Sur la crise de l’Eglise et ses origines
publié dans nouvelles de chrétienté le 20 avril 2019
Église catholique: cette crise vient de très loin
Le lundi 4 mars, le vaticaniste italien Aldo Maria Valli a publié une interview avec le prof. Roberto de Mattei ayant comme titre Cette crise vient de très loin (https://www.aldomariavalli.it/2019/04/03/de-mattei-questa-crisi-viene-da-molto-lontano/). Voici le texte intégral des questions et réponses.
La Déclaration d’Abu Dhabi ? « Elle contredit l’enseignement de l’Église ». Comment résumer en deux mots le pontificat de François ? « Hypocrisie et mensonge ». Comment juger les nouvelles normes sur la vie dans les monastères ?« Un plan de destruction de la vie contemplative ».
On ne peut pas dire que le professeur Roberto de Mattei ne parle pas clairement. Avec lui, spécialiste du Concile Vatican II et observateur attentif de la vie de l’Église catholique, tentons une analyse globale de la situation, afin de répondre à la désorientation croissante.
Professeur, pas un jour ne se passe sans que ce pontificat alimente de nouvelles perplexités et de nouveaux doutes chez de très nombreux fidèles. La déclaration d’Abu Dhabi a suscité un grand trouble. Il semble cependant qu’on n’y voit pas d’issue. Comment analysez-vous ce moment que nous vivons ?
La Déclaration d’Abu Dhabi du 4 février dernier, signée par le Pape François et le Grand Imam d’Al-Azhar, affirme que « le pluralisme et la diversité de religions, de couleurs, de sexes, de races et de langues sont une sage volonté divine, avec laquelle Dieu a créé l’être humain ». Cette affirmation contredit l’enseignement de l’Église pour lequel la seule vraie religion est la religion catholique. En effet, ce n’est que par le Nom et dans la Foi en Jésus-Christ que les hommes peuvent atteindre le salut éternel (cf. Act. 4, 12). Lorsque Mgr Athanasius Schneider, lors de la visite ad limina des évêques du Kazakhstan, le 1er mars dernier, a fait part au pape François de ses perplexités quant à la déclaration d’Abu Dhabi, le pape lui a répondu que « la diversité de religions n’est que la volonté permissive de Dieu ».
Il s’agit là d’une réponse fallacieuse, puisqu’elle semble admettre que la pluralité des religions est un mal permis mais non voulu par Dieu, tandis que cela ne peut s’appliquer à la diversité de sexe et de race, qui sont au contraire une volonté positive, et non permissive, de Dieu. Quand Mgr Schneider lui a fait cette objection, François a admis que son propos « peut être mal compris ».
Le pape n’a pourtant jamais corrigé ni rectifié son affirmation. Mais au contraire, à la demande du Saint-Père, le Conseil pour le Dialogue interreligieux a donné ordre aux évêques de contribuer à la diffusion la plus large possible de la Déclaration d’Abu Dhabi afin qu’elle « devienne un objet de recherche et de réflexion dans toutes les écoles, les universités et les instituts de formation et d’éducation ». L’interprétation diffusée est naturellement que la pluralité des religions est un bien, et non un mal toléré par Dieu.
Il me semble que ces contradictions délibérées sont tout le pontificat du pape Bergoglio.
En tant qu’historien de l’Église, comment résumeriez-vous ces six années de pontificat ?
Les années de l’hypocrisie et du mensonge. Jorge Mario Bergoglio a été choisi parce qu’il paraissait un évêque « humble et profondément spirituel » (tel qu’Andrea Tornielli le salua dans La Stampa), « qui réformerait et purifierait l’Église ». Rien de tout cela n’est arrivé. Le pape n’a pas éloigné de la Curie, ni retiré des diocèses les prélats les plus corrompus et, lorsqu’il l’a fait, comme dans l’affaire McCarrick, c’est parce qu’il y était obligé, sous la pression de l’opinion publique. En réalité, François s’est avéré un pape politique, le pape le plus politique du dernier siècle. Son origine politique est le péronisme de gauche, qui déteste, par principe, toute forme d’inégalité et est hostile à la culture et à la société occidentale. Transposé dans l’ordre ecclésiastique, le péronisme retrouve la théologie de la libération et mène à une tentative de démocratisation synodale de l’Église qui en dénature l’essence.
Le sommet sur les abus sexuels semble déjà passé aux oubliettes. On y a fait le plein d’expressions de circonstances, très appréciées par les médiasmainstream, mais il n’a rien apporté de nouveau. De façon générale, comment jugez-vous la manière dont le Saint-Siège fait face à cette crise ?
De façon clairement contradictoire. Les mesures contre les abus qui viennent d’être adoptées par le pape François éludent le problème de fond qui est bien le rapport entre les tribunaux de l’Eglise et les tribunaux civils, c’est-à-dire entre l’Eglise et le monde. L’Eglise a le droit et le devoir de mener des enquêtes et de juger ceux qui sont accusés de délits qui violent non seulement les lois des Etats, mais aussi les lois ecclésiastiques, établies par le droit canon. Dans ce cas, il faut ouvrir un procès pénal régulier sans violer les droits fondamentaux des accusés et sans se laisser conditionnés par l’issue des procès civils. Aujourd’hui, au contraire, dans le cas du Cardinal Pell, le bruit court au Vatican qu’un procès canonique sera ouvert, mais qu’il faut d’abord “attendre l’issue du procès en appel”. Dans le cas du cardinal Barbarin, condamné en France à six mois de prison avec sursis et lui aussi en attente d’un procès en appel, on n’a pas annoncé en revanche de procès canonique. Pour le cardinal Luis Francisco Ladaria, préfet de la Congrégation de la Foi, appelé à comparaître devant les juges de Lyon dans l’affaire Barbarin, le Vatican a invoqué l’immunité diplomatique, ce qu’il n’a pas fat pour le cardinal Pell. Cette politique du deux poids deux mesures fait partie du climat d’ambiguïté et de duplicité dans lequel nous vivons.
Au cours de ce pontificat, ont été introduites de nouvelles normes pour la vie monastique et en particulier pour la clôture. Certaines communautés monastiques en sont très préoccupées, parce qu’elles les considèrent comme une menace pour la vie contemplative. Partagez-vous cette inquiétude ?
Oui, il semble qu’il y ait un plan de destruction de la vie contemplative. J’ai beaucoup apprécié les articles sur le sujet que vous avez publié sur votre blog (NdT : www.aldomariavalli.it). La Constitution sur la vie contemplative féminine Vultum Dei quaerere, du 29 juin 2016, et l’Instruction Cor orans, du 1er avril 2018, suppriment toute forme d’autonomie juridique, pour créer des fédérations et de nouveaux organismes bureaucratiques présentés comme des « structures de communion ». Avec l’obligation d’appartenir à ces structures, les monastères perdent de facto leur autonomie pour se dissoudre en une masse anonyme de monastères qui iront vers la dissolution de la vie monastique traditionnelle. On en arrivera inévitablement à la normalisation moderniste des quelques monastères qui résistent encore à la révolution actuelle. La suppression juridique de la vie contemplative vers laquelle nous allons ne signifie pas pour autant la fin de l’esprit contemplatif, qui se développe toujours davantage, précisément en réaction à la sécularisation de l’Église. Je connais des monastères qui ont réussi à s’assurer une indépendance juridique par rapport à la Congrégation pour les Religieux et maintiennent la vie monastique, nous soutenant de leurs prières, dans cette crise. Je suis convaincu que, comme on le disait autrefois, la prière des cloîtrés soutient le monde.
Le sixième anniversaire du début du pontificat de Bergoglio est, tout compte fait, passé un peu en sourdine. On a l’impression que même ceux qui l’ont autrefois soutenu commencent à prendre leurs distances. Est-ce un sentiment erroné ?
Nous connaissons l’existence de forces qui veulent détruire l’Église. La Franc-Maçonnerie en est une. Et pourtant, la lutte ouverte contre l’Église n’a jamais été productive, car, comme l’a écrit Tertullien, le sang des martyrs est semence de chrétiens. C’est la raison pour laquelle, au sein des forces anti-chrétiennes, a été élaboré depuis au moins deux siècles un plan de conquête de l’Eglise en interne. Nous savons qu’au cours des années soixante, l’Union soviétique et les régimes communistes de l’Est ont infiltré nombre de leurs hommes dans les séminaires et universités catholiques. Certains ont fait carrière et sont devenus évêques ou cardinaux. Mais pour opérer l’auto-démolition de l’Eglise, cette complicité consciente et active n’est pas forcément nécessaire. Il peut aussi y avoir des instruments inconscients de quelqu’un qui manœuvre de l’extérieur. Dans ce cas, ceux qui manœuvrent choisissent les hommes les plus appropriés, en raison de leur faiblesse doctrinale et morale, puis les influencent, les conditionnent, et parfois leur font du chantage. Les hommes d’Église ne sont ni infaillibles ni parfaits, et le démon n’a de cesse de leur proposer à nouveau les tentations que Notre-Seigneur a rejetées (Mt 4, 1-11). L’élection de Jorge Mario Bergoglio a été pilotée par un lobby ecclésiastique, derrière lequel on entrevoit d’autres lobbies ou groupes de pression. J’ai l’impression que les puissances ecclésiales ou extra-ecclésiales qui ont poussé à l’élection du pape Bergoglio ne sont pas satisfaites des résultats de son pontificat. De leur point de vue, il y eu beaucoup de paroles, mais peu d’actes. Les sponsors du pape François sont prêts à l’abandonner, s’il ne s’opère pas un changement radical. La dernière chance qu’on lui donne de révolutionner l’Église semble être le Synode d’octobre sur l’Amazonie. Il me semble que des signaux en ce sens ont déjà été envoyés.
A quels signaux vous référez-vous ?
À ce qui s’est passé après le sommet sur la pédophilie, qui a été un échec évident. La grande presse internationale, du Corriere della Sera à El Pais, n’a pas caché sa déception. A mon avis, il faut entendre comme un ultimatum l’annonce de la Conférence épiscopale allemande, par l’intermédiaire de son président le cardinal Marx, de convoquer un synode local qui mènera à des décisions contraignantes sur la morale sexuelle, le célibat sacerdotal et la réduction du pouvoir religieux. C’est la première fois que les évêques allemands s’expriment aussi clairement. Ils semblent dire que si le Pape ne franchit pas le Rubicon, ce sont eux qui le feront. Dans les deux cas, nous nous trouverions face à un schisme déclaré.
Quelles conséquences pourrait avoir une telle séparation ?
Un schisme déclaré, même s’il s’agit en soi d’un mal, peut être ordonné au bien par la Divine Providence. Le bien qui pourrait en résulter est que beaucoup se réveillent et comprennent que la crise n’est pas née du pontificat du pape François, mais vient de loin et a de profondes racines doctrinales. Nous devons avoir le courage de réexaminer ce qui s’est passé au cours des cinquante dernières années à la lumière de la maxime évangélique selon laquelle l’arbre est jugé à ses fruits (Mt 7, 16-20). L’unité de l’Église est un bien à préserver, mais n’est pas un bien absolu. On ne peut pas unir ce qui est contradictoire. On ne peut aimer en même temps le vrai et le faux, le bien et le mal.
Beaucoup de catholiques se sentent trahis et même désavoués. La foi nous dit que les forces du mal ne prévaudront pas, et pourtant il est difficile de voir les issues de cette crise. Humainement, il semble que tout s’effondre. Comment l’Église sortira-t-elle de cette mauvaise passe ?
L’Église n’a pas peur de ses ennemis et est toujours victorieuse quand les chrétiens combattent. A Abu Dhabi, le 4 février, le pape François a dit que nous devons « démilitariser le cœur de l’homme ». Je crois, au contraire, qu’il faut militariser les cœurs et les transformés en une Acies ordinata [www.aciesordinata.org], comme celle qui, le 19 février, sur la Piazza San Silvestro, à Rome, a confirmé l’existence d’une résistance catholique au processus d’autodestruction de l’Église. Beaucoup d’autres voix de résistance se sont également manifestées et se manifestent encore. Je crois que nous devons surmonter beaucoup d’incompréhensions qui souvent divisent le camp des bons et chercher parmi ces forces une unité d’intentions et d’action, tout en maintenant les diverses identités légitimes. Nos adversaires sont unis par la haine du bien : nous devons nous unir dans l’amour du bien et de la vérité. Mais nous devons aimer un bien parfait, intègre et sans compromis, car infiniment parfait est Celui qui nous soutient de Son amour et de Sa puissance. C’est en Lui et seulement en Lui que nous devons placer toute espérance. Voilà : la vertu de l’espérance est celle que nous devons cultiver le plus, car c’est elle qui nous rend forts et persévérants dans le combat que nous livrons. (Traduction de Marie P.)