Les valeurs de la civilisation française
publié dans doctrine politique le 31 décembre 2009
Les valeurs de la civilisation française
par Bruno Collnisch
C’est un sujet très difficile que celui des valeurs qui fondent une civilisation. Car il y a des valeurs qui sont universelles et concernent donc toutes les civilisations. Il faudrait d’ailleurs s’entendre exactement sur ce qu’est une valeur. Ce mot n’est apparu que tout à fait récemment : auparavant, on connaissait la chose, mais on n’avait pas éprouvé le besoin de la nommer.
Il est également très difficile de savoir ce qu’est exactement une civilisation ou une culture, d’autant plus que dans notre langue le mot est ambigu. En japonais, c’est relativement plus facile, parce que, pour désigner la Civilisation ou la Culture (ce qui fait qu’on est civilisé par opposition, par exemple, à l’état sauvage ou à l’état de barbarie) il y a un mot. Et il y a un autre mot pour désigner une civilisation particulière, précise, incarnée. La civilisation, c’est ce qui fait que l’on n’est pas barbare. Civilisé connote civil, donc poli, mais civil renvoie à la ville, civitas (la cité), comme d’ailleurs poli, politique (la conduite de la cité) encore que je pense qu’il n’est de grandes civilisations que celles qui prennent racine dans la ruralité.
Nous dirons donc que la civilisation est une aptitude à faire vivre ensemble des hommes, à faire qu’ils soient meilleurs qu’ils ne seraient tout seuls, à leur transmettre un héritage, un ensemble de biens matériels et spirituels et, pour reprendre une définition désormais classique, un ensemble de biens tels qu’on ne peut les embrasser au cours de toute une vie. Voilà, je crois, ce qui distingue l’état de civilisation de l’état sauvage. Cet ensemble de biens matériels donc, mais aussi spirituels, ces acquis de la littérature, de l’art, des sciences, des techniques, de la morale, de la philosophie, de l’architecture, que l’on ne peut embrasser au cours de toute une vie. En ce qui nous concerne, comment, même les plus instruits, les plus cultivés d’entre nous, pourraient-ils en effet au cours de toute une vie d’étude et de travail, embrasser plus du dixième, que dis-je, plus du centième de la civilisation française ? Pour ne pas parler de l’ensemble de la civilisation chrétienne ou de la civilisation européenne !
À l’état sauvage en revanche, l’être humain, même si sa vie est relativement complexe, même si elle comporte le maniement de techniques élaborées, peut tout embrasser et se hausser au niveau de la totalité de la connaissance du milieu dans lequel il est né. Il y a, certes, des cultures primitives qui sont complexes. Par exemple les esquimaux ont des centaines de mots pour désigner la couleur blanche. Nous, nous sommes des rustres, nous avons le blanc, le blanc crème, le blanc cassé, le blanc-blanc si l’on veut ; eux, ils ont pour désigner les nuances de cette couleur —et cela se comprend— des centaines de mots. Outre ce vocabulaire raffiné, ils ont des techniques de chasse, ils ont des techniques de pêche, ils ont des modes de relations familiales complexes. Même les peuples les plus arriérés, comme les Papous des îles Tobriand décrits par l’ethnologue Malinovski, ont des modes de relations familiales extraordinairement compliqués. Mais enfin, il n’en reste pas moins qu’un seul individu peut, dans l’espace normal d’une vie humaine embrasser la totalité de la connaissance tandis qu’à nous, cela est tout à fait impossible à cause de la richesse extraordinaire de l’héritage que nous avons reçu.
Une civilisation suppose par conséquent une certaine spécialisation. J’ai, pendant les vacances, profité de quelques jours pour lire un livre tout à fait décapant de John Senior (ce n’est pas un pseudonyme), que je vous recommande, bien que l’on ne soit pas obligé d’être d’accord avec toutes les conclusions de son auteur, un universitaire américain classé parmi les meilleurs de sa génération par un magazine qui pourtant n’est pas en particulière sympathie avec ses idées. Il professe à l’université du Kansas. Son livre s’appelle La Mort de la culture chrétienne. Bien que le titre en soit très pessimiste, le contenu ne l’est pas. Senior donne du mot civilisation la définition suivante :
“La civilisation est un tissu compliqué de données dont nous tirons des conclusions pratiques dans nos lois et dans nos mœurs. Tous les fils de ce tissu tiennent à un tout petit nombre de fils primordiaux que nous appelons principes premiers, qui ne nous sont pas donnés par la culture. Ils sont évidents par eux-mêmes : dans l’ordre moral, faire le bien est le premier d’entre eux ; quand un homme refuse cela il refuse toute morale ; les premiers principes sont tellement évidents qu’ils sont difficiles à voir ; ce qui est évident par soi-même ne l’est pas constamment aux yeux de tous”.
Les valeurs de la civilisation française
Et c’est bien la difficulté du sujet : quelles sont les valeurs qui fondent la civilisation française ? Eh bien ce sont d’abord les valeurs qui fondent toute civilisation : le Beau, le Bien, le Vrai. On me dira qu’il y a eu dans l’Histoire des civilisations extraordinairement brillantes où le Bien, envisagé sous sa forme morale par exemple, ne paraît pas avoir régné particulièrement. Il est peu de civilisations aussi brillantes, par exemple, que celle de l’Italie de la fin du XVe ou du XVIe siècle, et pourtant que de meurtres, que d’assassinats, que de raffinements de cruauté, que d’abaissement parfois du sens moral, alors que chacune de ces cités, de ces républiques, de ces principautés se distinguait par des réalisations beaucoup plus brillantes que des communautés plus paisibles. Mais du moins, à défaut d’être ordonnés au Bien, les dirigeants de ces villes, de ces cités, recherchaient en tout cas le Beau. Et nous savons, nous, que la source du Beau est la même que celle du Vrai et que celle du Bien. Nous pouvons aujourd’hui mesurer tout le prix de ce culte du Beau lorsque nous voyons, par exemple au Conseil régional de ma région Rhône-Alpes, que les commandes d’encouragement à l’art contemporain se dirigent de façon à peu près inéluctable sur des œuvres dont la laideur est évidente à tout le monde, mais que personne n’osera avouer. C’est ainsi qu’une toile de Buren (j’ignorais auparavant que Buren fût peintre, je savais seulement qu’en tant qu’architecte il avait défiguré la place du Palais Royal, et d’ailleurs aussi celle des Terreaux à Lyon) qui consiste en une toile blanche sur laquelle l’auteur a tracé dix traits —mais quand même dix traits tirés à la règle, dix traits tout à fait parallèles, et j’oserais même dire, ce qui vous démontrera l’audace, dix traits de longueur inégale !— a été achetée 100 000 F par le Conseil régional au titre du FRAC, (Fonds régional d’art contemporain) que j’appelle quant à moi “fric-frac”. Telle autre toile d’un autre auteur, une toile mauve sur laquelle a été projetée une tache de peinture rose, est achetée également 100 000 F. Et lorsque m’exprimant au nom de mon groupe, j’ai déclaré que j’étais peut-être mauvais juge de l’art de son époque, mais qu’enfin, si controversée qu’ait été l’apparition de nouvelles formes d’art à différentes époques de notre histoire, elles avaient toujours suscité un certain enthousiasme, soit dans les élites sociales, soit dans le peuple (songez à ce mouvement populaire extraordinaire qui a abouti en France et ailleurs à la floraison de nos cathédrales) et que, par conséquent, je n’avais rien contre le fait que les conseillers régionaux, mes collègues, achètent ces œuvres, à condition qu’ils le fissent avec leur argent propre et non avec celui de leurs compatriotes (je savais très bien qu’au fond d’eux-mêmes, la plupart ne mettraient pas 100 000 F, pas 10 000 F, pas 1 000 F pour acquérir une seule des œuvres en question, et que beaucoup paieraient même 500 F ou plus pour qu’on les en débarrassât si elles se trouvaient dans leur salon). Entendant cela, le responsable du groupe socialiste s’est écrié : “En entendant M. Gollnisch, nous croyons revoir les bûchers sur lesquels, à Nuremberg, Adolf Hitler faisait brûler l’art décadent” !
Cela vous fait rire, mais à la suite de cette affaire, j’ai été interrogé par le journal Le Monde qui m’a dit : “Vous ne voulez pas qu’on subventionne les toiles de Buren, mais alors quelle forme d’art voudriez-vous subventionner ?” A quoi j’ai répondu que j’estimais qu’un certain mécénat public était indispensable, mais qu’il me paraissait en revanche pervers de poser exclusivement le problème de l’art en termes de commandes publiques, et qu’avec Christian Langlois, membre de l’Institut et Architecte en chef des Bâtiments historiques, j’estimais que l’art subventionné dégénérait alors que l’art libre s’épanouissait et que, après tout, si l’on laissait à nos compatriotes davantage la disposition de leurs biens, certains d’entre eux feraient en matière d’art des choix que la postérité ne ratifierait pas, tandis que d’autres en revanche commanderaient sans doute des œuvres qui mériteraient de rester offertes à l’admiration de nos successeurs.
“Qu’avez-vous dit là ?” me dit le journaliste culturel du Monde, journal de l’intelligence française. “J’ai dit : “L’art libre s’épanouit, l’art subventionné dégénère”. —“Comment ? Vous avez parlé d’art dégénéré ? C’est l’expression qu’employait Adolf Hitler !”. Je lui ai répondu : “En dépit du nom germanique que je porte, mes références sont bien latines. D’ailleurs c’est M. Christian Langlois dont le comportement pendant la guerre est absolument au-dessus de tout reproche, qui s’exprime ainsi. Et ceci dans le petit opuscule que je vous montre, qu’en bon étudiant potassant mes “antisèches”, j’ai lu avant de venir vous voir”. —“Ah bon, bon ! Ah je vois !” me répondit-il, non sans une nuance de reproche. Je lui dis encore : “Je suppose tout de même que nous sommes entre gens intelligents, ou alors la prochaine fois, faites-moi la liste des 500 mots français qui n’ont pas leur traduction dans la langue allemande et je me bornerai à utiliser ceux-là”. Cela n’a pas empêché le plumitif en question d’écrire ensuite, dans son article : “…et M. Gollnisch évoque l’art dégénéré, référence évidente à l’exposition qu’organisaient à Nuremberg en 1936 les nationaux-socialistes” ! Voilà. Ceci pour vous dire, mais vous le savez bien sûr, comment l’information est faite dans notre pays.
Le Beau, le Vrai, le Bien.
Les valeurs universelles sur lesquelles se fondent toutes les civilisations sont donc bien le Beau, le Vrai, le Bien.
J’insisterai cependant sur le Vrai : reconnaître l’existence d’une vérité objective. On est un peu confus devant une assistance comme celle-ci d’avoir à rappeler aujourd’hui de telles évidences, et pourtant, comme nous le disait hier le docteur Dor dans son si émouvant témoignage, c’est ce point qui est au centre du débat. Car aujourd’hui la proposition, par définition absurde, que réfutait Aristote, et avec lui tous les philosophes, selon laquelle il n’y aurait pas de vérité, a droit de cité. On pourrait à la rigueur affirmer que la vérité est difficile à connaître, et sans doute est-il des vérités dont la connaissance est d’une approche difficile. Mais on trouve aujourd’hui formulée de façon explicite cette absurdité : il n’y a pas de vérité. Aristote faisait un sort à ce sophisme en disant : “Une controverse avec ceux qui énoncent cela n’est même pas possible, car de deux choses l’une : ou bien ils se taisent, et alors il n’y a pas matière à discussion ; ou bien ils affirment quelque chose, à commencer précisément de façon axiomatique “qu’il n’y a pas de vérité”, et ils se contredisent eux-mêmes.” Pourtant, aujourd’hui, cette erreur, ce mensonge, est à la base de tous les autres mensonges et vous savez, vous, mieux que quiconque, qui est le père et qui est la source du mensonge.
Je dirais donc que la valeur fondatrice de la civilisation française comme de toute civilisation, c’est d’abord le respect de la Vérité. C’est d’elle que découle la véritable Égalité, qui n’est pas l’égalité révolutionnaire dont on nous a parlé tout à l’heure, mais la vertu de Justice : rendre à chacun ce qui lui est dû, suum cuique. C’est d’elle que nous vient la vraie Liberté, qui n’est pas la liberté révolutionnaire, mais celle qui nous rend responsables et fait de nous des êtres moraux. “Injuste, oui, c’est le mot qu’ils utilisent alors qu’ils lui refusent tout sens” écrit Senior à propos de ceux qui s’élèvent contre l’existence de toute sanction pénale. “Les sentimentalistes proposent une conception de l’univers dont ils s’exemptent : ils disent que le crime est une maladie. Si c’était vrai, il ne serait plus possible d’accomplir aucun acte moral. Si l’homme n’est pas libre de choisir le Mal, il ne l’est pas de choisir le Bien. Un concours accidentel de forces met le bras de Jacques à un bout de la corde et la tête de Paul à l’autre. Si le meurtre est une maladie, Ursule est morte de cette maladie qu’on nomme le meurtre, transmise par un agent innocent nommé Jack l’Eventreur, comme la tuberculose transmise par un innocent bacille de Koch a causé la mort de Virginie. Rien n’est dû à qui ou quoi que ce soit, tout ce qui vit mourra ; le Seigneur donne et le Seigneur reprend selon un processus naturel ; le crime relève de la biochimie et de même tous les comportements humains. Si l’homme n’est pas responsable de ses crimes parce qu’il est un produit de l’hérédité et du milieu, la science elle-même n’est rien d’autre qu’un produit de l’hérédité et du milieu. N’oublions jamais la réplique du juge au meurtrier : “Vous m’avez dit qu’on ne pouvait rien vous reprocher parce que c’est votre milieu et votre hérédité qui vous ont conduit à tuer, eh bien, mon hérédité et mon milieu vous condamnent à être pendu jusqu’à ce que mort s’ensuive”.
C’est enfin de la Vérité que nous vient la vraie Fraternité, pas non plus bien sûr dans le sens révolutionnaire que décrivait si magistralement tout à l’heure M. de Viguerie, mais dans celui de la fraternité réelle, celle qui existe entre ceux qui se reconnaissent frères parce qu’ils sont tous du même Père.
Voilà quelques-unes des valeurs universelles qui fondent, non seulement la civilisation française, mais toutes les civilisations. Mais il est aussi des valeurs particulières, car ces valeurs universelles s’incarnent en un temps donné, en un espace donné. Et je crois très profondément qu’à ce titre, l’héritage gréco-latin fait partie de notre civilisation française. D’abord en un lieu donné : la France, la civilisation française, sont le produit d’une certaine géographie, et cette géographie n’est pas indifférente : ces limites territoriales qui sont les nôtres sont quand même des limites en grande partie naturelles —et j’espère que M. Dumont ne m’en voudra pas trop, car son exposé décapant, stimulant pour l’esprit, me porte quand même à une certaine indulgence pour ceux qui ont voulu malgré tout réaliser ce “pré carré”, même aux dépens de leurs voisins. Il est de fait que la forme de la France est harmonieuse. Aujourd’hui, on utilise ce terme abominable d’Hexagone. Mais enfin, il est des limites naturelles à l’intérieur desquelles a toujours vécu notre peuple, cas différent d’autres peuples aux frontières beaucoup plus mouvantes. Pensons par exemple aux Turcs. Nous les connaissons aujourd’hui en Anatolie ou sur les rives du Bosphore, vous en trouvez aussi dans le Sin-Kiang et leur arrivée dans les contrées qui forment aujourd’hui la Turquie est relativement récente. Même les Polonais, qui n’en sont en rien responsables, ont eu des frontières dont les limites ont changé dans l’histoire de plusieurs centaines de kilomètres. Tandis que les nôtres sont encore à peu de choses près celles qui étaient déjà fixées au temps de la Gaule.
Notons aussi que notre pays a été peuplé par les plus anciennes et les plus brillantes civilisations préhistoriques — pensons aux grottes de Lascaux. Ce n’est pas pour rien que l’Homme de Cro-Magnon s’appelle ainsi : c’est que Cro-Magnon, jusqu’à preuve du contraire, est, un village de Dordogne sur les rives de la Vézère. Les Gaulois eux-mêmes étaient fort peu nombreux que déjà, dès la préhistoire lointaine, notre pays avait donné lieu à une très brillante civilisation.
Il n’en reste pas moins que fondamentalement, au moins sur le plan culturel, la France c’est la synthèse des Celtes, des Latins et des Germains ; de la celtitude, de la latinité, et, à un moindre degré, de la germanité. Et ceci est très important. Très important sur le plan culturel, mais aussi très important, pourquoi ne pas le dire, sur le plan physique : pourquoi serions-nous le dernier peuple à ne pas avoir le droit de s’affirmer tel qu’il est ? N’en déplaise à l’excellent M. Jacquart du MRAP, du Parti communiste et d’autres lieux, qui prétend que les races humaines n’existent pas. Sans doute les races humaines n’existent-elles pas au sens où il n’y a pas de différence ontologique entre les hommes, et où toutes sont des créatures de Dieu, toutes appelées à la Vie Éternelle. Mais, de là à nier l’importance des caractères ethniques, c’est une absurdité totale. M. Jacquart et quelques autres prétendent que les races humaines n’existent pas, parce que, disent-ils, on passe d’une race à l’autre de façon absolument insensible et que les différences ne sont pas absolument tranchées. Il n’en reste pas moins que si l’on mélange cinquante Vikings et cinquante Bantous, même M. Jacquart arrivera quand même à dire qui habite la Suède et qui vient du Zaïre. Si la Suède était peuplée de Bantous, ce ne serait pas la nation suédoise telle que nous la connaissons, pas plus d’ailleurs que si le Zaïre était peuplé de Vikings. Ce serait autre chose, ce serait une autre nation, ce serait une autre culture, peut-être d’ailleurs tout aussi attachante, mais ce ne seraient pas les mêmes.
Mais c’est évidemment sur le plan culturel que la civilisation gréco-romaine nous a laissé des traces encore éclatantes : des aqueducs, des ports, des routes, des ponts, des basiliques, des théâtres. Je pense à cette fameuse adresse de l’empereur Claude gravée dans la pierre permettant aux Lyonnais d’accéder au Sénat romain. Je pense à la jalousie ancienne entre Lyon et Vienne, parce que Vienne étant fondée par des vétérans de la 10e Légion, les Viennois avaient de droit la citoyenneté romaine alors que les Lyonnais l’ont acquise plus difficilement.
Puis vint le désastre des invasions barbares. Et la nouvelle alliance entre les Celtes, les Romains et cette fois-ci un peuple germanique. L’alliance scellée par Clovis.
J’entends d’ici, à propos de Clovis, beaucoup de contradicteurs faire la fine bouche et pratiquer d’ailleurs ce qu’ils récuseraient s’agissant d’autres cultures : porter des jugements tout à fait anachroniques, voir cette époque avec les yeux de la nôtre. Clovis n’était certainement pas un enfant de chœur, ou alors c’était un enfant de chœur extraordinairement turbulent. Mais il ne faut pas oublier que sa première démarche a été de se faire remettre par le Basileus, par l’empereur d’Orient, les insignes de consul romain, et de s’intégrer par conséquent dans une tradition. C’est dans la fidélité à l’héritage gréco-romain que s’opère la synthèse que réalise Clovis entre la population gallo-romaine et les Francs. Et à peine l’alliance entre les Francs et les Gallo-romains est-elle consacrée qu’apparaît un mythe national.
M. de Viguerie a cité tout à l’heure Chrestien de Troyes. Est-ce sous sa plume qu’apparaît ce mythe ? Est-ce sous celle d’Hincmar de Reims ou de quelqu’autre ? Je ne suis pas historien, mais je crois que ce mythe complètement oublié aujourd’hui a joué un grand rôle tout au long du Moyen Age et même au-delà. Il s’agit du mythe de l’origine troyenne des Francs. Parce qu’il était choquant, à certains égards, que ces Francs fussent des envahisseurs s’installant là où ils n’étaient pas tout à fait chez eux. Il fallait que la nation qu’ils ont fondé en mariant Germains, Celtes et Latins ait une origine aussi noble que Rome. Et c’est ce qu’affirme de façon très claire ce mythe de l’origine troyenne des Francs, qui prétend que les rois francs descendraient des Troyens fuyant les Grecs. Vous connaissez l’histoire de la guerre de Troie. Tout comme Enée, fils d’Anchise, aurait été l’un des fondateurs de Rome, Francion, ancêtre des Francs aurait été un Troyen de sang royal. Quel est l’intérêt de ce mythe ? C’est qu’en l’affirmant on se distingue à la fois des Germains et des Latins, et qu’on se donne des origines qui sont aussi anciennes que celles de Rome ! C’est un peu présomptueux, mais la présomption fait un peu partie, sinon des valeurs, du moins du caractère des Français. Et ce mythe aura la vie dure, il sera l’un des mythes fondateurs de la France. Tous les peuples ont besoin de mythes fondateurs : pour les Japonais, c’est l’arrière petit-fils de la déesse du Soleil, Amaterasu Omikami, qui a fondé l’Empire du Japon en 660 avant notre ère. Tout cela évidemment est complètement fantaisiste et tous les Japonais l’ont toujours su, mais ça ne fait rien, c’est d’une très grande importance encore aujourd’hui.
Un jour, il faudra bien reconnaître pourtant qu’il n’est malheureusement pas très sérieux de dire que les Francs sont des Troyens. Alors, on va inventera une autre théorie. On dira : les Francs, certes, ne sont pas des Troyens, mais c’est une tribu gauloise qui a été chassée par les conquêtes de Jules César, et qui est revenue après l’effondrement de Rome. Cette nouvelle théorie a un gros avantage, celui de présenter finalement les Francs comme des gens qui sont rentrés chez eux. Cela durera encore à peu près un siècle, à l’issue duquel on s’apercevra que ce n’est pas plus sérieux, et, les études progressant, on mettra cette fois en avant le fait que les Francs sont un peuple germanique, et l’on voudra faire des membres de l’aristocratie française les descendants de ces conquérants francs. C’est là aussi qu’apparaît plus particulièrement la théorie du “sang bleu”, d’un sang qui serait celui de l’envahisseur germanique, et qui serait différent de celui du reste de la population. Mais ceci était extrêmement dangereux, parce que s’introduisit ainsi en germe un risque terrifiant de division du corps social ; et, bien que les remarquables travaux de M. Dumont aient montré que la Révolution française a été beaucoup plus antireligieuse qu’antinobiliaire, il n’est pas interdit de penser que c’est à cette théorie du sang bleu que répond, peut-être, dans La Marseillaise, cette phrase terrible du sang impur dont on voudrait abreuver nos sillons.
Voilà pour l’essentiel, quelles sont nos origines, ethniques et culturelles. Et en un sens la Nouvelle Droite, dans la ligne des études duméziliennes, a sans doute eu raison d’insister sur l’importance de ces traditions. Elle a tort d’en faire un absolu, parce que des traits de culture, pas plus d’ailleurs que des traits de nature, ne fournissent de boussole pour l’action, pour la vie, pour le futur. C’est seulement la description de ce qui est : nous sommes un peuple indo-européen et même une synthèse de trois branches de la famille indo-européenne modelée par la civilisation gréco-romaine et installés, depuis des siècles, dans les frontières que nous a données la nature, et qu’a contresignées notre histoire.
Sans doute mais après ? Encore faut-il poser en axiome qu’il est bon que nous restions ce que nous sommes, et à partir de ce moment-là on entre dans le domaine du normatif, par conséquent dans celui des valeurs : l’observation de ce qui est ne fournit en soi aucun contenu normatif, parce que, à décrire ce qui est, on peut aussi bien en tirer la conclusion que ce qui est doit changer, et c’est en ce sens qu’Alain de Benoist rejoindra, par certains aspects de son œuvre pourtant intéressante, Karl Marx dans les oubliettes de l’histoire.
Quelles sont donc les valeurs de ces Celtes, de ces Latins, de ces Germains qui nous ont faits ce que nous sommes et plus encore, font que nous estimons que cet héritage doit être prolongé et défendu ?
Le sens de l’honneur
La première, il me semble, est le sens de l’honneur. Avec bien sûr son revers : la présomption, le goût de la renommée, une certaine vanité, l’indiscipline ; César déjà parlait de l’indiscipline de ces tribus gauloises : c’est un trait caractéristique, qui est commun d’ailleurs, me semble-t-il, aux Latins, aux Celtes et aux Germains. Mais malgré tout je crois que le sens de l’honneur est une constante de l’histoire de France, et que c’est ce qui lui donne sa grandeur. Notre Histoire a été grande par ses succès, parfois immérités, parfois acquis de façon injuste au détriment de voisins pacifiques, mais elle a été plus grande encore, me semble-t-il, dans ses revers que dans ses succès. La France a été grande dans ses défaites. Songez à la bataille de Poitiers, à ce désastre, au roi qui devrait fuir mais qui reste et se bat avec son jeune fils qui y gagnera le surnom du “Hardi”, c’est-à-dire le courageux (“Père, gardez-vous à droite ; Père, gardez-vous à gauche”) . Pensez à François Ier après le désastre de Pavie, dans une expédition impréparée et injuste sans doute, mais enfin, à cette admirable lettre à la reine, “Madame, tout est perdu, fors l’honneur”. Songez à Bayard (on m’a dit que le propos était apocryphe) et au reproche qu’il fait au Connétable de Bourbon qui vient le consoler dans sa terrible agonie alors qu’il s’est fait porter pour mourir, la colonne vertébrale brisée, dans des souffrances affreuses, et qu’il s’est fait coucher sur le dos pour voir l’ennemi en face : “C’est ainsi que j’ai vécu toute ma vie”. Pensez à tous ces épisodes de notre histoire malheureuse, Dieu sait qu’il n’en manque pas : Bazeilles, la maison des dernières cartouches, la charge de Reischoffen, les Cadets de Saumur, le dernier et si poignant entretien entre le commandant du camp retranché de Dien-Bien-Phu et le commandant du corps expéditionnaire. L’honneur a toujours été sauvé.
L’alliance entre la France et le christianisme.
La deuxième, c’est l’alliance fondée, au baptistère de Reims, entre la France et le christianisme. On nous dira tout de suite : “Mais Clovis n’était pas un bon chrétien” : Clovis n’était pas sans doute conforme à l’image que se font du christianisme mes collègues démocrates-chrétiens du Parlement européen —que je soupçonne d’être vraiment démocrates, mais dont je ne vois guère qu’ils soient chrétiens. Il n’était pas du tout conforme à l’image droit-de-l’hommesque qu’ils se font du parfait honnête homme d’aujourd’hui. Et il est vrai que la conversion de Clovis présentait, peut-être, d’une certaine façon, un caractère utilitaire. C’est vrai qu’il faillit même revenir sur sa conversion après la mort de son fils, pensant que celle-ci était peut-être due au courroux des anciens dieux. Vrai encore que Clovis était un vindicatif, mais sans doute parce que son autorité aurait été sans cela autrement contestée. Les Francs, comme tous les peuples indo-européens d’ailleurs, mais ceux-là particulièrement, n’aimaient pas beaucoup les faibles ; ils suivaient le chef tant que le chef avait de la poigne et qu’il avait du succès, car le succès était précisément la marque de la bénédiction des forces supérieures. Il est vrai aussi que Clovis, mais il y était tenu en quelque sorte par les dures lois politiques qui régissaient les partages successoraux chez les Francs, a éliminé bien des membres de sa famille, y compris après sa conversion. Mais la question n’est pas de savoir si Clovis était un modèle des vertus chrétiennes ; ce n’est pas cela qui nous intéresse du tout dans son baptême. Le baptême de Clovis est un événement fondateur de notre civilisation parce qu’en effet, il a été le point de départ d’une amélioration constante des mœurs, des coutumes, des pratiques de ce peuple rude, cruel, barbare mais fort qu’étaient les Francs et que, grâce à lui, s’est opérée la synthèse des populations dont la France est issue, sous le patronage du christianisme. C’est lui qui a permis à notre pays de devenir, par la suite, le pays des cathédrales, et des grands ordres monastiques, celui de la chevalerie chrétienne et des croisades.
La mer
Il y a bien sûr bien d’autres valeurs qui fondent la spécificité de notre culture, et pour sauter un peu du coq à l’âne, je crois que certaines des racines de la civilisation française, si je puis me permettre cette métaphore osée, plongent dans la mer. Certes, il y a d’autres peuples qui ont eu des destins maritimes tout à fait exceptionnels : le Portugal, l’Espagne, l’Angleterre, les peuples nordiques ; mais la France est le seul pays d’Europe à avoir accès (de par sa situation géographique, nous n’y avons aucun mérite particulier) à la fois à la mer du Nord, à l’Atlantique et à la Méditerranée. Et certes, le temps n’est plus aux taches roses qui coloraient, sur nos atlas, la moitié de l’Afrique, Madagascar, l’Indochine, les comptoirs de l’Inde aux noms si poétiques et évocateurs. Mais cette grande aventure, pour le meilleur et pour le pire, et quoi que l’on en ait dit, surtout pour le meilleur, comme le savent très bien les peuples que nous avons visités là-bas (allez demander aux habitants de Saïgon, à ceux du Centrafrique, de Madagascar ou d’ailleurs, ceux du moins qui ont connu l’époque de notre présence, les réflexions qu’ils font aujourd’hui en comparant cette période et la nôtre !) témoignait de ce que la mer avait communiqué à l’âme française un goût de l’aventure qui trouva son expression dans l’héroïsme de tant de navigateurs, de tant de missionnaires, d’explorateurs, de pionniers ou de négociants. Et si le drame de l’Algérie fut un drame si cruel à plus d’un titre, un drame que beaucoup de jeunes gens aujourd’hui ont du mal à comprendre d’ailleurs, y compris dans nos rangs, ce n’est pas simplement parce qu’il y a eu trahison de la parole donnée, ce n’est pas seulement parce qu’il y a eu abandon de ceux qui avaient cru en nous, chrétiens aussi bien que musulmans ou juifs, mais aussi parce qu’il y a eu un rétrécissement général de la France, un repli sur ce qu’il est convenu d’appeler aujourd’hui l’hexagone et la fin d’une immense aventure. Au moins conservons précieusement ces confettis qui nous valent aujourd’hui le troisième empire maritime du monde, au regard des derniers développements du droit international et notamment de la conférence des Nations Unies sur le droit de la Mer.
Quels ont été les produits matériels de cette civilisation ? Je passerai très rapidement là-dessus, parce qu’ils sont tellement immenses et nombreux qu’il est impossible de les dénombrer, surtout dans le temps qui m’est imparti. La variété de nos climats, de nos paysages, a conduit à une extraordinaire profusion dans tous les domaines. Cette variété qui fait partie aussi de notre caractère national ne se perçoit plus par les costumes, ni par le folklore, aujourd’hui tragiquement uniformisés. Mais elle se manifeste encore dans l’habitat rural : la pente des toits, la forme des tuiles, les matériaux. Rien que dans ma région, en 40 km, on change quatre fois de style entre Lyon et Mâcon : les maisons des monts du Lyonnais, avec leurs constructions de pisé sur des soubassements de pierre noire volcanique ; les riches paysages viticoles du Beaujolais, aux maisons dites de pierres dorées tellement elles luisent sous le soleil, n’ont rien à voir non plus avec les maisons bressanes de plain-pied et de colombages, qui elles-mêmes n’ont rien à voir avec la maison bourguignonne que l’on trouve dès le Mâconnais, ses toits à forte pente et ses petites tuiles plates.
“Bien sûr, pouvait-on lire il y a quelques années dans le manifeste introductif de la revue Globe de M. Marc Benamou et Bernard-Henri Lévy, “tout ce qui est terroir, béret, bourrée, biniou, bref franchouillard ou cocardier nous est étranger, voire odieux.” C’est ce qui nous différencie d’eux : tout ce qui est terroir, béret, bourrée, biniou, bref français et national, nous est familier et attachant, au contraire : c’est assez naturel. C’est encore le même Bernard-Henri Lévy qui écrivait, dans son livre intitulé L’idéologie française, cette phrase : “Qu’y a-t-il de plus imbécile, de plus bêtement obscurantiste qu’un nationaliste qui dans les œuvres de l’esprit, dans un livre ou dans une toile, s’attache à retrouver la trace d’un hypothétique génie français ? C’est un régionaliste qui dans les mêmes œuvres de l’esprit, dans les mêmes livres ou dans la même toile, ne hume plus que les parfums de Lorraine, des grasses terres de Beauce ou des embruns bretons”. J’avoue volontiers être de ceux qui aiment parfois retrouver jusque dans les œuvres de l’esprit un peu des parfums de Lorraine, des grasses terres de Beauce ou des embruns bretons. Je ne les retrouve pas beaucoup, il est vrai, dans les œuvres de M. Bernard-Henri Lévy et c’est fort dommage.
Un art de vivre incomparable
Notre civilisation a produit un art de vivre incomparable, cette douceur qu’évoquait en termes beaucoup plus éloquents et beaucoup plus précis que moi ce matin M. de Viguerie. Je n’en prendrai qu’un seul exemple, c’est le vin. On a évoqué hier la Vierge aux raisins de Troyes. Il y a d’autres pays qui ont du vin, qui ont d’excellents vins, qui ont même plusieurs variétés de vins, mais enfin pas autant que le nôtre. La joie de vivre qu’engendre la vigne est une de nos particularités. Nous ne sommes pas des pisse-froid. Et permettez moi à cet égard de faire référence à saint Augustin qui raillait très justement les incrédules qui doutaient du premier miracle de Notre Seigneur dont je vous rappelle qu’il est un miracle du vin, et même du bon vin, le miracle des Noces de Cana, alors que ce miracle se reproduit sous leurs yeux chaque année, l’eau bienfaisante de nos pluies passant dans les grappes du raisin, pour se transformer en vin !
Je vous dispenserai donc de l’exposé fastidieux de tout ce qu’a produit la civilisation française, vous le savez mieux que moi. Mais vous savez aussi mieux que moi que tout ceci est menacé. Je le dis avec gravité, sans pessimisme excessif, avec quand même beaucoup d’inquiétude et même un peu d’angoisse, notamment du fait du terrible problème démographique dont nous a entretenus M. Dupâquier, et qui est indissociable du problème moral dont a parlé le docteur Dor. Tout ceci est menacé, la substance même de notre Nation l’est, et elle l’est notamment du fait de la déchéance de l’institution qui a pour mission de la préserver, l’État. Je crois, en exprimant peut-être une légère nuance par rapport à ceux qui m’ont précédé à cette tribune, que la civilisation française a ceci de particulier qu’elle est quand même tributaire de l’État. C’est l’État qui l’a protégée et le sens de l’État a existé très tôt, peut-être beaucoup plus tôt qu’on ne le pense. Comment expliquer autrement que le prestige royal ait survécu, par exemple, aux premiers temps capétiens, alors que le domaine propre du Roi était tout petit par rapport à celui des Plantagenêt ? C’est qu’il existait un prestige du royaume. Les légistes de Philippe Le Bel, critiquables à certains égards, ont formulé très tôt l’idée que le roi de France était “empereur en son royaume”. Et quand Jean Bodin écrit son ouvrage magistral “De Republica”, il faut traduire sans contresens, ce n’est pas “De la République” car Jean Bodin était parfaitement monarchiste, mais : “De l’État”. C’est cet État qui a permis l’unité de ces terres qui, au-delà de la mouvance du royaume sur de vastes portions relevant de l’empire, appartenaient à la francité. C’est en ce sens que je demande un peu d’absolution, quelque abominables qu’aient été les opérations qui ont conduit au rattachement de la Franche-Comté à la France, peut-être indignes d’un prince chrétien. Le sens de l’État chez nous ne fut ni totalitaire, ni personnel. Ce n’était pas l’État pharaonique de l’Égypte ancienne, ce n’était pas l’État totalitaire des Incas. On prête à Louis XIV le mot “L’État c’est moi”. Or ce mot est parfaitement apocryphe ; la véritable citation est exactement l’inverse, et elle nous a été restituée tout à l’heure par M. de Viguerie. Sentant sa mort prochaine, Louis XIV dit : “Je m’en vais, mais l’État demeurera toujours”. Or ce qui me paraît particulièrement inquiétant, c’est que l’État semble aujourd’hui entré en décomposition, miné par la concussion de nos dirigeants. Bien sûr, il y a toujours eu en France des prévaricateurs, mais la corruption n’a jamais été autant qu’aujourd’hui érigée en système. L’affaire de Panama, l’affaire Stavisky furent à deux doigts de faire chanceler le régime corrompu de la IIIe République, or la moindre des affaires qui nous est aujourd’hui connue est beaucoup plus grave que l’affaire Stavisky, cet obscur forban qui avait trafiqué sur les bons du mont-de-piété de Bayonne. Face à l’invasion que nous subissons, l’État manifeste par son impuissance même qu’il n’a plus la force nécessaire à l’accomplissement de sa mission.
Interrompre cette course à la décadence.
Alors, que faut-il faire ? Que devons-nous faire ? Retrouver d’abord, il me semble, notre capacité d’indignation. Et puis nous engager pour interrompre cette course à la décadence. Que nous reste-t-il de l’héroïsme des Gaulois ? J’en viens presque, parfois, à regretter la fureur des soldats de l’An II. Oh, je préfèrerais évidemment la fureur des Vendéens soulevés pour défendre leur roi ou leur foi. Mais je pense à ces grognards, à ces sabreurs du Premier Empire, à l’incroyable endurance de nos grands-pères dans ces charniers abominables. Et je dis : que nous reste-t-il de tout cela ? Que nous reste-t-il de cette furie française ? Point trop n’en faut sans doute, mais il en faut quand même un peu ! Une question posée ce matin à M. de Viguerie m’a beaucoup frappé : “Est-ce que les saint-cyriens qui sont morts sous des régimes révolutionnaires ou sous des régimes libéraux sont morts pour rien ?”. C’est une question terrible et M. de Viguerie y a apporté une réponse nuancée : leur sacrifice, leur abnégation est admirable. Mais puisqu’il y eut dans vos familles, dans la mienne aussi d’ailleurs, tant de gens qui ont risqué leurs vies, qui ont manifesté un courage admirable au service de causes qu’ils n’avaient pas eux-mêmes déterminées, et qui n’étaient pas toujours justes, offrons donc aujourd’hui un tout petit peu de ce courage-là, de ce courage civique pour une juste cause, celle de la survie de la France. Il est consternant de constater parfois que les enfants de tant de ceux qui ont risqué leurs vies pour la défense de notre patrie n’osent plus aujourd’hui risquer un week-end ou leur réputation, leur avancement, que sais-je, l’octroi d’une décoration, par crainte quelquefois tout simplement du qu’en dira-t-on, ou par respect humain.
Le combat civique s’impose aujourd’hui, il s’impose plus que jamais. Bien sûr, nous sommes accablés du poids de notre indignité morale et de notre incompétence. Mais je vois autour de moi beaucoup de gens qui ont une formation qui n’est pas toujours aussi solide que la vôtre, et qui me disent : “Je n’oserais pas faire de la politique, je ne voudrais pas me présenter aux élections, ni m’engager dans le domaine syndical, ni dans le domaine social parce que je ne sais pas parler en public”. Eh bien cela s’apprend ! Et, puisque vous avez ce courage par lequel se sont illustrés nos ancêtres, parfois au service de causes qui n’étaient pas toutes justes, soyez donc ces combattants du bon combat. C’est à ce prix que nous obtiendrons, ensemble, la renaissance catholique et française à laquelle nous aspirons.