Défense de la musique sacrée
publié dans nouvelles de chrétienté le 8 mars 2017
MUSIQUE SACRÉE : 200 PERSONNALITÉS LANCENT UN CRI D’ALARME |
« La rencontre avec la modernité et l’introduction des langues parlées dans la Liturgie a créé pas mal de problèmes de langage, de forme et de genres musicaux. Parfois, une certaine médiocrité, superficialité et banalité a prévalu, au détriment de la beauté et de l’intensité des célébrations liturgiques. » (Pape François aux participants du congrès international pour les 50 ans de l’instruction Musicam Sacram, Rome, 4 mars 2017)
C’est précisément parce que ni les orientations de l’instruction Musicam Sacram – le dernier grand texte de l’Église sur la musique sacrée – ni celles de la constitution conciliaire Sacrosanctum Concilium sur la Sainte liturgie n’ont produit les fruits espérés que plus de 200 personnalités viennent de publier un appel international que nous relayons volontiers. Rédigé à l’initiative du maestro Aurelio Porfiri (voir notre lettre 582) et du professeur Peter Kwasniewski (voir notre lettre 514), cet appel part d’une analyse lucide de la situation actuelle pour formuler huit propositions concrètes susceptibles de contribuer à « restaurer la dignité de la liturgie et de la musique dans l’Église ». La liste des signataires de ce texte traduit en six langues est consultable sur le blog Altare Dei.
Schola du Séminaire Saint Vincent de Paul, à Rome. Institut du Bon Pasteur
Nous soussignés, musiciens, pasteurs d’âmes, enseignants, chercheurs et amateurs de musique sacrée, nous présentons à la communauté catholique du monde entier cette déclaration exprimant notre grand amour du trésor de la musique sacrée de l’Église et notre profond malaise devant l’état malheureux où elle se trouve. Introduction Cantate Domino canticum novum, cantate Domino omnis terra (Psaume 96): ce chant à la gloire de Dieu a retenti tout au long de l’histoire du christianisme depuis ses commencements jusqu’à nos jours. L’écriture sainte et la sainte Tradition témoignent toutes deux d’un grand amour de la beauté et de la puissance de la musique dans le culte offert au Dieu tout-puissant. Le trésor de la musique sacrée a toujours été cher aux saints, aux théologiens, aux papes et aux fidèles de l’Église La situation actuelle À la lumière de la pensée, si souvent exprimée, de l’Église, on ne peut que poser un regard inquiet sur la situation actuelle, pratiquement désespérante, de la musique sacrée : les abus sont plutôt la norme que l’exception en matière de musique sacrée. Nous désirerions résumer ici quelques éléments qui contribuent à la situation déplorable où se trouvent la musique sacrée et la liturgie. 1. On assiste à une perte de l’intelligence de « la forme musicale de la liturgie », c’est-à-dire de ce que la musique fait partie intégrale la liturgie dans son essence : culte de Dieu public, officiel, solennel. Il ne nous revient pas de chanter à la messe, mais bien de chanter la messe. Ainsi, comme nous le rappelle Musicam Sacram, la part du prêtre doit être chantée selon les tons donnés dans le missel, les fidèles faisant les répons ; le chant de l’ordinaire de la messe en chant grégorien ou en musique qui s’en inspire est à encourager ; et les propres de la messe aussi devraient jouir de la primauté qui convient à leur prééminence historique, à leur fonction liturgique et à leur profondeur théologique. Il en va de même du chant de l’office divin. La « paresse liturgique » trouve son expression dans le refus de chanter la liturgie, dans l’emploi d’une « musique purement fonctionnelle » plutôt que de la musique sacrée, dans le refus de s’éduquer soi-même ou d’autres que soi sur la tradition et les vœux de l’Église, et dans le peu ou l’absence d’effort et de ressources consacrés à l’établissement d’un programme de musique sacrée. 2. Cette perte de l’intelligence liturgique et théologique va de pair avec l’adhésion au sécularisme. Le sécularisme des styles de musique populaires a contribué à une certaine désacralisation de la liturgie, alors même que le sécularisme du commercialisme motivé par le profit a renforcé l’imposition de collections de musique médiocres au niveau des paroisses. Ce qui a encouragé un certain anthropocentrisme dans la liturgie aux dépens de sa nature propre. Dans de vastes secteurs de l’Église contemporaine il y a une relation faussée avec la culture que l’on peut considérer comme un « réseau de connexions ». Dans la situation concrète de notre musique liturgique (et de la liturgie en soi, les deux étant étroitement liées), on a cassé ce réseau de connexion avec notre passé et on a tenté de se connecter à un futur qui, sans son passé, ne peut qu’être dénué de sens. L’Église, aujourd’hui, ne se sert pas des richesses de son patrimoine pour évangéliser : c’est plutôt une culture laïque majoritaire née en opposition au christianisme qui se sert d’elle et qui en déstabilise ce sens de l’adoration qui est au cœur de la foi chrétienne. 3. Il y a, au sein de l’Église, des groupes qui militent en faveur d’un « renouveau » qui ne reflète pas l’enseignement de l’Église et qui sert plutôt leur programme, vision du monde et intérêts propres. Il y a parmi les membres de ces groupes des hommes qui occupent des postes-clé leur permettant de mettre en œuvre leurs projets, leur idée de ce qui constitue la culture et leur approche des problématiques contemporaines. Il est des pays où de puissants groupes de pression ont contribué au remplacement effectif des répertoires liturgiques fidèles aux directives de Vatican II par des répertoires de qualité inférieure. On en arrive ainsi à des répertoires de musique liturgique nouvelle au niveau très bas tant par leurs textes que par leur musique. Cela n’a rien de surprenant quand on réfléchit qu’aucune valeur durable ne provient jamais d’un manque de formation et d’expertise, surtout si l’on néglige les sages préceptes de la tradition ecclésiastique : 4. Ce mépris du chant grégorien et des répertoires traditionnels est un signe parmi d’autres d’un problème d’envergure bien plus grande : le mépris de la Tradition.Sacrosanctum Concilium enseigne que le patrimoine musical et artistique de l’Église est à respecter et à chérir, car il incarne des siècles de liturgie et de prière et exprime le point culminant de la créativité et de la spiritualité humaines. Il fut un temps où l’Église ne courait pas après les dernières modes ; c’était plutôt elle qui donnait le ton, qui était la créatrice et l’arbitre de la culture. Ce manque d’engagement à l’égard de la tradition a engagé l’Église sur une voie incertaine et sinueuse. L’essai de séparation entre l’enseignement de Vatican II et celui de l’Église avant le concile est une impasse ; le seul moyen d’aller de l’avant, c’est l’herméneutique de la continuité approuvée par le pape Benoît XVI. Le rétablissement de l’unité, de l’intégrité et de l’harmonie de l’enseignement catholique est la condition de la restauration à leur noblesse originelle et de la liturgie et de la musique. C’est bien là ce que nous enseignait le pape François dans sa première encyclique : « La connaissance de nous-mêmes n’est possible que lorsque nous participons à une mémoire plus vaste. » (Lumen Fidei 38) 5. Une autre cause de la décadence de la musique sacrée, c’est le cléricalisme, l’abus de l’état ecclésiastique et du prestige qu’il confère. Un clergé souvent mal formé dans la grande tradition de la musique sacrée continue de prendre des décisions sur l’embauche et les principes d’action contraires à l’esprit authentique de la liturgie et au renouveau, tant réclamé par l’autorité à notre époque, de la musique sacrée. Le plus souvent il contrevient aux enseignements du Concile Vatican II au nom d’un présumé « Esprit du Concile ». De surcroît, surtout dans les pays d’ancienne tradition chrétienne, le clergé a accès à des postes qui restent fermés aux fidèles alors qu’il y des musiciens laïcs tout-à-fait capables de proposer à l’Église un service professionnel égal ou supérieur. 6. L’on rencontre aussi le problème de la rémunération inadéquate, voire parfois injuste, des musiciens laïcs. L’importance de la musique sacrée dans la liturgie catholique requiert un certain niveau de formation, d’équipement et d’engagement au service du Peuple de Dieu dans ce domaine, au moins de la part quelques-uns des membres de l’Église. Ne doit-on pas donner à Dieu le meilleur de nous-mêmes ? Nul ne serait surpris ou offusqué de savoir que les médecins ont besoin d’un salaire pour vivre, personne n’accepterait de se faire traiter par des volontaires sans formation aucune ; les curés ont leurs salaires puisqu’ils ne peuvent vivre sans manger, et s’ils ne mangeaient pas, ils seraient incapables de suivre une formation en sciences théologiques ou de dire la messe dignement. Si l’on rémunère fleuristes et cuisiniers qui exercent leur métier à la paroisse, pourquoi paraîtrait-il si étrange que ceux qui animent l’activité musicale de l’Église aient droit à une juste compensation (canon 231) ? Propositions concrètes Ce qui a été dit peut paraître pessimiste. Mais nous entretenons l’espoir d’une issue à cet hiver. Les propositions suivantes sont faites in spiritu humilitatis, dans l’intention de restaurer la dignité de la liturgie et de la musique dans l’Église. 1. En tant que musiciens, pasteurs, chercheurs et Catholiques qui aiment le chant grégorien et la polyphonie sacrée tant de fois l’objet de la louange et de la recommandation de l’Église, nous réclamons une nouvelle affirmation de ce patrimoine aux côtés de compositions sacrées modernes en latin ou en langue vernaculaire s’inspirant de cette grande tradition. Nous réclamons aussi des mesures concrètes pour sa promotion généralisée dans chaque église du globe afin que tous les Catholiques puissent chanter les louanges de Dieu d’une voix, d’un esprit et d’un cœur, d’une culture commune qui transcende toutes leurs différences. Nous réclamons enfin que soit réaffirmée l’importance unique de l’orgue pour la sainte liturgie de par sa capacité singulière à élever les cœurs vers le bon Dieu et sa complémentarité parfaite avec le chant des chœurs et des congrégations. 2. Il faut que l’éducation au bon goût en musique et en liturgie commence dès l’enfance. Trop souvent des éducateurs sans formation musicale pensent que les enfants sont incapables d’apprécier la beauté de l’art véritable. C’est loin d’être le cas. Par une pédagogie d’éveil à la beauté de la liturgie les enfants recevront une formation propre à les rendre vigoureux, car ils auront reçu un pain spirituel nourrissant plutôt qu’un aliment malsain d’origine industrielle n’ayant du goût que l’apparence (comme par exemple quand les « messes pour enfants » sont accompagnées d’une musique d’inspiration « pop »). L’expérience montre que les enfants exposés à ces répertoires les apprécient et, partant, développent des liens plus profonds avec l’Église. 3. Si les enfants sont appelés à apprécier la beauté de la musique et de l’art, s’ils sont appelés à comprendre l’importance de la liturgie fons et culmen de la vie de l’Église, il faut des fidèles engagés qui suivent le Magistère. Il faut faire place aux fidèles bien formés dans les domaines ayant trait à l’art et à la musique. La compétence en musique liturgique et en pédagogie requiert des années d’études. Ce statut « professionnel » doit être reconnu, respecté, et promu de façon concrète. À cet égard, nous espérons sincèrement que l’Église continuera d’œuvrer contre le cléricalisme dans ses formes manifestes comme dans ses formes plus subtiles afin que les fidèles puissent contribuer pleinement dans les domaines ne nécessitant pas l’ordination. 4. Il faut insister sur des normes de haut niveau dans les cathédrales et les basiliques pour le répertoire et l’aptitude musicale. L’évêque dans chaque diocèse devrait embaucher au moins un directeur musical professionnel ou un organiste (ou les deux) qui suive une ligne claire pour encourager l’excellence en musique liturgique à la cathédrale ou la basilique et qui fasse un bel exemple de l’alliance d’œuvres de grande tradition et de nouvelles compositions adéquates. Un principe solide à cet égard se retrouve, nous semble-t-il, dans Sacrosanctum Concilium 23 : « Enfin, on ne fera des innovations que si l’utilité de l’Église les exige vraiment et certainement, et après s’être bien assuré que les formes nouvelles sortent des formes déjà existantes par un développement en quelque sorte organique ». 5. Nous proposons que dans chaque basilique et cathédrale soit encouragée la célébration hebdomadaire d’une messe en Latin (dans l’une ou l’autres des deux formes du rit romain) afin de maintenir notre connexion avec notre patrimoine liturgique, culturel, artistique et théologique. Que tant de jeunes aujourd’hui redécouvrent la beauté du latin dans la liturgie est sûrement un signe des temps qui nous invite à enterrer les combats d’antan et à chercher une approche plus « catholique » qui s’inspire de tous les siècles de la liturgie catholique. Étant donnée la disponibilité de livres, de livrets et de ressources internet, il n’y aura pas de difficulté à faciliter la participation active de ceux qui souhaitent assister à des liturgies en latin. Il faudrait aussi encourager chaque paroisse à offrir une messe entièrement chantée tous les dimanches. 6. Il faudrait que les évêques missent en priorité la formation liturgique et musicale du clergé. Il revient à celui-ci d’apprendre et de pratiquer les mélodies liturgiques, puisque d’après Musicam Sacram entre autres documents il doit être en mesure de chanter les prières de la liturgie sans se borner à en prononcer les paroles. Les candidats au sacerdoce au séminaire et en université doivent se familiariser avec la grande tradition de la musique sacrée dans l’Église et apprendre à l’apprécier en harmonie avec le magistère et selon le solide principe articulé dans l’évangile selon saint Matthieu, XIII, 52 : « Ainsi donc tout scribe devenu disciple du Royaume des Cieux est semblable à un propriétaire qui tire de son trésor du neuf et du vieux. » 7. Dans le passé, les maisons d’édition catholiques jouaient un rôle important dans la distribution de bons exemples de musique sacrée tant ancienne que nouvelle. Aujourd’hui ces mêmes maisons, même si elles font partie de diocèses ou d’institutions religieuses, disséminent une musique qui ne convient pas à la liturgie et ne prennent en compte que des considérations d’ordre commercial. De nombreux catholiques fidèles pensent que ce que distribuent les maisons d’édition principales est dans la ligne de la doctrine catholique sur la liturgie et la musique alors qu’il en est rarement ainsi. Le but principal des éditeurs catholiques devrait être l’éducation des fidèles à la saine doctrine catholique et à de bonnes pratiques liturgiques, non celui d’encaisser des recettes. 8. La formation des liturgistes est elle aussi d’importance fondamentale. S’il revient aux musiciens de bien comprendre les éléments de l’histoire de la liturgie et de la théologie, les liturgistes doivent recevoir une bonne formation en chant grégorien, en polyphonie et en toute la tradition musicale de l’Église, ceci afin qu’ils sachent distinguer le bon du mauvais. Conclusion Dans son encyclique Lumen Fidei, le pape François rappelait le lien que tisse la foi entre le passé et le futur : |