Quatre cardinaux ont envoyé, le 19 Septembre, au Pape François et au cardinal Gerhard Müller, Préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, un certain nombre de questions, sous la forme canonique de « dubia », concernant la Exhortation Apostolique Amoris Laetitia.
Ce qui suit est le texte intégral signé par les cardinaux Carlo Caffara, archevêque émérite de Bologne, Raymond Burke, patron de le Souverain Ordre Militaire de Malte, Walter Brandmüller, président émérite du Comité pontifical des sciences historiques, Joachim Meisner, archevêque émérite de Cologne.
L’appel n’a pas encore reçu de réponse.
Faire la clarté.
Problèmes non résolus posés par Amoris lætitia – Un appel
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1. Un préalable nécessaire
L’envoi de la lettre qui suit au Pape François des quatre cardinaux que nous sommes a pour origine une profonde préoccupation pastorale.
Nous avons constaté, chez beaucoup de fidèles, un grave désarroi et une grande confusion à propos de questions très importantes pour la vie de l’Église. Nous avons remarqué que même au sein du collège épiscopal sont données des interprétations contradictoires du chapitre VIII d’Amoris lætitia.
La grande Tradition de l’Église nous enseigne que le moyen de sortir de situations comme celle-ci est d’avoir recours au Saint-Père, en demandant au Siège Apostolique de résoudre ces doutes qui sont à l’origine du désarroi et de la confusion.
Notre geste est donc un acte de justice et de charité.
De justice : en prenant cette initiative, nous professons que le ministère pétrinien est le ministère de l’unité et que c’est à Pierre, c’est-à-dire au Pape, qu’incombe le service qui consiste à confirmer dans la foi.
De charité : nous voulons aider le Pape à prévenir des divisions et des oppositions au sein de l’Église, en lui demandant de dissiper toute ambigüité.
Nous avons également rempli un devoir précis. D’après le Code de droit canonique (canon 349), la mission d’aider le Pape dans le gouvernement de l’Église universelle est confiée aux cardinaux, y compris lorsqu’ils agissent individuellement.
Le Saint-Père a décidé de ne pas répondre. Nous avons interprété cette décision souveraine qu’il a prise comme une invitation à continuer cette réflexion et cette discussion calme et respectueuse.
Et par conséquent nous informons de notre initiative tout le peuple de Dieu, en lui proposant toute la documentation.
Nous voulons espérer que personne n’interprétera cette démarche en fonction du schéma “progressistes-conservateurs”, ce qui serait complètement erroné. Nous sommes profondément soucieux du véritable bien des âmes, qui est la loi suprême de l’Église, et non pas de faire progresser au sein de l’Église une quelconque forme de politique.
Nous voulons espérer que personne ne nous considérera injustement comme des adversaires du Saint-Père ni comme des hommes dépourvus de miséricorde. Ce que nous avons fait et que nous sommes en train de faire est inspiré par la profonde affection collégiale qui nous unit au Pape et par notre souci passionné du bien des fidèles.
Card. Walter Brandmüller
Card. Raymond L. Burke
Card. Carlo Caffarra
Card. Joachim Meisner
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2. La lettre des quatre cardinaux au pape
A notre Saint-Père, le Pape François
Et, pour information, à Son Éminence le Cardinal Gerhard L. Müller
Très Saint-Père,
À la suite de la publication de Votre Exhortation Apostolique Amoris lætitia, des théologiens et des chercheurs ont proposé des interprétations non seulement divergentes, mais même contradictoires, surtout en ce qui concerne le chapitre VIII. De plus, les médias ont monté en épingle cette polémique, provoquant ainsi de l’incertitude, de la confusion et du désarroi chez un grand nombre de fidèles.
En conséquence, de très nombreuses questions relatives à la juste interprétation à donner au chapitre VIII de l’Exhortation ont été adressées à nous, soussignés, mais aussi à beaucoup d’Évêques et de Prêtres, par des fidèles appartenant à toutes catégories sociales.
Aujourd’hui, poussés en conscience par notre responsabilité pastorale et désirant concrétiser de plus en plus cette synodalité à laquelle Votre Sainteté nous exhorte, nous nous permettons, avec un profond respect, de Vous demander, Très Saint-Père, en tant que Maître suprême de la foi appelé par le Christ Ressuscité à confirmer ses frères dans la foi, de résoudre les incertitudes et de faire la lumière, en ayant la bonté de répondre aux « Dubia » que nous nous permettons de joindre à la présente lettre.
Que Votre Sainteté veuille bien nous bénir, nous qui L’assurons de toujours l’inclure dans nos prières.
Card. Walter Brandmüller
Card. Raymond L. Burke
Card. Carlo Caffarra
Card. Joachim Meisner
Rome, le 19 septembre 2016
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3. Les « Dubia »
1. Il est demandé si, en conséquence de ce qui est affirmé dans Amoris lætitia aux nn. 300-305, il est maintenant devenu possible d’absoudre dans le sacrement de Pénitence et donc d’admettre à la Sainte Eucharistie une personne qui, étant liée par un lien matrimonial valide, vit « more uxorio » avec une autre personne, sans que soient remplies les conditions prévues par Familiaris consortio au n. 84 et réaffirmées ensuite par Reconciliatio et pænitentia au n. 34 et par Sacramentum caritatis au n. 29. L’expression « dans certains cas » de la note 351 (n. 305) de l’exhortation Amoris lætitia peut-elle être appliquée aux divorcés remariés qui continuent à vivre « more uxorio » ?
2. Après l’exhortation post-synodale Amoris lætitia (cf. n. 304), l’enseignement de l’encyclique de Saint Jean-Paul II Veritatis splendor n. 79, fondé sur la Sainte Écriture et sur la Tradition de l’Église, à propos de l’existence de normes morales absolues, obligatoires sans exception, qui interdisent des actes intrinsèquement mauvais, continue-t-il à être valide ?
3. Après Amoris lætitia n. 301, est-il encore possible d’affirmer qu’une personne qui vit habituellement en contradiction avec un commandement de la loi de Dieu, comme par exemple celui qui interdit l’adultère (cf. Mt 19, 3-9), se trouve dans une situation objective de péché grave habituel (cf. Conseil pontifical pour les textes législatifs, Déclaration du 24 juin 2000) ?
4. Après les affirmations contenues dans Amoris lætitia n. 302 à propos des « circonstances qui atténuent la responsabilité morale », faut-il encore considérer comme valide l’enseignement de l’encyclique de Saint Jean-Paul II Veritatis splendor n. 81, fondé sur la Sainte Écriture et sur la Tradition de l’Église, selon lequel « les circonstances ou les intentions ne pourront jamais transformer un acte intrinsèquement malhonnête de par son objet en un acte subjectivement honnête ou défendable comme choix » ?
5. Après Amoris lætitia n. 303, faut-il considérer comme encore valide l’enseignement de l’encyclique de Saint Jean-Paul II Veritatis splendor n. 56, fondé sur la Sainte Écriture et sur la Tradition de l’Église, qui exclut une interprétation créatrive du rôle de la conscience et affirme que la conscience n’est jamais autorisée à légitimer des exceptions aux normes morales absolues qui interdisent des actes intrinsèquement mauvais de par leur objet ?
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4. Note explicative par les quatre cardinaux
LE CONTEXTE
Les « dubia » (mot latin signifiant : « doutes ») sont des questions formelles posées au Pape et à la Congrégation pour la Doctrine de la Foi et qui demandent des éclaircissements à propos de sujets particuliers concernant la doctrine ou la pratique.
La particularité de ces questions est qu’elles sont formulées de telle sorte qu’elles demandent comme réponse un « oui » ou un « non », sans argumentation théologique. Cette manière de s’adresser au Siège Apostolique n’est pas une invention de notre part ; c’est une pratique séculaire.
Venons-en à l’enjeu concret.
La publication de l’Exhortation Apostolique post-synodale Amoris lætitia, consacrée à l’amour dans la famille, a fait naître un vaste débat, notamment en ce qui concerne le chapitre VIII. Les paragraphes 300-305, en particulier, ont fait l’objet d’interprétations divergentes.
Pour beaucoup de personnes – des évêques, des prêtres de paroisse, des fidèles – ces paragraphes font allusion ou même enseignent de manière explicite un changement dans la discipline de l’Église en ce qui concerne les divorcés qui vivent une nouvelle union, tandis que d’autres personnes, qui admettent le manque de clarté ou même l’ambigüité des passages en question, expliquent néanmoins que ces mêmes pages peuvent être lues en continuité avec le magistère précédent et qu’elles ne contiennent pas de modification dans la pratique et dans l’enseignement de l’Église.
Animés par une préoccupation pastorale à l’égard des fidèles, quatre cardinaux ont adressé au Saint-Père une lettre sous forme de « dubia », dans l’espoir de recevoir des éclaircissements, étant donné que le doute et l’incertitude sont toujours hautement dommageables à la pastorale.
Le fait que les personnes qui interprètent l’Exhortation parviennent à des conclusions différentes est également dû à des manières divergentes de comprendre la vie chrétienne. En ce sens, ce qui est en jeu dans Amoris lætitia, ce n’est pas seulement la question de savoir si les divorcés qui ont contracté une nouvelle union – dans certaines circonstances – peuvent ou non avoir de nouveau accès aux sacrements.
On constate enfin que les interprétations du document reposent aussi des approches différentes, contradictoires, du mode de vie chrétien.
Ainsi, alors que la première question concerne un sujet concret concernant les divorcés remariés civilement, les quatre autres questions concernent des sujets fondamentaux de la vie chrétienne.
LES QUESTIONS
Doute numéro 1 :
Il est demandé si, en conséquence de ce qui est affirmé dans Amoris lætitia aux nn. 300-305, il est désormais devenu possible d’absoudre dans le sacrement de Pénitence et donc d’admettre à la Sainte Eucharistie une personne qui, étant liée par un lien matrimonial valide, vit « more uxorio » avec une autre personne, sans que soient remplies les conditions prévues par Familiaris consortio au n. 84, réaffirmées par Reconciliatio et pænitentia au n. 34 et par Sacramentum caritatis au n. 29. L’expression « dans certains cas » de la note 351 (n. 305) de l’exhortation Amoris lætitia peut-elle être appliquée aux divorcés ayant contracté une nouvelle union, qui continuent à vivre « more uxorio » ?
La première question fait particulièrement référence à Amoris lætitia n. 305 et à la note 351 placée en bas de page. La note 351, alors qu’elle parle spécifiquement du sacrement de pénitence et de celui de la communion, ne mentionne pas les divorcés remariés civilement dans ce contexte, le texte principal ne le faisant pas non plus.
Le n. 84 de l’exhortation apostolique Familiaris consortio du Pape Jean-Paul II envisageait déjà la possibilité d’admettre aux sacrements les divorcés remariés civilement. Il mentionnait trois conditions :
– Les personnes concernées ne peuvent pas se séparer sans commettre une nouvelle injustice (par exemple, elles pourraient avoir la responsabilité de l’éducation de leurs enfants) ;
– Elles prennent l’engagement de vivre selon la vérité de leur situation, en cessant de vivre ensemble comme si elles étaient mari et femme (« more uxorio »), s’abstenant des actes réservés aux époux ;
– Elles évitent de faire scandale (c’est-à-dire qu’elles évitent l’apparence du péché afin d’éviter le risque d’entraîner d’autres personnes à pécher).
Les conditions mentionnées par Familiaris consortio au n. 84 et par les documents ultérieurs qui sont rappelés apparaîtront immédiatement comme raisonnables une fois que l’on se sera souvenu que l’union conjugale n’est pas fondée uniquement sur l’affection mutuelle et que les actes sexuels ne sont pas seulement une activité parmi les autres que le couple accomplit.
Les relations sexuelles appartiennent à l’amour conjugal. Elles sont quelque chose de tellement important, de tellement bon et de tellement précieux, qu’elles demandent un contexte particulier : le contexte de l’amour conjugal. Par conséquent, non seulement les divorcés qui vivent une nouvelle union doivent s’en abstenir, mais quiconque n’est pas marié doit également s’en abstenir. Pour l’Église, le sixième commandement, « tu ne commettras pas d’adultère », a toujours concerné tout exercice de la sexualité humaine qui n’est pas conjugal, c’est-à-dire toute acte sexuelle en dehors de celles que l’on a avec son époux légitime.
Il semble que, si l’on autorise à communier les fidèles qui se sont séparés ou qui ont divorcé de leur conjoint légitime et qui sont engagés dans une nouvelle union dans laquelle ils vivent comme s’ils étaient mari et femme, l’Église enseignerait, à travers cette pratique de l’admission à la communion, l’une des affirmations suivantes concernant le mariage, la sexualité humaine et la nature des sacrements :
– Un divorce ne dissout pas le lien matrimonial et les partenaires de la nouvelle union ne sont pas mariés. Cependant, les personnes qui ne sont pas mariées peuvent, à certaines conditions, accomplir légitimement des actes d’intimité sexuelle.
– Un divorce dissout le lien matrimonial. Les personnes qui ne sont pas mariées ne peuvent pas accomplir légitimement des actes sexuels. Les divorcés remariés sont légitimement des époux et leurs actes sexuels sont licitement des actes conjugaux.
– Un divorce ne dissout pas le lien matrimonial et les partenaires de la nouvelle union ne sont pas mariés. Les personnes qui ne sont pas mariées ne peuvent pas accomplir des actes sexuels. Par conséquent les divorcés remariés civilement vivent dans une situation de péché habituel, public, objectif et grave. Cependant, admettre des personnes à l’Eucharistie ne signifie pas, pour l’Église, qu’elle approuve leur état de vie publique ; le fidèle peut s’approcher de la table eucharistique même s’il a conscience d’être en état de péché grave. L’intention de changer de vie n’est pas toujours nécessaire pour recevoir l’absolution dans le sacrement de pénitence. Par conséquent les sacrements sont séparés de la vie : les rites chrétiens et le culte sont dans une sphère différente de celle de la vie morale chrétienne.
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Doute numéro 2 :
Après l’exhortation post-synodale Amoris lætitia (cf. n. 304), l’enseignement de l’encyclique de Saint Jean-Paul II Veritatis splendor n. 79, fondé sur la Sainte Écriture et sur la Tradition de l’Église, à propos de l’existence de normes morales absolues, obligatoires sans exception, qui interdisent des actes intrinsèquement mauvais, continue-t-il à être valide ?
La seconde question concerne l’existence de ce que l’on appelle les actes intrinsèquement mauvais. Le n. 79 de l’encyclique Veritatis splendor de Jean-Paul II affirme qu’il est possible de « qualifier de moralement mauvais selon son genre […] le choix délibéré de certains comportements ou de certains actes déterminés, en les séparant de l’intention dans laquelle le choix a été fait ou de la totalité des conséquences prévisibles de cet acte pour toutes les personnes concernées ».
Ainsi, l’encyclique enseigne qu’il y a des actes qui sont toujours mauvais, qui sont interdits par les normes morales qui obligent sans exception (les « absolus moraux »). Ces absolus moraux sont toujours négatifs, c’est-à-dire qu’ils nous disent ce que nous ne devons pas faire. « Tu ne tueras pas ». « Tu ne commettras pas d’adultère ». Seules des normes négatives peuvent obliger sans exception.
D’après Veritatis splendor, en cas d’actes intrinsèquement mauvais, aucun discernement des circonstances ou des intentions n’est nécessaire. Même si un agent secret pouvait obtenir de la femme d’un terroriste des informations précieuses en commettant un adultère avec elle, de manière à sauver sa patrie (ceci qui ressemble à un exemple tiré d’un film de James Bond avait déjà été envisagé par Saint Thomas d’Aquin dans le De Malo, q. 15, a. 1). Jean-Paul II soutient que l’intention (ici « sauver la patrie ») ne change pas la nature de l’acte (« commettre un adultère ») et qu’il est suffisant de connaître la nature de l’acte (« adultère ») pour savoir qu’il ne doit pas être accompli.
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Doute numéro 3 :
Après Amoris lætitia n. 301, est-il encore possible d’affirmer qu’une personne qui vit habituellement en contradiction avec un commandement de la loi de Dieu, comme par exemple celui qui interdit l’adultère (cf. Mt 19, 3-9), se trouve dans une situation objective de péché grave habituel (cf. Conseil pontifical pour les textes législatifs, Déclaration du 24 juin 2000) ?
Dans son paragraphe 301, Amoris lætitia rappelle que « l’Église est riche d’une solide réflexion sur les conditionnements et les circonstances atténuantes ». Et le document conclut que « par conséquent, il n’est plus possible de dire que tous ceux qui se trouvent dans une certaine situation dite ‘irrégulière’ vivent dans une situation de péché mortel, privés de la grâce sanctifiante ».
Dans la Déclaration du 24 juin 2000, le Conseil pontifical pour les textes législatifs a cherché à rendre plus clair le canon 915 du Code de Droit Canonique, qui affirme que tous ceux qui « persistent avec obstination dans un péché grave et manifeste ne seront pas admis à la Sainte Communion ». La Déclaration du Conseil pontifical affirme que ce canon est également applicable aux fidèles qui sont divorcés et remariés civilement. Elle précise que le « péché grave » doit être compris objectivement, étant donné que le ministre de l’Eucharistie n’a pas les moyens de juger l’imputabilité subjective de la personne.
Ainsi, d’après la Déclaration, la question de l’admission aux sacrements concerne le jugement sur la situation de vie objective de la personne et non pas le jugement selon lequel cette personne se trouve en état de péché mortel. En effet, subjectivement, celui-ci pourrait ne pas être pleinement imputable, ou ne pas du tout l’être.
Sur la même ligne de pensée, Saint Jean-Paul II rappelle, dans son encyclique Ecclesia de Eucharistia, n. 37, que « bien évidemment, le jugement sur l’état de grâce d’une personne appartient uniquement à l’intéressé, puisqu’il s’agit d’un jugement de conscience ». Par conséquent, la distinction indiquée dans « Amoris lætitia » entre la situation subjective de péché mortel et la situation objective de péché grave est bien établie dans l’enseignement de l’Église.
Cependant Jean-Paul II continue à insister sur le fait que « en cas de comportement gravement, manifestement et durablement contraire à la norme morale, l’Église, dans son souci pastoral du bon ordre communautaire et par respect pour les sacrements, ne peut pas ne pas se sentir directement concernée ». Il réaffirme ainsi l’enseignement du canon 915 mentionné précédemment.
La question 3 des « dubia » voudrait donc déterminer si, même après Amoris lætitia, il est encore possible de dire que les personnes vivant de manière habituelle en contradiction avec le commandement de la loi de Dieu vivent dans une situation objective de grave péché habituel, même si, pour une raison quelconque, il n’est pas certain que ces personnes soient subjectivement imputables en raison de leur transgression habituelle.
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Doute numéro 4 :
Après les affirmations contenues dans Amoris lætitia n. 302 à propos des « circonstances qui atténuent la responsabilité morale », faut-il encore considérer comme valide l’enseignement de l’encyclique de Saint Jean-Paul II Veritatis splendor n. 81, fondé sur la Sainte Écriture et sur la Tradition de l’Église, selon lequel « les circonstances ou les intentions ne pourront jamais transformer un acte intrinsèquement malhonnête de par son objet en un acte subjectivement honnête ou défendable comme choix » ?
Dans son paragraphe 302, Amoris lætitia souligne qu’ »un jugement négatif sur une situation objective n’implique pas un jugement sur l’imputabilité ou sur la culpabilité de la personne concernée ». Les « dubia » font référence à l’enseignement de Jean-Paul II tel qu’il est exprimé dans Veritatis splendor, selon lequel les circonstances ou les bonnes intentions ne changent jamais un acte intrinsèquement mauvais en un acte excusable ou même bon.
La question est de savoir si Amoris lætitia affirme également que tout acte qui transgresse les commandements de Dieu, tel que l’adultère, le vol, le parjure, ne peut jamais devenir excusable ou même bon, même si l’on prend en considération les circonstances qui atténuent la responsabilité personnelle.
Est-ce que ces actes, que la Tradition de l’Église a qualifiés de péchés graves et mauvais en eux-mêmes, continuent à être destructeurs et dommageables pour toute personne qui les commet, quel que soit l’état subjectif de responsabilité morale dans lequel cette personne se trouve ?
Ou bien ces actes peuvent-ils, en fonction de l’état subjectif de la personne, des circonstances et des intentions, cesser d’être dommageables et devenir louables ou tout au moins excusables ?
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Doute numéro 5 :
Après Amoris lætitia n. 303, faut-il considérer comme encore valide l’enseignement de l’encyclique de Saint Jean-Paul II Veritatis splendor n. 56, fondé sur la Sainte Écriture et sur la Tradition de l’Église, qui exclut une interprétation créatrive du rôle de la conscience et affirme que la conscience n’est jamais autorisée à légitimer des exceptions aux normes morales absolues qui interdisent des actes intrinsèquement mauvais de par leur objet ?
Amoris lætitia n. 303 affirme que « non seulement la conscience peut reconnaître qu’une situation ne répond pas objectivement aux exigences générales de l’Évangile mais elle peut aussi reconnaître sincèrement et honnêtement que c’est, pour le moment, la réponse généreuse qu’on peut donner à Dieu ». Les « dubia » demandent un éclaircissement à propos de ces affirmations, étant donné qu’elles sont susceptibles de donner lieu à des interprétations divergentes.
D’après les personnes qui proposent l’idée de conscience créative, les préceptes de la loi de Dieu et la norme de la conscience individuelle peuvent être en tension ou même en opposition, alors que le dernier mot devrait toujours revenir à la conscience, qui décide en dernier ressort à propos du bien et du mal. D’après Veritatis splendor n. 56, « sur ce fondement, on prétend établir la légitimité de solutions prétendument ‘pastorales’, contraires aux enseignements du Magistère, et justifier une herméneutique ‘créatrice’ du rôle de la conscience morale, d’après laquelle elle ne serait nullement obligée, dans tous les cas, par un précepte négatif particulier ».
Dans cette perspective, il ne suffira jamais à la conscience morale de savoir que « c’est un adultère », « c’est un homicide », pour savoir qu’il s’agit d’un acte qui ne peut pas et ne doit pas être commis.
Il faudrait au contraire examiner également les circonstances et les intentions afin de savoir si cet acte ne pourrait pas, après tout, être excusable ou même obligatoire (cf. la question 4 des « dubia »). D’après ces théories, la conscience pourrait en effet décider légitimement que, dans un cas donné, la volonté de Dieu en ce qui me concerne consiste en un acte par lequel je transgresse l’un de ses commandements. « Tu ne commettras pas d’adultère » ne serait pas vraiment perçu comme une norme générale. Ici et maintenant, compte tenu de mes bonnes intentions, commettre un adultère serait ce que Dieu me demande véritablement. Présentés de cette manière, des cas d’adultère vertueux, d’homicide légal et de parjure obligatoire seraient pour le moins envisageables.
Cela signifierait que l’on conçoit la conscience comme une faculté permettant de prendre des décisions de manière autonome en ce qui concerne le bien et le mal, et la loi de Dieu comme un fardeau qui nous est arbitrairement imposé et qui pourrait, jusqu’à un certain point, être opposé à notre véritable bonheur.
Cependant la conscience ne décide pas de ce qui est bien et de ce qui est mal. L’idée de « décision de conscience » est fallacieuse. L’acte propre à la conscience est de juger et non pas de décider. Elle dit « c’est bien », « c’est mal ». Mais le fait que ce soit bien ou mal ne dépend pas d’elle. Elle accepte et reconnaît le bien ou le mal d’une action et pour faire cela, c’est-à-dire pour juger, elle a besoin de critères ; elle est entièrement dépendante de la vérité.
Les commandements de Dieu sont une aide bienvenue offerte à la conscience pour trouver la vérité et juger ainsi selon la vérité. Les commandements de Dieu sont l’expression de la vérité à propos du bien, à propos de notre être le plus profond, en nous révélant quelque chose de crucial à propos de la manière de vivre bien.
Le pape François s’exprime dans les mêmes termes dans Amoris lætitia n. 295 : « La loi est aussi un don de Dieu qui indique le chemin, un don pour tous sans exception ». |