L’intégrité de Mgr Lefebvre
publié dans nouvelles de chrétienté le 26 mars 2018
L’intégrité de Monseigneur Lefebvre
Dans cet article, Monsieur l’abbé Paul Robinson se demande si Monseigneur Marcel Lefebvre changea sa politique sur les relations avec Rome après les consécrations de 1988.
L’auteur est prêtre de la Fraternité Sacerdotale Saint Pie X, professeur au Séminaire de la Sainte-Croix, à Goulburn en Australie
L’original de cet article est en anglais ; il est consultable ici et là.
Introduction
Monseigneur Marcel Lefebvre est connu pour avoir été, tout au long de sa vie, un homme d’une grande intégrité. Il était inébranlable dans ses principes, honnête dans toutes ses transactions, et charitable à l’excès. Parmi les idées fondamentales qui le guidaient, il y avait les notions catholiques d’autorité et d’obéissance, qui dirigeaient sa prudence héroïque, dans les nombreuses décisions difficiles qu’il avait à prendre dans ses relations avec Rome.
Certaines personnalités semblent cependant nier le fait que Monseigneur Lefebvre était un homme intègre de principe dans ses idées sur l’Église et dans ses relations avec les autorités romaines. Les uns l’accusent d’avoir tenu des principes contradictoires, d’autres d’avoir changé ses principes après les consécrations épiscopales.
Cet article tente de défendre sa réputation en considérant la position de Monseigneur Lefebvre et en montrant qu’il ne l’a jamais changée. Nous examinerons d’abord la notion d’autorité chez Monseigneur Lefebvre et comment cette notion a influencé son attitude envers les autorités romaines. Ensuite, nous montrerons que les consécrations épiscopales de 1988 n’ont pas amené Monseigneur Lefebvre à changer ni ses principes, ni leur application.
Les principes de Monseigneur Lefebvre en matière d’autorité
La manière la plus utile de considérer les principes de Monseigneur Lefebvre en matière d’autorité est de comparer trois positions différentes concernant l’autorité de la Hiérarchie post-conciliaire, où une majorité d’hommes d’Eglise a été plus ou moins infectée par le modernisme. Ces trois positions sont les suivantes:
- Une hiérarchie moderniste n’a pas d’autorité ;
- Une hiérarchie moderniste a une autorité illimitée ;
- Une hiérarchie moderniste exerce légitimement l’autorité quand elle commande selon la foi, mais n’exerce pas légitimement son autorité quand elle commande contre la foi.
La première position juge l’autorité sur la base des personnes. Si la personne utilise mal son autorité ou est en déroute dans la théologie, alors elle perd son poste. Elle ne possède plus aucune autorité. C’est une manière protestante de juger l’autorité, et le camp sédévacantiste penche vers cette notion d’autorité.
La deuxième position juge l’autorité uniquement sur la base de la fonction. Si une personne occupe un certain poste, alors il faut faire tout ce qu’elle dit. Les catholiques néo-conservateurs penchent dans cette direction, car ils soutiennent que le pape doit être suivi aveuglément, à moins qu’il ne commande quelque chose de manifestement peccamineux, comme la commission d’un meurtre.
La troisième position correspond à la notion catholique d’autorité et était celle de Monseigneur Lefebvre. Il a jugé l’autorité à la fois selon la fonction et les personnes. Ceux qui occupent un poste reçoivent leur autorité de Dieu et continuent d’exercer légitimement cette fonction, même lorsqu’ils abusent de leur autorité. Une distinction doit cependant être faite dans la manière dont les autorités utilisent leur pouvoir. Si celui qui commande exige quelque chose qui est moralement licite, alors il doit être obéi ; s’il commande quelque chose qui est contre Dieu, alors il agit en dehors de son autorité et on doit lui désobéir. C’est la position catholique en matière d’obéissance qui vaut pour toutes les situations.
La conformité ou la discordance d’un commandement aux lois de Dieu, est alors ce qui dicte le devoir d’obéir ou de désobéir à l’autorité qui commande. Quand les subordonnés sont confrontés à un cas manifeste où ceux constitués en autorité commandent ce qui est une offense à Dieu, ils doivent désobéir; sinon, ils doivent obéir.
Références au principe
Monseigneur Lefebvre a constamment appliqué la notion catholique d’obéissance tout au long de sa vie. Cela était particulièrement vrai à l’égard de l’autorité de l’Église. Nous illustrons cette affirmation par deux exemples : l’un d’obéissance à l’autorité quand celle-ci n’en abusait pas et un exemple de désobéissance à l’autorité quand celle-ci en a abusé.
Le premier exemple : Monseigneur Lefebvre a fait face à une crise dans le district des États-Unis. Certains de ses prêtres, dont le recteur du séminaire, monsieur l’abbé Donald Sanborn, refusaient d’utiliser le missel de 1962, argumentant que ce missel avait été promulgué par un pape moderniste, Jean XXIII. C’était un cas classique où la personne exerçant l’autorité (le pape Jean XXIII) est regardée, sans considérer s’il utilisait bien ou mal son autorité.
Monseigneur Lefebvre s’opposait à un tel positionnement argumentant qu’il n’y a rien dans le missel de 1962 qui constitue un danger pour la foi. Donc la FSSPX n’a aucune raison de le refuser. Comme il l’expliquait aux séminaristes américains de l’époque, il ne faisait, dans cette décision, qu’appliquer le principe de l’Église :
Le principe de l’Église est le principe de saint Thomas-d’Aquin … Alors, que dit Saint Thomas-d’Aquin à propos de l’autorité dans l’Église? Quand pouvons-nous refuser quelque chose venant de l’autorité de l’Église ? Seulement quand la foi est en jeu. Seulement dans ce cas. Pas dans d’autres cas. Seulement quand la foi est en jeu. 1
Le deuxième exemple concerne la désobéissance à une autorité qui abuse de son pouvoir. Monseigneur Lefebvre a exprimé le principe sur cette question, en 1978:
L’obéissance présuppose une autorité qui donne un ordre ou qui édicte une loi. Les autorités humaines, même celles qui sont instituées par Dieu, n’ont d’autorité que pour atteindre la fin assignée par Dieu et pour ne pas s’en détourner. Quand une autorité utilise le pouvoir en opposition à la loi pour laquelle ce pouvoir lui a été donné, une telle autorité n’a pas le droit d’être obéie et il faut y désobéir. 2
Dix ans plus tard, Monseigneur Lefebvre a cité le même principe en vue d’expliquer la consécration de quatre évêques contre la volonté des autorités romaines. Rome ne permettait pas à la FSSPX de continuer comme elle l’était. Or continuer ainsi était nécessaire pour garder la foi. Ainsi, la consécration de quatre évêques était une «opération de survie», une étape drastique nécessaire pour maintenir la foi. En ce cas, c’était justifié, même si cela était contraire à la volonté des autorités romaines. 3
Application à la crise
Revenons aux trois positions en matière d’autorité énoncées ci-dessus pour voir comment elles sont appliquées à la décision prudentielle de savoir si l’on devrait ou non être sous l’autorité d’une hiérarchie moderniste:
- Les sédévacantistes : les modernistes n’ont pas d’autorité. C’est pourquoi il ne faut pas se soumettre aux autorités de Rome de quelque manière que ce soit tant qu’ils ne reviennent pas à la Tradition.
- Néo-conservateurs : les modernistes ont toute autorité. C’est pourquoi il faut se placer sous qui que ce soit qui a autorité, peu importe ce que ces autorités commandent.
- Monseigneur Lefebvre: Les modernistes exercent légitimement l’autorité quand ils commandent selon la foi, c’est pourquoi on devrait se soumettre à l’autorité de Rome quand on peut être assuré de garder sa foi catholique. La base de cette assurance, dans le cas de la FSSPX, serait l’exemption de l’influence moderniste, par l’octroi d’une entité distincte, telle une prélature personnelle. Si la FSSPX obtenait une reconnaissance canonique « telle quelle est», elle serait laissée telle quelle, tout en étant sous l’autorité romaine, et serait ainsi capable de garder la foi.
Il devrait être clair que la position de Monseigneur Lefebvre était tout à fait conforme à la notion catholique d’autorité. Il devrait également être clair que ses décisions prudentielles concernant la régularisation de la FSSPX sous une hiérarchie moderniste étaient simplement une application de cette notion. Ainsi, il était un homme d’intégrité dans ses principes et dans leur application.
Voyons maintenant les objections contre cette position. La première objection est d’affirmer que les principes de Monseigneur Lefebvre étaient incohérents et la seconde d’affirmer qu’il les a changés après les consécrations de 1988.
L’objection de principes contradictoires
En 1994, onze ans après avoir été expulsé de la Fraternité Saint-Pie X, l’évêque sédévacantiste Donald Sanborn a écrit un article intitulé «Les Montagnes de Gelboe» 4. Il persiste à dire que Monseigneur Lefebvre n’était pas un homme de principes. Si l’argument de l’auteur était mis en syllogisme, il se présenterait comme suit :
Majeure : pour un homme de principes, il n’y a que deux positions possibles à tenir dans cette crise:
- la ligne dure : rejeter l’autorité de l’Eglise post-Vatican II et maintenir la foi
- la ligne molle : accepter l’autorité de l’Eglise post-Vatican II et compromettre la foi. 5
Mineure : Or Monseigneur Lefebvre voulait accepter et être sous l’autorité de l’Eglise post-Vatican II (ligne molle), et il voulait maintenir la foi traditionnelle (ligne dure).
Conclusion: Par conséquent, il n’était pas un homme de principes fixes.
Il est évident … qu’il y avait deux côtés opposés chez Monseigneur Lefebvre, capable de dicter sa propre théorie et sa propre ligne de conduite distincte et contradictoire. 6
En tant qu’homme de foi, Monseigneur Lefebvre était d’une ligne dure ; en tant qu’homme d’Église, en tant que diplomate, il était un adepte d’une ligne molle. En tant qu’homme de principes, il n’était ni l’un ni l’autre. En tant que tel, il n’était pas un homme de principes du tout.
Donc, à son Chapitre Général de 1994, la FSSPX aurait dû :
- reconnaître que son fondateur avait des idées préconçues, mais qu’il était, au fond, un sédévacantiste,
- rejeter la fausse ecclésiologie de Monseigneur Lefebvre qui reconnaît l’autorité du pape et accepte la vraie ecclésiologie de ligne dure, 7
- dénoncer la hiérarchie conciliaire comme hérétique,
- abandonner toutes les tentatives de régularisation.
Réfutation
Monseigneur Sanborn semble avoir du mal à comprendre les principes supérieurs par lesquels Monseigneur Lefebvre opérait et propose ainsi un faux dilemme 8 (Cf. Conférence du 5 novembre 1983, New York). Pour lui, il faut soit accepter entièrement l’autorité, soit la rejeter complètement si l’on veut avoir des principes cohérents. Il ne voit pas qu’il existe un troisième scénario dans lequel il est possible d’être cohérent : accepter l’autorité d’une part et la rejeter d’autre part.
Il est vrai qu’il est contradictoire de soutenir que l’autorité doit être à la fois obéie et désobéie sous le même rapport. Mais Monseigneur Lefebvre a soutenu l’obéissance aux autorités post-conciliaires d’une part, dans ce qui ne constitue pas un danger immédiat pour la foi, et la désobéissance d’autre part, dans ce qui constitue un danger immédiat pour la foi. Aucune contradiction n’existe dans une telle obéissance, mais c’est plutôt la définition même de l’obéissance catholique vertueuse.
Une fois que nous réalisons que Monseigneur Lefebvre a obéi au Pape comme Pape mais ne lui a pas obéi comme Dieu, le faux dilemme de la ligne dure et de la ligne molle, qui tente de diviser la vision unique de Monseigneur Lefebvre en deux personnalités concurrentes, s’évapore.
Stratégie logique
Le fait que les conclusions de Monseigneur Sanborn au sujet de Monseigneur Lefebvre découlent de ses prémisses est quelque peu hors du propos de cet article, mais il est important de le noter. Si nous acceptions une telle prémisse, à savoir que Monseigneur Lefebvre avait une ecclésiologie contradictoire, il serait logique que nous n’ayons rien à voir avec Monseigneur Lefebvre. Le catholicisme traditionnel, s’il en est, consiste à tenir fermement aux vérités immuables de la foi, à ce qui a toujours été cru, partout et par tous. Mais si Monseigneur Lefebvre n’était pas ferme dans ses principes sur l’Église et son autorité – s’il soutenait que l’autorité de l’Église devait être acceptée et rejetée, dans le même ordre d’idées – alors il était sûrement, dans ce domaine au moins, plus proche du modernisme que du traditionalisme.
De plus, il est de notoriété publique que la Romanité était l’une des principales caractéristiques de Monseigneur Lefebvre. Il a été formé au séminaire français à Rome, il a servi fidèlement et avec zèle l’autorité directe de Rome en tant que Délégué Apostolique en Afrique, il professait constamment aux membres de sa Fraternité sacerdotale, son attachement à Rome et à l’Église. Ainsi, quand Monseigneur Sanborn attaque la position de Monseigneur Lefebvre envers la hiérarchie conciliaire, il attaque un aspect de Monseigneur Lefebvre proche de l’essence de son identité sacerdotale. Si Monseigneur Lefebvre s’était trompé dans une telle affaire, si importante pour lui, nous pourrions alors conclure que son esprit entier, sa façon entière de voir la crise de l’Église, étaient également erronés.
La stratégie de Monseigneur Sanborn est donc cohérente:
- Établir que Monseigneur Lefebvre était un homme aux principes hésitants en ecclésiologie.
- Argumenter alors que Monseigneur Lefebvre ne devait pas être suivi dans ces principes et, en réalité, dans tout autre principe.
- Conclure que la position de Monseigneur Lefebvre doit être rejetée en faveur de la position dite de la ligne dure, ce qui conduit logiquement au sédévacantisme.
Celui qui accepte le premier point devrait logiquement accepter ceux qui suivent. Nous avons montré précédemment que le premier point est faux. Pour cette raison, nous n’avons pas besoin de réfuter les deuxième et troisième points.
Il y a cependant une classe de personnes qui acceptent le premier point sans accepter le second ou le troisième. Ce sont ceux qui ont avancé la deuxième objection contre l’intégrité de Monseigneur Lefebvre, en prétendant qu’il a changé ses principes en 1988. Ils sont les membres d’un conglomérat des tenants de la ligne dure qui travaillent sous le nom de «La Résistance».
L’objection de principes changeants
Les membres de la Résistance séparent Monseigneur Lefebvre en deux périodes : le Monseigneur Lefebvre d’avant les Sacres et le Monseigneur Lefebvre d’après les Sacres, sans avoir l’air de se rendre compte que, ce faisant, ils détruisent l’intégrité de Monseigneur Lefebvre.
Le Monseigneur Lefebvre d’avant les Sacres voulait l’autonomie pour la FSSPX sous l’autorité de Rome, le droit de tenter «l’expérience de la Tradition», une reconnaissance canonique de la FSSPX «telle quelle est». Ce premier Monseigneur Lefebvre est le même que celui identifié par Mgr Sanborn, un Monseigneur partagé en « ligne molle » et « ligne dure » qui veut la reconnaissance de la part d’une hiérarchie à laquelle il s’oppose à bien des égards.
Selon la Résistance, le Monseigneur Lefebvre d’après les Sacres se rendait compte, que le premier Monseigneur Lefebvre se trompait non seulement sur la question d’un discernement prudentiel, mais sur les principes mêmes qui dirigeaient ses négociations avec la Rome moderniste. Reconnaissant son erreur, Monseigneur Lefebvre rejetait alors les faux principes sous lesquels il avait opéré pendant toute sa carrière ecclésiastique et embrassait l’ecclésiologie de ligne dure: vous ne pouvez pas vous placer sous l’autorité des modernistes, donc aucune reconnaissance canonique ne doit être acceptée jusqu’à ce que Rome revienne à la Tradition. Ce Monseigneur Lefebvre d’après les Sacres, selon le discours de la Résistance, a fermement maintenu sa nouvelle ecclésiologie durant les deux dernières années de sa vie, et a voulu que sa Fraternité sacerdotale suive cette ecclésiologie dans toutes ses futures relations avec Rome.
La Résistance est donc d’accord avec le premier point de Monseigneur Sanborn : Monseigneur Lefebvre était un homme aux principes hésitants en ecclésiologie. De là, cependant, la Résistance se sépare de Monseigneur Sanborn et donc aussi de sa logique, ne semblant pas réaliser, que si leur Monseigneur Lefebvre d’après les Sacres était le vrai, alors:
- Il n’est pas un point de référence fiable pour les catholiques traditionnels ou même pour sa FSSPX.
- La Résistance devrait, au moins en principe, embrasser le sédévacantisme, car l’ecclésiologie de ligne dure est identique à une ecclésiologie sédévacantiste. Les deux ecclésiologies font de la reconnaissance canonique sous une hiérarchie moderniste une question de principe plutôt que de prudence et les deux ecclésiologies considèrent donc, explicitement ou implicitement, qu’une hiérarchie moderniste ne possède pas une autorité véritable.
En bref, la Résistance détruit la crédibilité de Monseigneur Lefebvre en le dépeignant comme changeant fondamentalement son point de vue sur l’Église, puis demande à chacun de respecter et de suivre sa caricature de ce grand homme d’Église. Par son acceptation de l’ecclésiologie de ligne dure, la Résistance sape le principe de toute autorité, parce qu’elle sape sa base même. D’une charge accordée par Dieu et qui se maintient indépendamment de la façon dont elle est utilisée, l’autorité devient une qualité personnelle qui est perdue lorsque les subordonnés jugent que la personne n’a plus la qualité. En projetant cette notion subjective d’autorité sur Monseigneur Lefebvre post mortem, ils sapent tous les points fixes pour les catholiques traditionnels qui le suivent. Le fruit de cette stratégie est évident : le chaos total.
Monseigneur Sanborn, au moins, a reconnu que les consécrations de 1988 n’ont pas amené Monseigneur Lefebvre à changer son ecclésiologie d’une reconnaissance canonique de sa Fraternité « telle quelle est » :
Peu de temps après les consécrations de 1988, Monseigneur Lefebvre a déclaré que les négociations se poursuivraient, et que peut-être dans cinq ans, tout serait résolu. 9
En fait, Monseigneur Lefebvre n’a pas changé de position; le double Monseigneur Lefebvre de la Résistance est un mythe. Monseigneur Lefebvre, tout au long de sa carrière ecclésiastique, a maintenu la notion catholique d’autorité en général et la notion catholique d’autorité de l’Église en particulier. De même, de 1975 jusqu’à sa mort, il a toujours tenu au même critère prudentiel de reconnaissance canonique, à savoir que la FSSPX soit acceptée « telle quelle est ». Il était un homme de principes, à la fois dans son jugement spéculatif et dans son jugement pratique. En tant que tel, il était et est un point de référence fiable pour les catholiques traditionnels et la Fraternité sacerdotale qu’il a fondée.
Pourquoi donc la Résistance prétend-elle que Monseigneur Lefebvre a changé?
Citation hors contexte
La principale stratégie utilisée par la Résistance pour convaincre à propos de son double Monseigneur Lefebvre est l’utilisation de citation hors contexte. Cela consiste à considérer les mots ou les écrits d’une personne dans un isolement complet du contexte où ils ont été dits, afin de projeter sa propre position sur cette personne.
Nous pouvons prendre un exemple de cette pratique dans le mouvement Feeneyite. Il cherche à prouver que l’Église enseigne que seul le baptême d’eau fait parvenir au ciel, que les baptêmes de sang et de désir ne sont pas salvifiques. Mais l’Église n’enseigne pas cela. Il n’y a aucune déclaration du Magistère disant quelque chose comme: « Quiconque croit que le baptême de sang est efficace pour le salut éternel, qu’il soit anathème ».
En tant que tels, les Feeneyites concoctent une série impressionnante de citations des Pères et des Conciles qui, prises hors contexte, semblent favoriser leur position. Par exemple, ils citent ce qui suit du pape Eugène IV:
Personne, peu importe l’aumône qu’il a pu donner, même s’il devait verser son sang pour l’amour du Christ, ne peut être sauvé à moins de demeurer dans le sein et l’unité de l’Église catholique 10.
Les Feeneyites lisent ceci pour signifier qu’on ne peut pas être sauvé par le baptême de sang. En fait, cela signifie que celui qui meurt pour le Christ ne reçoit pas le baptême de sang s’il meurt en opposition à l’Église.
Les mots de Monseigneur Lefebvre
Maintenant, la Résistance met en avant, comme principale défense de sa position, de nombreuses citations de Mgr Lefebvre. Aucune de ces citations ne dit « En principe, nous devons refuser l’autorité de la Rome conciliaire jusqu’au jour où Rome reviendra à la Tradition » ou « Je croyais que nous devions accepter la reconnaissance canonique si elle nous gardait tels que nous sommes, mais maintenant je réalise que je me suis trompé » ou « Il serait contraire à la foi d’accepter la reconnaissance canonique dans n’importe quelles conditions avant que Rome ne revienne à la Tradition ». Ainsi, la Résistance doit se contenter de citations qui pourraient sembler étayer sa position, quand elles sont prises hors contexte.
Voici, par exemple, une citation post-consécrations, favorite de la Résistance, tirée de l’Itinéraire Spirituel de Monseigneur Lefebvre:
C’est donc un devoir strict pour tout prêtre voulant demeurer catholique de se séparer de cette Église conciliaire aussi longtemps qu’elle ne retrouvera pas la Tradition du Magistère de l’Église et de la foi catholique 11.
Toute la question ici est de savoir ce que Monseigneur Lefebvre entend par «cette Eglise conciliaire». Le contexte immédiat fait référence à une décision du Secrétariat pour l’unité des chrétiens d’intégrer dans l’Église les non-catholiques tels qu’ils sont. Monseigneur Lefebvre semble ici identifier «cette» église conciliaire avec des actions de Rome qui sont contre le magistère pérenne. 12 Ainsi, il semble dire que les prêtres qui veulent rester catholiques ne doivent pas compromettre leur foi en s’associant à de telles activités.
Mais la question de savoir si Monseigneur Lefebvre estime qu’il n’y a pas d’autorité à Rome jusqu’à ce que celle-ci retourne à la Tradition, n’est pas abordée par cette citation. Il est tout à fait possible de réconcilier cette citation avec une reconnaissance canonique qui permet aux prêtres d’agir en autonomie par rapport aux congrégations romaines promouvant le faux œcuménisme.
Peut-être que les tous premiers mots de l’Itinéraire Spirituel peuvent clarifier la position de Monseigneur Lefebvre non filtrée par la Résistance:
C’est à vous particulièrement que s’adresseront les quelques pages qui vont suivre, vous prêtres et séminaristes de la Fraternité Sacerdotale Saint Pie X, vous qui, en ce jour, renouvelez vos engagements dans cette société catholique et romaine, approuvée officiellement par les ordinaires des lieux et par les autorités romaines.
Si nous désirons affirmer que Monseigneur Lefebvre est, de quelque manière que ce soit, un homme intègre et cohérent, nous devons réconcilier cette citation, qui reconnaît l’autorité de la hiérarchie ecclésiale post-Vatican II, avec sa citation qui nous appelle à nous séparer de ‘cette église conciliaire’. Le moyen logique de les réconcilier est de recourir à sa position claire et constante sur l’autorité de l’Église: elle doit être suivie quand elle est conforme à la foi, et on doit s’y opposer quand elle agit contre la foi. Au lieu de faire cela, la Résistance choisit de déchirer Monseigneur Lefebvre en deux morceaux, pour détruire sa constance et son intégrité, et ainsi saper toute son autorité morale.
La charité de défendre l’intégrité
Peut-être plus hardiment, la Résistance fait la même chose avec les gens vivants. Elle affirme que Monseigneur Fellay et son Conseil général ont tenu l’ecclésiologie de ligne dure en 2006, mais ont ensuite changé pour l’ecclésiologie de la reconnaissance canonique « telle quelle » en 2012, malgré toutes les protestations contraires de ceux-là mêmes dont la Résistance affirme comprendre les positions. Ainsi, la Résistance crée un deuxième Monseigneur Lefebvre et un deuxième Monseigneur Fellay, puis procède à la persécution du deuxième Monseigneur Fellay pour ne pas avoir suivi le premier Monseigneur Fellay et le deuxième Monseigneur Lefebvre. Les résistants ne semblent pas avoir l’impression que Monseigneur Lefebvre et Monseigneur Fellay sont des hommes intègres, se tenant à des principes catholiques inchangés sur la nature de l’autorité.
La charité nous commande de ne pas chercher, autant que possible, à juger si notre voisin est tombé dans des contradictions. Cela est d’autant plus vrai quand des personnes constituées en autorité sont concernées. L’Église a une longue histoire de la pratique de cette charité en interprétant les textes de ses grands personnages. Les Pères de l’Eglise, par exemple, ont toujours cherché à montrer que les Evangiles ne se contredisent jamais quand ils racontent de différentes manières le même épisode de la vie de Notre-Seigneur. Saint Thomas d’Aquin est passé maître dans l’interprétation des citations contestables des Pères de telle sorte qu’ils ne tombent pas dans l’erreur.
Au contraire, les exégètes modernistes pratiquent une anti-charité en trouvant partout des contradictions. Pour eux, les livres de l’Écriture se contredisent constamment, les livres individuellement pris sont si incohérents qu’ils doivent avoir plusieurs auteurs, et chaque chapitre et même chaque verset est si désespérément diversifié qu’il a dû subir de nombreux changements à travers les âges. En fin de compte, les modernistes ne semblent pas croire que quelque chose de fixe et de constant peut exister.
Mais laissez-les simplement regarder la vie de Monseigneur Lefebvre et ils y trouveront une réfutation vivante de leur position. Les consécrations épiscopales de 1988 ne l’ont nullement fait changer de principes. Si Monseigneur Lefebvre retirait sa signature du protocole de mai 1988 – protocole qui aurait conduit à la reconnaissance canonique – ce n’était pas parce qu’il cessait de reconnaître l’autorité des prélats avec lesquels il traitait. Au contraire, c’est parce qu’il a perdu confiance en eux, en ce sens que ceux-ci refusaient continuellement de fixer une date pour la consécration d’un évêque. Fixer une date était devenu le critère de Monseigneur Lefebvre pour faire confiance à Rome. 13 La date du 15 août était finalement fixée, mais accompagnée d’un demande de nouveaux candidats à la consécration. Monseigneur Lefebvre a constaté que le fait de recommencer le processus d’examen des candidats entraînerait le dépassement de la date du 15 août et que les consécrations seraient retardées une fois de plus. Alors, il est allé de l’avant en fixant les consécrations au 30 juin 1988. Il l’a fait seulement après avoir précisé qu’il n’y avait aucun problème moral avec la signature du protocole. Comme s’il s’adressait à ceux qui l’accuseraient d’agir selon de mauvais principes, il a dit à ses séminaristes, le 9 juin 1988 :
«Oui, c’est vrai, j’ai signé le protocole le 5 mai, un peu du bout des doigts, il faut bien le dire, mais quand même … Bon, en soi, c’est acceptable, sans quoi je ne l’aurais pas signé, bien sûr … »
Conclusion
Le Monseigneur Lefebvre de Monseigneur Sanborn, celui qui tient une ecclésiologie contradictoire et illogique, est de l’ordre du mythe. Une position selon laquelle l’autorité doit être obéie ou désobéie sur la base de la conformité de ses commandements à la foi et à la morale est loin d’être contradictoire ; une telle position est tout à fait catholique.
Le Monseigneur Lefebvre de la Résistance, celui qui a changé sa conception de l’autorité et son application à la crise, après les Sacres, relève aussi du mythe. Jusqu’à son dernier jour, Monseigneur Lefebvre a reconnu l’autorité de la hiérarchie conciliaire. Il était toujours, en principe, disposé à accepter une reconnaissance canonique de la FSSPX «telle qu’elle est». Ce n’est que lorsque les motivations malveillantes des Romains voulant reconnaître la FSSPX sont devenues claires qu’il a prudemment retiré, non ses principes, mais sa signature.
Le véritable Monseigneur Lefebvre – l’homme de l’Église, le champion de l’orthodoxie, le phare de la pureté doctrinale et de la charité missionnaire – était un homme d’une intégrité inflexible, qui avait la force surnaturelle d’appliquer les principes de la foi catholique même aux plus difficiles situations concrètes, même jusqu’à l’héroïsme. En tant que tel, il est un point de référence éminemment fiable pour les catholiques en général et en particulier pour les membres de la Fraternité sacerdotale qu’il a fondée.