Pourquoi j’ai signé la « Correctio filialis »
publié dans regards sur le monde le 29 septembre 2017
Mgr Fellay : pourquoi j’ai signé la Correctio filialis
Après la publication, le dimanche 24 septembre 2017, de la Correctio filialis par 62 clercs et universitaires laïcs qui relèvent sept propositions hérétiques dans l’exhortation apostolique Amoris lætitia, FSSPX.Actualités a demandé à Mgr Bernard Fellay, Supérieur général de la Fraternité Saint-Pie X, pour quelle raison il avait signé ce document.
FSSPX.Actualités : Pourquoi avez-vous apporté votre soutien à la Correctio filialis ?
Mgr Fellay : Cette démarche filiale de la part de clercs et d’universitaires laïcs, troublés par des propositions hétérodoxes d’Amoris lætitia, est importante. L’enseignement du Christ sur le mariage ne peut être subrepticement changé, au prétexte que les temps changent et que la pastorale doit s’y adapter, en donnant des moyens de contourner la doctrine.
Je comprends que les auteurs de la Correctio filialis puissent être bouleversés par toutes les divisions causées par Amoris lætitia, par les explications que le pape a fournies sur ce document dans de récentes déclarations, par ses propos sur la figure de Luther… Désormais, dans certains pays, les évêques acceptent la communion des divorcés civilement remariés, dans d’autres ils la refusent. Est-ce que la morale catholique est à géométrie variable ? Peut-elle être soumise à des interprétations contradictoires ?
Depuis septembre 2016, quatre cardinaux demandent respectueusement au pape de « faire la clarté » ; cette année ils ont sollicité une audience. En réponse, ils n’ont eu droit qu’au silence, mais le silence n’est pas une réponse. Sur une question aussi grave et face aux divisions présentes, il est nécessaire que le Saint-Père réponde clairement sur le fond.
Dans cette triste situation de confusion, il est très important que le débat sur ces questions majeures s’amplifie, afin que la vérité soit rétablie et l’erreur condamnée.
Voilà pourquoi j’ai apporté mon soutien à cette démarche, mais ce sont moins les noms des signataires de la Correctio filialis que la valeur objective des arguments exposés qui doit être prise en compte.
FSSPX.Actualités : Est-ce que cela remet en cause les rapports de la Fraternité Saint-Pie X avec Rome ?
Mgr Fellay : Notre respect à l’égard du pape est intact, et c’est précisément par respect pour sa fonction que nous lui demandons filialement de « confirmer ses frères », en rejetant publiquement ces propositions ouvertement hétérodoxes qui occasionnent tant de divisions dans l’Eglise.
J’ai apprécié la réponse d’Ettore Gotti Tedeschi [1], cosignataire lui aussi de la Correctio filialis. Il affirme, avec raison, que nous ne sommes pas les ennemis du pape. Au contraire, nous agissons ainsi parce que nous aimons l’Eglise.
Cette attitude fut celle de Mgr Lefebvre et de la Fraternité Saint-Pie X depuis le début. Dans sa déclaration du 21 novembre 1974, notre fondateur disait : « Nous adhérons de tout cœur, de toute notre âme à la Rome catholique, gardienne de la foi catholique et des traditions nécessaires au maintien de cette foi, à la Rome éternelle, maîtresse de sagesse et de vérité. Nous refusons par contre et avons toujours refusé de suivre la Rome de tendance néo-moderniste et néo-protestante », – ce sont précisément ce néo-modernisme et ce néo-protestantisme que les auteurs de la Correctio filialis dénoncent à juste titre comme les causes des changements opérés par Amoris laetitia dans la doctrine et la morale du mariage.
De toutes les fibres de notre être nous sommes attachés à Rome, Mater et Magistra. Nous ne serions plus romains si nous renoncions à sa doctrine bimillénaire ; au contraire, nous deviendrions les artisans de sa démolition, avec une morale de circonstance dangereusement appuyée sur une doctrine molle.
Notre fidélité à la Tradition n’est pas un repli sur le passé, mais un gage de pérennité pour l’avenir. C’est à cette seule condition que nous pouvons utilement servir l’Eglise.
FSSPX.Actualités : Qu’espérez-vous de cette Correctio filialis ?
Mgr Fellay : Il faut souhaiter qu’elle permette une prise de conscience plus nette de la gravité de la situation de l’Eglise de la part des clercs et des fidèles. Oui, comme l’a reconnu Benoît XVI, « la barque de Pierre prend l’eau de toute part ». Ce n’était pas une image poétique, c’est une réalité tragique. Dans la bataille présente, ce sont la foi et la morale qu’il faut défendre !
On peut également espérer que d’autres soutiens se manifestent de la part de ceux qui ont charge d’âmes. Les signataires de la Correctio filialis, en exposant ces propositions objectivement hétérodoxes, n’ont fait que dire tout haut ce que beaucoup savent au fond. N’est-il pas temps, pour ces pasteurs, de le dire haut et fort ? Mais, là aussi, c’est moins le nombre des signataires que la valeur objective des arguments qui importe. La Vérité révélée par le Christ n’est pas quantifiable, elle est avant tout immuable.
Il faut implorer Dieu pour que le Vicaire du Christ rétablisse une entière clarté en un domaine aussi essentiel : on ne peut modifier la loi divine du mariage sans provoquer de graves dissensions. Si rien n’est fait, la division qui se dessine dans l’Eglise, risque de devenir irréparable. C’est pourquoi nous prions afin que, véritablement, la parole de Notre-Seigneur à saint Pierre puisse s’appliquer au pape François : « Et toi, quand tu seras converti, confirme tes frères. » (Lc 22, 32)
[1] Ettore Gotti Tedeschi, économiste qui fut président de l’Institut pour les œuvres de religion de 2009 à 2012, a accordé un entretien au site hispanophone (24 septembre 2017), repris par le vaticaniste Marco Tosatti sur son blogue. NDLR.