Histoire de la messe interdite (8)
publié dans un disciple le 11 décembre 2017
Histoire de la messe interdite (9)
Livre 2
Le Novus Ordo Missae
Chapitre 5
Le problème des traductions françaises du Nouvel Ordo Missae (NOM)
Ce n’est pas seulement le nouveau missel de 1969, en lui-même, qui est équivoque et déficient, dangereux pour la pureté de la foi. Ce sont les traductions françaises qui le sont aussi et même gravement. Nous allons le démontrer en utilisant la pensée du Chanoine Michel Dangoisse, chanoine de la cathédrale de Namurs (Belgique). Ce sera la section 1 de ce chapitre capital. Et nous compléterons cet exposé en citant l’opinion de quelques personnalités ecclésiastiques et laïques de premier plan confirmant notre critique. Ce sera la section 2.
Section I : les traductions françaises du Missel Romain. Fidélités et déficiences
« Traduttore, traditore » : on connaît le proverbe. La question est depuis longtemps posée à propos des traductions en français des textes latins du Missel romain. Cela remonte au moins aux environs de 1970. Comme on comprend la réflexion déjà ancienne du cardinal Decourtray, alors archevêque de Lyon et Primat des Gaules, affirmant qu’après 25 ans il serait temps de revoir ces traductions ! Mais par exemple on n’a pas encore osé toucher à certaines traductions regrettables du Credo ou du Pater(1).
Pratiquement rien n’a bougé, sauf quelques retouches insignifiantes. D’où cette étude
Nous voudrions ici réfléchir sur cette grave question. Ces lignes ne doivent pas jeter le trouble chez les fidèles, ni entretenir une sorte de nostalgie, ni laisser croire que l’on mettrait en doute la « validité » de ce que certains appellent « la nouvelle messe ». Ce ne sont pas ergoteries de philologue, mais prise de conscience des enjeux, car lex orandi, lex credendi, c’est-à-dire que les formules de la prière liturgique ont un rapport direct et étroit avec la foi.
….Dans les réflexions fragmentaires et forcément incomplètes, qui vont suivre, nous tâcherons de montrer les faiblesses – parfois à la limite de l’hérésie –des traductions françaises de l’actuel Ordinaire de la messe. Enfin nous étudierons les quatre grandes Prières eucharistiques (ou Canons). (Je ne garderai que sa critique du Canon Ier.
Nous faisons ce travail d’autant plus volontiers que nous possédons un fascicule donnant l’Ordinaire de la messe en 8 langues : latin, français, portugais, anglais, italien, espagnol, allemand, néerlandais (2). Et surtout nous avons hérité des notes si méticuleuses et si pertinentes de ce grand liturgiste, trop méconnu que fut le regretté chanoine André Rose, naguère Doyen du Chapitre cathédral de Namur. Il avait osé émettre des critiques, ce qui lui a valu quelques ennuis célèbres… Nous nous inspirons également des travaux de Bernard Botte, o.s.b. et Christine Mohrmann (3). Nous nous appuyons sur le texte latin officiel (4).
Les commentaires ne porteront évidemment que sur certains termes mis en italiques, les autres étant sans grande gravité. Notre étude se contente de donner d’abord quelques extraits caractéristiques du texte latin authentique, puis une traduction française la plus fidèle possible et enfin la traduction officielle figurant dans nos missels actuels. Il suffira de comparer attentivement ces trois textes, surtout les termes en italiques, pour saisir immédiatement les déviations, les erreurs, parfois mineures, parfois graves, et les fréquentes omissions. Les points de suspension signifient qu’on a laissé de côté certains mots ou phrases qui ne posent guère de problème.
2 Editions du Chalet, Missa, Ordinaire de la Messe en huit langues, Paris, 1984, 48 pages.
3 BOTTE, B. et MOHRMANN Ch., L’Ordinaire de la Messe. Texte critique, traductions et études, Cerf, Paris et Abbaye du Mont César, Louvain, 1953. Ils suivent évidemment l’ancien Canon romain d’avant la réforme, mais ce texte latin n’a subi que de légères modifications.
4 D’après l’Editio iuxta typicam alteram, 1977, Libreria editrice Vaticana.
§-1 Les principes d’un traduction liturgique
Il faut se souvenir que Rome a donné une instruction appelée Liturgiam authenticam le 25 avril 2001 pour la correcte application de la Constitution Sacro Sanctum Concilium sur la sainte liturgie. On y demande On y demande une grande fidélité à l’editio typica de l’original latin des textes liturgiques. On ne peut composer de traductions qu’à partir du latin et non sur la base d’autres traductions. On s’inspirera de la Néo-Vulgate latine comme instrument dans la préparation des traductions liturgiques.
Or voici que la Congrégation pour le Culte divin et la Discipline des Sacrements a publié, approuvée par le Saint-Père et en vigueur depuis le 25 avril 2001, une « Cinquième Instruction pour la correcte application de la Constitution Sacrosanctum concilium sur la Sainte Liturgie » (10) : elle est intitulée Liturgiam authenticam. On y demande une grande fidélité à l’editio typica de l’original latin des textes liturgiques. On ne peut composer de traductions qu’à partir du latin et non sur la base d’autres traductions. On s’inspirera de la Néo-Vulgate latine comme instrument dans la préparation des traductions liturgiques.
A ce seul titre, on constate que les traductions françaises doivent être profondément remaniées
§-2 : L’ordinaire de la messe.
Nous nous limiterons ici aux déficiences plus ou moins graves dans la traduction de l’Ordinaire français de la Messe. On comparera soigneusement les mots soulignés dans les textes 2 et 3 et les mots omis dans le texte 3 : c’est révélateur…
Préparation pénitentielle
1)Latin :
Fratres, agnoscamus peccata nostra, ut apti simus ad sacra mysteria celebranda.
2)Traduction :
Frères, reconnaissons nos péchés, pour que nous soyons aptes à célébrer les saints Mystères.
3)Missel français :
Préparons-nous à la célébration de l’Eucharistie en reconnaissant que nous sommes pécheurs.
Pourquoi cette allergie au terme « Mystères » ? De plus chacun sait fort bien qu’il est pécheur : on nous demande de reconnaître « nos péchés » concrets !
Confiteor
Latin :
Confiteor Deo omnipotenti et vobis, fratres, quia peccavi nimis cogitatione, verbo, opere et omissione : mea culpa, mea culpa, mea maxima culpa. Ideo precor beatam Mariam semper Virginem, omnes Angelos et Sanctos, et vos, fratres, orare pro me ad Dominum Deum nostrum.
Traduction :
Je confesse à Dieu tout puissant, et à vous, mes frères, que je n’ai que trop péché, par pensée, parole, action et omission : c’est ma faute, c’est ma faute, c’est ma très grande faute. C’est pourquoi je supplie la bienheureuse Marie toujours Vierge, les anges et tous les saints, et vous aussi, mes frères, de prier pour moi le Seigneur notre Dieu.
Missel français :
Je confesse à Dieu tout-puissant, je reconnais devant mes frères, que j’ai péché, en pensée, en parole, par action et par omission; oui, j’ai vraiment péché; c’est pourquoi je supplie la Vierge Marie, les anges et tous les saints, et vous aussi, mes frères, de prier pour moi le Seigneur notre Dieu.
Notons que « reconnaître devant » n’est pas la même chose que « confesser à ». « J’ai vraiment péché » est loin de rendre l’humble répétition du triple « mea culpa… mea maxima culpa » (présente dans toutes les traductions, sauf l’anglaise). Plus grave : Marie n’est plus « bienheureuse » et surtout elle n’est plus nécessairement « toujours » Vierge, contrairement à la foi de l’Église (« Vierge avant, pendant et après la naissance du Christ »); cette foi est manifestée par exemple sur le manteau de Marie par les trois étoiles des icônes orientales. Ce rappel de « toujours Vierge » se retrouve pourtant fidèlement dans les traductions anglaise, italienne, espagnole et néerlandaise. On ne nous fera pas croire que c’est un simple oubli : curieuse théologie qui se cache sous ces mots ou omissions.
Gloria
Latin :
Qui tollis peccata mundi…
Traduction :
Toi qui enlèves les péchés du monde…
Missel français :
Toi qui enlèves le péché du monde…
Pourquoi « le péché du monde » et non « les péchés… ». Danger, notait Jean-Paul II, de gonfler « le péché collectif », qui n’existe que parce que nous commettons des péchés. Fausse déculpabilisation. Il est d’ailleurs symptomatique que, lorsque des musiciens composent un Gloria, parfois trafiqué d’ailleurs, c’est souvent ces phrases où sont mentionnés les péchés qui disparaissent… comme par instinct. Ou bien on les remplace par « nos fautes », « nos misères », « nos faiblesses » : ce n’est pas la même chose. Le terme « péché » serait-il devenu un « tabou » ?
Evangile
Latin :
Lectio sancti evangelii secundum…
Traduction :
Lecture du saint évangile selon…
Missel français :
Evangile de Jésus–Christ selon…
Credo
Les mises au point supposeraient tout un long travail. Signalons au moins le fameux consubstantialem. « De même nature que le Père » est « simplement inadmissible…, écrit Jacques Maritain. Sous prétexte que le mot ‘substance’, et, a fortiori, le mot ‘consubstantiel’ sont devenus impossibles aujourd’hui, la traduction française de la messe met dans la bouche des fidèles, au Credo, une formule qui est erronée de soi, et même à strictement parler, hérétique… Pour refuser un seul ‘iota’ (homoiousios), on a su en ce temps-là [au Concile de Nicée] souffrir la persécution et la mort…. Tant pis si les chrétiens qui récitent aujourd’hui le Credo français usent de mots dont, qu’ils le sachent ou non, la résonance est arienne. L’essentiel est que, fût-ce dans un énoncé sur les Personnes de la Trinité, on les dispense d’employer un mot qui n’est pas du langage courant ». Selon ce philosophe, les Anglais n’ont pas éprouvé de scrupule à employer le mot consubstantial (13).
Etienne Gilson, lui aussi, dans un article intitulé « Suis-je schismatique ? »(14), écrivait : « Ayant toujours chanté en latin que le Fils est consubstantiel au Père, il me semblait curieux que cette consubstantialité se fût ainsi changée en une simple connaturalité.
13 Revue 30 jours, n° 5, mai 1992, p. 32.
14 France Catholique, 2 juillet 1965.
Nos prêtres ne semblent pas d’ailleurs avoir été informés de l’événement ». Mais dans certains cas il n’est même plus question de traductions : ce sont des pièces entièrement préfabriquées et parfois du plus mauvais goût.
Exemples authentiques pour le triste amusement du lecteur… Un Credo de type écologique à une profession de foi en 1977 : « Je crois aux forces de la nature qui font renaître les saisons. Je crois à la vie, car elle est dure, mais belle. Je crois au progrès et à la science pour le bien des hommes… Je crois en mes possibilités et aux possibilités des autres, parce que tout le monde est capable de quelque chose… Je crois en l’équipe de catéchèse… Je crois en Jésus, notre guide… Je crois en l’Esprit de Jésus qui vit toujours parmi nous », etc. « Je veux croire que tout n’est pas fini avec la mort, mais que la vie continue autrement ». Et la maternité virginale de Marie ? Et l’Eglise ? Et la résurrection des morts et la vie du monde à venir ? Pauvres enfants !
Le pire, ce sont les Credo négatifs : « Je ne crois pas en un Dieu qui ne se laisserait pas tutoyer, en un Dieu qui se construirait le monopole d’une race, d’une caste, d’une culture ».
Bon : on a compris.
—————————————–
Jean Madiran, dans un récent article de Présent revenait sur ce triste « de même nature » sous le tire : On s’est bien moqué de nous sur le « consubstantiel » publié dans nouvelles de chrétienté le 6 mars 2010
Dans le numéro 7045 de vendredi 5 mars 2010 , on lit :
Depuis plus de quarante ans, les catholiques qui le dimanche vont à la messe en français n’y ont jamais entendu le mot « consubstantiel » ; ils risquent de complètement ignorer le drame, toujours en cours, de son remplacement par l’expression : « de même nature ». C’est à leur intention que nous rappelons cet exemple tellement significatif de l’abdication catholique devant les exigences abusives de la modernité.
La messe célébrée en français, on l’a sans doute oublié, est antérieure à la promulgation par Paul VI, en 1969, d’une messe nouvelle. Les premières réclamations et protestations contre la suppression du « consubstantiel au Père », remplacé dans le Credo en français par un insuffisant « de même nature que le Père », sont en effet de l’année 1967.
« De même nature » n’est pas en soi une expression hérétique ; c’est une expression qui ne dit rien : un fils est évidemment de même nature que son père. Mais inscrire « de même nature » à la place de «consubstantiel » manifeste, au moins en apparence, une intention hérétique ; et en fait, c’est supprimer une affirmation que les trois Personnes divines ne sont qu’un seul Dieu.
On n’a connu alors en langue française aucune désapprobation publique énoncée par une notabilité ecclésiastique, à la seule exception du (futur) cardinal Journet qui, le 1er avril 1967, écrivait dans L’Echo des paroisses vaudoises et neuchâteloises : « A une époque où, de l’aveu de tous les chrétiens sérieux, protestants et catholiques, la démythologisation fait courir au christianisme l’un de ses plus grands dangers, où le dogme de la divinité du Christ est comme mis entre parenthèses, où l’on renonce, à la suite de Bultmann, à parler de “Jésus- Dieu” pour parler du “Dieu de Jésus”, on peut regretter que le mot béni de “consubstantiel” n’ait pas été retenu par les traducteurs du Credo. On peut espérer que la version “de même nature”, qui ne va pas à dissiper les équivoques, n’est que provisoire. » Ce supposé « provisoire » est toujours installé, quarante-trois ans plus tard, dans la messe en français comme dans la traduction française du Catéchisme de l’Eglise catholique (1992 et 1998) et de son Compendium (2005).
La première réclamation publique fut en 1967 celle d’une pétition de laïcs. Elle eut pour premiers signataires, leurs noms méritent d’être rappelés, Louis Salleron, Henri Massis, Gustave Thibon, François Mauriac, Roland Mousnier, Jacques de Bourbon- Busset, Pierre de Font-Réaulx, Stanislas Fumet, Maurice Vaussard, Daniel Villey.
Le cardinal Lefebvre, président et tête doctrinale supposée de l’assemblée plénière de l’épiscopat français, y répondit le 27 juillet 1967 que cette pétition « ressemblait trop à une défiance à l’égard de la rectitude doctrinale de la hiérarchie », et que celle-ci ne veut pas avoir « l’air de céder à une pression ». Le Cardinal était partisan de « ne dramatiser en aucune façon une question qui, à l’heure actuelle, a bien perdu de son importance » (sic !). Toutefois « on
envisage de donner au consubstantiel, dans une nouvelle édition, une traduction qui ne laisse place à aucune équivoque », « on va chercher pour une nouvelle édition une traduction plus précise ». Il y a eu en effet plusieurs « éditions nouvelles », notamment du « Missel des Dimanches » qui est réédité chaque année. Mais aucune correction du « de même nature ». Quarante-trois ans plus tard, l’épiscopat français est toujours en recherche d’« une traduction plus précise », qui « ne laisse place à aucune équivoque ». Il n’a pas encore trouvé. Il n’a pas trouvé que la traduction plus précise et sans équivoque du latin « consubstantialem » estjustement, tout simplement, le mot français « consubstantiel », maintenu hors la loi dans l’Eglise de France depuis quarante-quatre ans.
Au jugement plus haut cité du (futur) cardinal Journet, on ajoutera utilement la consultation des deux classiques qui font référence sur la question : Etienne Gilson, aux pages 120 à 130 de son ouvrage : La société de masse et sa culture (Vrin 1967) ; et Louis Salleron, aux pages 22 à 29 de son ouvrage : La nouvelle messe (Nouvelles Editions Latines 1970, seconde édition 1976).
JEAN MADIRAN
———————————————–
Offertoire : l’eau, le vin et les prières qui suivent (15)
15 Depuis l’offertoire jusqu’à la communion, le nouveau rituel prévoit que le prêtre fait face à l’assemblée. Contrairement à ce qu’on pense souvent, Vatican II n’a jamais proposé ce changement d’attitude : c’est une décision prise après coup. Beaucoup la trouvent regrettable, car à ce moment le prêtre parle à Dieu et non à l’assemblée : ils devraient être tournés ensemble dans la même direction, c’est-à-dire face à Dieu et à la Croix du chœur.
Latin :
Benedictus es, Domine, Deus universi, quia de tua largitate accepimus panem, … ex quo nobis fiet panis vitae… Benedictus es, Domine, Deus universi, quia de tua largitate accepimus vinum, … ex quo nobis fiet potus spiritalis.
Traduction :
Tu es béni, Seigneur, Dieu de l’univers, car c’est de tes largesses que nous avons reçu ce pain… : il deviendra pour nous le pain de la vie… Tu es béni, Seigneur Dieu de l’univers, car c’est de tes largesses que nous avons reçu ce vin … qui deviendra pour nous laboisson spirituelle. éternelle.
Missel français :
Tu es béni, Dieu de ’univers, toi qui nous donnes ce pain… : il deviendra le pain de la vie… Tu es béni, Dieu de l’univers, toi qui nous donnes ce vin,…: il deviendra le vin du Royaume
Même s’il était difficile de traduire en français potus spiritualis, « le vin du Royaume » est-il assez clairement conforme à la doctrine catholique de la transsubstantiation ? Et pourquoi avoir supprimé le « pour nous » ?
Latin :
Per huius aquae et vini mysterium, eius efficiamur divinitatis consortes qui humanitatis nostrae fieri dignatus est particeps.
Traduction :
Par le mystère de cette eau et du vin, puissions-nous être associés à la
divinité de celui qui a daigné participer à notre humanité.
Missel français :
Comme cette eau se mêle au vin pour le sacrement de l’Alliance, puissions-nous être unis à la divinité de celui qui a pris notre humanité.
Comment le mélange peut-il être l’équivalent du « mysterium » latin ? Et pourquoi escamoter « qu’il a daigné », comme si on avait peur de l’extrême condescendance de l’Incarnation ?
Latin :
In spiritu humilitatis et in animo contrito suscipiamur a te, Domine; et sic fiat sacrificium nostrum in conspectu tuo hodie ut placeat tibi, Domine Deus.
Traduction :
L’esprit humilié et le cœur brisé, puissions-nous être accueillis par toi,
Seigneur, et que notre sacrifice se déroule aujourd’hui devant Toi de manière à Te plaire, Seigneur Dieu.
Missel français :
Humbles et pauvres, nous te supplions, Seigneur, accueille– nous : que notre sacrifice en ce jour trouve grâce devant toi.
« Esprit humilié » et « cœur brisé » sont une citation des psaumes, qui disparaît ainsi. Rien à voir entre l’humilité et l’esprit humilié, ni entre la pauvreté et le cœur brisé (« contrition »).
L’« orate, fratres »
Latin :
Orate, fratres, ut meum ac vestrum sacrificium acceptabile fiat apud Deum Patrem omnipotentem.
R/ Suscipiat Dominus sacrificium de manibus tuis ad laudem et gloriam nominis sui, ad utilitatem quoque nostram totiusque Ecclesiae suae sanctae..
Traduction :
Priez, mes frères, afin que mon sacrifice, qui est aussi le vôtre, puisse être agréé par Dieu le Père tout–puissant.
R/ Que le Seigneur reçoive de vos mains le sacrifice, à la louange et à la gloire de son nom, ainsi que pour notre bien et celui de sa sainte Église tout entière.
Missel français :
Prions ensemble, au moment d’offrir le sacrifice de toute l’Église.
R/ Pour la gloire de Dieu et le salut du monde.
Voilà une « traduction » lamentable. Ce n’est plus une traduction, mais une paraphrase. « Priez » devient « prions », alors que c’est le célébrant qui invite l’assemblée à la prière. En fait, dans tout ce salmigondi, on sent qu’on veut gommer le plus possible la distinction – claire en latin – entre le sacerdoce ministériel (« mon sacrifice »… « que le Seigneur reçoive de vos mains ») et le sacerdoce commun des fidèles baptisés, lequel est cependant sur un plan différent (« qui est aussi le vôtre »). « Le texte français peut amener les fidèles à penser que le prêtre n’est plus qu’un délégué de l’assemblée, présidant la Sainte Cène à la manière d’un pasteur protestant » (Père J. Renié)(16) : ceci est accentué par le « Prions ensemble… ». Rien sur la louange de Dieu, rien sur le bien que les fidèles vont en retirer, rien sur « la sainte Église tout entière » (caractère universel) remplacée par « le salut du monde entier » (même si cette dernière dimension ne peut être absente évidemment). Toutes les autres traductions (portugaise, anglaise, italienne, espagnole, allemande et néerlandaise) ont bien traduit
selon la formule longue. Il est piquant d’entendre – nous en avons
16 RENIÉ J., s.m., Missale Romanum et Missel romain. Etude critique des traductions
françaises du Missel et du Lectionnaire, éd. du Cerf, Paris, 1975, 111 pp.
été témoin – dans une messe internationale, où chacun répond dans sa langue, les francophones terminer en un clin d’œil, tandis que les autres poursuivent lentement avec la véritable traduction !
Consécration
A propos de toutes les formules de consécration, on constatera que dans le missel français on a mis une minuscule au « corps » et au « sang » du Christ (contrairement au texte latin)… La consécration proprement dite est la même dans les quatre Prières et est correcte, sauf que, pour le Corps, « tradetur » ( « qui sera livré » ) est rendu simplement au présent par « livré ». De même pour le sang : « effundetur » ( « qui sera versé » ). Ces futurs doivent être maintenus, quand on sait que c’est grâce à l’Eucharistie, sacrifice anticipé, que les apôtres n’auront vraiment saisi le sens de la Passion que le lendemain. Par contre « Hoc facite in meam commemorationem » est seulement rendu par le futur « Vous ferez cela en mémoire de moi », alors que c’est bel et bien un ordre que le Christ a donné à son Eglise, et non simplement une invitation : celle–ci y est restée fidèle depuis 2000 ans. Nous regrettons aussi la disparition du « enim corpus meum » ? Ce « en effet » souligne fortement pourquoi il faut « manger » le pain consacré.
Anamnèse
Latin :
Mysterium fidei : Mortem tuam annuntiamus, Domine, et tuam resurrectionem
confitemur, donec venias.
(ou)
Quotiescumque manducamus panem hunc et calicem bibimus, mortem tuam annuntiamus, Domine, donec venias.
Traduction :
[Voici] le mystère de la Foi : nous annonçons ta mort, Seigneur, et nous proclamons ta résurrection, jusqu’à ce que tu reviennes.
(ou)
Chaque fois que nous mangeons ce pain et buvons à ce calice, nous annonçons ta mort, Seigneur, jusqu’à ce que tu reviennes.
Missel français :
Il est grand le mystère de la Foi : nous proclamons ta mort, Seigneur Jésus, nous
célébrons ta résurrection, nous attendons ta venue dans la gloire.
(ou)
Quand nous mangeons ce pain et buvons à cette coupe, nous célébrons le mystère de la Foi. Nous rappelons ta mort, Seigneur
(ou)
Salvator mundi, salva nos, qui per crucem et resurrectionem tuam liberasti nos.
(ou)
Sauveur du monde, sauve–nous, toi qui par ta Croix et ta Résurrection nous as
libérés. ressuscités, et nous attendons que tu viennes.
(ou)
Gloire à toi qui étais mort, gloire à toi qui es vivant, notre Sauveur et notre Dieu :Viens, Seigneur Jésus.
La première anamnèse est inspirée de l’anaphore de saint Jacques. Mais pourquoi cette interversion, dans la première invocation, « proclamer ta mort » au lieu de l’ « annoncer » (I Co 11, 26 : « Nous annonçons la mort du Seigneur, jusqu’à ce qu’il revienne ») ? Quant à la troisième, c’est une pieuse invention, car il ne reste presque rien du texte latin. D’ailleurs nous ne nous contentons plus de rappeler sa mort, comme un fait anecdotique du passé. On semble redouter « la croix » et « la résurrection », et on ajoute une allusion eschatologique qui n’est pas dans ce texte.
Enfin, le « Gloire à toi » est bien pâle à côté du beau jeu de mots « Sauveur… sauve-nous ». Où est passée aussi la « libération » que le Christ nous a apportée par sa Résurrection ?
Signalons en outre que contrairement à quelques compositions musicales, l’anamnèse n’est pas une affirmation, mais une prière au Christ présent sur l’autel.
Pater
Latin :
Praeceptis salutaribus moniti, et divina institutione formati, audemus dicere : Pater noster… et ne nos inducas in tentationem.
Traduction :
Eclairés par le commandement du Sauveur et formés par l’enseignement d’un Dieu, nous osons dire : Notre Père… et ne nous laisse pas entrer en tentation.
Missel français :
Comme nous l’avons appris du Sauveur, et selon son commandement, nous
osons dire : Notre Père… et ne nous soumets pas à la tentation.
Ne craignons pas de dire que le Sauveur nous a « éclairés » pour prier ainsi, qu’il nous en a donné l’ordre; et que nous avons été « formés » par son enseignement, dont on ne précise plus qu’il est celui de Dieu… Nous ne nous attarderons pas sur le regrettable « et ne nous soumets pas à la tentation », si mal compris. Saint Jacques écrit (I, 12-13) : « Que nul s’il est tenté ne dise : c’est Dieu qui me tente. Dieu ne tente personne, mais chacun est tenté par sa propre convoitise qui l’attire et le leurre. Puis la convoitise ayant conçu donne naissance au péché, et le péché, parvenu à son terme, enfante la mort ». Origène le confirme : « il répugne de supposer que Dieu induise quiconque en tentation. Combien n’est-il pas absurde de supposer que Dieu bon, qui ne peut porter de mauvais fruits, expose quelqu’un au mal ! ». L’abbé Carmignac proposait : « et fais que nous n’entrions pas dans la tentation », ou, mieux encore, « et garde nous d’entrer dans la tentation » (cette traduction comporte le même nombre de syllabes et on peut facilement la transposer sur le chant français du Pater).
A titre d’exemple, citons un projet de traduction philologiquement fidèle du Pater, rédigé par Mgr Léonard, évêque de Namur : « Notre Père des cieux, que, sur la terre comme au ciel, ton Nom soit glorifié. Ton règne arrive, ta Volonté soit faite. Donne-nous aujourd’hui notre pain jusqu’à demain; acquitte-nous de nos dettes, comme nous aussi avons acquitté nos débiteurs; garde-nous aussi de succomber à la tentation, mais tiens-nous plutôt à l’écart du Malin ».
Embolisme du Pater
Latin :
Libera nos, quaesumus Domine, ab omnibus malis… et a peccato simus semper liberi et ab omni perturbatione securi, exspectantes beatam spem et adventum Salvatoris nostri Iesu
Christi.
Traduction :
Délivre–nous, nous t’en prions Seigneur, de tous les maux… que nous soyons à jamais délivrés du péché, et préservés de toute sorte de troubles, puisque nous attendons cette bienheureuse espérance : la venue [dans la gloire] de notre Sauveur Jésus Christ.
Missel français :
Délivre–nous de tout mal, Seigneur… rassure–nous devant les épreuves en cette vie où nous espérons le bonheur que tu promets et l’avènement de Jésus Christ, notre Sauveur.
On demande d’être délivré « de tous les maux » (et pas seulement d’un mal abstrait); on a supprimé le « à jamais »; on a brodé sur les « troubles » devenus « épreuves ». Mais la fin est pleine d’ambiguïté. Quelle est « cette vie où nous espérons… » ? Des confrères, interrogés, n’ont pu me répondre s’il s’agissait de celle-ci ou de l’éternelle. Attendrions–nous le bonheur ici-bas, tout simplement ? Et au lieu de « l’espérance qui nous rend déjà bienheureux » on trouve la platitude d’un « bonheur que tu promets ». Or c’est en célébrant la messe en latin que j’ai un jour découvert tout à coup qu’il s’agissait là d’un superbe passage, bien camouflé, de saint Paul (Tite 2, 13 : 2e lecture de la messe de minuit à Noël). D’où « exspectantes » est un participe à valeur causale : nous n’avons pas peur des « troubles » parce que nous attendons le retour glorieux du Seigneur Jésus Quel est le fidèle qui devinera le caractère eschatologique de cet embolisme ? D’ailleurs certains prêtres le suppriment allègrement, alors que précisément il est fait allusion aux épreuves de cette vie…
Mélange du Corps et du Sang du Seigneur
Latin :
Haec commixtio Corporis et Sanguinis Domini nostri Iesu Christi fiat accipientibus nobis in vitam aeternam.
Traduction :
Que ce mélange du Corps et du Sang de notre Seigneur Jésus Christ que nous allons recevoir nous serve pour la vie éternelle.
Missel français :
Que le Corps et le Sang de Jésus Christ réunis dans cette coupe nourrissent en nous la vie éternelle.
Pourquoi remplacer « nous serve … », par « nourrissent en nous » ? Et pourquoi cette omission sur la Sainte Communion que nous allons recevoir ?
Prière avant la communion
Latin :
… libera me per hoc sacrosanctum Corpus et Sanguinem tuum ab omibus iniquitatitibus meis et universis malis …
Traduction :
… délivre–moi par ton Corps et ton Sang infiniment saints de tous mes péchés et de tous les maux
Missel français :
… que ton Corps et ton Sang me délivrent de mes péchés et de tout mal…
…
Pourquoi donc supprimer ces termes « infiniment saints » qui traduisent si bien le respect dû au Saint Sacrement ?
« Voici l’Agneau de Dieu »
Latin :
Ecce Agnus Dei, ecce qui tollit peccata mundi. Beati qui ad cenam Agni vocati sunt !
R/ Domine, non sum dignus ut intres sub tectum meum, sed tantum dic verbo et sanabitur anima mea.
Traduction :
Voici l’Agneau de Dieu, voici celui qui enlève les péchés du monde. Heureux ceux qui sont invités au festin de l’Agneau !
R/ Seigneur, je ne suis pas digne que tu entres sous mon toit, mais dis seulement une parole et mon âme sera guérie.
Missel français :
Heureux les invités au repas du Seigneur ! Voici l’Agneau de Dieu, qui enlève le péché du monde.
R/ Seigneur, je ne suis pas digne de te recevoir; mais dis seulement une parole et je serai guéri.
On se demande pourquoi, outre la française, d’autres traductions aussi ont voulu intervertir les deux premières phrases. Il faut d’abord montrer l’Agneau de Dieu, puis dire la joie d’être invité au banquet de ses noces (allusion à l’Apocalypse), tandis que « le repas du Seigneur » pourrait n’évoquer qu’un simple repas fraternel d’anniversaire… Et bien sûr, on a banni l’âme (terme proscrit) au profit de « je ».
Rite final
On peut comprendre qu’on ait traduit (sauf en italien) « Ite, missa est » non par « la messe est dite », mais par « Allez dans la paix du Christ »; on pourrait aussi dire : « Allez, le Christ vous envoie », car il s’agit bien d’un envoi en mission. Mais d’où vient cette manie de dire « Allons dans la paix du Christ » ? C’est le prêtre ou le diacre qui donne là un ordre.
§-3 La prière eucharistique 1 (ou le Canon romain)
Outre l’ancien Canon romain adapté, on a proposé sous l’influence entre autres du P. Cipriano Vagaggini trois autres Prières eucharistiques (II, III, IV), rédigées en 1966-67 et promulguées en 1968.
Mais d’abord, s’agissant des Canons en général, nous ne résistons pas au plaisir de citer quelques spécimens de Canons tordus, tronqués ou sciés, entièrement composés par des célébrants qui sentent le besoin d’y épancher leurs états d’âme sur les problèmes sociaux ou politiques du moment. Par exemple un Canon de type écologique assez loufoque : « Le Christ s’est abaissé et soumis au baptême de Jean, humble myosotis… Il est entré à Jérusalem sur un tapis de houx (?)… Et alors que, dans la ville, les chefs du peuple lui préparaient un plat d’amers pissenlits, le Seigneur Jésus… » etc.
Il paraît qu’existait jadis un Canon pour agnostiques commençant par ces mots : « Dieu, si tu existes… ».. J’imagine les rugissements de nos frères orthodoxes devant ces créations ahurissantes, passant pour catholiques!
Après ces inventions stupides, voyons maintenant de plus près quelques prières eucharistiques : nous commencerons par la première, héritière du vénérable Canon de l’Église de Rome. Sa forme latine actuelle remonte, pour l’essentiel à saint Grégoire le Grand (540–604). En réalité elle trouve ses racines dans la vieille prière eucharistique d’Alexandrie qui était en vigueur aux tout premiers siècles. Pensons, par exemple, à la liturgie grecque de saint Marc, dont se servent encore aujourd’hui les Coptes dans un texte appelé « Liturgie de saint Cyrille ». Or il se fait qu’on y retrouve des éléments du rituel de la synagogue ! Rien d’étonnant à cela, car il y avait une forte proportion de Juifs alexandrins à Rome. D’où la double racine de cette vénérable prière, sans doute la plus ancienne, qui a traversé tous les siècles et était la seule utilisée dans le rite latin romain jusqu’en 1969.
Reconnaissons toutefois qu’elle présente quelques faiblesses qui pourraient surprendre. Ainsi elle ne mentionne pas explicitement l’œuvre de l’Esprit Saint avant la consécration (les orthodoxes nous le reprochent), ni le Retour glorieux du Christ, dont parle saint Paul à propos de l’Eucharistie (I Co 11, 26). Mais on peut voir l’équivalent d’une épiclèse dans la prière qui précède immédiatement les paroles consécratoires : « Sanctifie pleinement cette offrande par la puissance de ta bénédiction… qu’elles deviennent pour nous le corps et le sang de ton Fils bien–aimé ».
Nous nous étions imaginé qu’on avait à peine touché au Canon I : nous avons été surpris du contraire… Nos traductions s’inspirent largement (nous l’avons déjà dit) des notes du savant chanoine André Rose et de L’ordinaire de la Messe, texte critique, traduction et études par Bernard Botte, o.s.b. et Christine Mohrmann.
Après le Sanctus
Latin :
Te igitur, clementissime Pater… supplices rogamus ac petimus ut benedicas haec dona, haec munera, haec sancta sacrificia illibata… in primis quae tibi offerimus…una cum famulo tuo Papa nostro N. … et omnibus orthodoxis atque catholicae et apostolicae fidei cultoribus
Traduction :
Père très aimant [ou plein d’indulgence]… nous te supplions humblement et nous te demandons de bénir ces présents, ce sacrifice saint et pur. Tout d’abord nous te les offrons… en communion avec ton serviteur notre Pape N. … et tous ceux qui, fidèles à la vraie doctrine, ont la garde de la foi catholique et apostolique
Missel français :
Père infiniment bon, toi vers qui montent nos louanges, nous te supplions et te demandons… de bénir ces offrandes saintes. Nous te les présentons avant tout…; nous les présentons en même temps pour ton serviteur le Pape N. … et tous ceux qui veillent fidèlement sur la foi catholique reçue des apôtres.
Pure invention que « toi vers qui montent nos louanges ». On ne supplie plus « humblement » et on ne demande même plus. Le « sacrifice » se réduit à une « offrande », qui reste sainte, mais n’est plus « pure » : on dirait qu’on a peur d’employer ces termes. Plus grave : nous ne les présentons pas « en même temps pour », mais « en communion avec » (una cum) le Pape. Comme dans les trois autres canons, le Pape n’est évidemment plus « notre Pape », mais apparemment un évêque parmi d’autres. Quelle raison a poussé les traducteurs à supprimer « notre Pape » ? Voudrait-on en faire simplement l’évêque de Rome, sans plus ? Il est le Pape de toute notre Eglise : seul un catholique emploiera l’adjectif possessif « notre »; un protestant ou un athée dira « le pape ». De plus, l’Église a franchement plus que jamais besoin de pasteurs qui soient eux-mêmes « fidèles à la vraie doctrine », et ne se contentent pas de veiller sur elle.
Memento des vivants
Latin :
Memento, Domine, famulorum famularumque tuarum N. et N…. pro redemptione animarum suarum, pro spe salutis et incolumitatis suae : tibique reddunt vota sua…
Traduction :
Souviens–toi, Seigneur, de tes serviteurs et de tes servantes N. et N… afin d’obtenir la rédemption de leurs âmes, le salut et la sécurité dont ils ont l’espérance; et ils t’adressent leurs prières…
Missel français :
Souviens–toi, Seigneur, de tes serviteurs (de N. et N.)… pour leur propre rédemption, pour le salut qu’ils espèrent; et ils te rendent cet hommage,…
A une époque où le féminisme sévit dans l’Église, quelle surprise de « voir que, dans le memento, on a tout simplement balayé les « servantes » au profit des seuls « serviteurs » ! De plus il est couramment interdit désormais de parler des « âmes » qui auraient besoin de rédemption (dans la messe des défunts, cela devient souvent « notre ami » !). La « sécurité » doctrinale et spirituelle a disparu, peut–être indigne de « l’homme moderne » ?… Les « prières » deviennent simplement un « hommage », etc.
La communion avec les saints
Latin :
Communicantes et memoriam venerantes, in primis gloriosae semper Virginis Mariae … sed et beati Ioseph, eiusdem Virginis Sponsi… et omnium sanctorum tuorum; … ut in omnibus protectionis tuae muniamur auxilio.
Traduction :
Unis dans une même communion, nous vénérons d’abord la mémoire de la glorieuse Marie toujours Vierge, mais aussi de saint Joseph, Epoux de cette même Vierge… et de tous tes saints; …accorde–nous en toute occasion d’être forts grâce au secours de ta protection.
Missel français :
Dans la communion de toute l’Église, nous voulons nommer en premier lieu la bienheureuse Marie toujours Vierge … Saint Joseph, son époux, et tous les saints. Accorde–nous… d’être, toujours et partout, forts de ton secours et de ta protection.
Quelle richesse d’être « unis dans une même communion » par la foi et ces saints mystères ! Reconnaissons toutefois que l’allusion à « la communion de toute l’Église » apparaît assez heureuse. Mais Marie n’est plus glorieuse : simplement bienheureuse. Pour saint Joseph (ajouté par Jean XXIII), on a évité de rappeler qu’il était l’époux « de cette même Vierge » : un seul rappel de la virginité de Marie, ça suffit amplement !
Avant la consécration
Latin :
Hanc igitur oblationem… diesque nostros in tua pace disponas atque ab aeterna damnatione nos eripi.
Traduction :
Voici donc l’offrande que nous te présentons… dispose dans la paix les jours de notre vie; veuille nous arracher à la damnation éternelle.
Missel français :
Voici l’offrande que nous présentons devant toi… assure toi-même la paix de
notre vie, arrache-nous à la damnation…
Dommage qu’on ait omis le « donc » (igitur) qui montre le sacrifice en union avec tous les saints et martyrs. On a soigneusement omis l’allusion à « la damnation éternelle », sujet tabou, auquel pourtant le doux saint François d’Assise ne craignait pas de faire allusion.
Consécration
Latin :
… in sanctas ac venerabiles manus suas… Hoc est enim corpus meum, quod pro vobis tradetur; … Simili modo, postquam cenatum est, accipens et hunc praeclarum calicem in sanctas ac venerabiles manus suas…. Hoc facite in meam commemorationem.
Traduction :
…dans ses mains saintes et vénérables… En effet ceci est mon corps qui sera livré pour vous; … De même, après qu’on eut soupé, il prit aussi ce précieux calice dans ses mains saintes et vénérables… Faites cela en mémoire de moi.
Missel français :
… il prit dans ses mains très saintes… Ceci est mon corps livré pour vous… De même, à la fin du repas, il prit dans ses mains cette coupe incomparable… Vous ferez cela en mémoire de moi.
Une première remarque : les missels d’avant le Concile Vatican II présentaient les deux formules consécratoires en caractères nettement plus grands; dans les nouveaux missels, il n’y a plus aucune différence : pourquoi ? Et on peut regretter la superbe image du Christ en Croix, qui ouvrait le Canon romain à la page de gauche…
Comme il est regrettable que les mains du Christ ne soient plus « saintes et vénérables » (en tout cas dans la consécration du vin), mais « ses mains », tout simplement ! On dirait qu’on a voulu systématiquement gommer toute allusion un peu tendre à l’égard du Verbe incarné. Et ce soûper, c’est la dernière Cène. Pourquoi toujours remplacer le « calice » par « la coupe » ? On risque de suggérer qu’il s’agit simplement d’un « repas » ou d’un simple mémorial, plutôt que d’une action sacramentelle et sacrificielle, d’autant plus que sur l’autel le Corps et le Sang du Seigneur sont séparés. Le calice rappelle d’ailleurs la prière du Christ à l’agonie, et le moyen âge en a fait le Saint Graal.
Prières après la consécration
Latin :
… offerimus praeclarae maiestati tuae de tuis donis ac datis, hostiam puram, hostiam sanctam,
Hostiam immaculatam, … et sacrificium Patriarchae nostri Abrahae, et quod tibi obtulit summus sacerdos tuus Melchisedech, sanctum sacrificium, immaculatam hostiam. Supplices te rogamus … in sublime altare tuum, in conspectus divinae maiestatis tuae ; omni benefictione caelesti et gratia repleamur.
Traduction :
… nous présentons à ta glorieuse majesté l’offrande [sacrificielle] choisie parmi les biens que tu nous as donnés, l’offrande pure, l’offrande sainte, l’offrande sans tache et le sacrifice d’Abraham, le père de notre race et celui que t’offrit Melchisedech, ton grand–prêtre, sacrifice saint, offrande sans tache. Nous t’en supplions, … là–haut sur ton autel, en
présence de ta majesté divine…, puissions tous … être comblés de toute bénédiction du ciel et de grâce.
Missel français :
… nous te présentons, Dieu de gloire et de majesté, cette offrande prélevée sur les biens
que tu nous donnes, le sacrifice pur et saint, le sacrifice parfait… le sacrifice de notre Père Abraham et celui que t’offrit Melchisedech, ton grand–prêtre, en signe du sacrifice parfait… Nous t’en supplions… en présence de ta gloire sur ton autel céleste,… Puissions-nous être comblés de ta grâce et de tes bénédictions.
Notons en passant qu’on omet souvent de s’incliner profondément à ce moment, comme on omet le signe de la croix qui conclut. Ici, les critiques seront mineures : on ose enfin parler de « sacrifice » ! N’empêche que l’« offrande sans tache » devient « le sacrifice parfait ». Notons cependant l’heureuse incohérence qui, ici – contrairement à la consécration -, parle de « Calice » et non de « Coupe »… Par contre d’où vient ce « en signe du sacrifice parfait », au lieu du « sacrifice saint, offrande sans tache » ? Enfin on a évité de parler de la majesté divine, mais simplement de sa gloire ; et dans la prière du supplices, la bénédiction ne vient d’ailleurs apparemment plus « du ciel » (le caelesti a disparu).
Memento des défunts et seconde intercession des saints
Latin :
Memento etiam, Domine, famulorum famularumque tuarum N. et N., qui nos praecesserunt cum signo fidei … locum refrigerii, lucis et pacis, ut indulgeas, deprecamur. Nobis quoque peccatoribus famulis tuis de multitudine miserationum tuarum sperantibus, partem aliquam et societatem donare digneris… Intra quorum nos consortium, non aestimator meriti, sed veniae, quaesumus, largitor admitte.
Traduction :
Souviens–toi aussi, Seigneur, de tes serviteurs et de tes servantes N. et N., qui nous ont précédés, marqués du sceau de la foi… accorde, nous t’en prions, le lieu du rafraîchissement, de la lumière et de la paix. A nous aussi, tes serviteurs pécheurs, qui mettons notre espérance dans la multitude de tes miséricordes, daigne accorder une place dans la communauté de…
Pour nous admettre dans ta compagnie, ne pèse pas la valeur de nos mérites, mais, nous t’en prions, accorde–nous généreusement ton pardon.
Missel français :
Souviens–toi, Seigneur, de tes serviteurs N. et N., qui nous ont précédés, marqués du signe de la foi… nous implorons ta bonté : qu’ils entrent dans la joie, la paix et la lumière. Et nous, pécheurs, qui mettons notre espérance en ta miséricorde inépuisable… accueille–nous dans leur compagnie, sans nous juger sur le mérite, mais en accordant ton pardon.
Ici aussi, paradoxalement, on a oublié « et de tes servantes » ! On a gommé le « aussi » dans « Nobis quoque peccatoribus » : or il vise seulement les prêtres; Benoît XVI dit avoir toujours été impressionné « par la prière spéciale pour les prêtres : ‘Nobis quoque peccatoribus’»(17). Nous aurions bien aimé qu’à la fin on prie « aussi » pour les pécheurs que nous sommes . Le « sceau » de la foi rappelant le mot « sphragis » des sacrements de l’initiation chrétienne, est bien plus parlant que le simple « signe ». Outre l’arbitraire interversion entre « la lumière » et « la paix », l’idée du « rafraîchissement » (rappelant la parole du pauvre Lazare) est rendue assez platement par « la joie ». Notre assurance vient, non par d’une miséricorde inépuisable, mais si énorme qu’on ne parvient pas à en compter les manifestations, si bien que son pardon est plein de générosité. On omet aussi fréquemment l’expression « nous t’en prions » : pourquoi ?
17 BENOÎTXVI, Discours au clergé romain, 3–3–06.
(Suit alors la critique des trois autres canons)
Enfin la conclusion
§-4 : Conclusion.
A – prêtres et Laïcs : pour une traduction nouvelle des textes echaristiques en français.
Nous n’avons pas du tout voulu aborder les erreurs de traduction dans le Lectionnaire de la messe, tâche énorme à laquelle d’autres travaillent. Evoquons par exemple l’embarras des traducteurs dans le récit de l’Annonciation (Lc 1, 26–27); sans doute sous la tyrannie de l’hébreu d’Isaïe (qui parle d’une « jeune femme »), au lieu de traduire par « une vierge » tout simplement le grec parthenos et le latin virgo, refusant de trancher, les « experts » ont commis ce lamentable doublet qui en dit long sur leur théologie : « l’ange Gabriel fuit envoyé par Dieu… à une jeune fille, une vierge ». De même on a envie de rire en pensant à une réclame pour « un produit de nettoyage » quand, tel dimanche, on entend immaculatum se custodire ab hoc saeculo (Jc 1, 27) traduit par « se garder propre au milieu du monde » !
1) Nous nous sommes limités à l’Ordinaire et aux Prières eucharistiques du missel. Dans les exemples donnés, les erreurs ne sont pas toutes de la même importance, heureusement. Mais il s’impose de revoir les traductions : préparées par différents « experts » dans les difficiles années 70, approuvées de bonne foi par Mgr Boudon au nom de toutes les conférences épiscopales francophones, elles ont été entérinées sans plus à Rome par le tristement célèbre Mgr Bugnini. Il est vrai que Rome à ce moment était sollicitée pour approuver des dizaines de traductions (en croate, en japonais ou en ouolof !) et a bien dû se fier à l’approbation des évêques responsables des différentes conférences.
Il faut donc revoir sans tarder les traductions françaises, non seulement de l’Ordinaire de la messe, mais aussi des différentes Prières eucharistiques. Car cela dure depuis longtemps, explique le P. Bandelier : « quarante ans – la même durée que la traversée du désert ! – se sont écoulés depuis les premières versions françaises de l’Ordo Missae.
C’est dire que les traductions existantes, bonnes ou mauvaises, font partie du paysage. Deux générations ont grandi pendant ce temps » (19)
19 Père Alain BANDELIER, La révision des traductions liturgiques en français : des craintes et des espoirs , pp. 69–83 dans la revue Kephas, n° 16 oct. déc. 2005. Toutes les citations explicites du P. Bandelier et quelques autres idées sont tirées de ce même article remarquable.
La précipitation, précise–t–il, a obligé à publier des missels en pièces détachées, dans des versions ad experimentum. Mais, paradoxe français : les novateurs d’hier sont les conservateurs d’aujourd’hui. La question se pose : entre l’autorité des évêques et les « experts », le peuple chrétien a-t-il eu voix au chapitre ? Ce dialogue aurait peut-être évité « que certains diabolisent Vatican II et que d’autres diabolisent la Tradition ». On a même entendu quelqu’un de haut–placé souhaiter qu’à l’avenir on puisse composer des Prières directement en français : « Ce n’était plus une ouverture : c’était une rupture ». Eclatement du rite en chapelles particulières…
Nous autres, nous voulons célébrer la liturgie que nous donne l’Eglise, pas celle qu’inventent les liturgistes. Les Prières eucharistiques sont, en fait, au nombre de dix (et non de septante fois sept !), à savoir les quatre classiques de l’Eglise universelle, plus six autres « concédées », adaptées à des circonstances particulières (la Réconciliation – dont Rome a publié une nouvelle édition heureusement corrigée, mais négligée par beaucoup – les rassemblements d’envergure et celles, assez pauvres, avec de nombreux enfants). Même des gens qui n’ont jamais fait de latin, même des prêtres qui n’avaient jamais célébré l’Eucharistie dans le latin du nouveau missel s’avouent surpris ou choqués de constater comment les traducteurs ont « arrangé » certains textes. Preuve que nous avons touché à un problème très sensible.
Même si plusieurs textes sont correctement traduits, certaines remarques peuvent apparaître graves surtout dans l’Ordinaire de la messe, mais pas seulement là : on se trouve devant de curieuses omissions, des textes bibliques camouflés ou carrément émasculés, des traductions approximatives dans le style périphrastique, le tout dénaturant la splendeur du texte original latin qu’on est censé traduire… On aimerait croire que ces erreurs sont fortuites, ou dues à une connaissance médiocre du latin et du grec, ou à la distraction ou à la précipitation. Mais les glissements persévérants, qui vont presque toujours dans le même sens, sont inquiétants et trahissent sans nul doute une idéologie, une intention, un système : ils touchent même parfois aux vérités de la Foi. Si c’est ça l’inculturation…
Après cette étude, même incomplète et pour en revenir à certaines traductions où suinte parfois un arrière–goût d’hérésie, on est bien obligé de reconnaître les lacunes importantes ou les torsions qu’on a fait subir au texte latin dans la traduction. Il est donc urgent, comme l’ont déjà fait enfin plusieurs conférences épiscopales, de revoir ces traductions, malgré les freins des éditeurs, car lex orandi, lex credendi : à la limite, c’est la foi catholique qui est en jeu.
Franchement, le Peuple de Dieu eût mérité et – espérons-le – méritera dorénavant d’être traité avec plus d’égards ». « Il n’est pas trop tard, mais il est temps ».
Le chanoine Catta, professeur à l’Université Catholique d’Angers écrivait : « Pas un professeur ne mettrait la moyenne »(20). Le Père Joseph Folliet21, que personne ne peut soupçonner d’intégrisme, notait froidement : « Les platitudes, voire l’inexactitude de certaines traductions, me désolent. On dirait qu’elles s’efforcent de prosaïser et de vulgariser (au sens où ce mot vient de vulgaire) le plus possible le texte sacré. Je compare ces traductions à celles de l’anglais liturgique ».
C’est bien dans cette perspective que le Cardinal Medina a présenté la nouvelle édition typique du missel romain : « Ce décret… établit la nécessité d’une révision globale de tous les Missels en usage jusqu’alors, à travers une nouvelle présentation au Saint-Siège des textes traduits pour une nécessaire recognitio. Autrement dit, les traductions du Missel dans les langues vernaculaires actuellement en vigueur seront revues avec grand soin, de façon à être bien plus fidèles à l’original latin, sans interprétation ni périphrases, tout en tenant compte du génie de chaque langue »(22)..
Bien sûr, nous devons reconnaître l’imperfection relative de nos formulaires liturgiques : quel langage terrestre pourrait traduire la plénitude des mystères du Ciel ? N’empêche : « Notre unité à travers le temps et l’espace doit apparaître, dans la diversité des langues vernaculaires… Les générations nouvelles entendront peut– être mieux que les précédentes les exhortations du Magistère : depuis longtemps, et sans grand résultat, il est souhaité qu’au moins
20 Dans RENIÉ, J., Missale romanum et Missel romain, Cèdre, Paris, 1975.
21 FOLLIET J., dans La Pensée Catholique, n° 135, Lyon, 1971, pp. 71–72.
22 MEDINA, Cardinal, Conférence du 22–3–2002.
les éléments de notre patrimoine liturgique et grégorien soient connus du peuple de Dieu »23.
Sur le fond, nous devons noter de façon positive et avec joie, selon le P. Bouyer (24), les Prières eucharistiques nouvelles soulignent très fort le rôle du Saint-Esprit et prennent un caractère œcuménique: car, si la Bible qui avait séparé catholiques et protestants les rapproche aujourd’hui, le retour aux sources liturgiques pourrait bientôt produire un rapprochement plus inattendu encore dans l’Eucharistie.
2) Mais beaucoup plus grave nous paraît la subtile intention (notée plusieurs fois ci-dessus, et déjà dans l’invitation à la fin de l’offertoire) de gommer la différence essentielle entre le prêtre célébrant et les fidèles baptisés. Bref, on risque une énorme et tragique confusion. Après cela, on viendra s’étonner du petit nombre de vocations sacerdotales!
Dans ces conditions, élargissons ouvertement le problème.
Quand j’ai été ordonné prêtre, l’évêque m’a dit (selon l’ancien pontifical) : « Reçois le pouvoir d’offrir à Dieu le Sacrifice, et de célébrer les messes aussi bien pour les vivants que pour les défunts au nom du Seigneur ». Encore aujourd’hui, on fait toucher un calice au nouveau prêtre à son ordination.
Le Concile de Trente avait d’ailleurs porté l’anathème contre ceux qui prétendent que tout chrétien avait le pouvoir d’administrer les Sacrements, niant par là le pouvoir de l’Ordre25 : « Si quelqu’un dit que le Saint-Esprit n’est pas donné avec la sainte ordination, et par conséquent que les évêques disent en vain :’Reçois le Saint–Esprit’ ou que par cette ordination un caractère n’est pas imprimé…, qu’il soit anathème »(26) . Et Vatican II (27), a clairement rappelé que « le sacerdoce commun des fidèles et le sacerdoce ministériel ou hiérarchique, bien qu’ils aient entre eux une différence essentielle et non seulement de degré, sont cependant ordonnés l’un à l’autre ». C’est pourquoi il est ahurissant que, contrairement à toutes les règles liturgiques, le célébrant invite (ou oblige) parfois les fidèles à dialoguer ou à prononcer avec lui la Prière Eucharistique, y compris même, dans certaines circonstances, la Consécration ! Heureux encore s’il ne s’agit pas d’une prière de son cru, inventée et tapée à la machine… Si des fidèles sans prêtre osent accomplir l’Eucharistie sans avoir reçu l’ordination sacerdotale, cette eucharistie est non seulement illicite, mais invalide. Dès lors pourquoi être surpris qu’un théologien se demandait si le sacerdoce est encore nécessaire et si l’on ne pourrait pas envisager un sacerdoce délégué « pour un temps par une communauté à un membre de son choix »? Embrayant là-dessus, un autre parlait de « faire sauter certains verrous » et trouvait nécessaire « une réforme radicale des ministères, postulant le refus de la distinction ‘prêtres-laïcs’ ».
23 A. BANDELIER, op cit., p. 83.
24 BOUYER, L., Eucharistie. Théologie et spiritualité de la Prière eucharistique,
Bibliothèque de théologie, Paris, Desclée, 1990, pp. 444–445.
25 Concile de Trente, 7e session, canon 10.
26 Concile de Trente, 23e session, canon 4.
27 Lumen Gentium, 10.
3) Ici nous avons conscience de dépasser nettement le seul cadre des traductions et nous touchons à la structure même de la messe. Car il y a plus grave: si le prêtre considère que, même un peu défigurés, les textes du Missel français sont dépassés, alors on donne libre cours à une créativité sauvage.. Il faut « faire disparaître cet esprit de bricolage. On en est arrivé à ce que certains cercles liturgiques se bricolent eux-mêmes une liturgie du dimanche (28). Le nombre de « choix possibles » dans les formules du Missel a ouvert une porte toute grande à l’arbitraire du célébrant. Si le prêtre, qui n’est pas propriétaire de la messe, se met à modifier sans cesse la partition liturgique, il rend douloureuse la position du fidèle : au lieu de rassembler, la liturgie, en s’enfonçant dans les marottes du célébrant, divise.
« On ne peut comparer la liturgie à un mécanisme démontable et réparable à volonté, mais à un organisme vivant dont les lois internes déterminent les modalités de son futur développement… La liturgie en Occident pourrait bien perdre son identité chrétienne. Une liberté sans frein n’est pas conciliable avec l’essence de la foi et de la liturgie. La grandeur de la liturgie, faut-il le répéter, tient justement au fait qu’elle échappe à l’arbitraire »(29).
« La réforme liturgique, dans sa réalisation concrète, s’est éloignée toujours davantage de cette origine [à savoir un accomplissement issu de sa substance même]. Le résultat n’a pas été une réanimation, mais une dévastation. D’un côté on a une liturgie dégénérée en « show », où l’on essaye de rendre la religion intéressante à l’aide de bêtises à la mode et de maximes morales aguichantes, avec des succès momentanés dans le groupe des fabricants liturgiques, et une attitude de plus en plus prononcée chez ceux qui cherchent dans la liturgie non pas le « showmaster » spirituel, mais la rencontre avec le Dieu vivant… A la place de la liturgie fruit d’un développement continu, on a mis une liturgie fabriquée » (30). « Non seulement des prêtres, mais des évêques ont l’impression qu’ils ne sont pas fidèles au Concile s’ils reprennent les prières telles qu’elles figurent dans le missel; il faut y glisser au moins une formule ‘créative’, si banale soit-elle »(31).
Or précisément les traductions erronées que nous avons dénoncées ont encouragé cette créativité, même si la messe actuelle, répétons-le, demeure pleinement valide. Mais cela peut aller loin. « Il ne faut pas aller jusqu’à affirmer, comme il arrive parfois, que la messe selon le nouvel ordo serait en soi invalide. Mais le nombre de messes véritablement invalides pourrait bien avoir considérablement augmenté depuis la réforme liturgique » (32).
Dans ces circonstances, rien d’étonnant que le fameux Mgr Annibale Bugnini a été jusqu’à déclarer : « Il ne s’agit pas de retouches à une œuvre d’art de grand prix, mais parfois il faut donner des structures nouvelles à des rites entiers. Il s’agit bien d’une restauration fondamentale, je dirais presque d’une refonte et, pour certains points, d’une véritable nouvelle création » (33).
Conclusion du P. Gélineau : « Le rite romain tel que nous l’avons connu n’existe plus. Il est détruit ».
29 RATZINGER J, Cardinal, L’esprit de la liturgie, éd. Ad Solem, 2002, p. 133 et 134.
30 RATZINGER J., Cardinal, Introduction à K. GAMBER, La réforme liturgique en question,
éd. Sainte–Madeleine , 1992, p. 6 et 8.
31 RATZINGER J., Cardinal, Un chant nouveau pour le Seigneur. La Foi dans le Christ et la
liturgie aujourd’hui, Desclée-Mame, Paris, 1995.
32 GAMBER K., op. cit.., p. 43.
Le regretté Frère Max Thurian, de Taizé, écrivait déjà en 1977 : « Certains voudraient que soit laissée à chaque prêtre la possibilité de créer à l’avance ou même d’improviser sur le moment des oraisons, des préfaces, des Prières eucharistiques… Le protestantisme libéral n’a jamais été aussi excessif ». Dès lors, avec une certaine rosserie, le Dr Berger, sociologue luthérien, concluait : « La révolution liturgique est une erreur touchant des millions de catholiques au cœur même de leur foi… Si un sociologue parfaitement malicieux, résolu à frapper la communauté catholique le plus fortement possible, avait été capable de conseiller l’Eglise, il aurait difficilement pu faire un meilleur travail ». Comme on comprend alors avec tristesse la remarque féroce de Julien Green, protestant converti(34) : « Edouard VI avait compris que pour abattre l’Eglise en Angleterre, il fallait frapper la messe. Très logiquement, il ordonna, pour supprimer le sacrifice, la destruction des autels… ». Or déjà en 1988, Green notait déjà : « Les églises de Hollande font table rase de leurs autels. Plus rien. Au moins, c’est net ». Or, « Le gouvernement de la sainte liturgie dépend uniquement de l’autorité de l’Eglise : il appartient au Siège apostolique et, dans les règles du droit, à l’évêque… C’est pourquoi absolument personne d’autre, même un prêtre, ne peut de son propre chef ajouter, enlever ou changer quoi que ce soit dans la liturgie »(35)..
33 BUGNINI A., dans la Documentation. Catholique, 07/05/1967, n° 1493, col. 829.
34 GREEN J., dans son Journal L’Expatrié, Seuil, en 1989.
35 Vatican II, Constitution sur la liturgie, n° 22.
4) Revenir à l’essentiel : on demande des traducteurs fidèles !
Après cet excursus qui ne se veut nullement nostalgique, il ne faut certainement pas désespérer de voir apparaître – on le constate déjà, avec quelle joie ! chez les jeunes – une saine réaction devant des abus manifestes en liturgie. Ils en ont assez, même s’ils ne connaissent pas le latin. Les jeunes générations chrétiennes n’ont pas hérité du « complexe anti-romain » des fils de mai 68. Au fond, comme on a dit, « La liturgie, si elle n’est pas vierge, elle est martyre!… ». Même des gens mûrs réagissent aussi; nous retiendrons en tout cas l’étonnant témoignage, non suspect, d’un Guy Gilbert (36) : « On croit souvent, sans doute à cause de mon apparence, et de par mon métier, que je vais tout bouleverser dans une liturgie. Je m’en tiens aux limites que l’Eglise nous a données. Je me souviens d’un prêtre d’une grande ville, préparant avec moi la liturgie du lendemain, et me disant : ‘Pas de problème avec toi, tu improvises le canon en prenant comme grille cette page que j’ai écrite moi-même’. Je lui ai rétorqué: ‘Déjà il faut faire passer, à tes gens, ma gueule, mon langage et tout le reste. Mais si tu me fais faire une liturgie sauvage, tu risques de me démarquer de mon
Eglise, de faire de moi un prêtre complètement à part. Si je ne suis jamais bien entré dans l’Institution, je suis en plein dans l’Eglise. Il faut que tes paroissiens le voient… Je lirai le canon Il’. J’ai aimé qu’il me dise, à la fin de la messe : ‘J’ai découvert le canon Il’ ». 36 GILBERT G., La rue est mon Église, p. 40.
Puissent ces pages, même imparfaites, ouvrir les yeux des aveugles.
Puissent « les mains saintes et vénérables » du Seigneur Jésus fortifier celles des autorités et les encourager à réagir.
Chanoine Michel DANGOISSE,
Doyen du Chapitre cathédral,
Licencié-agrégé en philologie classique,
Directeur de la revue trimestrielle Pâque Nouvelle
(Courriel : paquenouvelle@tiscali.be),
Rue de la Tour 7 / 3 B–5000 Namur
NB on pourra lire l’article de M l’abbé Bernard Pellabeuf sur ce sujet important des traductions dans l’Homme Nouveau de mars 2012
Section 2 : L’opinion de quelques autorités
§-1 Un avis de Jacques Maritain
Jacques Maritain, né en 1882 et mort en 1973, fut l’un des plus grands philosophes catholiques de langue française de cette époque.
Il me paraît bien significatif au point de vue de la philosophie de l’histoire, que dans le même temps où au Concile, le Saint Esprit fait proclamer (dans un langage à mon avis trop plein de rhétorique) des changements d’attitude qui représentent un progrès immense (et qui ont beaucoup trop tardé), – dans le même temps un ouragan de bêtise et d’abjection d’une puissance extraordinaire et apparemment irrésistible souffle tout autour sur la vaste étendue du monde catholique et spécialement ecclésiastique. Cette crise me paraît une des plus graves que l’Eglise ait connue. Elle a à mes yeux un caractère eschatologique et semble annoncer de larges apostasies. … Ce que nous voyons aujourd’hui c’est un agenouillement délirant et général devant le monde. Tous ces catholiques tous ces prêtres en extase devant le monde, poussant dès qu’il s’agit de lui des gémissements d’amour et d’adoration, et répudiant frénétiquement tout ce qui, soit dans l’ordre intellectuel, soit dans l’ordre spirituel, a fait la force de l’Eglise, c’est vraiment un curieux spectacle, et que ne s’explique à mon avis que d’une façon freudienne, par une brusque libération collective de misérables libidines longtemps refoulées. Ce n’est pas le veau d’or qu’ils adorent, c’est une truie d’aluminium à cerveau électronique. Et s’ils se disent encore chrétiens, c’est parce que selon eux, c’est par le christianisme dûment terrestrialisé que nous pouvons atteindre enfin « l’épanouissement de la nature ». C’est donc bien simultanément que Dieu et le diable travaillent dans l’histoire humaine ; et quand l’Esprit-Saint se met à souffler, l’autre aussitôt produit ses hurricanes. Pardonnez tout ce bavardage du sans doute à l’exaspération où je suis de voir la messe, qui était chaque matin un moment de paix pour ma pauvre âme, envahie maintenant par la sottise et la laideur et la vulgarité de la stupide traduction française que notre épiscopat s’est empressé d’approuver… Les références sont ici.
§-2 L’avis du cardinal de Lubac
Le Père Henri de Lubac sj, né en 1896 et mort en 1991, fut un théologien très influent lors du concile Vatican II et son oeuvre fut récompensée en 1983 par le titre de cardinal.
« On s’est inspiré d’une conception trop pessimiste du sous-développement intellectuel et culturel de la majorité des fidèles. D’où une recherche exagérée de l’adaptation, utopie regrettable qui nuit à la catéchèse et à la prédication. On aurait pu prendre exemple sur les anciennes versions latines : ce n’est pas la parole de Dieu qu’elles s’efforçaient de rapprocher du peuple, c’est le peuple de Dieu qu’elles essayaient de hausser au niveau de la Parole de Dieu ». « Dans nos traductions les plus récentes, au contraire, combien d’aplatissements ! Combien d’édulcorations ! le texte a perdu de sa saveur, quand il n’a pas été altéré ». – « Nombre de fidèles se plaignent à l’heure actuelle, non seulement de l’inexactitude fréquente de certaines traductions, mais encore de leur médiocre qualité littéraire, de leur lourdeur, de la vulgarité du vocabulaire, de la dureté et du manque d’harmonie des phrases, des fautes de français… Ils sont légitimement choqués s’ils ont l’impression que le texte sacré a été manipulé et défiguré. Le respect de l’Ecriture ne devrait-il pas inciter les traducteurs à se montrer plus vigilants ? » (Henri de Lubac, compte rendu de « Christologie paulinienne et tradition biblique » de M. André Feuilllet, in La France Catholique, ler juin 1973 – ce texte fut cité par les chevaliers de Notre Dame en 1975).
§-3 L’avis du cardinal Arinze
Au moment où il a accordé l’entrevue d’où est tiré le texte suivant, le Cardinal Francis Arinze était préfet de la congrégation pour le culte divin et le culte des sacrements.
Parlons d’abord des traductions. Un document de ce dicastère du Culte divin, il y a trois ans, Liturgiam authenticam, avait pour thème principal : l’Eglise approuve les langues locales, dans la liturgie, mais les traductions, dans le rite latin, doit être fidèle au texte originel latin. La directive générale est celle-ci : toutes les traductions faites il y a trente ans doivent être révisées de telle sorte qu’elles soient vraiment fidèles au texte originel. Il est vrai que dans certaines langues, il est très difficile de faire une traduction littérale. Mais on ne doit pas admettre des traductions idéologisées. Par exemple, lorsque le missel latin fait dire au prêtre : Orate fratres ut meum ac vestrum sacrificium acceptabile fiat apud Deum Patrem omnipotentem , un traducteur qui n’accepte pas de faire la différence entre le peuple et le célébrant dira : « Priez mes frères afin que notre sacrifice, etc. » C’est cette sorte de traductions idéologisées que l’on doit éviter. Mais il ne s’agit pas seulement de la langue anglaise ! Même les Français… Regardez donc comment vous traduisez l’Orate frates…en français : « Prions ensemble au moment d’offrir le sacrifice de toute l’Eglise ». C’est tout. Ce n’est pas une traduction, c’est une belle phrase, une très belle phrase, mais ce n’est pas une traduction du texte latin. La réponse à l’invitation du prêtre est dans le missel latin : Suscipiat Dominus sacrificium de manibus tuis ad laudem et gloriam nominis sui, ad utilitatem quoque nostram, totiusque Ecclesiae suae sanctae . Et que dites-vous en français ? « Pour la gloire de Dieu et le salut du monde ». Ce n’est pas une traduction.
Entretien réalisé par l’Abbé Barthe et valerie Houtart (Publication dans l’Homme Nouveau, 7 décembre 2003))