Retour sur l’actualité par Mgr Aillet
publié dans flash infos le 28 décembre 2009
Retour sur l’actualité par Mgr Aillet
Un message de Mgr Aillet concernant plusieurs controverses récentes qui ont fait beaucoup parler ces derniers temps dans l’agglomération bayonnaise et plus largement dans le diocèse.
« Quelques fidèles de nos paroisses de Bayonne ont cru bon d’interpeller les medias locaux, ces dernières semaines, pour faire part de leur mécontentement ; par un effet « caisse de résonnance », ils ont ainsi jeté un certain trouble, avec le risque de blesser la communion. J’aurais nettement préféré qu’ils cherchent à me rencontrer, ma porte est toujours ouverte. Le procédé me semble regrettable, car il expose sur la place publique des divisions internes qui portent somme toute sur des réalités qui n’engagent ni la foi ni les mœurs et relèvent souvent de rumeurs rapportant des faits de manière partielle. Ce faisant, est donnée une vision réductrice de notre Eglise diocésaine qui contraste avec bien des vitalités ecclésiales dont je suis témoin dans les paroisses que je visite chaque dimanche : pour ne parler que de mes dernières visites, je pense à l’ouverture de la chapelle d’adoration à Sainte-Thérèse de Pau, à la consécration de l’autel de l’église de Bidache, à la fête paroissiale de Monein et à la solennité de l’Immaculée-Conception à la cathédrale de Bayonne avec la procession aux flambeaux dans les rues de la ville. Chaque fois, ce furent de grandes manifestations populaires et joyeuses, tous les âges étant bien représentés. Je ne voudrais pas, d’autre part, que les inquiétudes et les souffrances ainsi médiatisées et qu’il me faut entendre, détournent notre attention des épreuves du monde qui nous entoure et de l’urgence de notre mission présente d’annoncer l’Evangile du Salut à tous.
Qu’on me permette donc de revenir paisiblement sur quelques aspects de cette actualité.
Les « filles enfants de chœur »
Le procès qui a été fait au curé de Notre-Dame de l’Assomption – Bayonne, l’abbé François de Mesmay, n’est pas juste. Si vous fréquentez la messe de 11 h à Saint-André, vous verrez qu’il y a un groupe de garçons qui servent à l’autel, dans la proximité immédiate du prêtre, et un groupe de filles, qui portent elles aussi un costume distinctif et qui sont davantage au service de l’assemblée : proclamation de la Parole, procession des offrandes, procession de communion etc., comme cela se pratique aujourd’hui en France, dans de très nombreuses paroisses.
Mais puisque plusieurs voix ont invoqué les textes du Saint-Siège en vigueur (cf article de La croix du 24 novembre 2009), je me permets de rappeler que, s’il n’y a pas d’opposition de principe à la participation des femmes et des filles au service de la liturgie, cela reste soumis à l’autorisation de l’évêque pour son diocèse, restant sauve l’obligation de constituer des groupes de garçons servants d’autel « qui ont permis le développement encourageant des vocations sacerdotales » ; Jean Paul II appelait ces groupes un « pré-séminaire » : « C’est précisément à cette lumière, chers Frères prêtres, qu’il faut privilégier, à côté d’autres initiatives, le soin des servants d’autel, qui constituent comme un « vivier » de vocations sacerdotales. Le groupe des servants d’autel, bien accompagné par vous au sein de la communauté paroissiale, peut parcourir un vrai chemin de croissance chrétienne, formant quasiment une sorte de pré-séminaire » (Jean Paul II, lettre aux prêtres pour le Jeudi-Saint 2004). Restant sauve aussi la liberté du curé, même en cas d’autorisation de l’évêque, de privilégier des groupes de garçons servants d’autel.
La répartition des rôles dans la liturgie, eu égard à « la différence non seulement de degré mais d’essence » entre le sacerdoce ministériel des prêtres et le sacerdoce commun des fidèles (cf Vatican II, Lumen Gentium n. 10), loin d’établir une discrimination est appelée à souligner la dimension hautement symbolique de l’acte liturgique, l’essentiel étant de bien manifester que la sainte liturgie est l’œuvre du Christ et non l’œuvre des hommes : c’est la célébration du Mystère pascal du Christ, par le prêtre à l’autel « in persona Christi », et par les fidèles appelés, en vertu de leur baptême et de leur confirmation, à participer de manière active, consciente et fructueuse, participation qui est intérieure avant d’être extérieure ; le tout est d’avoir bien présent à l’esprit que c’est le Christ qui doit avoir la première place et que les célébrations doivent être le signe éloquent de la présence du Christ Seigneur (Cf Jean Paul II, exhortation apostolique post-synodale Ecclesia in Europa n. 69 ). Ce qui m’importe avant tout, c’est que les petites filles puissent, elles aussi, avoir une participation spécifique à la liturgie.
Mais prenons garde de ne pas nous laisser piéger par ce type de débat, ni de transposer les critères psychologiques et sociologiques qui régissent l’évolution des sociétés, quel qu’en soit le bien-fondé par ailleurs, au fonctionnement interne de l’Eglise qui est d’un autre ordre et qui fait appel à des critères tirés de la foi et de la tradition catholique ; ici, il s’agit d’un discernement spirituel qui peut bien échapper au monde, et il n’y a pas à lui en faire grief pour autant.
Mais je mets au défi quiconque prétendra y voir un principe de discrimination. Sait-on que l’interdiction faite aux femmes d’accéder à l’université date de 1592, précisément à l’époque de la Renaissance où la société commence à s’émanciper de la tutelle de l’Eglise, en entrant dans la « modernité » ? Nul n’ignore en revanche l’aventure culturelle entre Abélard et Héloïse au moyen âge, ni que l’abbaye de Fontevraud, qui comportait un monastère d’hommes et un monastère de femmes, était dirigée par une Mère abbesse à la même époque !
J’ajouterai que nous nous situons ici au cœur d’un grand débat anthropologique, à l’heure où l’on assiste à la diffusion massive de la fameuse théorie dite du « gender », pour qui la différenciation entre l’homme et la femme est une discrimination. Je réponds : non à la différence interdite ! L’anthropologie judéo-chrétienne, qu’il nous faut assumer, est fondée dans la différence entre l’homme et la femme, différenciation qui les affecte dans leur personnalité profonde et qui loin d’entamer leur égalité fondamentale de dignité la promeut au contraire, à travers une complémentarité qui est source d’enrichissement mutuel, là où la théorie du genre conduit à un appauvrissement culturel, porteuse même de confusions entraînant des désordres et finalement des injustices. C’est un enjeu anthropologique qu’il faut prendre très au sérieux, comme me le confirmait dans une entrevue récente, Tony Anatrella, prêtre et psychanalyste de réputation internationale.
Enfin, pour être tout à fait juste, je me permets de rappeler que mon prédécesseur n’a jamais donné formellement d’autorisation. J’ajoute que je n’ai pas pour autant l’intention de l’interdire. Je voulais seulement donner ici quelques éléments pour un discernement pastoral.
La messe en basque
Là encore, le procès qui m’est fait n’est pas juste. C’est habituellement et avec joie que je célèbre la messe en basque, dans le pays basque intérieur en particulier. J’ai dit et répété depuis mon arrivée dans le diocèse mon intérêt pour la langue basque, véhicule d’une culture profondément enracinée dans la foi. Le 17 juillet dernier, alors que je présidais la messe en basque de Saint-André, j’ai affirmé combien cette messe avait toute sa place : d’abord pour les bascophones, et en particulier ceux dont c’est la langue maternelle et qui ont le droit, dans l’esprit de Pentecôte, de prier et de louer Dieu dans leur langue, comme pour ceux qui, tout en ne comprenant pas le basque, sont saisis par la beauté des chants qui élèvent l’âme vers Dieu, enfin pour ceux qui se réapproprient la culture et la langue basque en-dehors de l’Eglise. C’est pourquoi j’ai dit que l’Eglise n’avait pas vocation à conserver un patrimoine mais à faire vivre une langue pour mieux annoncer l’Evangile.
Il reste vrai qu’à la demande écrite qui m’a été faite par un groupe de personnes, se présentant comme porte-paroles des fidèles de la messe en basque de Saint-André, de déclarer officiellement Saint-André « Eglise des basques », j’ai répondu que ce n’était pas juste. En effet les fidèles qui fréquentent cette messe font partie d’une communauté plus large – une paroisse, un diocèse – dont la langue commune – la koïne de l’Eglise des premiers siècles qui fut le grec, puis le latin – est le français. C’est pourquoi j’ai parlé de risque de « communautarisme » : l’expression, rapportée par Sud-Ouest dans un entretien, était forte et je n’ai sans doute pas apprécié le retentissement qu’elle peut avoir ici ; mais je m’empresse de préciser que j’ai seulement parlé de « risque », eu égard à la demande explicite qui m’était faite, sans l’appliquer pour autant à la situation présente : d’ailleurs, j’ai souhaité évidemment que cette messe en basque soit maintenue et puisse bénéficier de toute l’attention pastorale nécessaire.
La messe en latin
C’est le même principe que pour la messe en basque : c’est le « droit des fidèles » qui est en jeu ! Le droit de l’Eglise universelle, à travers le motu proprio Summorum Pontificum du 7 juillet 2007 prévoit que les fidèles attachés à la langue latine – car pour eux et d’après leur expérience spirituelle, elle est un meilleur vecteur de la transmission de la foi et de la célébration du Mystère eucharistique – peuvent bénéficier de la liturgie selon le missel de 1962 – appelé désormais « forme extraordinaire » du rite romain – promulgué par le bienheureux Jean XXIII et qui a été célébré tout au long du Concile Vatican II. Je tâche donc de garantir ce droit. Je précise en outre que le latin en lui-même n’est pas lié à l’ancien missel : dans le nouveau missel, son usage continue d’avoir toute sa place, comme le précise la Constitution Sacrosanctum Concilium du Concile Vatican II : « L’usage de la langue latine, sauf droit particulier, sera conservé dans les rites latins » (n. 36) ; « L’Eglise reconnaît dans le chant grégorien le chant propre de la liturgie romaine ; c’est donc lui qui, dans les actions liturgiques, toutes choses égales d’ailleurs, doit occuper la première place » (n. 116).
Conclusion
Pour toutes ces affaires, ce qui m’importe, et ce pourrait en être le résumé, car tout se tient, c’est ce que j’appellerais « le droit à la différence », mais dans un esprit de communion, c’est-à-dire d’acceptation mutuelle des différences, qu’il ne suffit pas d’invoquer de manière incantatoire, de complémentarité entre les uns et les autres et donc d’enrichissement réciproque, voire de réconciliation. Qui pourrait s’y opposer sans manquer de respect à autrui et même sans sectarisme ?
Mais je trouve que, ces derniers temps, on s’est beaucoup intéressé à la vie interne de notre Eglise. Remarquez que cela veut sans doute dire que l’Eglise, qu’on dit minoritaire, a encore beaucoup d’intérêt aux yeux du monde, ce dont il faut sans doute se réjouir. Mais ce qui m’intéresse, à l’approche de Noël, si vous le permettez, c’est que l’on sorte des sacristies et que l’on cesse de donner l’impression d’une Eglise d’abord préoccupée d’elle-même, et que l’on se tourne résolument vers le monde avec ses inquiétudes et ses épreuves présentes, en attente de notre solidarité et de notre courage à annoncer la bonne nouvelle du Salut. Pour cela, je vous renvoie à mon message de Noël.
+ Marc Aillet
Evêque de Bayonne, Lescar et Oloron