le corps de Jésus, ce qui lui fut accordé. Il avait alors comme saint Matthieu nous l’apprend, « apporté un linceul blanc » pour en envelopper le corps et il était allé prier Nicodème de l’accompagner au Calvaire. Nicodème, comme nous l’apprend saint Jean apportait avec lui « environ cent livres d’une composition de myrrhe et d’aloès ». Suivis de leurs serviteurs, ils approchent de la Croix et disent à Marie leur intention.
Ils s’exécutent avec infiniment de respect, enlèvent la couronne d’épine. Marie la reçoit avec douleur ; ils détachent les clous…puis le saint corps. La « Vierge Mère » le reçoit à son tour, douloureuse.
Alors notre auteur laisse parler son cœur et fait comme vivre les souffrances de Marie : « Q quels torrents de larmes » « Q quot undis lacrimarum ». Ce ne sont pas seulement de simples larmes qui expriment sa douleur. C’est « un torrent de larmes ». Que sa souffrance est intense ! Le mot « Unda » exprime très justement cette « inondation » de larmes. Il se traduit par « eau agitée », « flot », voire même par « mer » ou encore « agitation, tempête, orage ». O quelle intensité dans la douleur lorsque Marie reçoit dans ses bras le corps de son Fils juste descendu de la Croix !
Il renouvelle l’expression : « O quel flot de douleur » « Quo dolore volvitur ». Je traduirais plus volontiers : « roulée, ballotée » – c’est le sens exact du verbe « volvere » ou de « volvi», « elle fut ballotée par la douleur ». Marie en effet ferme chaque plaie, chaque marque de la flagellation, chaque piqure des épines avec le mélange de myrrhes et d’aloès apporté par Nicodème. Il n’y avait pas un trait du visage sacré de Jésus, pas une marque sur sa chair qui ne fut à la fois pour Marie une nouvelle douleur. Les yeux de Marie parcouraient la Passion sur le Corps ensanglanté de son Fils. Que de traces d’ignominie et de souffrance y étaient si profondément empreintes !
« navrée » « Luctuosa»: Il s’agit de la Mère. On traduit ici le « Luctuosa» par un simple « navrée » ; la Vierge Mère, alors qu’elle reçoit ce corps ensanglanté serait seulement « navrée » ? Ce n’est pas rendre l’expression latine de notre auteur « Luctuosa» : « Luctuosa » « luctuosus » veut dire « triste, affligeant, plongé dans le deuil ». Ainsi est la Mère au spectacle de ce corps ensanglanté. Traduire par un simple « navrée » est fort insuffisant.
« Lorsque la Vierge Mère …voit son Fils couché sur son sein, détaché de l’arbre sanglant » « Dum revulsum stipite, Cernit ulnis incubantem Virgo Mater Filium »
O que cette phrase est douloureuse ! Il s’agit donc de son Fils qui est descendu de la Croix. Notre auteur utilise le verbe « revellere » dont le participe passé est « revulsum ». Ce mot se traduit par « arracher », « arracher avec force » de la Croix. Notre auteur utilise le mot « stipes – stipitis » qui veut dire, non pas Croix, mais « poteau, pieux, arbre ». Et c’est son Fils qui lui est remis « ensanglanté ». Ce « de cruento » de « cruentus », du verbe « cruentare » se rapporte, me semble-t-il, au Fils et non au poteau. La Croix n’est pas ici l’objet de la souffrance de la Mère, ni de notre auteur, mais c’est bien le Fils. Elle n’a, à cet instant, que considérations pour son Fils : il est « ensanglanté ». Il est là sur ses genoux :
« alors qu’elle voit son Fils couché sur son sein », « Dum… cernit ulnis incubantem Virgo Mater Filium ». « Alors qu’elle voit son Fils ». « Voir » est là aussi trop faible. « cernere » veut dire « passer au crible », « tamiser, trier ». Ainsi de la Vierge, son Fils sur ses genoux. Comme je l’ai dit plus haut : elle scrute toutes les plaies, les ferme tendrement, repassant toute la Passion de son Fils « incubantem » couché sur son sein, sur ces bras « ulnis », comme l’enfant sur les bras de sa mère, aussi peut-on dire, sur son sein. Nul doute que la « pieta » de Michael Ange peut nous en faciliter la contemplation !
2ème strophe
Os suave, mite pectus Et latus dulcissimum, Dexteramque vulneratam Et sinistram sauciam, Et rubras cruore plantas Aegra tingit lacrimis
Cette bouche suave, cette douce poitrine, cette main droite blessée, cette main gauche transpercée, ces pieds rouges de sang, elle les baigne tristement de ses pleurs.
Notre auteur poursuit sa contemplation de la « pieta ». Il décrit les objets de la contemplation de Marie. C’est son Fils qu’elle a sur son sein. C’est d’abord sa bouche qu’elle voit et scrute. Puis sa main droite. Puis sa main gauche et enfin ses pieds. C’est, d’un mot, tout son Fils qui est l’objet de ses pleurs. Mais notre auteur laisse paraître sa sensibilité. Sa bouche n’est pas sans qualificatif. Elle est dite « suave » : « suavis -e» veut dire « doux ». « Apprenez de moi, dira-t-il un jour Jésus, que je suis doux et humble de cœur». Son « côté » est dit « dulcissimum » (latus est neutre), des plus doux, même très doux. Sa main droite est blessée, « vulneratam ». Sa main gauche est transpercée par le clou. Elle fut transpercée. Ses pieds, rouges de sang, exactement : « rubras cruore plantas » « cruor cruoris » : « sang, ou meurtre ou carnage ». Ces mots, vous le voyez, exprime la cruauté de la Passion. Ces pieds sont rouges. Ils sont rouges de sang. Voilà l’objet de la contemplation de Marie, la Vierge, sa Mère : « elle les baigne tristement de ses pleurs » : « aegra tingit lacrimis » ; « Aegra » de « aeger » qui veut dire : « souffrant » : elle les regarde d’un regard souffrant, douloureux. Mais il faut tenir compte de « Tingit », de « tingere » qui veut dire « tremper, mouiller, baigner » : elle les regarde d’un regard baigné de larmes. « Elle les baigne tristement de ses pleurs. C’est bien traduit.
3ème strophe
Centiesque milliesque Stingit arctis nexibus, pectus illud et lacertos, illa figit vulnera ; Sicque tota colliquescit In doloris osculis
Cent fois, mille fois, elle embrasse étroitement cette poitrine et ces bras, elle considère ces blessures et elle se fond toute entière en baisers douloureux
Notre auteur poursuit sa contemplation. Il regarde maintenant plus précisément Notre Dame dans cette scène sublime de la Passion : la descente de la Croix du Corps du Christ. Notre auteur est comme celui qui ne peut s’arracher d’une scène tant elle est poignante. Il a la même attitude qu’une mère qui, cent fois, mille fois, embrasse son fils qui sort d’un danger ou est retrouvé après le danger, mort. Cette insistance montre un amour… intense. Les siècles ne pourront pas reprocher à la Mère-Vierge de ne pas avoir aimé son Fils ! Cent fois, mille fois elle l’embrasse. Cette insistance est remarquable.
« cent fois, mille fois elle embrasse étroitement cette poitrine et ces bras » « Stingit arctis nexibus, pectus illud et lacertos ».
« nexibus » de « « nexus, nexus », veut dire « lien, étreinte ». « Stingit » de « stingere » qui veut dire « serrer, étreindre, presser » et le mot « arctis » veut dire également, « d’une manière étroite, serrée ». Je crois qu’il serait difficile d’exprimer avec plus de force cette étreinte de Marie, elle est à la mesure de son amour. Cette strophe est vraiment consacrée à Notre Dame. Les deux précédentes nous parlaient des plaies du Christ et des souffrances qu’en ressentaient Marie. Cette strophe est plutôt consacrée à Marie et à l’expression de son amour pour son Fils. Ce sont des nuances, me direz –vous. Mais les nuances ont leur importance…
Du reste l’auteur ne parle plus des plaies du Fils, mais simplement « des plaies », de « cette poitrine » « illud pectus ». On se détache du Fils, pour contempler plus à son aise, la Mère : elle « enserre » cette poitrine d’une manière remarquable… « elle embrasse étroitement cette poitrine et ces bras » « Stingit arctis nexibus, pectus illud et lacertos »
« elle considère ces blessures » « illa figit vulnera » « figit » de « figere » qui veut dire : « fixer profondément ». Ainsi du regard de Marie sur ces blessures. Telle est l’attitude de Notre Dame. Je vois Marie. Je vois son regard. Je vois son attention sur ces blessures. Elle les scrute.
« et elle se fond toute entière en baisers douloureux » «Sicque tota colliquescit In doloris osculis ». C’est clair, de plus en plus clair : c’est bien Notre Dame que notre auteur contemple. Il la voit comme se « dissoudre » en baisers douloureux.
4ème strophe
Eja, Mater, obsecramus Per tuas has lacrimas, Fillique triste funus, Vulnerumque purpuram ; Hunc tui cordis dolorem Conde nostris cordibus »
O Mère, nous vous en conjurons par vos larmes, par la triste mort de votre Fils et la pourpre de ses blessures, gravez dans nos cœurs cette douleur de votre cœur.
C’est une supplique fervente ! Que nous connaissions, O Marie ! vos propres douleurs, à votre exemple, comme vous. C’est-à-dire que nous ne passions pas à côté des douleurs de votre Fils et de vos propres douleurs dans cette méditation de la Passion du Christ et de sa Mère. « O vous qui passez par-là, voyez si une douleur peut être semblable à celle qui abreuve mon cœur » ?
C’est une supplique : O Marie ; « O Mère », « Eia Mater » « nous vous en conjurons » « obsecramus » veut dire « demander instamment, prier ».
Et sur quels fondements posons-nous notre supplique ? Sur ses larmes « per tuas has lacrimas », sur la triste mort de son Fils « Fillique triste funus » – Notre auteur utilise le mot « funus » qui veut dire : « funérailles, cadavre, mort surtout violente, meurtre, anéantissement, ruine ». Tous ces mots sont justes, sauf ceux de cadavre et de meurtre. Le corps du Christ, son âme détachée de son corps et descendue aux enfers, séparation qui fut sa propre mort, ne peut être un « cadavre », car sa divinité est toujours unie, à ce instant, à son corps, comme à son âme –. Meurtre ? Il faudrait préciser que c’est librement que notre Seigneur s’est livré lui-même à la mort « Nul ne me ravit mon âme, je la donne de moi-même, librement » -, sur ses blessures « rouges » « vulnerum purpuram » Remarquez encore une fois ce langage réaliste : « sur la pourpre de ses blessures ». Comme si ces blessures pouvaient être d’une autre couleur !
Fort de toutes ces raisons, « gravez, je vous prie, O Marie, dans nos cœurs cette douleur de votre cœur ». « Hunc tui cordis dolorem Conde nostris cordibus ». « Conde » de « condere » qui a mille traductions possibles, mais qui a, entre autres, celle-ci : « enfoncer une épée dans la gorge » d’où cette traduction possible : « gravez dans nos cœurs, cette douleur de votre cœur ».
5ème strophe
Esto patri, Filioque et coaevo Flamini, esto summae Trinitati simpiterna gloria, Et perennis laus honorque Hoc et omnie saeculo Amen
Au Père, au Fils et à l’Esprit leur égal, à la Trinité suprême, gloire éternelle, louange et honneur sans fin, maintenant et dans tous les siècles Amen.
Cet honneur et cette louange sont bien légitimes après la réalisation d’un si beau et si grand mystère qu’est la compassion de la Vierge Marie aux souffrances de votre Fils. Elle a vraiment « com-pâtie » avec Lui, à tous les instants de la Passion et plus particulièrement à la descente de Jésus de la Croix. Par cette union, elle est vraiment « co-rédemptrice »