Le pape François en Colombie
publié dans magistère du pape François le 21 septembre 2017
Visite pastorale du pape en Colombie, du 6 au 11 septembre 2017
Le mercredi 6 septembre, s’adressant aux journalistes dans l’avion, le pape François a expliqué qu’il s’agissait « d’un voyage un peu spécial » pour aider la Colombie à « aller de l’avant sur son chemin de paix ». Voici la suite chronologique des divers moments de cette visite pastorale.
Jeudi 7 septembre : discours aux autorités colombiennes, aux évêques, au CELAM ; messe à Bogota
Le 7 septembre, le pape a pris la parole devant les autorités colombiennes, Plaza de Armas de la Casa de Nariño, à Bogota. Saluant « les efforts faits tout au long des dernières décennies pour mettre fin à la violence armée et trouver des chemins de réconciliation », François évoquait l’accord de paix avec les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) de 2016, et le cessez-le-feu avec l’Armée de libération nationale (ELN), conclu à la veille du voyage et pour la seule durée de cette visite. Toutefois, a-t-il précisé, la recherche de la paix est un travail toujours inachevé, et qui exige l’engagement de tous. Les principes évangéliques peuvent apporter beaucoup à la Colombie, car ils constituent une dimension significative de son tissu social. La Colombie est un des pays les plus catholiques au monde. Parmi ces principes, a-t-il poursuivi, le respect sacré de la vie humaine, surtout la plus faible et sans défense, est une pierre angulaire dans la construction d’une société sans violence. Et de souligner « l’importance sociale de la famille, voulue par Dieu comme le fruit de l’amour des époux », – allusion lointaine à l’adresse d’un pays qui a légalisé les unions homosexuelles et l’euthanasie en 2015-2016. Les lois ne doivent pas viser seulement à mettre de l’ordre dans la société, a-t-il ajouté, mais à s’attaquer aux causes structurelles de la pauvreté qui provoquent l’exclusion et la violence.
Puis, le souverain pontife a rencontré les évêques colombiens auxquels il déclara : « Je viens annoncer le Christ et parcourir en son nom un itinéraire de paix et de réconciliation. Le Christ est notre paix ! Il nous a réconciliés avec Dieu et entre nous ! (…) Faire le premier pas est le thème de ma visite et pour vous aussi, c’est mon premier message. » Il appela les évêques à soutenir le pays « dans le courage du premier pas vers la paix définitive, la réconciliation, vers le renoncement à la violence comme méthode, vers la suppression des inégalités qui sont la racine de nombreuses souffrances » ainsi qu’à la « patiente et persévérante consolidation de la “res publica” qui demande l’éradication de la misère et de l’inégalité ». Il les exhorta « à être toujours davantage une Eglise en mission : pour la défense de la vie, de la famille, du lien matrimonial, des jeunes menacés par la drogue et la subversion, pour les prêtres et leur fidélité au Christ, pour leur formation et celle des laïcs »…, les invitant à s’adresser spirituellement à Notre Dame du Rosaire de Chiquinquira, dont la statue avait été déplacée de son sanctuaire et conduite à la cathédrale de Bogota, où le pape lui offrit une gerbe de fleurs.
Le même jour, à la nonciature apostolique, François a reçu le comité directeur du Conseil épiscopal latino-américain (CELAM). S’adressant à l’ensemble des évêques d’Amérique latine, à travers le CELAM, le pape les a invités à mettre de la “passion” dans leur mission d’espérance. L’Amérique latine, a-t-il poursuivi, a été éduquée à l’espérance, et son peuple a appris qu’aucune désillusion n’est suffisante pour le faire plier. L’Eglise ne peut donc se contenter d’être sacrement d’espérance : elle doit veiller à la réalisation de celle-ci. L’espérance en Amérique latine passe par les jeunes, selon François. Les évêques doivent chercher en eux le courage de l’espérance. Il faut réveiller en eux le courage de prendre des risques avec Dieu. L’Eglise doit aussi s’appuyer sur les femmes qui, avec une patience méticuleuse, allument et rallument la flamme de la foi. Sans les femmes, l’Eglise ne pourra atteindre une étape nouvelle et vivace de la foi dans ce continent. Pour cette mission, il est impératif de retrouver l’unité, a affirmé le pape. Il y a beaucoup de dispersion intérieure et également extérieure, a-t-il déploré. Dans les circonstances actuelles, les évêques doivent cultiver l’union avec le Seigneur pour trouver le cœur de la mission de l’Eglise en Amérique latine. C’est Lui qui enflamme le cœur généreux du missionnaire, déclara-t-il, appelant les pasteurs latino-américains à approfondir leur appel et à sortir avec Jésus. – Etrange mélange où les évêques sont invités à chercher le courage de l’espérance chez les jeunes, en s’appuyant sur les femmes, et à cultiver l’union avec le Seigneur pour « sortir avec Jésus » ! Vers les « périphéries existentielles » ? De façon plus claire, saint Pie X appelait à « tout restaurer dans le Christ ».
En fin d’après-midi, dans le parc Simon Bolivar de Bogota, le pape François a célébré la messe devant plus d’un million de personnes. C’est en étant « des constructeurs de la paix, des promoteurs de la vie » à la suite du Christ que les Colombiens pourront dissiper les ténèbres de leur pays, a-t-il déclaré. « N’ayez pas peur de prendre des risques ensemble, Il nous invite à laisser nos égoïsmes et à le suivre ; à nous défaire des peurs qui ne viennent pas de Dieu, qui nous immobilisent et qui retardent l’urgence d’être des constructeurs de la paix, des promoteurs de la vie. Va au large, dit Jésus. Et les disciples se sont fait signe pour se mettre ensemble dans la barque. Qu’il en soit ainsi pour ce peuple ! » a-t-il conclu.
Vendredi 8 septembre : messe de béatification a Villavicencio et rencontre de prière pour la réconciliation nationale
Le 8 septembre, le souverain pontife se rendait à Villavicencio où, à 9h30, il célébra la messe devant une foule enthousiaste dans le Parc Las Malocas. Il a reçu un accueil triomphal et donné en exemple de réconciliation un évêque et un prêtre colombiens qu’il a béatifiés, assassinés « en haine de la foi » : Mgr Jesús Emilio Jaramillo Monsalve (1916-1989), et l’abbé María Ramírez Ramos (1899-1948).
Mgr Jaramillo Monsalve, de l’Institut pour les Missions étrangères de Yarumal, était évêque d’Arauca quand il fut assassiné par la guérilla de l’ELN en 1989 dans les environs de Fortul, -pour mémoire : l’un des inspirateurs de l’ELN fut le « curé Pérez », Gregorio Manuel Pérez Martinez, prêtre espagnol. L’autre ecclésiastique, l’abbé María Ramírez Ramos, fut tué à Armero en 1948, lors des émeutes provoquées par l’assassinat de Jorge Eliecer Gaitán, candidat à la présidence de la République colombienne. Les deux béatifiés sont « l’expression d’un peuple qui veut sortir du bourbier de la violence et de la rancœur », a déclaré le pape. Ainsi, la réconciliation « n’est pas un mot abstrait ». Elle demande de dépasser la volonté de vengeance mais aussi de « surmonter la tentation de l’égoïsme et de renoncer aux tentatives de pseudo-justice ». Alors, la réconciliation permet de construire l’avenir et fait grandir l’espérance. Par ailleurs, en ce jour de la fête de la Nativité de la Vierge Marie, François a tenu à adresser un message aux « communautés où nous décelons encore des styles patriarcaux et machistes » (sic). A celles-ci, « il est bon d’annoncer que l’Evangile commence en mettant en relief des femmes ». Et dans ce monde où la violence psychologique, verbale et physique envers la femme est patente, il faut se rappeler « la noblesse [du] cœur » de saint Joseph qui a opté « pour la renommée, la dignité et la vie de Marie », même s’il n’avait pas l’information complète sur la conception du Christ.
Dans l’après-midi, le pape François a présidé une « grande rencontre de prière pour la réconciliation nationale » au Parc Las Malocas, à Villavicencio. Devant 6.000 personnes, ce furent les témoignages de quatre victimes des conflits qui affligent la Colombie depuis une soixantaine d’années. Ces témoignages, a dit le pape François, sont ceux de personnes « innocentes ou coupables mais toutes victimes » de la « perte d’humanité » qui provoque la violence et la mort. « Colombie, ouvre ton cœur de peuple de Dieu et laisse-toi réconcilier », a lancé le pape. Il est temps, a-t-il continué de « renoncer aux vengeances » et à la haine, pour « s’ouvrir à la cohabitation fondée sur la justice ». Le chemin de la réconciliation est exigeant, a reconnu le pape. A commencer pour les innocents qui doivent accepter de « croire qu’il puisse y avoir un pas en avant de la part de ceux qui ont infligé des souffrances ». Car nombre d’entre eux ne croient pas à la sincérité des anciens guérilleros des Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC), s’opposant en 2016, à l’accord de paix rejeté par référendum (Voir DICI n° 343 du 28/10/16). C’est ainsi que l’ancien président colombien, Alvaro Uribe, a fait parvenir à François, la veille de son arrivée, une lettre où l’on peut lire : « Nous ne nous sommes jamais opposés à la paix, mais l’impunité totale pour les responsables de crimes atroces, leur éligibilité politique, l’autorisation légale qu’ils ont reçue de dépenser un argent illicite pour leurs activités politiques, et d’autres points encore constituent des incitations à la criminalité. Votre Sainteté, nous sommes d’accord sur le traitement généreux réservé aux guérilleros qui remplissent leurs engagements, mais c’est un sujet que nous séparons de l’impunité totale accordée aux chefs [de la guérilla] ».
L’appel du pape à la paix intervient alors que les FARC lui ont adressé tardivement, le 7 septembre, une lettre ouverte. « Nous avons renoncé à toute manifestation de haine et de violence, notre but est de pardonner à ceux qui étaient nos ennemis et qui ont fait tant de mal à notre peuple ; nous posons l’acte de contrition indispensable pour reconnaître nos erreurs et demander pardon à tous les hommes et femmes qui ont été en quelque sorte victimes de notre action », a écrit leur chef Rodrigo Londoño Echeverry. « Votre visite laissera de profondes empreintes dans l’histoire » de la Colombie, ajoutait-il à François, en signant : « votre admirateur dévoué ».
Autre nécessité pour la réconciliation affirmée par le pape : la vérité. Il faut ainsi révéler ce qu’il est advenu « des parents disparus » et avouer « ce qui s’est passé avec les plus jeunes enrôlés par les acteurs violents ». Mais aussi « reconnaître la souffrance des femmes victimes de violence et d’abus ». Les plaies encore vives doivent être déposées « aux pieds du Christ crucifié », a demandé le souverain pontife, sous le regard d’un Christ en bois dont il ne reste que le tronc et la tête. Ce crucifix était dans une église de la ville de Bojaya où en mai 2002 des habitants se sont réfugiés, pris en tenaille entre guérilleros et paramilitaires. Une bombe des FARC a touché l’édifice et fait 118 morts, dont 45 enfants. Le Christ est « venu pour souffrir pour son peuple et avec son peuple ». Avec son aide, il est possible de briser la chaîne de la violence et de « vaincre la haine, […] vaincre la mort ». Ce Christ « n’a plus de bras et il n’a plus de corps, mais il a encore son visage qui nous regarde et qui nous aime ».
Suivaient deux témoignages de personnes recrutées de force à l’âge de 16 ans par des groupes armés, l’une par les FARC, l’autre par une force d’autodéfense. Puis deux témoignages de victimes des violences, dont celui d’un homme grièvement touché en 2012 par une mine. Et, le témoignage d’une femme dont plusieurs membres de la famille – y compris ses deux enfants – ont été tués par des paramilitaires. Elle a malgré tout accepté de venir en aide à des assassins de ses proches.
Samedi 9 septembre : messe à Medellin et rencontre avec les prêtres, religieux et séminaristes
Le samedi 9 septembre, François s’est rendu à l’aéroport Enrique Olaya Herrera de Medellín où il a célébré la messe devant plus d’un million de personnes. Il a demandé aux fidèles de grandir en audace, en courage évangélique et de « quitter les myopies héréditaires ». Notre vocation de disciples ne doit donc pas être motivée par une habitude ni simplement un attachement à l’explication d’une doctrine, mais doit partir de « l’expérience de la présence amicale du Seigneur et un apprentissage permanent par l’écoute de sa Parole ». Et l’Eglise doit se laisser être « secouée par l’Esprit afin qu’elle quitte ses facilités et ses attachements » (!?). Cet appel à « renouveler » sans cesse sa foi a une résonance particulière dans la région de Medellín, historiquement la plus catholique de Colombie et qui a le plus donné de vocations.
Puis le pape a rencontré, au stade La Macarena, 12.000 prêtres, religieux, personnes consacrées, séminaristes et leurs familles. « Si la vocation veut véritablement porter du fruit, elle doit être greffée sur Jésus et révéler un désir authentique de se configurer à Jésus », déclara-t-il. Il ne peut donc y avoir de place pour la duperie, pour la duplicité, pour les choix mesquins, a-t-il ajouté. Les vocations meurent quand elles recherchent les honneurs, la tranquillité personnelle, la promotion sociale et les intérêts matériels. Trois attitudes sont nécessaires, a poursuivi le pape. Toucher l’humanité de Jésus, c’est-à-dire suivre son regard, ses sentiments, ses gestes et ses paroles. Seconde attitude, contempler la divinité du Seigneur, notamment par la lecture des Ecritures et l’adoration. Enfin, en vivant dans la joie : « notre joie contagieuse doit être le premier témoignage de la proximité et de l’amour de Dieu ».
Dimanche 10 septembre : messe à Carthagène des Indes
Pour la dernière journée de sa visite apostolique en Colombie, François s’est rendu à Carthagène des Indes, ville portuaire très touristique, mais où 294.000 Carthaginois vivent dans la pauvreté. François est venu réciter l’Angélus dans l’église de Saint-Pierre-Claver, où sont conservées les reliques du saint jésuite qui a consacré sa vie au service des esclaves. Pierre Claver (1580-1654) fait de brillantes études au collège des jésuites, avant d’entrer au noviciat de la Compagnie de Jésus à Tarragone, le 7 août 1602. Il se rend en 1610 à Carthagène des Indes où il est ordonné prêtre en 1616 et se fait « esclave des Africains, pour toujours ». Dans ce port où arrivent les esclaves africains, Pierre Claver les nourrit, les soigne, les habille et les évangélise. Léon XIII le canonise en 1888 et le déclare « patron universel des missions auprès des Noirs ».
En clôture de son 20e voyage hors d’Italie, le pape François a célébré le 10 septembre 2017 la messe à Carthagène des Indes, devant environ un demi-million de personnes. Dans son homélie, il a mis en garde contre une réconciliation basée sur « une légalité aseptisée ». Si les Colombiens veulent vraiment la paix, ils devront faire le premier pas, a-t-il expliqué, reprenant le mot d’ordre du voyage. « Si la Colombie veut une paix stable et durable », elle ne pourra se contenter de « cadres juridiques et d’arrangements » entre groupes politiques et économiques. Il faut renoncer « à la prétention d’être pardonnés sans pardonner, d’être aimés sans aimer ». Au contraire, il est nécessaire « d’oser une correction qui n’entend pas exclure mais intégrer ». Et de conclure : « ton frère a besoin de toi, va à sa rencontre en apportant l’accolade de la paix, délivrée de toute violence ».
Dans l’avion qui le ramenait de Colombie, le pape a dit avoir été « vraiment secoué par la joie, la tendresse de la jeunesse et la noblesse du peuple colombien », et frappé par ce que le pays a enduré durant plus de cinquante ans à cause des guérillas et des groupes paramilitaires. Mais au-delà des épreuves, ce sont les pas accomplis vers l’espérance qui ont marqué le pape. « Je remercie beaucoup l’ELN (l’Armée de libération nationale) », a-t-il déclaré, faisant référence à la trêve observée par la guérilla d’inspiration marxiste du pays depuis le début de son voyage. Concernant le processus de paix, que le pape a fortement appuyé lors de sa visite apostolique, il a rappelé qu’un tel résultat ne peut être obtenu que par l’implication du peuple, sous peine de ne récolter que des « compromis » peu convaincants.
Commentaire : Il est à souhaiter que la diplomatie du Saint-Siège ne soit pas dupe des marxistes en cette affaire. Les FARC comme l’ELN sont des groupes armés révolutionnaires qui ont pris en otage des populations entières et dont les mains sont pleines de sang. Ils se sont livrés au racket, au kidnapping, à l’endoctrinement de leurs victimes, au vol à grande échelle et aux trafics de drogue. Passés maîtres dans le mensonge et les coups montés, ils se sont heurtés aux groupes d’autodéfense paramilitaires qui, eux aussi, ont fini par se rendre coupables d’exactions. C’est au gouvernement légitime que revient le mérite, grâce à l’armée régulière, d’avoir obtenu des résultats dans la lutte contre le terrorisme communiste, la guérilla sauvage et la guerre civile. Sans justice, il n’y a pas de vraie paix.
(Sources : cath.ch/imedia/vatican.va/radiovatican – FSSPX.Actualités – 13/09/17))