SOURCE – Paix Liturgique – lettre 144 – 15 mai 2018
Ce lundi de Pentecôte 2018, le cardinal Robert Sarah, Préfet du Culte divin et de la Discipline des Sacrements, célébrera une messe pontificale selon la forme extraordinaire du rite romain à l’occasion de la clôture du 36ème pèlerinage de Notre-Dame-de-Chrétienté en la cathédrale de Chartres. Ce grand événement, pour la France mais aussi pour tout le peuple Summorum Pontificum, nous offre l’occasion de vous proposer, avec son accord, les paroles très importantes prononcées par le cardinal Sarah dans une conférence donnée lors du dixième anniversaire de l’entrée en vigueur du motu proprio de Benoît XVI, le 14 septembre 2017 à Rome. Nous remercions aussi le RP Nuara, organisateur du colloque qui se tenait à l’Angelicum et dont les actes sont en cours de publication, de sa bienveillante autorisation.
« Silence et primat de Dieu dans la Sainte Liturgie »
Conférence du cardinal Robert Sarah, Préfet de la Congrégation pour le Culte Divin et la Discipline des Sacrements, lors du Cinquième Colloque Summorum Pontificum. Université Pontificale Saint Thomas d’Aquin, Rome. 14 septembre 2017.
Introduction
À l’occasion du dixième anniversaire de la publication du Motu Proprio Summorum Pontificum, je voudrais en tout premier lieu rendre grâces à Dieu. En effet, par ce texte, Benoît XVI a voulu offrir à l’Église un signe de réconciliation, qui a porté de nombreux fruits, et le Pape François continue cette œuvre avec le même élan. Dieu veut l’unité de l’Église, pour laquelle nous prions au cours de chaque célébration eucharistique : nous sommes donc appelés à parcourir, avec toujours plus d’ardeur et sans relâche, ce chemin de la réconciliation et de l’unité pour témoigner du Christ dans le monde d’aujourd’hui. Pour mettre en lumière cette initiative du Pape Benoît XVI, il est nécessaire de se référer à l’œuvre importante de celui qui était alors le Cardinal Ratzinger. Un peu moins d’un an avant son élection à la Chaire de Saint-Pierre, il prit position sur « la proposition de quelques liturgistes catholiques d’adapter finalement la réforme liturgique à la « volte-face anthropologique » de l’époque moderne, et de la construire sur des bases anthropocentriques ». À ce propos, il répliquait :
« Si la liturgie apparaît avant tout comme un laboratoire de notre agir, on oublie l’essentiel : Dieu. En effet, dans la liturgie, il ne s’agit pas de nous, mais de Dieu. L’oubli de Dieu est le danger le plus grave de notre temps. Contre un tel danger, la liturgie devrait dresser la présence de Dieu comme un rempart. Mais que se passe-t-il si l’oubli de Dieu s’infiltre dans la liturgie, et si nous ne pensons qu’à nous-mêmes ? Dans chaque réforme liturgique, comme aussi dans chaque célébration liturgique, l’attention devrait être orientée directement et avant tout vers le primat de Dieu. » (1)
« L’oubli de Dieu est le danger le plus grave de notre temps ». Chers frères et sœurs, soulignons la pertinence de ces paroles, qui étaient déjà tout à fait vraies quand elles furent écrites en juillet 2004 ; au long des années, elles apparaissent toujours plus percutantes. Notre monde est marqué par la plaie du terrorisme sans Dieu, un sécularisme toujours plus agressif, un esprit de consommation qui favorise une attitude individualiste par rapport à la création, les biens matériels et les relations humaines, et une culture de mort qui ne cesse de progresser et met en péril le droit à la vie de nos frères et sœurs les plus vulnérables : les enfants non encore nés, les malades et les personnes âgées.Face à cet athéisme, qui, progressivement, se répand partout, la Sainte Église de Dieu, c’est-à-dire nous-mêmes, en vertu de notre baptême et de notre vocation particulière, nous avons le devoir d’annoncer et de proclamer que « le Christ est la lumière des nations » et « appeler tous les hommes dans le sein de l’Église » (2). En effet, la route qui mène au Christ et à son Église est le chemin de la Vérité, de la Beauté et de la Bonté, dont l’accomplissement définitif est la vie éternelle dans la communion avec Dieu et avec tous les saints du Ciel. En revanche, ceux qui choisissent de suivre la voie que leur indique le Prince du mensonge risquent de tomber en enfer : telle est l’issue fatale du choix libre, conscient et volontaire du péché et du mal, c’est-à-dire une existence éternellement séparée de Dieu et des saints.
Chers frères et sœurs, nous ne devons jamais oublier ces vérités éternelles ! Pourtant, il est très vraisemblable que notre monde, lui, les a oubliées. En effet, en particulier dans le monde occidental opulent, notre société fait tout ce qu’elle peut pour nous cacher ces vérités, tout en nous anesthésiant avec des biens superficiels dans une cacophonie consumériste effrénée : il faudrait que nous prenions le temps et trouvions l’espace adéquat qui nous permettent de remettre en cause ses propositions et ses pratiques vides de sens. En présence d’une telle réalité, nous ne devons pas capituler. Nous devons annoncer inlassablement la Bonne Nouvelle de l’Évangile : oui, le péché et la mort ont été vaincus par Notre Seigneur Jésus Christ ; par son sacrifice sur la Croix, Jésus nous a obtenu le pardon de nos péchés pour que nous puissions vivre joyeusement en ce monde, dans l’espérance inébranlable de la vie éternelle. L’Église est appelée à annoncer, avec tous les moyens dont elle dispose et en toutes circonstances, cette Bonne Nouvelle à toute personne qu’elle rencontre. Cette tâche missionnaire essentielle et cet effort apostolique, qui ne sont rien d’autre que l’obéissance au Commandement que le Seigneur a laissé à son Église (cf. Mt 28, 19-20), sont eux-mêmes insérés dans une réalité plus vaste : notre rencontre avec Jésus Christ, dans le cadre de la Sainte Liturgie (3). C’est pour cette raison que le Concile Vatican II enseigne très justement en disant : « La liturgie est le sommet auquel tend toute l’action de l’Église, et en même temps la source d’où découle toute sa vertu » (Sacrosanctum Concilium, 10).
Nous pouvons nous poser cette question : si, à notre époque, la vitalité missionnaire de l’Église diminue d’intensité, si le témoignage des chrétiens dans un monde sans cesse plus athée ne cesse de faiblir, si notre monde a oublié Dieu, n’est-ce pas dû au fait que nous-mêmes, qui sommes « la lumière du monde » (Mt 5, 14), nous ne nous approchons pas comme nous devrions le faire de ce sommet auquel tend toute l’action de l’Église, ou nous n’allons pas puiser suffisamment en profondeur à cette source d’où provient toute son énergie, ce qui nous permettrait d’inviter tous les hommes à goûter de cette « source d’eau vive qui jaillit pour la vie éternelle » ? (Jn 4, 14).
Pour le Pape saint Jean-Paul II, il ne s’agissait pas seulement d’une interrogation, mais aussi de la constatation tragique de la crise de la foi, de notre infidélité à l’enseignement du Magistère, et de notre trahison du Concile Vatican II. En effet, il disait :
« En ce « nouveau printemps » du christianisme, on ne peut taire une tendance négative que ce document désire contribuer à surmonter: il semble que la mission spécifique ad gentes devienne MOINS ACTIVE, ce qui ne va assurément pas dans le sens des directives du Concile et de l’enseignement ultérieur du Magistère. Des difficultés internes et externes ont AFFAIBLI l’élan missionnaire de l’Église à l’égard des non-chrétiens, et c’est là un fait qui doit inquiéter tous ceux qui croient au Christ. Dans l’histoire de l’Église, en effet, le dynamisme missionnaire a toujours été un signe de vitalité, de même que son affaiblissement est le signe d’une crise de la foi » (4). Lorsque nous entendons certains évêques ou certaines Conférences épiscopales s’exprimer sur certaines questions d’ordre dogmatique et moral en opposition radicale avec la Révélation divine, lorsqu’au sein de l’Église, on note un langage volontairement confus ou de sérieuses divisions en ce qui concerne l’enseignement pérenne du Magistère, on est en droit de se demander si, aujourd’hui, il n’y a pas une véritable et dramatique crise de la foi, surtout au niveau du clergé et de la hiérarchie de l’Église.
Si la situation est vraiment celle que nous évoquons, si l’Église de notre temps fait preuve d’un zèle moins ardent et efficace pour conduire les personnes au Christ, l’une des causes pourrait provenir de notre manque de participation à la Sainte Liturgie d’une manière authentique et active. Cette lacune est peut-être due à son tour à l’absence d’une formation liturgique adéquate, au sujet de laquelle le Saint-Père François a fait part de sa préoccupation. Voici ce qu’il dit :
« Une liturgie détachée du culte spirituel risquerait de se vider, de perdre l’originalité chrétienne pour revêtir un sens sacré générique, presque magique, et un esthétisme vide. Étant une action du Christ, la liturgie pousse de l’intérieur à se revêtir des sentiments du Christ, et dans ce dynamisme, toute la réalité est transfigurée. « Notre vie quotidienne dans notre corps, dans les petites choses, devrait être inspirée, donnée, plongée dans la réalité divine, devrait devenir une action avec Dieu. Cela ne veut pas dire que nous devons toujours penser à Dieu, mais que nous devons être réellement pénétrés par la réalité de Dieu, afin que toute notre vie soit liturgie, soit adoration ». (5)
À l’action de grâce à Dieu pour ce qu’il a été possible d’accomplir, il est nécessaire d’unir une volonté renouvelée d’aller de l’avant sur le chemin indiqué par les Pères conciliaires, car il reste encore beaucoup à faire pour une assimilation correcte et complète de la Constitution sur La liturgie de la part des baptisés et des communautés ecclésiales. Je me réfère en particulier à l’engagement en vue d’une initiation et d’une formation liturgique solides et structurées, tant des fidèles laïcs que du clergé et des personnes consacrées. » (6)
De plus, cela peut être dû au fait que très souvent, lorsque la liturgie n’est pas célébrée fidèlement et entièrement comme l’Église le demande, elle nous appauvrit ou elle nous prive de cette rencontre pleine et entière avec le Christ dans l’Église, qui, pourtant, est un droit de tout baptisé.
Beaucoup de liturgies ne sont vraiment rien d’autre qu’un théâtre, un divertissement mondain, avec beaucoup de discours, des cris étrangers au Mystère qui est célébré, beaucoup de bruits, de danses et de mouvements corporels, qui ressemblent à des manifestations folkloriques. En revanche, la liturgie devrait être un moment de rencontre personnelle et d’intimité avec Dieu. L’Afrique tout particulièrement, mais probablement aussi l’Asie et l’Amérique latine devraient réfléchir sur leur ambition humaine d’inculturer la liturgie : pour cela, il faut invoquer l’Esprit Saint, agir avec prudence et la volonté de guider les fidèles chrétiens vers la sainteté, ce qui permettrait d’éviter la superficialité, des créativités ou adaptations mortelles, le folklore et l’autocélébration culturelle. Chaque célébration liturgique doit placer Dieu au centre, et seulement Dieu, ainsi que notre désir de sanctification. Il faut donc éviter la créativité et les adaptations fantaisistes qui tuent le Mystère pascal et la foi chrétienne. Comme le dit Benoît XVI : « Cette créativité a souvent porté à des déformations de la liturgie à la limite du supportable. Je parle d’expérience, parce que j’ai vécu moi aussi cette période avec toutes ses attentes et ses confusions. Et j’ai constaté combien les déformations arbitraires de la liturgie ont profondément blessé des personnes qui étaient totalement enracinées dans la foi catholique. » (7)
Aujourd’hui, en ce dixième anniversaire de l’entrée en vigueur du Motu Proprio Summorum Pontificum du Pape Benoît XVI, il n’est pas inutile de poser la question de l’application de la réforme liturgique promue par le Concile Vatican II, et de ce que l’on peut appeler les « répercussions » liturgiques et pastorales de ces dernières années. Ce ne sont pas des questions périphériques, ou qui seraient réservées aux spécialistes de la liturgie, ou encore qui n’intéresseraient que ceux qu’on appelle les « traditionalistes ». En effet, comme l’a écrit le Cardinal Ratzinger, en 1997, « il est certain que la célébration authentique de la Sainte Liturgie est le centre de tout le renouveau de l’Église ». (8)
Le primat de Dieu dans la Sainte Liturgie
Dans la citation du Cardinal Ratzinger, qui introduisait mon propos, celui-ci pose la question suivante : « Que se passe-t-il si, dans la liturgie, s’infiltre l’oubli de Dieu et que nous ne pensons qu’à nous-mêmes ? ». Cette demande peut sembler étrange, mais elle provient en réalité d’une véritable tendance, durant les décennies récentes, à organiser et à célébrer des liturgies dont le centre est avant tout la célébration de la communauté, jusqu’à l’exclusion, dans certains cas, au moins apparemment, de Dieu lui-même. Je dis « apparemment », parce que je ne veux pas juger les intentions des personnes qui promeuvent ou célèbrent de telles liturgies anthropocentriques : elles peuvent être les victimes d’une formation théologique et liturgique que l’on peut qualifier de pauvre ou même de déficiente.
Il est vrai néanmoins que de telles célébrations sont inacceptables parce qu’elles réduisent ce qui constitue la véritable substance surnaturelle de la liturgie à un niveau purement naturel, en contradiction avec l’enseignement de la Constitution sur la Sainte Liturgie du Concile Vatican II, et, avant la promulgation de ce document, avec l’enseignement de l’Encyclique Mediator Dei, du Vénérable Pape Pie XII, qui dit :
« C’est à juste titre que la liturgie est considérée comme l’exercice de la fonction sacerdotale de Jésus Christ, exercice dans lequel la sanctification de l’homme est signifiée par des signes sensibles et réalisée d’une manière propre à chacun d’eux, et dans lequel le culte public intégral est exercé par le Corps mystique de Jésus Christ, c’est-à-dire par le Chef et par ses membres.Par conséquent, toute célébration liturgique, en tant qu’œuvre du Christ Prêtre et de son Corps qui est l’Église, est l’action sacrée par excellence dont nulle autre action de l’Église ne peut atteindre l’efficacité au même titre et au même degré. » (9)
Comme je l’ai dit en 2016, au cours de la Conférence que j’ai prononcée à Londres, en Angleterre, sur la « Sainte Liturgie » (Sacra Liturgia 2016) :
« La liturgie catholique est le lieu privilégié et singulier de l’action salvifique de Dieu dans le monde, aujourd’hui. Et elle le fait à travers une participation réelle par laquelle nous recevons la grâce et la force qui nous sont si nécessaires pour persévérer et croître dans la vie chrétienne. La liturgie est un lieu d’institution divine où nous venons accomplir l’offrande du sacrifice dû à Dieu, le seul véritable sacrifice. C’est l’endroit où nous prenons conscience de notre profond besoin d’adorer le Dieu tout-puissant. La liturgie catholique est une réalité sacrée : une réalité sainte par nature. La liturgie catholique n’est pas une assemblée humaine ordinaire.
… C’est Dieu et non l’homme qui est au centre de la liturgie catholique. Nous venons pour l’adorer. Dans la liturgie, il ne s’agit pas de vous ou de moi. Ce n’est pas le lieu où nous célébrons notre propre identité, nos réalisations, où nous exaltons ou promouvons notre propre culture et les valeurs de nos coutumes religieuses locales. La liturgie concerne et appartient d’abord et avant tout à Dieu et célèbre ce qu’il a fait pour nous. Le Tout-Puissant, dans sa divine Providence, a fondé une Église et institué la sainte liturgie. À travers elle, il nous est possible de rendre un authentique culte à Dieu, en conformité avec la Nouvelle Alliance établie par le Christ. » (10)
Ainsi, Dieu doit occuper la première place dans chacun des éléments qui composent notre célébration liturgique. C’est par amour pour Lui et pour Lui rendre un culte, de la manière la plus complète possible, que nous mettons à part et consacrons les personnes, les lieux et les choses qui sont destinés spécifiquement à Son service dans le cadre de la Sainte Liturgie. Notre désir d’ « oser autant que nous le pouvons » (cf. Saint Thomas d’Aquin, Séquence de la Fête du Corpus Domini : « Quantum potes, tantum aude, quia major omni laude nec laudare sufficis ») (11) pour louer et adorer Dieu, le Père, le Fils et le Saint Esprit, dans la Sainte Liturgie, est en soi un acte de culte intérieur. Il s’ensuit naturellement que cette disposition doit avoir une expression extérieure. C’est pourquoi nos églises devraient être de belles expressions de notre amour à l’égard de Dieu, ceux qui servent la liturgie – personnes ordonnées et fidèles laïcs – devraient prévoir le temps nécessaire pour bien préparer toutes les actions liturgiques, et, de même, les ornements qu’ils revêtent devraient susciter la révérence et la stupeur envers les mystères divins que ces personnes ont le privilège de servir et de célébrer. Pareillement, ce que nous utilisons dans la liturgie devrait mettre en évidence le primat de Dieu : rien n’est assez bon, beau et précieux pour Son service. Même s’ils sont humbles, à la mesure des moyens qui sont à notre disposition, nos vases sacrés, les ornements liturgiques et les autres objets du culte devraient se singulariser par la qualité, le raffinement et la beauté, qui sont autant des signes de l’amour et du sacrifice que nous voulons offrir, par leur intermédiaire, à notre Dieu Tout-Puissant. Il en est de même de notre chant et de notre musique : ils devraient élever les cœurs et les esprits vers Lui, et non pas – comme on peut le constater trop fréquemment – refléter de simples sentiments humains et des us et coutumes, qui prévalent dans notre société et dans notre culture.
Vous savez sans doute que, ces dernières années, j’ai souvent parlé de l’importance du retour à l’orientation du prêtre et des fidèles vers l’Orient, ou de se tourner ad Deum ou ad Orientem, pendant la célébration eucharistique. Cette attitude est adoptée universellement dans les célébrations de l’usus antiquior – la forme ancienne du rite Romain – que le Pape Benoît XVI, dans Summorum Pontificum, a mis librement à la disposition de tous ceux qui désirent célébrer selon cette forme. Toutefois, cette pratique, belle et ancienne, qui manifeste avec tant d’éloquence le primat de Dieu Tout-Puissant au cœur de la Messe, n’est pas réservée à l’usus antiquior. Cette pratique vénérable est permise, elle est même parfaitement appropriée – et j’insiste sur ce point – elle a également beaucoup d’avantages, dans les célébrations selon l’usus recentior, qui est la forme la plus récente du Rite Romain.
Quelqu’un pourrait objecter que j’accorde trop d’importance aux petits, et même aux menus détails de la Sainte Liturgie. Toutefois, comme tous les gens mariés le savent bien, les petits détails, dans les relations amoureuses, sont très importants, parce que c’est par eux que l’amour des conjoints s’exprime et se vit jour après jour. Les « petites choses » de la vie conjugale expriment et protègent les réalités plus grandes. Il en est ainsi de la liturgie : quand les rites, y compris les plus petits, deviennent de la routine et ne sont plus des actes du culte qui expriment la réalité de mon cœur et de mon âme, quand je ne prends plus soin des détails, quand je pourrais faire plus pour me préparer et célébrer, plus dignement et avec plus de beauté, la liturgie, mais que je ne veux plus le faire, alors je cours le grand risque que mon amour à l’égard de Dieu Tout-Puissant se refroidisse. Nous devons être attentifs à cela. Les petits actes d’amour envers Dieu, qui consistent à faire tout son possible pour appliquer, avec une grande attention, ce que la liturgie nous prescrit, sont très importants. Si nous les négligeons, si nous les refusons en arguant de leur banalité et en affirmant que ce sont des détails trop pointilleux, nous pouvons très bien découvrir un jour, comme cela arrive parfois tragiquement, que, sans nous en rendre compte, nous nous sommes séparés de Dieu, comme deux époux qui s’éloignent progressivement l’un de l’autre parce que les menus détails de leur amour se sont refroidis et ont tué leur tendresse réciproque.
Le Cardinal Ratzinger insiste sur ce point : « Dans chaque réforme liturgique et dans chaque célébration liturgique, l’attention devrait être orientée avant tout vers le primat de Dieu » (12). Si nous appliquons ce principe à l’ensemble des actions liturgiques, qu’elles soient grandes ou petites, Dieu aura vraiment le primat qu’il lui revient légitimement dans la Sainte Liturgie. Alors, Il aura ce même primat dans nos cœurs et dans nos esprits. Et nos célébrations liturgiques, autant que nous-mêmes, deviendront de belles icônes de Sa présence salvifique, ce qui permettra à ceux qui ne connaissent pas Dieu et Son Église de trouver la voie du salut.
(à suivre)
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1 RATZINGER J., Théologie de la liturgie, Opera Omnia vol. XI, Librairie Editrice Vaticane, Cité du Vatican 2010, Partie E, chap. VIII, le développement organique de la liturgie, p. 793.
2 Sacrosanctum Concilium, 1.
3 Cf. Ma Conférence à Milan au cours du Colloque “Sacra Liturgia Milano 2017” : La sainte Liturgie-notre rencontre avec le Dieu Tout-Puissant : une perspective christologique et ecclésiologique, 6 juin 2017.
4 Redemptoris Missio, 2. Cf. PAUL VI, Message à l’occasion de la Journée missionnaire mondiale 1972, Enseignements X (1972), 522: « Ces tensions internes qui affaiblissent et lacèrent certaines Églises et institutions locales disparaîtraient face à la ferme conviction que le salut des communautés locales se conquiert par la coopération à l’œuvre missionnaire, pour que celle-ci s’étende jusqu’aux confins de la terre ! ».
5 Benoît XVI, Lectio divina au Séminaire romain, 15 février 2012.
6 Message du Saint-Père François aux participants au Symposium Sacrosanctum Concilium. Gratitude et engagement pour un grand mouvement ecclésial, 18 février 2014.
7 Lettre de Benoît XVI aux évêques du monde entier qui accompagne la Lettre Apostolique en forme de Motu Proprio Summorum Pontificum sur l’usage de la liturgie romaine antérieure à la réforme de 1970, 7 juillet 2007.
8 Préface à Franz Beid, éd., La Sainte Liturgie, Dossier établi par l’“Internationale Theologische Sommer Akademie 1997 » des prêtres du Cercle de Linz, Ennsthalter Verlag, Steyr 1997.
9 Sacrosanctum Concilium, 7.
10 SARAH Card. Robert, Allocution du 5 juillet 2016 à l’occasion du Colloque sur Sacra Liturgia 2016, prononcée à Londres, à l’Imperial College. « Pour une application authentique de Sacrosanctum Concilium ». Voir nos lettres 554, 555 et 556.
11 Autant que tu le peux, tu dois oser, car Il dépasse tes louanges et tu ne pourras jamais trop Le louer. Il est au-dessus de toutes louanges, et quoi que tu fasses pour Le louer et Le chanter, tu ne pourras jamais le faire assez.
12 RATZINGER J., Théologie de la liturgie, Opera Omnia vol. XI, Librairie Editrice Vaticane, Cité du Vatican 2010, Partie E, chap. VIII, le développement organique de la liturgie, p. 793.
Deuxième partie.