Entretien de M l’abbé de Jorna, supérieur du district de France de la FSSPX à Présent
publié dans nouvelles de chrétienté le 20 janvier 2019
Sauver le sacerdoce : entretien avec l’abbé Benoît de Jorna au journal « Présent »
Entretien avec M. l’abbé Benoît de Jorna, Supérieur du District de France de la Fraternité Saint-Pie X. Article publié par Anne Le Pape dans le journal Présent du 19 janvier 2019 et reproduit sur FSSPX.Actualités avec son aimable autorisation.
Le 24 janvier 2009, Benoît XVI lève les excommunications des quatre évêques sacrés par Mgr Lefebvre. A l’occasion de cet anniversaire, l’abbé Benoît de Jorna, supérieur du district de France de la Fraternité Saint-Pie X, replace ces événements dans leur contexte.
Présent : Le 1er juillet 1988, Rome a prononcé l’excommunication de Mgr Lefebvre et des quatre évêques qu’il avait sacrés sans sa permission en juin de la même année. Pouvez-vous nous rappeler le contexte ?
Mgr Lefebvre, en 1984, écrit Lettre aux catholiques perplexes, et termine en disant : « J’espère qu’un évêque se lèvera pour poursuivre l’œuvre que j’ai entreprise et sauver le sacerdoce pour le sacrifice de la messe. » En 1986 se tient la première réunion œcuménique d’Assise, qui scandalise, au sens strict, Mgr Lefebvre, et celui-ci réagit en disant : « Puisqu’aucun évêque n’a été capable de se lever devant ce scandale, je ne peux compter sur aucun. Je devrai donc me donner à moi-même les moyens de poursuivre l’œuvre que la Providence m’a confiée. » Il va alors nourrir le projet de sacrer des évêques.
Mgr Lefebvre ne s’est-il pas interrogé jusqu’au dernier moment ?
Jusqu’au dernier moment, il a toujours espéré que Rome concéderait ce sacre. Il y a eu entre-temps la visite canonique, à Ecône, du cardinal Gagnon et de Mgr Perl (qui est mort le 21 juillet de l’an passé).
Mgr Lefebvre a toujours cherché à ce que Rome donne la permission. Mais il a constaté un refus sans motif et a priori. Des tergiversations sans fin, qui laissaient penser qu’on attendait qu’il disparaisse.
La levée a eu lieu le 24 janvier 2009. Par quoi a été justifiée cette décision du pape Benoît XVI ?
Tout simplement parce que cette excommunication était sans valeur. On a enlevé ce qui n’était pas justifié. Quand quelqu’un est excommunié, il faut qu’il vienne à résipiscence pour que la sentence soit levée. Cela n’a pas été le cas, ce qui prouve l’inanité de cette sentence.
Les décisions du pape François vis-à-vis de la Fraternité (octroi du pouvoir de confesser et de marier) ne vont-elles pas dans le même sens : removens prohibens (enlever ce qui gêne) ?
Il est difficile de savoir ce que veut le pape François. Mais Rome voit sans doute cela comme une façon de montrer sa bienveillance à notre égard.
Il se dit que Mgr Huonder, l’évêque de Coire, en Suisse, ami de la Fraternité Saint-Pie X mais également proche du pape François, va se retirer au sein d’une école tenue par la Fraternité en Suisse, avec l’aval du pape. On peut donc officiellement prendre sa retraite au sein de la Fraternité, comme au sein de n’importe quelle autre congrégation ?
Effectivement, Mgr Huonder a bien manifesté ce projet. Mais il est encore à la tête de son diocèse. La réalisation est donc pour le futur et Dieu seul le connaît.
Vous avez été nommé à la tête du district de France à la rentrée dernière, après avoir occupé ce poste et l’avoir quitté pour 22 années passées à Ecône. Quels changements notez-vous, à la fois dans le district et dans le pays ?
Je remarque dans le pays une décadence galopante des mœurs sociologiques, politiques etc., et je le constate d’autant mieux que j’ai été absent durant toutes ces années. Les gens ne communiquent plus qu’avec eux-mêmes, on vit en quelque sorte dans un monde d’autistes.
En revanche, je vois une jouvence du district. L’écart se creuse entre le monde dans lequel nous sommes et duquel nous ne sommes pas, et les fidèles.
Plus de fidèles qu’il y a 22 ans ?
Plus de fidèles, plus d’enfants dans les écoles, une grande extension, qui m’a heureusement surpris. 180 prêtres, le maximum que nous ayons jamais eu (nous en avions 100 il y a 25 ans).
La Fraternité a-t-elle beaucoup de prêtres missionnaires, hors de France ?
Trop ! Au moins une soixantaine. Je les préférerais bien sûr en France. Les écoles manquent cruellement de prêtres. La nécessité est encore plus grande que pour le ministère.
Supérieur du séminaire à Ecône, vous avez formé la plupart des prêtres aujourd’hui en poste en France. Cela vous facilite-t-il la tâche ou, au contraire, la complique-t-elle ?
Cela me facilite énormément la tâche. La connaissance que j’ai eue de tous les prêtres comme séminaristes m’aide beaucoup. Celle qu’ils ont de moi joue aussi. La communication est excellente.
Quel est pour vous le rôle de la Fraternité aujourd’hui ?
Un rôle d’éperon dans la conquête du Christ Roi, c’est-à-dire du Royaume de la grâce. La Fraternité reste une sorte de navire-amiral, avec de petits navires parallèles qui, de temps en temps, voudraient la déborder sur sa droite ou sur sa gauche. Je parle là des communautés amies. Il n’empêche que la Fraternité garde son rôle d’éperon, ce à quoi sont attentives des communautés Ecclesia Dei et même des évêques français, même s’ils ne le disent pas. Je pense à certains qui restent attentifs, et même avec bienveillance. J’en ai rencontré quelques-uns et je vais encore en rencontrer. Ils nous reçoivent avec amabilité, l’un ou l’autre n’étant pas sans être intéressé par le fait que, dans certaines conditions, nous pouvons représenter une solution pour occuper des églises du diocèse, par exemple. Les maires, qui en ont la responsabilité, n’ont pas toujours envie d’entretenir des bâtiments vides. Mais les évêques ne veulent pas nécessairement les désaffecter. Nous pouvons alors représenter une solution. Certains l’envisagent, et c’est pour nous une perspective d’avenir.
Par quel biais ces évêques prennent-ils connaissance de ce que vous faites ? Le site La Porte latine ? La Lettre à nos frères prêtres ?
Plutôt par La Porte latine, qui reste une excellente source d’informations pratiques. Ceux que j’ai rencontrés connaissent les chapelles locales, celles que nous avons dans leur diocèse. Les rapports avec nos prêtres ont d’ailleurs beaucoup changé. Il y a 25 ans, nos prêtres ne pouvaient avoir de contact avec l’évêque du diocèse dans lequel ils avaient une chapelle. Aujourd’hui, ils sont reçus quand ils le demandent, comme tout un chacun. Et fort aimablement. Mais les évêques considèrent toujours que nous ne sommes pas « en pleine communion », et nous le disent.
Quels sont vos objectifs en tant que supérieur du district de France ?
Manifester davantage notre cohérence doctrinale et pratique, en relançant notamment une revue doctrinale, qui pourrait intéresser les prêtres, les fidèles mais aussi les universitaires. Affaire à suivre !
Propos recueillis par Anne Le Pape. Journal Présent du samedi 19 janvier 2019
(Source : Journal Présent du 19 janvier 2019)