« Les papiers » de Gabrielle Cluzel
publié dans regards sur le monde le 10 janvier 2017
Ces sales cathos identitaires qui laissent le Christ au bord du chemin…
(Source BV Voltaire)
Quelle merveilleuse idée de semer la discorde parmi les catholiques français – qui avaient trouvé un semblant d’unité.
Autrefois, j’aimais bien La Vie. Mes grands-parents le recevaient en même temps que Le Pèlerin et Notre temps. J’y lisais avec intérêt ses analyses des maux de notre société, tout empreintes d’empathie. D’une empathie qui s’apparentait parfois à un relativisme troublant. Mais enfin, me disais-je, comment reprocher à ces chrétiens si « à l’écoute » d’avoir les défauts de leurs qualités ? Ils pouvaient en tout cas en remontrer en matière de charité.
Penses-tu. À La vie, on a la miséricorde sélective. C’est avec une infinie délicatesse que l’on essaie de comprendre son prochain lorsqu’il se situe sur sa gauche, du côté des forces du progrès, mais pour les autres, on a des accents implacables de prédicateur janséniste.
En écho à L’Obs qui, au mois de décembre, titrait « Comment les catholiques identitaires montent en puissance », La vie consacre un numéro à « La tentation identitaire », dont l’éditorial, signé Jean-Pierre Denis, est illustré par une photo de Philippe de Villiers et de Robert Ménard devant la crèche de Béziers.
En toile de fond de ce dossier à charge, la sortie de deux essais, l’un du (méchant) journaliste Laurent Dandrieu – Église et immigration : le grand malaise -, l’autre du (gentil) blogueur Koztoujours – Identitaire : le mauvais génie du christianisme – dont La Vie publie les bonnes feuilles.
Pour évoquer cette tentation, Jean-Pierre Denis s’est fendu, avec des postures d’archange saint Michel, d’un tweet tout en nuance : « Ceux qui y succombent et ceux qui y résistent. Choisis ton camp, camarade. »
Puisque l’heure est à la franchise sans fard, on m’autorisera quelques compliments : quelle merveilleuse idée de semer la discorde parmi les catholiques français – qui, depuis la Manif pour tous, avaient trouvé un semblant d’unité – au prétexte d’un 8epéché capital que l’on ne trouve dans aucun catéchisme. Il est, en revanche, un 4e commandement assez célèbre – tu honoreras ton père et ta mère – qui consiste, entre autres, à ne pas mépriser, brader, mettre dans la benne les trésors culturels et spirituels que ceux-ci ont transmis.
Pour Jean-Pierre Denis, on peut résumer ce « piège identitaire » par une couverture récente de Valeurs actuelles : « La France chrétienne et fière de l’être. » Où est le problème ? Cette fierté n’est pas une gloriole personnelle, elle rend au contraire tremblant : saura-t-on être digne cet héritage ?
Le catholicisme, en France, serait dominateur et triomphant ; lui rabattre le caquet pourrait être légitime.
Mais alors qu’il est attaqué de toutes parts, entre le marteau de l’islam et l’enclume de la laïcité, on ne peut qu’applaudir ceux qui tirent sur l’ambulance parce que le malade, un peu revigoré, a relevé la tête : quel sens de l’à-propos.
Et quelle humilité ! Pour Koztoujours, les « cathos identitaires prétendent défendre la chrétienté mais laissent le Christ au bord du chemin ». J’envie ce saint édifiant qui peut se vanter de ne jamais laisser le Christ au bord du chemin. Pour lui, encore, « le Christ ne se range pas sur l’étagère, avec le pinard et le saucisson ». Le Christ se trouve-t-Il mieux au fond de ce placard obscur dans lequel ce brave homme entend l’enfermer ?
En une ligne, Jean-Pierre Denis réduit le bouquin de Dandrieu à l’imprégnation maurrassienne de son auteur. Que n’y a-t-on pensé avant ? C’est évident, les millions de populistes qui grondent à travers le monde occidental sont issus de l’Action française.
Eux autres, les purs, se proclament en tous points fidèles au pape. Ils vont aux périphéries. Sauf à celle (faut pas pousser) qui les débecte par ses intentions suspectes. Celle que décrit Christophe Guilluy dans son livre éponyme. Cette France populaire qui redécouvre, sous les coups de butoir de l’islam, son attachement atavique à son clocher. Pourquoi ce chemin de Damas serait-il pire qu’un autre ? Si ce réflexe de défense était le bout de la bobine qu’il fallait tirer pour (ré)évangéliser ? À moins que ce verbe-là soit aussi un péché ?