Autour de la récente déclaration de Mgr Pio Vito Pinto, doyen de la Rote romaine
publié dans magistère du pape François le 3 décembre 2016
Le blog de Jeanne Smits |
Non content d’avoir déclenché la controverse, à peine tempérée par un rectificatif qui laisse beaucoup de questions ouvertes (voir ici l’article de ce blog sur le rectificatif), Mgr Pio Vito Pinto a redoublé d’agressivité à l’égard des quatre cardinaux et de leurs Dubiaadressés au pape François, dans un entretien avec le site de l’Eglise catholique allemande Katholisch.de. Le doyen de la Rote romaine y choisit des termes très durs pour dénoncer ces quatre cartes qui n’ont fait qu’exprimer leurs graves inquiétudes à propos d’Amoris laetitia qui pourraient bien enseigner aux fidèles des doctrines contraires à l’enseignement catholique traditionnel.
Je transcris son propos à partir de la traduction vers l’anglais réalisé par www.onepeterfive.com, et reprends quelques-uns des commentaires de l’auteur de l’article, Maike Hickson.
« Ils ont écrit au pape et cela est correct et légitime. Mais faute de réponse après quelques semaines, s’ils ont publié l’affaire. C’est une claque en pleine figure. Le pape peut choisir de prendre conseil auprès de ses cardinaux ; mais c’est quelque chose de très différent que de lui imposer un conseil. »
Le journaliste allemand a fait remarquer que les quatre cardinaux diraient alors ne pas avoir le choix. Mgr Vito Pinto répond :
« Ils ne forment pas un conseil qui ait une quelconque compétence. Au contraire, en tant que cardinaux, ils sont encore davantage liés par un devoir de loyauté à l’égard du pape. Il représente le don de l’unité, le charisme de Pierre. Voilà pourquoi les cardinaux doivent le soutenir, et non le gêner. De quelle autorité les auteurs de la lettre agissent-ils ? Du fait qu’ils sont cardinaux ? Cela ne suffit pas. Je vous en prie ! Évidemment ils peuvent écrire au pape et lui envoyer leurs questions, mais l’obliger à répondre et publier l’affaire, c’est autre chose. »
Au mépris des faits, Mgr Vito Pinto insiste pour dire que le document du pape trouve sa source dans les travaux des deux synodes des évêques et dans les questionnaires diffusés à travers le monde. Il affirme :
« La majorité absolue du premier synode, et une majorité des deux tiers au second, où les membres des conférences épiscopales étaient présents, ont exactement approuvé ces thèses désormais contestées par les quatre cardinaux. »
La remarque est intéressante, car elle sous-entend que la réponse du pape aux Dubia des cardinaux ne serait pas allée dans leur sens.
Mgr Pinto insiste ; le pape « ne force pas, encore moins il ne condamne », déclare-t-il à Katholisch.de : « certains évêques ont putativement des difficultés, d’autres font semblant d’être sourds. »
On lui demande alors si le pape pourrait reprendre leurs chapeaux rouges aux quatre cardinaux. Réponse :
« Je ne suis pas du genre qui peut menacer. Ecrire une telle chose est vraiment une licence journalistique, ce n’est pas sérieux. Ce que j’ai dit c’est plutôt : François est un phare de miséricorde et il a une patience infinie. Pour lui, il s’agit d’être d’accord, et non de forcer. C’est un acte grave par lequel ces quatre ont publié leurs lettres. Mais penser qu’il pourrait leur enlever leur cardinalat – non. Je ne crois pas qu’il le fera. (…) En soi, en tant que pape, pourrait faire une telle chose. Tel que je connais François, il ne le fera pas. »
Interrogé sur la correction formelle du pape que le cardinal Burke présentera si nécessaire, Pinto se fait véhément :
« C’est insensé. Il ne pourrait pas exister un conseil de cardinaux qui puisse demander des comptes au pape. La tâche des cardinaux est d’aider le pape dans l’exercice de son office, et non de le gêner ou de lui donner des préceptes. Et ceci est un fait : François n’est pas seulement en plein accord avec la doctrine, mais aussi avec tous ses prédécesseurs du XXe siècle, et c’était un âge d’or avec d’excellents papes – à commencer par Pie X. »
A propos des quatre auteurs, Mgr Vito Pinto s’en prend principalement au cardinal allemand Meisner :
« Je suis choqué, spécialement en raison du geste de Meisner. Meisner était le grand évêque d’un important diocèse – que c’est triste de le voir mettre avec cette action une ombre sur son histoire. Meisner, un grand guide spirituel ! Qu’il en arriverait là, je ne ne m’y attendais pas. Il était très proche de Jean-Paul II et de Benoît, et il sait que Benoît XVI et François sont en plein accord quant à l’analyse et aux conclusions à propos de la question du mariage. Et Burke – nous avons travaillé ensemble. Il me semblait être une personne aimable. Maintenant je lui demanderais : votre éminence, pourquoi avez-vous fait cela ? »
La conclusion est à l’avenant :
« Priez un peu plus, restez calmes, basta. Officiellement cette action n’a pas de valeur. L’Eglise a besoin d’unité, et non de murs, dit le pape. Nous savons comment est François. Il pense que les gens peuvent se convertir. Je sais qu’il prie pour eux. »
L’unité sans la vérité, en somme.
Ou alors une vérité mouvante, impossible, puisque de tout cela il ressort que les choses ont bien changé et qu’il n’est demandé aux cardinaux que de se soumettre en faisant fi du principe de non contradiction : une même chose ne peut pas, en même temps et sous le même rapport, être et ne pas être dans un même sujet.
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Le rectificatif des propos de Mgr Pio Vito Pinto sur le pape et la possible destitution des cardinaux auteurs des “dubia” à propos d’“Amoris laetitia”
Il aura fallu plus de 48 heures pour que le site espagnol ReligionConfidenciaI apporte un rectificatif au propos du doyen de la Rote romaine, Mgr Pio Vito Pinto, annonçant que le pape FrançoisLpourrait priver les quatre cardinaux auteurs des « dubia » sur Amoris laetitia de leur cardinalat parce que, faute de réponses à leurs questions, ils avaient porté celles-ci à la connaissance du public. Cette « rectification » publiée jeudi affirme que le site avait mal retranscrit la réponse de Mgr Vito Pinto lors d’un entretien en marge d’un colloque universitaire de droit canonique sur le discernement et les nullités du mariage à l’université Saint-Damase de Madrid. « La phrase, extraite d’un entretien réalisé par RC où Mgr Vito répondait en italien, n’est pas correcte. En vérifiant l’enregistrement, on constate que ce qu’il affirme, c’est que le pape François n’est pas un pape d’un autre temps, où l’on prenait en effet ce type de mesure, et qu’il n’allait pas leur retirer la dignité cardinalice ».La nouvelle avait fait le tour de nombreux sites d’information dans le monde, notamment ici sur ce blog.
Il m’appartient donc de rectifier à mon tour et de reprendre le propos de Mgr Vito Pinto tel que ReligionConfidencial le rapporte désormais. Interrogé sur les cardinaux Brandmüller, Burke, Caffarra et Meisner, il a déclaré : « Quelle est cette Eglise que défendent ces cardinaux ? Le pape est fidèle à la doctrine du Christ. Ce qu’ils ont fait est un scandale très grave. » Il a ajouté que, néanmoins, le pape François n’est pas un pape du passé qui pourrait leur enlever la barrette cardinalice, comme l’a fait Pie XI avec le célèbre théologien jésuite français Louis Billot – (qui au demeurant, avait démissionné de manière spontanée, avant de voir sa démission acceptée plusieurs jours plus tard par Pie XI, en raison de la condamnation par ce dernier de l’Action française). « François ne le fera pas », a-t-il précisé. Voilà qui nous éloigne assez des propos retranscrits dans un premier temps ; il n’est certes pas inouï qu’une erreur de traduction involontaire ou même volontaire ait pu changer le sens de la réponse à un entretien. On notera quand même que le rectificatif conserve l’idée selon laquelle le prétendu « scandale » causé par la publication d’une demande de clarification des ambiguïtés d’Amoris laetitia est jugé par Mgr Pio Vito Pinto, qui est précisément un juge de haut rang dans l’Eglise, comme pouvant mériter une telle sanction. Et si elle ne tombe pas, c’est simplement parce que le pape François n’est pas « un pape d’un autre âge ». Comme si on pouvait imaginer qu’un pape d’un autre âge puisse laisser tournebouler à ce point la doctrine catholique du mariage par certains évêques, et même l’approuver, ainsi que François l’a fait avec les évêques du Grand Buenos Aires… Quoi qu’il en soit, le canoniste américain Edward Peters note que les 11 canons du code de droit canonique abordant la question de la destitution d’un cardinal sont généralement considérées comme limitatifs. Les cardinaux possèdent un certain nombre de droits en droit canonique : ils ne peuvent se voir retirer leur chapeau que pour une « raison grave » ou pour avoir commis un « crime canonique ». Encore cette procédure est-elle définie par la loi : l’existence du crime doit être prouvée, ou la « raison grave » établie. De crime canonique, il ne peut y en avoir dans cette affaire, ce qui « ne laisse que la possibilité que François considère le fait qu’un cardinal pose des questions sur son document Amoris constitue une “raison grave” permettant d’éliminer quatre cardinaux de cet office (et dans le même temps, en éliminant deux électeurs actuellement habilités à voter lors du prochain conclave) », écrit Peters. Commentant le rectificatif publié par ReligionConfidencial, Peters ajoute : « Il semblerait que Pinto voulait dire que d’AUTRES papes pourraient destituer des cardinaux mais que François n’en fait pas partie. Hein ? Soit les papes, tous les papes peuvent destituer des cardinaux de leur office, ou alors ils ne peuvent pas. (Je tiens qu’ils le peuvent, je pensais que Pinto tenait cela aussi). Ou bien les papes, tous les papes, sont moralement tenus de respecter la procédure lors de telles destitutions, ou alors ils ne le sont pas (je tiens qu’ils le sont, je ne saurais dire si Pinto le pensait aussi). » Et de noter que dans les nations gouvernées par le droit coutumier il est très mal vu et très rare que des juges « interfèrent dans les controverses politiques ou sociales qui virevoltent autour d’eux », raison pour laquelle, selon Peters, la controverse déclenchée par les propos de Pinto ont été les plus « intenses » parmi les catholiques issus de ces nations, « où la vue d’un juge parlant ainsi est étrangère à nos sensibilités à propos des juges et de la justice ». Il faut en effet retenir de l’intervention de Pinto qu’il juge en soi possible que les quatre cardinaux puissent encourir une telle sanction pour simplement avoir publié des questions posées et restées sans réponse. Mais Mgr Pinto est allé plus loin, comme nous le verrons dans un autre article de ce blog. |