La vérité sur Pie XII et son attitude face à Hitler et au National-socialisme
publié dans flash infos le 27 décembre 2009
« Face à Hitler, Pie XII a préféré l’action souterraine au choc frontal »
Alors que la polémique sur la béatification de Pie XII bat son plein, Jean-Dominique Durand, historien, décrypte sur TF1 News son attitude avant et pendant la Seconde Guerre Mondiale.
Jean-Dominique Durand est professeur d’histoire contemporaine à l’Université Jean Moulin-Lyon III. Il est spécialisé dans l’histoire du catholicisme. Il fait notamment partie de la commission d’historiens sur Pie XII mise en place par le mémorial Yad Vashem de Jérusalem.
TF1 News : En dehors de la polémique sur son attitude pendant la Seconde guerre mondiale, comment peut-on définir Pie XII et son pontificat ?
Jean-Dominique Durand : C’est un pontificat très complexe. Les éléments de conservatisme, notamment dans les années 50, sont nombreux. A l’époque, il refuse la réflexion sur la nouvelle théologie et condamne les expériences pastorales innovantes, comme celle des prêtres ouvriers, qui est arrêtée.
Mais le règne de Pie XII comporte également des aspects très novateurs. Il a ainsi développé les études bibliques en autorisant les méthodes scientifiques modernes d’approche de l’exégèse, des textes anciens ou encore de l’archéologie. Il a aussi organisé des fouilles sous la basilique Saint-Pierre pour savoir si la tombe de saint Pierre s’y trouvait bien ou non. C’était très risqué. Pour bien analyser ce pontificat, il faut enfin se rappeler que Pie XII fut malade en 1954-55 et le remettre dans le contexte de sa chronologie, puisqu’il traverse la Seconde guerre mondiale.
TF1 News : Dans cette période troublée, Pie XII agit en fin connaisseur des relations internationales.
J.-D. Durand : Quand il est élu pape, Pie XII est en effet un diplomate disposant d’une longue expérience. Pendant la Première guerre mondiale, Eugenio Pacelli (ndlr : le vrai nom de Pie XII) joue un rôle important pour rapprocher les belligérants et tenter d’obtenir, sans succès, une paix sans vainqueur ni vaincu. Il est ensuite nonce à Munich et à Berlin (ndlr : 1917-1929). Il parle donc l’allemand et connaît très bien le monde germanique. Il est surtout le témoin de la montée du nazisme -il est en poste à Munich lors du putsch d’Hitler en 1923. Les rapports qu’il envoie au Vatican lors de cette période sont très violents contre le nazisme. Lorsqu’il revient à Rome pour être secrétaire d’Etat du Saint-Siège, l’équivalent d’un Premier ministre, il est confronté à l’arrivée des nazis et d’Hitler au pouvoir.
« Indirectement, Pie XII a participé à un complot contre Hitler »
TF1 News : Quelle est alors son attitude ?
J.-D. Durand : Eugenio Pacelli joue la négociation plutôt que la confrontation. En mars 1933, deux mois après la victoire d’Hitler aux élections, il signe un concordat pour protéger l’Eglise catholique, menacée par le nouveau régime. Mais il sait aussi être très ferme. En 1937, il tape du poing sur la table en étant le principal auteur de l’Encyclique Mit bennender Sorge, que l’on peut traduire par « avec une très grande inquiétude ». C’est une position forte contre le nazisme. Nous ne sommes alors plus dans la diplomatie.
TF1 News : En mars 1939, Eugenio Pacelli devient Pie XII. Six mois plus tard, la guerre éclate. Comment agit-il ?
J.-D. Durand : Pour se faire une idée, voici un élément peu connu. Fin 39-début 40, Pie XII a, de fait, participé indirectement à un complot visant à tuer Hitler. Il a en effet été contacté par la résistance allemande, qui lui demandait de servir de relais avec l’Angleterre en transmettant la question suivante à Londres : quel serait le sort de l’Allemagne si Hitler mourrait ? Mais Churchill n’a pas donné suite.
« Londres et Washington en savaient autant que le Vatican »
TF1 News : Quand les informations sur les déportations arrivent-elles au Vatican ?
J.-D. Durand : Très vite, grâce au relais de ses nonciatures dans les pays de l’Est, premiers pays envahis par Hitler, et par les nombreuses congrégations religieuses. Pie XII est rapidement informé personnellement des massacres. Un aumônier de l’armée italienne, qu’il connait très bien, lui raconte par exemple la « Shoah par balles ». Les nouvelles sur les déportations arrivent également rapidement. Le Vatican n’en connaît pas forcément tous les détails, mais il sait que les nazis massacrent les Juifs. A l’époque, les Alliés en sont au même point, ni plus ni moins.
TF1 News : Pourtant, Pie XII ne prend jamais position publiquement et officiellement.
J.-D. Durand : Ce supposé « silence » est à la fois vrai et pas vrai. Il a bien pris position et s’est exprimé sur le massacre des Juifs, mais de manière peu claire pour le grand public. A Noël 1942, dans un discours relayé par la radio, il utilise le mot italien « stirpe », que l’on peut traduire par la « race », au sens très fort du terme. Cela fait bien sûr référence aux Juifs. Mais comme le fait alors remarquer un diplomate américain, c’est incompréhensible pour les non-initiés. Ce message de Noël, aujourd’hui fortement critiqué, est un message de diplomate. Il a d’ailleurs été très bien compris par les nazis puisque la presse allemande se déchaîne contre le pape.
TF1 News : Peut-on alors parler de stratégie de la diplomatie plutôt que celle de la confrontation ?
J.-D. Durand : Tout à fait. Plutôt que taper du poing sur la table, le pape fait le choix de mobiliser les catholiques pour sauver le maximum de Juifs. Les nonciatures participent au sauvetage, notamment en Grèce ou en Bulgarie, et les congrégations religieuses cachent des réfugiés. Cela a même été le cas de femmes cloîtrées, qui ont accueilli des hommes. Or, vu le fonctionnement de l’Eglise à l’époque, c’est impossible que Pie XII n’ait pas donné son accord. On peut donc bien parler de stratégie diplomatique et souterraine plutôt que celle du choc frontal. A titre de comparaison, début 1943, la Croix-Rouge a également choisi la même option pour continuer à pouvoir intervenir dans les camps de prisonniers.
« Après la guerre, ce sont les catholiques qui critiquent Pie XII »
TF1 News : Au lendemain de la guerre, il n’y a pas de polémique.
J.-D. Durand : Pie XII est même remercié par les Juifs. Fin 1945, il reçoit des rescapés des camps de la mort et prononce un discours important qui renforce son image positive auprès d’eux. Paradoxalement, les critiques viennent des milieux catholiques qui estiment que l’on n’a pas assez entendu la voix du pape pendant la guerre. En 1958, à sa mort, la situation est grosso modo toujours la même. L’orchestre symphonique d’Isräel se déplace ainsi à Rome pour jouer un concert, Golda Meir, alors ministre des Affaires étrangères, lui rend hommage. A l’époque, la Shoah n’est cependant guère abordée. Le mot ne sera utilisé que plus tard et les Juifs, notamment les rescapés, n’en parlent pas. Quand on parle de déportation, on pense surtout aux résistants, pas aux Juifs.
TF1 News : Comment la polémique est-elle apparue ?
J.-D. Durand : La première attaque a eu lieu en 1963 avec Le vicaire, du dramaturge allemand Rolf Hochuth. La pièce est une charge contre le silence de Pie XII pendant la guerre. En réponse, Paul VI constitue une commission sur le sujet et publie les archives du Saint-Siège pendant la période 1939-1945. La mise à disposition de ces documents s’étalera de 1965 à 1981, avec, au total, 11 volumes de 1.000 pages chacun. Mais cela ne suffira pas à désarmer les critiques. Aujourd’hui, la « légende noire » contre Pie XII est relayée par les certains milieux Juifs qui n’auraient rien fait ou rien dit. On est là dans le domaine des polémiques passionnelles.