La Revue Item - « La Tradition sans peur »
Suivez les activités de l'Abbé Aulagnier
Entraide et Tradition

La liturgie, conférence du Cardinal Sarah

publié dans nouvelles de chrétienté le 21 mai 2018


L’importance de la célébration ad orientem (1)

SOURCE – Paix Liturgique – lettre 144 – 15 mai 2018

Ce lundi de Pentecôte 2018, le cardinal Robert Sarah, Préfet du Culte divin et de la Discipline des Sacrements, célébrera une messe pontificale selon la forme extraordinaire du rite romain à l’occasion de la clôture du 36ème pèlerinage de Notre-Dame-de-Chrétienté en la cathédrale de Chartres. Ce grand événement, pour la France mais aussi pour tout le peuple Summorum Pontificum, nous offre l’occasion de vous proposer, avec son accord, les paroles très importantes prononcées par le cardinal Sarah dans une conférence donnée lors du dixième anniversaire de l’entrée en vigueur du motu proprio de Benoît XVI, le 14 septembre 2017 à Rome. Nous remercions aussi le RP Nuara, organisateur du colloque qui se tenait à l’Angelicum et dont les actes sont en cours de publication, de sa bienveillante autorisation.

« Silence et primat de Dieu dans la Sainte Liturgie »

Conférence du cardinal Robert Sarah, Préfet de la Congrégation pour le Culte Divin et la Discipline des Sacrements, lors du Cinquième Colloque Summorum Pontificum. Université Pontificale Saint Thomas d’Aquin, Rome. 14 septembre 2017.

Introduction
À l’occasion du dixième anniversaire de la publication du Motu Proprio Summorum Pontificum, je voudrais en tout premier lieu rendre grâces à Dieu. En effet, par ce texte, Benoît XVI a voulu offrir à l’Église un signe de réconciliation, qui a porté de nombreux fruits, et le Pape François continue cette œuvre avec le même élan. Dieu veut l’unité de l’Église, pour laquelle nous prions au cours de chaque célébration eucharistique : nous sommes donc appelés à parcourir, avec toujours plus d’ardeur et sans relâche, ce chemin de la réconciliation et de l’unité pour témoigner du Christ dans le monde d’aujourd’hui. Pour mettre en lumière cette initiative du Pape Benoît XVI, il est nécessaire de se référer à l’œuvre importante de celui qui était alors le Cardinal Ratzinger. Un peu moins d’un an avant son élection à la Chaire de Saint-Pierre, il prit position sur « la proposition de quelques liturgistes catholiques d’adapter finalement la réforme liturgique à la « volte-face anthropologique » de l’époque moderne, et de la construire sur des bases anthropocentriques ». À ce propos, il répliquait :
« Si la liturgie apparaît avant tout comme un laboratoire de notre agir, on oublie l’essentiel : Dieu. En effet, dans la liturgie, il ne s’agit pas de nous, mais de Dieu. L’oubli de Dieu est le danger le plus grave de notre temps. Contre un tel danger, la liturgie devrait dresser la présence de Dieu comme un rempart. Mais que se passe-t-il si l’oubli de Dieu s’infiltre dans la liturgie, et si nous ne pensons qu’à nous-mêmes ? Dans chaque réforme liturgique, comme aussi dans chaque célébration liturgique, l’attention devrait être orientée directement et avant tout vers le primat de Dieu. » (1)
« L’oubli de Dieu est le danger le plus grave de notre temps ». Chers frères et sœurs, soulignons la pertinence de ces paroles, qui étaient déjà tout à fait vraies quand elles furent écrites en juillet 2004 ; au long des années, elles apparaissent toujours plus percutantes. Notre monde est marqué par la plaie du terrorisme sans Dieu, un sécularisme toujours plus agressif, un esprit de consommation qui favorise une attitude individualiste par rapport à la création, les biens matériels et les relations humaines, et une culture de mort qui ne cesse de progresser et met en péril le droit à la vie de nos frères et sœurs les plus vulnérables : les enfants non encore nés, les malades et les personnes âgées.Face à cet athéisme, qui, progressivement, se répand partout, la Sainte Église de Dieu, c’est-à-dire nous-mêmes, en vertu de notre baptême et de notre vocation particulière, nous avons le devoir d’annoncer et de proclamer que « le Christ est la lumière des nations » et « appeler tous les hommes dans le sein de l’Église » (2). En effet, la route qui mène au Christ et à son Église est le chemin de la Vérité, de la Beauté et de la Bonté, dont l’accomplissement définitif est la vie éternelle dans la communion avec Dieu et avec tous les saints du Ciel. En revanche, ceux qui choisissent de suivre la voie que leur indique le Prince du mensonge risquent de tomber en enfer : telle est l’issue fatale du choix libre, conscient et volontaire du péché et du mal, c’est-à-dire une existence éternellement séparée de Dieu et des saints.
Chers frères et sœurs, nous ne devons jamais oublier ces vérités éternelles ! Pourtant, il est très vraisemblable que notre monde, lui, les a oubliées. En effet, en particulier dans le monde occidental opulent, notre société fait tout ce qu’elle peut pour nous cacher ces vérités, tout en nous anesthésiant avec des biens superficiels dans une cacophonie consumériste effrénée : il faudrait que nous prenions le temps et trouvions l’espace adéquat qui nous permettent de remettre en cause ses propositions et ses pratiques vides de sens. En présence d’une telle réalité, nous ne devons pas capituler. Nous devons annoncer inlassablement la Bonne Nouvelle de l’Évangile : oui, le péché et la mort ont été vaincus par Notre Seigneur Jésus Christ ; par son sacrifice sur la Croix, Jésus nous a obtenu le pardon de nos péchés pour que nous puissions vivre joyeusement en ce monde, dans l’espérance inébranlable de la vie éternelle. L’Église est appelée à annoncer, avec tous les moyens dont elle dispose et en toutes circonstances, cette Bonne Nouvelle à toute personne qu’elle rencontre. Cette tâche missionnaire essentielle et cet effort apostolique, qui ne sont rien d’autre que l’obéissance au Commandement que le Seigneur a laissé à son Église (cf. Mt 28, 19-20), sont eux-mêmes insérés dans une réalité plus vaste : notre rencontre avec Jésus Christ, dans le cadre de la Sainte Liturgie (3). C’est pour cette raison que le Concile Vatican II enseigne très justement en disant : « La liturgie est le sommet auquel tend toute l’action de l’Église, et en même temps la source d’où découle toute sa vertu » (Sacrosanctum Concilium, 10).
Nous pouvons nous poser cette question : si, à notre époque, la vitalité missionnaire de l’Église diminue d’intensité, si le témoignage des chrétiens dans un monde sans cesse plus athée ne cesse de faiblir, si notre monde a oublié Dieu, n’est-ce pas dû au fait que nous-mêmes, qui sommes « la lumière du monde » (Mt 5, 14), nous ne nous approchons pas comme nous devrions le faire de ce sommet auquel tend toute l’action de l’Église, ou nous n’allons pas puiser suffisamment en profondeur à cette source d’où provient toute son énergie, ce qui nous permettrait d’inviter tous les hommes à goûter de cette « source d’eau vive qui jaillit pour la vie éternelle » ? (Jn 4, 14).
Pour le Pape saint Jean-Paul II, il ne s’agissait pas seulement d’une interrogation, mais aussi de la constatation tragique de la crise de la foi, de notre infidélité à l’enseignement du Magistère, et de notre trahison du Concile Vatican II. En effet, il disait :
« En ce « nouveau printemps » du christianisme, on ne peut taire une tendance négative que ce document désire contribuer à surmonter: il semble que la mission spécifique ad gentes devienne MOINS ACTIVE, ce qui ne va assurément pas dans le sens des directives du Concile et de l’enseignement ultérieur du Magistère. Des difficultés internes et externes ont AFFAIBLI l’élan missionnaire de l’Église à l’égard des non-chrétiens, et c’est là un fait qui doit inquiéter tous ceux qui croient au Christ. Dans l’histoire de l’Église, en effet, le dynamisme missionnaire a toujours été un signe de vitalité, de même que son affaiblissement est le signe d’une crise de la foi » (4). Lorsque nous entendons certains évêques ou certaines Conférences épiscopales s’exprimer sur certaines questions d’ordre dogmatique et moral en opposition radicale avec la Révélation divine, lorsqu’au sein de l’Église, on note un langage volontairement confus ou de sérieuses divisions en ce qui concerne l’enseignement pérenne du Magistère, on est en droit de se demander si, aujourd’hui, il n’y a pas une véritable et dramatique crise de la foi, surtout au niveau du clergé et de la hiérarchie de l’Église.
Si la situation est vraiment celle que nous évoquons, si l’Église de notre temps fait preuve d’un zèle moins ardent et efficace pour conduire les personnes au Christ, l’une des causes pourrait provenir de notre manque de participation à la Sainte Liturgie d’une manière authentique et active. Cette lacune est peut-être due à son tour à l’absence d’une formation liturgique adéquate, au sujet de laquelle le Saint-Père François a fait part de sa préoccupation. Voici ce qu’il dit :
« Une liturgie détachée du culte spirituel risquerait de se vider, de perdre l’originalité chrétienne pour revêtir un sens sacré générique, presque magique, et un esthétisme vide. Étant une action du Christ, la liturgie pousse de l’intérieur à se revêtir des sentiments du Christ, et dans ce dynamisme, toute la réalité est transfigurée. « Notre vie quotidienne dans notre corps, dans les petites choses, devrait être inspirée, donnée, plongée dans la réalité divine, devrait devenir une action avec Dieu. Cela ne veut pas dire que nous devons toujours penser à Dieu, mais que nous devons être réellement pénétrés par la réalité de Dieu, afin que toute notre vie soit liturgie, soit adoration ». (5)
À l’action de grâce à Dieu pour ce qu’il a été possible d’accomplir, il est nécessaire d’unir une volonté renouvelée d’aller de l’avant sur le chemin indiqué par les Pères conciliaires, car il reste encore beaucoup à faire pour une assimilation correcte et complète de la Constitution sur La liturgie de la part des baptisés et des communautés ecclésiales. Je me réfère en particulier à l’engagement en vue d’une initiation et d’une formation liturgique solides et structurées, tant des fidèles laïcs que du clergé et des personnes consacrées. » (6)
De plus, cela peut être dû au fait que très souvent, lorsque la liturgie n’est pas célébrée fidèlement et entièrement comme l’Église le demande, elle nous appauvrit ou elle nous prive de cette rencontre pleine et entière avec le Christ dans l’Église, qui, pourtant, est un droit de tout baptisé.
Beaucoup de liturgies ne sont vraiment rien d’autre qu’un théâtre, un divertissement mondain, avec beaucoup de discours, des cris étrangers au Mystère qui est célébré, beaucoup de bruits, de danses et de mouvements corporels, qui ressemblent à des manifestations folkloriques. En revanche, la liturgie devrait être un moment de rencontre personnelle et d’intimité avec Dieu. L’Afrique tout particulièrement, mais probablement aussi l’Asie et l’Amérique latine devraient réfléchir sur leur ambition humaine d’inculturer la liturgie : pour cela, il faut invoquer l’Esprit Saint, agir avec prudence et la volonté de guider les fidèles chrétiens vers la sainteté, ce qui permettrait d’éviter la superficialité, des créativités ou adaptations mortelles, le folklore et l’autocélébration culturelle. Chaque célébration liturgique doit placer Dieu au centre, et seulement Dieu, ainsi que notre désir de sanctification. Il faut donc éviter la créativité et les adaptations fantaisistes qui tuent le Mystère pascal et la foi chrétienne. Comme le dit Benoît XVI : « Cette créativité a souvent porté à des déformations de la liturgie à la limite du supportable. Je parle d’expérience, parce que j’ai vécu moi aussi cette période avec toutes ses attentes et ses confusions. Et j’ai constaté combien les déformations arbitraires de la liturgie ont profondément blessé des personnes qui étaient totalement enracinées dans la foi catholique. » (7)
Aujourd’hui, en ce dixième anniversaire de l’entrée en vigueur du Motu Proprio Summorum Pontificum du Pape Benoît XVI, il n’est pas inutile de poser la question de l’application de la réforme liturgique promue par le Concile Vatican II, et de ce que l’on peut appeler les « répercussions » liturgiques et pastorales de ces dernières années. Ce ne sont pas des questions périphériques, ou qui seraient réservées aux spécialistes de la liturgie, ou encore qui n’intéresseraient que ceux qu’on appelle les « traditionalistes ». En effet, comme l’a écrit le Cardinal Ratzinger, en 1997, « il est certain que la célébration authentique de la Sainte Liturgie est le centre de tout le renouveau de l’Église ». (8)
Le primat de Dieu dans la Sainte Liturgie
Dans la citation du Cardinal Ratzinger, qui introduisait mon propos, celui-ci pose la question suivante : « Que se passe-t-il si, dans la liturgie, s’infiltre l’oubli de Dieu et que nous ne pensons qu’à nous-mêmes ? ». Cette demande peut sembler étrange, mais elle provient en réalité d’une véritable tendance, durant les décennies récentes, à organiser et à célébrer des liturgies dont le centre est avant tout la célébration de la communauté, jusqu’à l’exclusion, dans certains cas, au moins apparemment, de Dieu lui-même. Je dis « apparemment », parce que je ne veux pas juger les intentions des personnes qui promeuvent ou célèbrent de telles liturgies anthropocentriques : elles peuvent être les victimes d’une formation théologique et liturgique que l’on peut qualifier de pauvre ou même de déficiente.
Il est vrai néanmoins que de telles célébrations sont inacceptables parce qu’elles réduisent ce qui constitue la véritable substance surnaturelle de la liturgie à un niveau purement naturel, en contradiction avec l’enseignement de la Constitution sur la Sainte Liturgie du Concile Vatican II, et, avant la promulgation de ce document, avec l’enseignement de l’Encyclique Mediator Dei, du Vénérable Pape Pie XII, qui dit :
« C’est à juste titre que la liturgie est considérée comme l’exercice de la fonction sacerdotale de Jésus Christ, exercice dans lequel la sanctification de l’homme est signifiée par des signes sensibles et réalisée d’une manière propre à chacun d’eux, et dans lequel le culte public intégral est exercé par le Corps mystique de Jésus Christ, c’est-à-dire par le Chef et par ses membres.Par conséquent, toute célébration liturgique, en tant qu’œuvre du Christ Prêtre et de son Corps qui est l’Église, est l’action sacrée par excellence dont nulle autre action de l’Église ne peut atteindre l’efficacité au même titre et au même degré. » (9)
Comme je l’ai dit en 2016, au cours de la Conférence que j’ai prononcée à Londres, en Angleterre, sur la « Sainte Liturgie » (Sacra Liturgia 2016) :
« La liturgie catholique est le lieu privilégié et singulier de l’action salvifique de Dieu dans le monde, aujourd’hui. Et elle le fait à travers une participation réelle par laquelle nous recevons la grâce et la force qui nous sont si nécessaires pour persévérer et croître dans la vie chrétienne. La liturgie est un lieu d’institution divine où nous venons accomplir l’offrande du sacrifice dû à Dieu, le seul véritable sacrifice. C’est l’endroit où nous prenons conscience de notre profond besoin d’adorer le Dieu tout-puissant. La liturgie catholique est une réalité sacrée : une réalité sainte par nature. La liturgie catholique n’est pas une assemblée humaine ordinaire.
… C’est Dieu et non l’homme qui est au centre de la liturgie catholique. Nous venons pour l’adorer. Dans la liturgie, il ne s’agit pas de vous ou de moi. Ce n’est pas le lieu où nous célébrons notre propre identité, nos réalisations, où nous exaltons ou promouvons notre propre culture et les valeurs de nos coutumes religieuses locales. La liturgie concerne et appartient d’abord et avant tout à Dieu et célèbre ce qu’il a fait pour nous. Le Tout-Puissant, dans sa divine Providence, a fondé une Église et institué la sainte liturgie. À travers elle, il nous est possible de rendre un authentique culte à Dieu, en conformité avec la Nouvelle Alliance établie par le Christ. » (10)
Ainsi, Dieu doit occuper la première place dans chacun des éléments qui composent notre célébration liturgique. C’est par amour pour Lui et pour Lui rendre un culte, de la manière la plus complète possible, que nous mettons à part et consacrons les personnes, les lieux et les choses qui sont destinés spécifiquement à Son service dans le cadre de la Sainte Liturgie. Notre désir d’ « oser autant que nous le pouvons » (cf. Saint Thomas d’Aquin, Séquence de la Fête du Corpus Domini : « Quantum potes, tantum aude, quia major omni laude nec laudare sufficis ») (11) pour louer et adorer Dieu, le Père, le Fils et le Saint Esprit, dans la Sainte Liturgie, est en soi un acte de culte intérieur. Il s’ensuit naturellement que cette disposition doit avoir une expression extérieure. C’est pourquoi nos églises devraient être de belles expressions de notre amour à l’égard de Dieu, ceux qui servent la liturgie – personnes ordonnées et fidèles laïcs – devraient prévoir le temps nécessaire pour bien préparer toutes les actions liturgiques, et, de même, les ornements qu’ils revêtent devraient susciter la révérence et la stupeur envers les mystères divins que ces personnes ont le privilège de servir et de célébrer. Pareillement, ce que nous utilisons dans la liturgie devrait mettre en évidence le primat de Dieu : rien n’est assez bon, beau et précieux pour Son service. Même s’ils sont humbles, à la mesure des moyens qui sont à notre disposition, nos vases sacrés, les ornements liturgiques et les autres objets du culte devraient se singulariser par la qualité, le raffinement et la beauté, qui sont autant des signes de l’amour et du sacrifice que nous voulons offrir, par leur intermédiaire, à notre Dieu Tout-Puissant. Il en est de même de notre chant et de notre musique : ils devraient élever les cœurs et les esprits vers Lui, et non pas – comme on peut le constater trop fréquemment – refléter de simples sentiments humains et des us et coutumes, qui prévalent dans notre société et dans notre culture.
Vous savez sans doute que, ces dernières années, j’ai souvent parlé de l’importance du retour à l’orientation du prêtre et des fidèles vers l’Orient, ou de se tourner ad Deum ou ad Orientem, pendant la célébration eucharistique. Cette attitude est adoptée universellement dans les célébrations de l’usus antiquior – la forme ancienne du rite Romain – que le Pape Benoît XVI, dans Summorum Pontificum, a mis librement à la disposition de tous ceux qui désirent célébrer selon cette forme. Toutefois, cette pratique, belle et ancienne, qui manifeste avec tant d’éloquence le primat de Dieu Tout-Puissant au cœur de la Messe, n’est pas réservée à l’usus antiquior. Cette pratique vénérable est permise, elle est même parfaitement appropriée – et j’insiste sur ce point – elle a également beaucoup d’avantages, dans les célébrations selon l’usus recentior, qui est la forme la plus récente du Rite Romain.
Quelqu’un pourrait objecter que j’accorde trop d’importance aux petits, et même aux menus détails de la Sainte Liturgie. Toutefois, comme tous les gens mariés le savent bien, les petits détails, dans les relations amoureuses, sont très importants, parce que c’est par eux que l’amour des conjoints s’exprime et se vit jour après jour. Les « petites choses » de la vie conjugale expriment et protègent les réalités plus grandes. Il en est ainsi de la liturgie : quand les rites, y compris les plus petits, deviennent de la routine et ne sont plus des actes du culte qui expriment la réalité de mon cœur et de mon âme, quand je ne prends plus soin des détails, quand je pourrais faire plus pour me préparer et célébrer, plus dignement et avec plus de beauté, la liturgie, mais que je ne veux plus le faire, alors je cours le grand risque que mon amour à l’égard de Dieu Tout-Puissant se refroidisse. Nous devons être attentifs à cela. Les petits actes d’amour envers Dieu, qui consistent à faire tout son possible pour appliquer, avec une grande attention, ce que la liturgie nous prescrit, sont très importants. Si nous les négligeons, si nous les refusons en arguant de leur banalité et en affirmant que ce sont des détails trop pointilleux, nous pouvons très bien découvrir un jour, comme cela arrive parfois tragiquement, que, sans nous en rendre compte, nous nous sommes séparés de Dieu, comme deux époux qui s’éloignent progressivement l’un de l’autre parce que les menus détails de leur amour se sont refroidis et ont tué leur tendresse réciproque.
Le Cardinal Ratzinger insiste sur ce point : « Dans chaque réforme liturgique et dans chaque célébration liturgique, l’attention devrait être orientée avant tout vers le primat de Dieu » (12). Si nous appliquons ce principe à l’ensemble des actions liturgiques, qu’elles soient grandes ou petites, Dieu aura vraiment le primat qu’il lui revient légitimement dans la Sainte Liturgie. Alors, Il aura ce même primat dans nos cœurs et dans nos esprits. Et nos célébrations liturgiques, autant que nous-mêmes, deviendront de belles icônes de Sa présence salvifique, ce qui permettra à ceux qui ne connaissent pas Dieu et Son Église de trouver la voie du salut.
(à suivre)
———-
1 RATZINGER J., Théologie de la liturgie, Opera Omnia vol. XI, Librairie Editrice Vaticane, Cité du Vatican 2010, Partie E, chap. VIII, le développement organique de la liturgie, p. 793.
2 Sacrosanctum Concilium, 1.
3 Cf. Ma Conférence à Milan au cours du Colloque “Sacra Liturgia Milano 2017” : La sainte Liturgie-notre rencontre avec le Dieu Tout-Puissant : une perspective christologique et ecclésiologique, 6 juin 2017.
4 Redemptoris Missio, 2. Cf. PAUL VI, Message à l’occasion de la Journée missionnaire mondiale 1972, Enseignements X (1972), 522: « Ces tensions internes qui affaiblissent et lacèrent certaines Églises et institutions locales disparaîtraient face à la ferme conviction que le salut des communautés locales se conquiert par la coopération à l’œuvre missionnaire, pour que celle-ci s’étende jusqu’aux confins de la terre ! ».
5 Benoît XVI, Lectio divina au Séminaire romain, 15 février 2012.
6 Message du Saint-Père François aux participants au Symposium Sacrosanctum Concilium. Gratitude et engagement pour un grand mouvement ecclésial, 18 février 2014.
7 Lettre de Benoît XVI aux évêques du monde entier qui accompagne la Lettre Apostolique en forme de Motu Proprio Summorum Pontificum sur l’usage de la liturgie romaine antérieure à la réforme de 1970, 7 juillet 2007.
8 Préface à Franz Beid, éd., La Sainte Liturgie, Dossier établi par l’“Internationale Theologische Sommer Akademie 1997 » des prêtres du Cercle de Linz, Ennsthalter Verlag, Steyr 1997.
9 Sacrosanctum Concilium, 7.
10 SARAH Card. Robert, Allocution du 5 juillet 2016 à l’occasion du Colloque sur Sacra Liturgia 2016, prononcée à Londres, à l’Imperial College. « Pour une application authentique de Sacrosanctum Concilium ». Voir nos lettres 554, 555 et 556.
11 Autant que tu le peux, tu dois oser, car Il dépasse tes louanges et tu ne pourras jamais trop Le louer. Il est au-dessus de toutes louanges, et quoi que tu fasses pour Le louer et Le chanter, tu ne pourras jamais le faire assez.
12 RATZINGER J., Théologie de la liturgie, Opera Omnia vol. XI, Librairie Editrice Vaticane, Cité du Vatican 2010, Partie E, chap. VIII, le développement organique de la liturgie, p. 793.
——————————-
 Deuxième partie.

«Silence et primat de Dieu dans la Sainte Liturgie» (2)

SOURCE – Paix Liturgique – lettre 645 – 22 mai 2018

La Liturgie est sacrée

Ce lundi de Pentecôte 2018, le cardinal Sarah a célébré la traditionnelle messe finale du pèlerinage de Pentecôte en la cathédrale de Chartres, en présence d’une foule considérable, plus importante que jamais. Tandis que le pape François constatait devant les évêques italiens l’hémorragie des vocations dans la Péninsule, le Cardinal a particulièrement insisté auprès des jeunes qu’il avait devant lui sur l’appel du Seigneur à une vie sacerdotale et religieuse. Son sermon est facilement accessible en ligne, par exemple ici.

Pour notre part, nous vous proposons la partie centrale de la conférence donnée à Rome le 14 septembre 2017 par le Préfet du Culte divin lors du dixième anniversaire de l’entrée en vigueur du motu proprio de Benoît XVI. Riche de pépites, ce texte montre aussi que la défense du célibat sacerdotal que le Cardinal a faite à Chartres ce week-end, face à ceux qui s’activent pour conférer le sacrement de l’Ordre à des hommes mariés, est parfaitement dans la ligne de ce qu’il disait à Rome au sujet du caractère sacré et retiré du monde, tout en y restant plongés, des prêtres, des religieux et des religieuses.

« Silence et primat de Dieu dans la Sainte Liturgie » (2)

Conférence du cardinal Robert Sarah, Préfet de la Congrégation pour le Culte Divin et la Discipline des Sacrements, lors du Cinquième Colloque Summorum Pontificum. Université Pontificale Saint Thomas d’Aquin, Rome. 14 septembre 2017.

Le cardinal Sarah célébrant la forme
ordinaire orientée en 2016 à Londres.

Le principe de réserver, c’est-à-dire de mettre à part certaines réalités créées destinées au culte de Dieu Tout-Puissant, est quelque chose que le Seigneur Dieu Lui-même n’a cessé d’exiger de nos ancêtres, les Hébreux. Cette pratique a été opportunément adoptée par l’Eglise des premiers siècles, dès qu’elle a pu bénéficier de la liberté de célébrer un culte public. Nous utilisons le mot « consacré », qui vient du verbe latin sacrare – il signifie : rendre saint ou dédier exclusivement à un service particulier – pour désigner les personnes, les lieux et les choses, qui sont mis à part pour le culte de Dieu Tout-Puissant.

Après que les biens de la création de Dieu ont été consacrés, ils ne sont plus disponibles pour un usage ordinaire ou profane ; ils appartiennent exclusivement à Dieu. Ceci est vrai pour les religieux et les religieuses, en particulier les moines et les moniales, les diacres, les prêtres et les évêques, et cet état est ou devrait se refléter sur leurs habits et leurs comportements, même quand ils ne sont pas en train d’exercer un ministère ou un service dans le cadre de la Sainte Liturgie. Cela est vrai aussi pour les divers objets, grands ou petits, qui sont utilisés pour le culte liturgique. L’un des trésors de l’usus antiquior est le corpus très vaste des bénédictions et des consécrations des choses destinées à l’usage liturgique, qui sont insérées dans le Rituale Romanum et dans le Pontificale Romanum. Combien il est émouvant d’assister à la résurgence d’une coutume qui consiste, de la part de ceux qui sont sur le point d’être ordonnés prêtres, de demander à l’évêque de consacrer, avant leur ordination, le calice et la patène, dont ils se serviront tout au long de leur ministère sacerdotal ! Quelle belle expression de foi et d’amour que cette offrande généreuse de ces nouveaux objets destinés au culte de Dieu Tout-Puissant, et qui sont remis au prêtre pour recevoir la bénédiction de l’Eglise avant leur utilisation !
Ces rites et ces coutumes, petits et trop souvent oubliés, nous enseignent d’une manière éloquente que l’ensemble de la liturgie est une réalité essentiellement sacrée, et donc distincte de notre manière d’agir ordinaire et quotidienne. En effet, comme l’enseigne le Concile Vatican II, ces différents éléments nous rappellent que, dans la Sainte Liturgie c’est Dieu qui agit, et non pas nous (cf. Sacrosanctum Concilium, 7, cité ci-dessus). Au cœur de la Sainte Liturgie, c’est Lui qui nous bénit et nous comble de sa grâce, la source de notre salut. Selon le Concile Vatican II : « Toute célébration liturgique, en tant qu’œuvre du Christ Prêtre et de son Corps qui est l’Église, est l’action sacrée par excellence dont nulle autre action de l’Église ne peut atteindre l’efficacité au même titre et au même degré »1. « Ainsi, quand une célébration correspond à ce qu’elle doit être essentiellement, c’est-à-dire « un culte public intégral » et « une action sacrée par excellence » (SC, n. 7), elle ne peut que manifester et promouvoir l’adoration de Dieu Un et Trine, elle resplendit dans la majesté des gestes et des signes, elle manifeste qu’elle n’est pas une simple action humaine, mais « l’œuvre du Christ Prêtre et de Son Corps, qui est l’Eglise » (SC, 7), elle éduque l’homme à la vraie vie, qui est fondamentalement une vie ordonnée à Dieu (ordo ad Deum). Ce Primat de l’Absolu, de l’Eternel, ne peut surgir que de l’humble prise de conscience, de la part des prêtres et des laïcs, que la liturgie n’est pas le lieu de la créativité ou de l’adaptation, mais le lieu du « déjà donné », où le passé, le présent et l’avenir se rejoignent en un instant qui est réellement atemporel »2.
Avant la théophanie du buisson ardent, le Seigneur dit à Moïse : « N’approche pas d’ici ! Retire les sandales de tes pieds, car le lieu où tu te tiens est une terre sainte ! » (Ex 3, 5). Le même commandement s’applique encore plus aujourd’hui à la théophanie permanente de Dieu fait homme pour notre salut, qui s’accomplit partout dans le monde quand la Sainte Liturgie est célébrée avec fidélité, selon les normes établies par l’Eglise. Mais, par rapport au buisson ardent, on peut noter une différence importante : nous sommes invités à nous « approcher », nous sommes invités au saint Festin du Sacrifice du Corps et du Sang du Seigneur. Cette invitation sans précédent ne devrait pas susciter de notre part une familiarité excessive ! Une profonde humilité et stupeur devant Dieu sont requises, si nous voulons participer de façon fructueuse au vivifiant Festin des Noces de l’Agneau, Lui qui est la source de vie (cf. Ap 19, 9)3.
Cependant, cette invitation devrait nous rendre plus généreux. En réponse à l’invitation aux Noces de l’Agneau, nous sommes appelés à offrir au Seigneur rien d’autres que nos prémices (cf. Pr 3, 9), autant matérielles que spirituelles. Nous pouvons contribuer, selon les moyens et les talents reçus de Dieu, à la matière de la liturgie. Mais nous n’oublions jamais l’enseignement des Béatitudes, à savoir que nous devons d’abord être réconciliés et libérés de tout ressentiment par Dieu avant de présenter nos offrandes à l’autel (cf. Mt 5, 24). En effet, toutes nos offrandes extérieures, y compris celles que nous offrons au cours d’un service liturgique, devraient refléter notre relation intérieure avec le Seigneur. Elles devraient provenir humblement du « sacrifice qui plaît à Dieu », d’« un cœur brisé et broyé », comme chante le psalmiste (cf. Ps 50 [51], 19). Autrement, on court le risque d’un ritualisme vide, et même d’une forme de « matérialisme liturgique » ou de pharisaïsme. Ce que nous offrons à Dieu dans la Sainte Liturgie, ce que nous faisons dans le cadre du culte public dans son Eglise, doit être le meilleur possible, mais tout doit être offert en pleine harmonie avec notre vie chrétienne et notre mission, de telle façon que nos actions liturgiques et extérieures soient imprégnées d’intégrité, qui est elle-même quelque chose de saint, de sacré, qui chante la gloire du Dieu vivant et qui agit aujourd’hui dans son Eglise.

Notre réponse au contact avec le sacré : le silence et la stupeur 

Dans le livre de l’Apocalypse, nous lisons que, lorsque l’Agneau ouvrit le septième et dernier sceau du livre en forme de rouleau, « il y eut dans le ciel un silence d’environ une demi-heure » (Ap 8, 1). Pourquoi ce silence consécutif au bouleversement cosmique qui a accompagné l’ouverture du sixième sceau ? Les spécialistes nous disent qu’il s’agit du silence de l’attente, de l’anticipation du Jugement implacable de Dieu pour tant de personnes qui ont souffert le martyre tout au long de l’histoire chrétienne. C’est le silence de la stupeur, de l’adoration, en la présence silencieuse du Dieu Tout-Puissant, qui est là et qui s’apprête à agir.
Quand nous rencontrons le sacré, quand nous sommes face à face avec Dieu, nous devenons naturellement silencieux, et nous nous mettons à genoux dans un geste d’adoration. Nous nous agenouillons humblement pris par la stupeur, et en signe de soumission devant notre Créateur. Nous nous mettons à l’écoute de sa Parole, nous accueillons son action salvifique, avec vénération, avant même de la recevoir effectivement dans la liturgie. Il y a des dispositions fondamentales pour entrer en contact avec la Sainte Liturgie. Si je suis plein de moi-même et des bruits du monde, c’est qu’il n’y a aucune place en moi pour le silence. Si l’orgueil humain règne dans mon cœur, de telle sorte que c’est seulement devant ma personne que je suis frappé de stupeur, alors il me sera presque impossible de rendre un culte au Dieu Tout-Puissant, d’écouter sa Parole ou de permettre à cette Parole de prendre racine dans ma vie. Comme l’affirme Romano Guardini : « Si quelqu’un me demandait où commence la vie liturgique, je lui répondrais : par l’apprentissage du silence, sans le silence, tout manque de sérieux et reste vain. Mais qu’est-ce que le silence ? Le silence est le calme de la vie intérieure. Il est la profondeur du courant caché. Il est présence recueillie, ouverte et disponible. Seul le silence peut édifier ce qui va porter la célébration sacrée, à savoir la communauté liturgique, et créer l’espace où cette célébration va s’accomplir : l’Eglise. On peut donc dire sans exagérer que faire silence est le premier acte du service sacré. Mais maintenant, allons un peu plus loin. Le silence, si on le considère sous un autre aspect, implique une relation étroite avec l’acte de parler et avec la parole elle-même. La parole ne prend son importance et sa puissance propres que lorsqu’elle sort du silence. Mais la réciproque est également vraie ici : pour que le silence ait sa fécondité et sa puissance réalisatrice, il faut que la parole s’exprime dans une parole communiquée. Le silence et la parole vont ensemble. L’un suppose l’autre. Même si la liturgie consiste pour une grande part en paroles dites par Dieu ou adressées à Dieu, il faut toujours s’exercer au silence d’où jaillira une parole consistante, régénératrice et bannir le bruit de toute célébration liturgique. En effet, le bruit assassine la liturgie. Le bruit tue la prière. Il nous arrache et nous exile loin de nous-mêmes et de Dieu, qui parle « non point dans l’orage et le tremblement de terre dont la force et violence fendaient les montagnes et brisaient les rochers, mais dans la voix d’un silence subtil (cf. 1 R 19, 12). L’importance du silence pour la célébration sacrée ne peut pas être surestimée, qu’il s’agisse du silence qui la prépare ou de celui qui doit se produire au cours de la célébration. Le silence ouvre la source intérieure d’où jaillit la parole qui se fait prière, louange et adoration silencieuse »4.
Le silence est donc la clef : le silence de la vraie humilité face à mon Créateur et Rédempteur, qui chasse l’orgueil perfide et ferme les portes à la clameur du monde. Les exigences de ma vocation peuvent réclamer de ma part beaucoup d’activités, et même des moyens, jusqu’à ce que je sois de jour en jour noyé dans les bruits du monde. Les dons que le Dieu Tout-Puissant m’a accordés pourraient signifier que je doive recevoir un juste éloge pour ce que je suis parvenu à réaliser pour le servir. Même dans ces circonstances, il est impossible de demeurer dans le silence d’une vraie humilité en présence de Dieu. De fait, si je désire rendre un culte à Dieu et non à moi-même, et encore moins à quelqu’un d’autre, une telle attitude de silence est absolument nécessaire.
Nos rites liturgiques eux-mêmes, en tant que réalisation et célébration des réalités les plus sacrées de l’Eglise, que nous rencontrons dans cette vie, doivent eux aussi être imprégnés de ce silence et de cette stupeur que Dieu suscite. Je fais davantage référence à la consistance du numineux, de la transcendance qui impose des moments spécifiques de silence, qui peuvent parfois être artificiels. C’est ainsi que je peux être silencieux dans mon cœur, mon esprit et mon corps, et être en même temps saisi de stupeur face à Dieu présent dans la Sainte Liturgie, à condition toutefois que celle-ci soit célébrée d’une manière aussi parfaite que possible, et avec cette diversité des rites qui la rend si facile. En cela, les célébrations solennelles de la Sainte Messe dans l’usus antiquior est un excellent paradigme, parce que ses différents niveaux au contenu si riche, ainsi que les points de connexion que l’action du Christ nous offre, nous permettent de parvenir à ce silence du cœur, de l’esprit et du corps. Il s’agit certainement d’un trésor qui pourrait enrichir certaines célébrations de l’usus recentior, qui sont parfois trop horizontales et bruyantes.
De même, les ministres de la liturgie doivent aborder les rites liturgiques qu’ils célèbrent avec les mêmes dispositions de stupeur, de respect et de silence. Nous devons être humbles et manifester un profond respect à l’égard de la Sainte Liturgie telle que nous l’avons reçue de l’Eglise. Le Concile Vatican II dit avec insistance que, hormis les autorités dûment instituées, « absolument personne d’autre, même prêtre, ne peut, de son propre chef, ajouter, enlever ou changer quoi que ce soit dans la liturgie »5. Il ne nous appartient pas de réécrire les livres liturgiques, mus par notre propre orgueil ou celui des autres, qui pensent pouvoir faire mieux que l’Eglise. Il est malheureux qu’une telle tentation puisse exister, aussi bien parmi ceux qui se servent des anciens livres liturgiques que ceux qui utilisent les livres récents. Les pratiques liturgiques non autorisées sont comme des notes discordantes dans la symphonie des rites de l’Eglise, et elles produisent des sons confus qui troublent les âmes. Ce n’est pas de la créativité, et encore moins une vraie pastorale. Non : seule une fidélité fondée sur l’humilité, la stupeur et le silence du cœur, de l’esprit et de l’âme, dans le respect des rites de l’Eglise, est requise de chacun de nous. Ne permettons pas que le péché d’orgueil liturgique s’enracine dans nos âmes !
Quand le prophète Élie fut appelé pour rencontrer le Seigneur sur le Mont Horeb, « il y eut un ouragan, si fort et si violent qu’il fendait les montagnes et brisait les rochers, mais le Seigneur n’était pas dans l’ouragan ; et après l’ouragan, il y eut un tremblement de terre, mais le Seigneur n’était pas dans le tremblement de terre ; et après ce tremblement de terre, un feu, mais le Seigneur n’était pas dans ce feu ; et après ce feu, le murmure d’une brise légère » (1 R 19, 11-12). Et c’est dans ce murmure de la brise légère que Elie rencontra le Seigneur. Chers frères et sœurs, il est impératif que nous prêtions l’oreille à cette voix suave qui nous parle avec calme, sérénité et amour dans la Sainte Liturgie de l’Eglise ; c’est pourquoi, nous devons faire preuve de cette humilité, de ce silence et de cette stupeur révérentielle à l’égard de Dieu, qui nous rend capable d’écouter la Parole de Dieu et d’en vivre d’une manière plus fructueuse.

Le silence du cœur, de l’esprit et de l’âme, clef de la participation authentique à la liturgie 

Le silence du cœur, de l’esprit et de l’âme : n’est-ce pas là la clef qui permet d’atteindre ce que désiraient le mouvement liturgique du XX siècle et les Pères du Concile Vatican II, c’est-à-dire la participation pleine, consciente et effective à la Sainte Liturgie ?6 De fait, comment puis-je vraiment participer fructueusement aux Saints Mystères si mon cœur, mon esprit et mon âme sont obstrués par le péché, couverts par le tumulte du monde, et appesantis par toutes ces choses qui ne proviennent pas de Dieu ?
Chacun de nous a besoin d’un espace intérieur pour accueillir le Seigneur qui accomplit son œuvre de salut dans les rites de Sa Sainte Eglise. Dans le monde moderne, cela requiert un effort de notre part. En premier lieu, je dois purifier mon âme, ou mieux, laisser que Dieu Tout-Puissant la purifie par le sacrement de Pénitence célébré fréquemment, intégralement et en toute humilité. Tant que le péché règne dans mon cœur, je ne peux pas espérer penser profondément à « la source première et indispensable à laquelle les fidèles doivent puiser un esprit vraiment chrétien »7.
En second lieu, je dois m’efforcer – d’une manière ou d’une autre – de mettre de côté, même temporairement, le monde et ses constantes sollicitations. Je ne peux pas participer pleinement et fructueusement à la Sainte Liturgie si j’ai la tête ailleurs. Tous, nous bénéficions des progrès de la technologie moderne, mais les multiples moyens technologiques (peut-être même sont-ils trop nombreux ?), dont nous dépendons, peuvent exercer sur nous leur domination par un flux constant de communication et de questionnements qui exigent des réponses immédiates. Si nous voulons célébrer la liturgie correctement, nous devons laisser tous ces appareils derrière nous. Peut-être est-il très pratique et facile de prier le bréviaire avec son téléphone portable ou son « ipad », mais ce n’est pas digne, car cela a pour conséquence de désacraliser la prière. En effet, ces appareils ne sont pas des instruments consacrés et réservés à Dieu, mais nous les utilisons autant pour Dieu que pour les choses profanes ! Les moyens électroniques doivent être éteints, ou mieux encore, quand nous venons pour le culte divin, nous devons les laisser à la maison. Dans de précédentes interventions, j’ai dit qu’il est inacceptable de prendre des photographies pendant les célébrations de la Sainte Liturgie ; c’est particulièrement un scandale quand ce sont des clercs, revêtus des ornements, qui agissent de cette manière, alors qu’ils sont en plein service liturgique8. Nous ne pouvons pas centrer notre attention sur Dieu, si nous sommes occupés à autre chose ou à manipuler des machines. Nous ne pouvons pas écouter Dieu qui nous parle, si nous sommes occupés à communiquer avec quelqu’un d’autre, ou si nous nous comportons comme un photographe.
De même, nous ne pouvons pas écouter la voix de Dieu, ou nous préparer attentivement à l’entendre, si, dans l’église, nos frères et sœurs sont, eux aussi, à la fois distraits et occupés à faire du bruit. Telle est la raison pour laquelle le silence et le calme sont si importants dans nos églises avant, pendant et après les célébrations liturgiques. Comment pouvons-nous espérer fixer intérieurement notre attention sur Dieu si, dans nos églises, il ne règne que distraction, agitation et bruit ? En faisant cette réflexion, je ne désire absolument pas exclure la juste place de l’orgue ou d’autres musiques qui peuvent favoriser la prière silencieuse et la contemplation, et couvrir le bruit accidentellement produit par les gens qui arrivent, etc… pourtant, l’orgue doit se taire et n’intervenir que de façon judicieuse et respectueuse du silence et du recueillement de l’assemblée en dialogue intime avec son Dieu. Mais je pense vraiment que nous avons besoin de faire un effort pour que nos églises, en particulier la sacristie et le sanctuaire, ne soient pas transformées en des lieux de bavardages, où on se prépare à célébrer la Liturgie à la hâte, de manière superficielle et à la dernière minute, ou simplement en des espaces réservés aux relations sociales. Ils doivent plutôt être des lieux privilégiés qui nous permettent de fixer notre attention sur le Mystère que nous sommes sur le point de célébrer. Il est toujours loisible de fréquenter les autres et de leur parler à l’issue de la célébration, dans un autre endroit, quel qu’il soit, et, c’est justement ainsi que nous devrions nous comporter. Un silence empreint de piété, autant dans l’église que dans la sacristie, devrait constituer en soi une école de la participatio actuosa conduisant tous ceux qui y entrent à ce silence du cœur, de l’esprit et de l’âme indispensables pour accueillir ce que le Dieu Tout-Puissant veut nous offrir par l’intermédiaire de la Sainte Liturgie. S’il est vraiment nécessaire de faire quelques annonces dans l’église, on devrait agir avec déférence et respect en tenant compte du lieu où l’on se trouve, et de l’action que l’on est en train d’accomplir. En dehors de l’homélie, des monitions ou brefs commentaires qui introduisent les lectures bibliques, il faut absolument bannir tout autre discours durant la Sainte Liturgie.
Quand je me prépare à monter à l’autel de Dieu, avant que je n’arrive, je dois laisser de côté mes préoccupations, quelles que soient leur gravité et leur caractère mondain. Une telle disposition intérieure est avant tout un acte de foi dans le pouvoir et la grâce de Dieu. Il peut arriver que je sois totalement épuisé et distrait à cause des tâches que je dois accomplir dans le monde. Il se peut aussi que je me préoccupe sérieusement de mon avenir, ou que je me fasse du souci pour quelqu’un d’autre. De même, je peux profondément souffrir dans l’intime de mon cœur à cause d’une tentation ou d’un doute, ou être blessé par le mal ou quelque injustice commise contre moi-même ou contre des frères et sœurs dans la foi. Bien entendu, il est juste que je supporte avec persévérance ces différents soucis et tracas, car ils constituent une part importante de ma vocation chrétienne. Mais, quand je suis sur le point de célébrer la Sainte Liturgie, je dois déposer toutes ces choses, dans la foi, aux pieds de la croix, et les laisser à cet endroit. Dieu connaît les épreuves que je dois supporter. Il sait mieux que moi combien il m’en coûte de les porter. Dans le silence que j’accepte d’accueillir dans mon âme en déposant mes propres préoccupations aux pieds du Seigneur, Celui-ci désire me transmettre Son amour au moyen des rites que je me prépare à célébrer. Il désire me renouveler, et même me recréer, de telle sorte que je puisse accomplir ce qu’exige ma vocation chrétienne avec une force renouvelée et une vigueur pleinement évangélique.
Une participation pleine, consciente et active à la Sainte Liturgie est fondée sur notre capacité à participer, sur notre réceptivité, et sur notre accueil de ce que Dieu Tout-Puissant désire nous donner. Notre réceptivité dépend de notre docilité, du silence du cœur, de l’esprit et de l’âme. Dans les lieux où nous célébrons les rites de l’Eglise, nous ne pouvons personnellement atteindre de tels objectifs qu’au prix de nombreux efforts et d’une grande discipline tant de notre part, individuellement, que de la part des pasteurs et des curés. Si nous ne consentons pas à un tel effort, le désir du Concile Vatican II concernant la participatio actuosa risque de connaître une réelle frustration. En revanche, si nous respectons le silence, si nous mettons humblement nos cœurs, nos esprits et nos âmes en syntonie avec l’agir du Seigneur dans la Sainte Liturgie, notre rencontre avec Lui sera marquée par une intimité qui ne peut que porter des fruits pour notre vie chrétienne et notre mission dans le monde.
(à suivre)
——-
1) Sacrosanctum Concilium, 7.
2) Don Marino Neri, dans Corrispondenza Romana, juillet-août 2107.
3) Puis l’ange me dit : « Écris : Heureux les invités au repas des noces de l’Agneau ! » Il ajouta : « Ce sont les paroles véritables de Dieu ». Alors, je me jetai à ses pieds pour me prosterner devant lui.
4) Cf. Romano Guardini, La Messe, Éditions du Cerf, Paris, 1957, pp. 20-25.
5) Sacrosanctum Concilium, 22 § 3.
6) Sacrosanctum Concilium, 14.
7) Ibidem.
8) SARAH Card. Robert, « Vers une application authentique de Sacrosanctum Concilium », Londres, 5 juillet 2016.

Revue-Item.com

 

 

partager cette page

bookmark bookmark bookmark bookmark bookmark bookmark bookmark bookmark