Vatican II et l’idéal maçonnique
publié dans regards sur le monde le 18 novembre 2017
Les principes de Vatican II et l’idéal maçonnique, par l’abbé P. Toulza – Octobre 2017
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L’Église catholique tend hélas à devenir, depuis cinquante ans, un « Mouvement d’animation spirituelle de la démocratie universelle », en abrégé un « Masdu », selon l’expression de l’abbé Georges de Nantes. Un peu comme si le coeur de certains ecclésiastiques était pris de tendresse pour certains idéaux des loges. Reproche trop sévère ou jugement fondé ?
«Une grande partie de ce qui a été réalisé au concile Vatican II est fondée sur les principes et postulats maçonniques », affirmait un jour le Grand commandeur des loges au Mexique, Carlos Vázquez Rangel. Un haut gradé de la franc-maçonnerie encourageant un concile oecuménique, c’est inquiétant lorsqu’on se souvient des nombreuses condamnations des loges par l’Église ! Mais précisément, dira-t-on : ces condamnations ne sont plus d’actualité puisqu’en 1983, la sanction de l’excommunication a été levée par le pape Jean- Paul II. Désormais on peut devenir franc-maçon et rester catholique ; concluons que les hommes d’Église se sont mis à la remorque de la franc-maçonnerie. Cependant, les choses ne sont pas si simples. Le nouveau code de droit canonique considère toujours qu’appartenir à une société secrète – telle que la Veuve – est une faute grave.
Qu’en est-il alors ? À quel point l’ouverture au monde de Vatican II peut-elle être comparée à l’esprit maçonnique ?
LES DISTANCES QUI DEMEURENT
Première observation : « on nous a changé la religion », mais la religion telle que la conçoit la Rome d’aujourd’hui n’est pas complètement différente de la religion de toujours. Du coup, on ne peut pas dire que, purement et simplement, la philosophie des loges a envahi le sanctuaire. Hélas, l’excommunication a été levée bien que, le 26 novembre 1983, la Congrégation pour la doctrine de la foi ait rappelé le « jugement négatif de l’Église sur les associations maçonniques ».
Prenons un exemple, celui de l’ésotérisme. La franc-maçonnerie propose l’accès à une connaissance dont le contenu est secret. Il s’agit d’une vérité prétendument propre à assurer le bonheur de l’humanité, bien que jamais parfaitement atteinte. Ces secrets sont réservés à une minorité d’hommes (ésotérisme). Or cet ésotérisme, qui contredit déjà l’enseignement traditionnel catholique selon lequel la charité aspire au bien de tout homme, est également vu d’un mauvais oeil par le magistère d’aujourd’hui, parce qu’il restreint de façon peu démocratique l’accès au bonheur.
Un autre aspect de la franc-maçonnerie maintient une certaine distance entre lui et la partie conciliaire de l’Église : c’est l’éthique. Les loges sont en effet d’accord sur un certain nombre de préceptes de morale naturelle (comme le respect d’autrui ou la nécessité du travail). Elles assurent à leurs adeptes que s’ils les suivent, ils pourront devenir, au milieu du monde, une élite. Or dans la doctrine catholique traditionnelle, une vie qui ne se conformerait qu’à la raison ne suffirait pas à rendre meilleur : la foi, la fidélité aux commandements et la grâce sont requises au salut. Ajoutons que, même dans le catholicisme tel qu’il a été gâté par le néomodernisme, tout n’est pas perdu de cet enseignement car, indéniablement, on y considère encore que pour être un homme parfait il faut se conformer à l’Évangile, qui est autre chose que l’idéal maçonnique.
Un écart existe donc toujours entre l’esprit de Vatican II et la philosophie des loges. Toutefois, depuis cinquante ans, l’enseignement et la pratique des hommes d’Église se sont rapprochés des maximes des officines secrètes. Signe de ce rapprochement, le cardinal Agostino Casaroli, au cours d’un sermon donné le 20 octobre 1985 dans l’église Saint- Patrick de New York, a attesté « que les concordances entre l’Église et la francmaçonnerie peuvent être considérées comme un fait acquis (1) ». Pour manifester ce rapprochement, choisissons un regard d’ensemble.
LE CIEL ET LA TERRE, DIEU ET L’HOMME
En quoi consiste, au fond, le catholicisme ? Le but ultime de l’Église militante est dans l’au-delà : c’est d’engendrer de plus en plus d’élus, qui soient le plus saints possible. La franc-maçonnerie (on devrait dire « les franc-maçonneries », tant il y a de diversités entre elles) a, elle, choisi une finalité ici-bas. Ce but, prétend-elle, est de pacifier et d’unifier l’humanité dans une fraternité harmonieuse et universelle. Or il se trouve que, dans le discours conciliaire, la perspective du Ciel est souvent mise de côté au point, précisément, de ne plus devenir une perspective. La vie terrestre a pris le dessus. Les curés insistent bien plus qu’avant sur la participation des chrétiens à l’édification d’une société meilleure ici-bas. La vie éternelle est rarement évoquée. On met l’accent sur le vivre-ensemble, le partage des richesses, l’accès à la démocratie, la protection de l’environnement… L’assemblée plénière du Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux avait pour thème en 2017 : « Rôle de la femme pour
l’éducation à la fraternité universelle ». N’y a-t-il pas là une certaine ressemblance avec le programme des loges ?
Revenons à la perspective catholique traditionnelle. Que dit-elle, cette fois, de la conduite sur terre ? Pour obtenir le Ciel, les chrétiens ont des devoirs envers Dieu, d’abord ; envers les autres, ensuite : à savoir leurs concitoyens et, dans une moindre mesure, tous les hommes. Selon le catholicisme, les êtres humains sont lointains cousins car ils descendent tous du même ancêtre, Adam ; mais ils ne sont pas pour autant frères. Pour que ces cousins vivent sur une unique planète, il faut sur le plan naturel observer la justice entre personnes et entre États. La seule fraternité dépassant les nations est l’appartenance à l’Église (qui nous fait enfants de Dieu). Mais ce serait une illusion de croire que le Saint-Esprit réunira un jour tous les hommes, c’est-à-dire que tout le globe sera un jour catholique. Dans le même ordre d’idées, aucun humanisme n’est solvable dans le christianisme, car tout humanisme véritable signifie une démesure dans la grandeur et la place attribuées à l’homme. Enfin, la paix est souhaitable, mais la guerre parfois juste.
La perspective maçonnique sur la conduite humaine est autre : pour parvenir à la fraternité universelle, il faut observer une morale qui nous engage à l’égard des autres hommes seulement ; du culte divin il n’est pas question (le « Grand Architecte » mentionné dans certaines loges est non une personne mais une idée lointaine, interprétable à la guise de chacun). Cette morale peut d’ailleurs s’adapter à l’évolution des mentalités. Il est souhaitable que les hommes ne se replient pas sur leurs frontières, mettent entre parenthèses leurs différences de nationalités, pratiquent le respect mutuel, l’entente, la philanthropie et la solidarité. L’humanisme et la paix universelle sont au coeur du projet. L’encouragement à l’accueil des immigrés, au mondialisme et la stigmatisation du patriotisme sont des lieux communs de la franc-maçonnerie. Or n’est-on pas obligé de constater qu’une bonne part du clergé conciliaire a fait sienne cette façon de voir ? S’occuper de Dieu relève moins d’un devoir que d’un besoin ; le chrétien se résume dans son rapport d’amour au prochain ; l’amour est au fond son unique obligation. « Plus que quiconque, nous avons le culte de l’homme », s’est écrié le pape Paul VI, fondant l’humanisme néomoderniste dont Vatican II est le concentré doctrinal. Il a lancé aussi : « Plus jamais la guerre ! », appel repris par Jean-Paul II et François.
Une partie notable des prêtres et des évêques, et le pape aujourd’hui, discourent d’immigration et de patriotisme comme les socialistes et les internationalistes. Jean Raspail, dans Le camp des saints, dénonçait l’attitude d’un clergé gauchisant, focalisé sur l’accueil de l’étranger, qui permet à un million d’Indiens affamés, arrivés sur des navires, d’être reçus avec le sourire. Ils pillent alors notre sol sans pitié, le clergé devenant coresponsable de l’effondrement apocalyptique de l’Occident chrétien. Il n’est pas exclu que la fiction de ce roman devienne un jour réalité – Dieu nous en préserve –, tant il est vrai que la religion revisitée par le libéralisme, et la philosophie réinventée par la maçonnerie mènent, si on n’y met pas obstacle, l’Église et l’humanité au chaos que toute idéologie finit un jour par produire.
TOLÉRANCE ET DIALOGUE
Un troisième aspect du catholicisme est celui du rapport entre les religions. Le christianisme repose sur la Révélation de mystères. À sa racine se trouve le dogme, vérité à laquelle une certitude est attachée en raison de la parole divine et de l’infaillibilité de l’Église. Le dogme
est par conséquent une lumière pour la raison et un trésor pour l’humanité. S’y soumettre requiert l’humilité de coeur.
La vérité doit être répandue par l’apostolat pour que l’Église croisse. Or la prédication apostolique de la vérité ne peut taire la différence entre les doctrines religieuses. La rivalité entre religions pour conquérir les âmes devient parfois conflit. Certes, le dialogue entre catholiques et adeptes de fausses religions est possible, voire souhaitable et a été pratiqué par les missionnaires, mais pas dans les conditions dans lesquelles on le conçoit aujourd’hui. Car on y introduit une ouverture d’esprit qui signifie une estime pour le faux. Quant à la tolérance, par l’État, de l’erreur en matière religieuse, elle est toujours un pis-aller politique, car il est en soi préférable d’éradiquer le mal plutôt que de le laisser se maintenir, même si, concrètement, cette tolérance peut parfois s’imposer en prudence.
L’idée maçonnique du rapport entre les religions diffère tout à fait de cette approche. Les loges ne conçoivent leur quête de l’unité du genre humain qu’à travers des comportements aux antipodes de ce qu’on vient de décrire : oubli des différences de croyance et de conviction, abandon des préjugés, méfiance à l’égard des dogmes. « La franc-maçonnerie n’est pas une religion et n’a pas de doctrine, mais elle est plutôt une méthode de type relativiste, qui exclut l’acceptation a priori de vérités absolues et de dogmes » martèle Gianni Benelli, de la loge « La Pigneta » de Ravenne (2). Semblablement la maçonnerie invite à la tolérance mutuelle au nom de la liberté de conscience, au dialogue et à l’ouverture d’esprit. Les hommes se rassembleront autour d’un idéal fédérateur et syncrétiste à condition de relativiser leurs désaccords. La laïcité est en particulier un impératif politique absolu.
On comprend pourquoi, du coup, lorsque Jean XXIII et surtout Paul VI ont initié le mouvement oecuménique et le dialogue interreligieux, les maçons ont applaudi. « Foin des dogmes, s’exclamaient les « nouveaux prêtres » (expression de Michel de Saint-Pierre ; heureusement le dogme fait doucement son retour parmi eux). Réconcilions l’Église avec la liberté pour que les hommes se réconcilient avec l’Église ! Et sachons apprécier ce qu’il y a de vrai et de bon dans les autres religions, à travers un dialogue doctrinal et spirituel dans lequel nous cultiverons l’ouverture d’esprit. N’est-ce pas nécessaire pour collaborer à l’instauration d’un monde meilleur ? Aussi devons-nous renoncer à l’idée médiévale d’un État chrétien, nous prononcer pour une saine laïcité et promouvoir la liberté religieuse. » Il faut se rendre à l’évidence : dans le domaine du rapport aux autres confessions, la religion conciliaire tient un langage très semblable à celui de la franc-maçonnerie.
ASSERVIR LES RELIGIONS
Toutes les ressemblances que nous avons manifestées sont incongrues car, historiquement, la franc-maçonnerie a rarement été l’amie des religions. C’est certain en tout cas pour la vraie ; comme le jugeait Léon XIII dans Humanum Genus, les francs-maçons sont les ennemis du catholicisme car ils ont entrepris « de ruiner la sainte Église » ; leur association est « criminelle, non moins pernicieuse aux intérêts du christianisme qu’à ceux de la société civile ». C’est vrai aussi d’autres confessions. L’islam est hostile à la maçonnerie, qui du reste est née chez les infidèles. Si la maçonnerie moderne a été fondée par des protestants et s’est entendue parfois avec eux pour lutter contre l’Église (pensons à la Troisième République en France), certains réformés l’exècrent. L’orthodoxie offre de son côté un visage contrasté : ici, une condamnation des loges, là, une collusion (le patriarche de Constantinople Athénagoras Ier était certainement initié). Seul le judaïsme, si l’on en excepte les hassidim, ne fait pas avec la franc-maçonnerie un trop mauvais ménage…
Ce qui rend cette institution haïssable aux simples gens, c’est en particulier le secret qu’elle entretient. La maçonnerie n’est pas au sens propre une société secrète, puisqu’on sait qu’elle existe ; mais elle est pleine de secrets : secrets de l’appartenance, des échanges, de ces initiations rituelles qui ouvrent un monde de symboles singeant la religion. Or, du fait de cet ésotérisme, l’Église ne peut juger l’enseignement maçonnique à la lumière de la foi et donc protéger le chrétien du péril. Notre-Seigneur n’a-t-il pas dit : « Ce que je vous dis dans les ténèbres, dites-le en plein jour ; et ce qui vous est dit à l’oreille, prêchez-le sur les toits » (Mt 10, 27) ? « S’ils ne faisaient pas le mal, ils ne haïraient pas ainsi la lumière », se dit le pape Clément XII en condamnant, en 1738, la Veuve par la constitution In Eminenti. La franc-maçonnerie ne peut pas prétendre cousiner avec le christianisme sous le prétexte qu’elle recherche, comme lui, le progrès intérieur de la personne. En effet, le progrès auquel elle convie est une contrefaçon suspecte de la sainteté, ne seraitce que parce qu’il se veut mystérieux et inaccessible.
Les condamnations de la franc-maçonnerie par les papes d’antan sont une bénédiction, l’un des moyens les plus efficaces de préserver l’Église de l’infiltration dans ses rangs. Il est heureux que, récemment, les évêques du Togo et ceux de Côte d’Ivoire aient rappelé de saines vérités sur le sujet et que l’on ait logiquement refusé, aux Philippines, la sépulture ecclésiastique à un « Frère ». Mais comment expliquer que la Conférence épiscopale de France ait participé, en 1985, à un Appel commun à la fraternité aux côtés de six loges, si ce n’est en recourant au fait avéré de l’infiltration des idées maçonniques dans la hiérarchie ecclésiastique ?
Un grand dignitaire des loges américaines, Albert Pike, déclarait – on nous pardonnera de citer ces blasphèmes : « C’est à vous, Grands inspecteurs généraux, que nous disons ce qui suit, afin que vous puissiez le répéter aux Frères des 32e, 31e et 30e degrés : la religion maçonnique devrait être maintenue dans la pureté de la doctrine luciférienne par nous qui sommes tous initiés aux plus hauts degrés. Oui, Lucifer est Dieu, et malheureusement, Adonaï est aussi Dieu. (…) Lucifer, le Dieu de Lumière et le Dieu de Bonté, est pour l’humanité contre Adonaï, le Dieu des Ténèbres et du Mal (3). » Et si l’enjeu avoué de l’infiltration de la francmaçonnerie dans la hiérarchie de l’Église était le dessein que poursuit Pike : aider la lutte de Lucifer contre Dieu ? Dans ce cas, le concile Vatican II, qui a opté, sans le savoir sans doute, pour une certaine familiarité idéologique avec la Secte, exhale une odeur qui, vraiment, ne descend pas de la Jérusalem céleste.
Abbé Philippe Toulza, prêtre de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X Sources : Fideliter n° 239 de septembre-octobre 2017 – La Porte Latine du 14 novembre 2017
Notes
(1) – Cité par Ivan Nanni, http://www.ritosimbolico.it (2) – Giacinto Butindario, La Massoneria Smascherata,p. 2