Une belle analyse de la pensée du Cardinal Sarah
publié dans regards sur le monde le 25 mai 2019
Le cardinal Sarah et l’herméneutique de la réforme dans la continuité
23 MAI, 2019
PROVENANCE: FSSPX.NEWS
Le dernier ouvrage du cardinal Robert Sarah, Le soir approche et déjà le jour baisse (Fayard), est – comme les deux précédents – un livre-entretien écrit en collaboration avec Nicolas Diat. Le préfet de la Congrégation pour le culte divin et la discipline des sacrements y dresse un constat affligé de la crise qui secoue la société occidentale et l’Eglise de l’après-Concile.
Les critiques du haut prélat, sans s’adresser au pape François – il s’en défend vigoureusement –, ne peuvent pas ne pas être rapportées à certains propos du souverain pontife actuel, qu’il s’agisse de l’immigration de masse, de l’écologie, de l’éventuelle ouverture de la prêtrise à des hommes mariés…
Le souci du cardinal Sarah est, semble-t-il, de ne pas diviser l’Eglise encore plus, c’est pourquoi il « laisse de côté François », comme il le dit expressis verbis. Il dénonce la crise et pointe du doigt certaines causes : il fustige ainsi des évêques et des prêtres, car il reconnaît qu’il s’agit d’une crise qui « se situe au niveau de la tête », mais il refuse de nommer cette tête.
Il déplore que des clercs cèdent « à la tentation morbide et scélérate d’aligner l’Eglise sur les valeurs des sociétés occidentales actuelles. Ils veulent avant tout que l’on dise que l’Eglise est ouverte, accueillante, attentive, moderne. » (Valeurs Actuelles, 28 mars 2019). Mais il récuse toute opposition entre le pape et lui. Il veut rappeler la vérité, mais ne veut pas compromettre l’unité. Or ce n’est pas le cardinal Sarah qui divise, mais bien ceux qui, en s’opposant à la vérité bimillénaire, brisent l’unité.
Car l’unité de l’Eglise repose sur la vérité une, révélée par Dieu. Plus de vérité une, plus d’unité dans la vérité, mais « l’unité dans la diversité », le « polyèdre » ou la « mosaïque »…, comme l’on dit aujourd’hui. Rappeler l’unicité de la vérité, c’est défendre l’unité de l’Eglise et dénoncer les fauteurs de division qui s’emploient à « aligner l’Eglise sur les valeurs des sociétés occidentales actuelles ». Dans son livre, le cardinal Sarah fournit un diagnostic pertinent, mais prescrit des remèdes qui ne soignent que les symptômes, sans atteindre le foyer infectieux.
LA CRISE DE LA CONSCIENCE CHRETIENNE DE L’OCCIDENT
Sur le site Atlantico, le 8 avril 2019, le haut prélat répond aux questions de Jean-Sébastien Ferjou. Il dénonce les pseudo-valeurs de la laïcité : « La laïcité à la française est une parfaite contradiction : vous êtes essentiellement façonnés par l’Eglise. Vous ne pouvez pas dire je suis laïc dans la société et je suis chrétien à l’église, c’est ridicule. Un homme ne peut pas être divisé : il est un à tout point de vue, en toutes circonstances. Un Français à l’église est aussi un Français en politique. C’est une incohérence que d’imaginer l’inverse. La foi est une réalité intime mais elle doit aussi être vécue en famille et dans la société au sens large. »
Cette neutralité laïque, relayée par la liberté religieuse conciliaire – ce que le cardinal ne signale pas –, tue l’esprit missionnaire et transforme les prêtres en assistants sociaux : « Si je reçois quelqu’un, je lui donne le meilleur de moi-même, ce que j’ai de plus beau. Or, si je donne au migrant uniquement un toit, du travail, des médicaments… et que je lui cache ce qui fait vraiment un homme, son ouverture au transcendant, je le prive. Pourquoi ne pas proposer au migrant ma foi chrétienne ? Je ne la lui impose absolument pas, je lui dis seulement : “c’est une très bonne possibilité pour ton salut”. [C’est même une nécessité !]
« Au-delà de ce que nous proposons aux migrants, je suis troublé par ce renoncement de l’Occident à sa propre identité. Non seulement, nous ne savons plus expliquer aux autres qui nous sommes, mais nous ne le savons souvent plus nous-mêmes.
« Je crois que l’Occident pourra disparaître s’il oublie ses racines chrétiennes. Les barbares sont déjà là, en son sein. Et ils lui imposeront leur culture, ils lui imposeront leur religion, leur vision de l’homme, leur vision morale si l’Occident n’a plus qu’un ventre mou et fuyant à leur opposer. »
Sur le site Boulevard Voltaire, dans un entretien accordé à Gabrielle Cluzel, le 8 avril, le prélat guinéen appuie ses propos sur son expérience personnelle : « J’ai tout reçu de l’Occident. J’ai reçu ma formation et ma foi. On a l’impression aujourd’hui que l’Occident renie ses origines, son histoire et ses racines. Il me semble que nous vivons comme si nous n’avions rien à voir avec le christianisme. Ce n’est pas vrai. Lorsqu’on ouvre les yeux, on voit bien l’architecture, la musique, la littérature… et que tout est chrétien. Je ne vois pas pourquoi on peut nier ce qui est. Nier ce qui est, c’est se mentir à soi-même.
« Je pense que l’Occident est en péril s’il renie ses racines chrétiennes. C’est comme un grand fleuve, il a beau être immense et majestueux, s’il perd sa source, il n’est plus alimenté et se dessèche au bout d’un certain temps. C’est comme un arbre qui n’a plus de racines, il meurt. Un Occident sans racines chrétiennes est un Occident menacé de mort et de disparition. Il s’est fait envahir par d’autres cultures qui, elles, ne renoncent pas à leur histoire et combattent pour montrer qu’elles ont une culture à proposer. D’autres cultures envahissent l’Europe, comme les cultures musulmane et bouddhiste. Il est important qu’il [l’Occident] reprenne conscience que ses valeurs, belles, majestueuses et nobles se perdent.
« Je ne prétends pas être le (seul) missionnaire. Nous sommes tous, par le baptême, envoyés pour faire connaître le Christ et l’Evangile, et la réalité nouvelle qu’il nous propose. Aujourd’hui, les Ecritures nous disent encore : “je fais un monde nouveau”. Ce monde nouveau est créé par le Christ lui-même.
« Je souhaite que ce livre puisse réveiller la conscience occidentale. Je crois que l’Occident a une mission spéciale. Ce n’est pas pour rien que Dieu nous a communiqué la foi par l’Occident. Ce que Dieu donne est permanent, c’est pour toujours et non pour un instant. L’Occident a une mission universelle, à cause de sa culture, de sa foi, de ses racines et son lien personnel avec Dieu. Si l’Occident perdait ses racines, il y aurait un bouleversement énorme et terrible dans le monde. J’espère que la lecture du livre Le soir approche et déjà le jour baisse sera un moyen pour réveiller la conscience occidentale, mais aussi notre conscience de chrétien. »
Sur Atlantico, le cardinal Sarah insiste : « Je crois que si ceux qui dirigent l’Occident, ceux qui veulent le conduire, le font sans – voire contre – le christianisme, alors ils deviennent tièdes et conduisent l’Occident à sa perte. Sans cette radicalité évangélique qui change le cœur de l’homme et donc la politique, l’économie, l’anthropologie, ils œuvrent à sa disparition, même si ce n’est pas leur intention. »
A propos de l’écologie, le haut prélat déclare : « Sauver la planète alors qu’on continue à tuer des enfants ou qu’on tue les vieillards quand leur faiblesse déplaît aux regards ? Mais que sauve-t-on alors ? Quand on perd Dieu, on perd l’homme. Dieu n’existant plus, on sauve la nature. Mais qu’est-ce que la nature sans homme ? »
LA CRISE DE LA FOI DANS L’EGLISE
A Jean-Sébastien Ferjou d’Atlantico, le préfet de la Congrégation pour le culte divin montre que cette crise générale affecte également l’Eglise dans son enseignement doctrinal et moral : « (dans mon livre) je passe en revue les crises de l’Eglise : on a l’impression que celle-ci n’a plus de doctrine sûre, qu’elle n’a plus un enseignement moral sûr. L’enseignement de l’Eglise semble aujourd’hui se faner et devenir incertain et liquide. Croyons-nous encore que la Bible est révélée ? Notre attitude à l’égard de Dieu a profondément changé. Dans l’Eglise, Dieu est-il encore considéré comme une personne qui cherche à nouer une relation intime et personnelle avec chacun de nous ? Ou n’est-il plus qu’une idée, un être très lointain ? Le cœur de notre foi réside dans l’Incarnation de Dieu, qui est proche de nous. Nous pouvons le voir de nos yeux, le toucher de nos mains. Il y a Jésus-Christ, et le Père, qui dans la Très Sainte Trinité ne font qu’un avec le Saint-Esprit. Avons-nous encore vraiment cette foi pour laquelle tant de martyrs ont donné leur vie ? »
Selon le prélat africain, cette crise de la foi se manifeste aussi par une grave crise morale dans le clergé : « La crise est aussi présente au niveau du sacerdoce. Incontestablement, il y a eu des moments dans l’histoire où la vie des prêtres n’était pas exemplaire. Leur vie ne rayonnait pas l’Evangile, ni la sainteté de Dieu. Et l’Eglise tolérait un véritable laisser-aller sur le plan moral. Mais il s’est toujours dressé des figures comme saint François d’Assise pour la redresser en optant pour la radicalité de l’Evangile, c’est-à-dire l’Evangile dans sa nudité et sa totalité. Il y a eu aussi le Curé d’Ars : un homme de prière et de pénitence, car le démon s’acharne contre le sacerdoce et, souvent, on ne peut le chasser, loin de nous, que par la prière, le jeûne et un profond désir et volonté de conversion. Mais, ce qui se passe aujourd’hui est incroyable. On est obligé de reconnaître le péché grave et horrible des prêtres pédophiles. Un peu partout, des hommes qui devaient faire grandir les enfants dans la dignité et dans leur relation à Dieu, sont maintenant accusés d’avoir corrompu et détruit non seulement leur annonce, mais aussi le plus précieux de leur vie. D’autres prêtres déclarent avec fierté qu’ils sont homosexuels et qu’ils veulent contracter un “mariage” avec leur ami. Des évêques, des cardinaux sont mis en cause pour des abus sexuels sur des mineurs. Jamais, je pense, on n’a vu une telle horreur et une telle concentration du mal dans l’Eglise. L’Eglise est marquée par une grande crise morale, très douloureuse. »
Et cette crise dans l’Eglise se traduit par une division et une confusion générale, plus particulièrement ces temps-ci sur la question du célibat sacerdotal : « L’Eglise est aussi marquée par une grande division au niveau de l’enseignement doctrinal et moral : un évêque dit une chose, un autre le contredit, une conférence épiscopale dit une chose, une autre dit le contraire… La confusion s’installe un peu partout, comme peut-être jamais auparavant. On entend désormais souvent dire que le célibat des prêtres est une réalité inhumaine, insupportable, qui ne peut être assumée et vécue sereinement. Et en même temps, le prêtre prétend être configuré au Christ ! Car le prêtre n’est pas seulement un alter Christus, un autre Christ, mais il est surtout ipse Christus, c’est-à-dire le Christ lui-même. Le prêtre prononce les mêmes paroles que Jésus lorsqu’il dit “ceci est mon Corps, ceci est mon Sang”. Il est configuré et identifié au Christ. Il est la présence physique et le prolongement du Mystère du Christ sur la terre. Prolonger le Christ, cela n’est pas compatible avec la réalité d’une vie conjugale. On ne peut pas prétendre s’identifier au Christ et en même temps prétendre dissocier le célibat du sacerdoce. Pourtant, un mouvement dans cette direction travaille l’Eglise de l’intérieur. Le synode sur l’Amazonie d’octobre prochain prévoit, semble-t-il, d’aborder la question de l’ordination sacerdotale d’hommes mariés, les viri probati. J’espère vivement que cela ne se produira pas, et que l’autorité supérieure, le pape, n’autorisera jamais une telle rupture avec l’histoire récente de l’Eglise. »
QUELLES SONT LES CAUSES DE CETTE CRISE UNIVERSELLE ?
Comment expliquer cette situation tragique ? Dans cet entretien accordé à Atlantico, le cardinal Sarah envisage bien que l’adaptation de l’Eglise au monde moderne, lui fait perdre son identité : « On a cru qu’il fallait être dynamique, qu’il fallait à tout prix être actif, réaliser des projets plus ou moins sophistiqués, en bref d’être à l’image de notre société en perpétuel mouvement. En conséquence, on a abandonné Dieu, on a abandonné la prière, et certains prêtres sont devenus des “opérateurs sociaux”. »
Et un peu plus loin : « Oui, il y a des personnes intelligentes qui veulent moderniser ou perfectionner l’Eglise, perfectionner le christianisme, le rendre plus moderne. Mais, on ne peut pas moderniser ou perfectionner l’Eglise. Comme l’a écrit Charles Péguy : “C’est un peu comme si on voulait perfectionner le nord, la direction du nord. Le malin qui voudrait perfectionner le nord. Le gros malin (…). Le nord est naturellement fixe, le christianisme est naturellement fixe. Ainsi, les points fixes ont été donnés une fois pour toutes dans l’un et l’autre monde, dans le monde naturel et dans le monde surnaturel, dans le monde physique et dans le monde mystique. Et tout le travail, tout l’effort est ensuite au contraire de les garder, de les tenir, loin de les améliorer au contraire”. Nous n’avons pas à moderniser l’Eglise. Elle est conduite par la puissance de l’Esprit-Saint et sous la vigilance de Pierre. Et ce que Dieu fait est saint, pur et parfaitement ordonné à réaliser son plan de Salut pour l’humanité. Je ne peux pas entreprendre une quelconque transformation de l’Eglise sans consulter Dieu, ce que je fais dans la prière. Dans la prière, je sais que ce n’est plus mon œuvre, que je dois suivre les inspirations venant de Dieu, et que celles-ci ne sont pas seulement celles d’aujourd’hui, mais de l’Eglise depuis son origine jusqu’à nos jours. L’Eglise n’a jamais été gouvernée par un peuple, mais par une hiérarchie. Au début, elle était constituée des douze apôtres dont l’un était Pierre. La seule et véritable transformation possible de l’Eglise, c’est qu’elle s’applique à mettre en pratique la Volonté de Dieu. Et la Volonté de Dieu, c’est que nous devenions des saints. »
Le 5 avril, à Arthur Herlin, de l’agence IMedia, reprise par le site Aleteia, le cardinal Sarah affirme sans ambages la lourde responsabilité de la hiérarchie ecclésiastique dans cette crise : « Il est vrai qu’actuellement la crise se situe au niveau de la tête. Si nous ne sommes plus capables d’enseigner la doctrine, la morale, ou de donner l’exemple et d’être des modèles, alors la crise s’avère gravissime. Qui défendra les brebis si, les laissant à leur sort, les pasteurs prennent peur et fuient face aux loups ? La peur est la grande faiblesse de l’Eglise d’aujourd’hui. Tout le monde est, certes, terrorisé parce que l’Eglise est accusée de tous les maux. Mais quand quelqu’un est pris par la peur, il n’est plus maître de lui-même. C’est la raison pour laquelle l’Eglise n’ose plus se démarquer et aller à contre-courant pour montrer au monde la direction. Certains évêques craignent les critiques parce qu’ils sont centrés sur eux-mêmes et en viennent à devenir trop prudents, à ne plus rien exprimer clairement pour ne pas rencontrer l’opposition ou le martyre. Or, il leur faut retrouver Dieu, se concentrer sur Lui et se confier en la puissance de sa grâce. En effet, quand on est vraiment avec Lui, on n’a peur de rien. »
« LAISSONS DE COTE FRANÇOIS »
Lorsque le journaliste d’Atlantico rappelle au cardinal Sarah la déclaration interreligieuse du pape François lors de son récent voyage au Maroc (30-31 mars 2019), la réponse est surprenante :
Jean-Sébastien Ferjou : « L’œcuménisme, le dialogue interreligieux sont des valeurs très occidentales. Vous dites qu’on les a beaucoup transformées en irénisme, en une sorte de niaiserie. Avez-vous été frappé par la déclaration du pape François qui a lancé un appel avec le roi du Maroc à la liberté de culte à Jérusalem, en oubliant peut-être de préciser qu’il faudrait aussi que la liberté de culte soit respectée dans les pays arabes – particulièrement dans le Golfe ? Le pape accepte que les chrétiens ne fassent pas de prosélytisme pour donner des gages de sa volonté pacifique mais ne réclame pas la pareille aux musulmans avec lesquels il s’entretient. »
Cardinal Sarah : « Laissons de côté François. » Plus loin dans l’entretien, il ajoute à propos d’une opposition entre le pape et lui : « Ce sont uniquement ceux qui me connaissent par ouï-dire qui s’expriment de la sorte et cherchent à me poignarder dans le dos. Face à ces accusations ou ces soupçons à la fois injustes et fallacieux, je demeure serein. Ma réponse à votre question est donc claire : “Le cardinal Sarah, un opposant au pape ? Non, absolument pas, et cela vaut pour le passé, le présent et l’avenir.” Quand j’ouvre la bouche ou quand j’écris, c’est pour dire ma foi en Jésus, ma fidélité à l’Evangile qui ne change pas d’un iota quelles que soient les circonstances, les périodes et les cultures. »
Précédemment dans le même entretien, Jean-Sébastien Ferjou tentait de définir la position du cardinal Sarah : « Ce qui est frappant dans votre livre, c’est que vous vous astreignez à une ligne de crête, à un propos en tension mais pas en contradiction : vous dénoncez sans ambiguïtés les dérives de l’Eglise, mais vous dites aussi qu’il ne faut pas céder au démon de la division, que la division dans l’Eglise est l’œuvre du diable. Comment réussir à porter une parole forte, qui puisse réveiller les consciences, sans aller jusqu’à tomber dans les luttes politiques ? »
Le cardinal Sarah lui répond : « Jésus a dit : “Ma doctrine n’est pas de moi, mais de Celui qui m’a envoyé. Si quelqu’un veut faire sa volonté, il reconnaîtra si ma doctrine est de Dieu ou si je parle de moi-même” (Jn 7, 16). Le Christ n’a pas enseigné sa propre doctrine, mais celle du Père. Il n’est pas venu pour contredire les pharisiens ou les grands prêtres. Son rôle était de proclamer la Parole de Dieu, d’enseigner la doctrine de son Père, et rien d’autre. Pour ma part, je n’ai pas fait le choix de combattre ou de contredire quelqu’un. Je désire et veux uniquement dire la parole que j’ai reçue des missionnaires, la Parole de Jésus, et transmettre l’enseignement de l’Eglise. Je ne désire nullement me battre ou m’opposer à quelqu’un. Toutefois, vous me dites qu’en parlant ainsi, je créerais des divisions… au contraire, je veux contribuer à unifier l’Eglise dans sa foi pour qu’elle vive dans l’amour et la communion. Enseigner la doctrine, être fidèle à l’enseignement intangible de l’Eglise, c’est contribuer à créer la communion et l’unité de l’Eglise. Il est triste de voir une famille divisée. »
– Sur l’enseignement de Jésus qui ne contredisait pas les pharisiens, on se reportera, entre autres, à l’évangile selon saint Matthieu : « Malheur à vous, scribes et pharisiens hypocrites, parce que vous ressemblez à des sépulcres blanchis, qui au-dehors paraissent beaux, mais au-dedans sont pleins d’ossements de morts et de toute sorte de pourriture. Ainsi vous, au-dehors, vous paraissez justes aux hommes, mais au-dedans vous êtes pleins d’hypocrisie et d’iniquité. » (Mt 23, 27-28) Ajoutons, suivant la prophétie du vieillard Siméon, que le Christ est venu « au monde pour la chute et la résurrection d’un grand nombre en Israël, et pour être un signe en butte à la contradiction » (Lc 2, 34).
L’HERMENEUTIQUE DU CARDINAL SARAH
Au fond, la question est de savoir si Vatican II qui est la « boussole » de tous les pontificats depuis 1965, permet d’être « fidèle à l’enseignement intangible de l’Eglise », comme souhaite le cardinal Sarah. A cela, le haut prélat répond sans détour dans son livre : « Le Concile n’a pas à être rétracté » (p. 118), et il s’appuie sur l’affirmation du cardinal Joseph Ratzinger, alors préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, dans son livre-entretien avec Vittorio Messori, Entretien sur la foi (Fayard, 1985) : « Défendre aujourd’hui la vraie tradition de l’Eglise signifie défendre le Concile. C’est aussi notre faute si nous avons parfois donné prétexte, tant à la “droite” qu’à la “gauche”, à penser que Vatican II ait pu constituer une “rupture”, un abandon de la tradition. Il y a au contraire une continuité qui ne permet ni retours en arrière, ni fuites en avant, ni nostalgies anachroniques, ni impatiences injustifiées. C’est à l’aujourd’hui de l’Eglise que nous devons rester fidèles, non à l’hier ni au demain : et cet aujourd’hui de l’Eglise ce sont les documents de Vatican II dans leur authenticité, sans réserve qui les amputent, ni abus qui les défigurent. » (p. 118)
La ligne de crête que le cardinal Sarah revendique nettement dans son livre (p. 120), n’est autre que « l’herméneutique de la réforme dans la continuité de l’unique sujet Eglise », selon l’expression de Benoît XVI lors de son discours à la Curie, le 22 décembre 2005.
Cette position est-elle une réponse suffisante à la crise présente qu’il dénonce non sans vigueur ? Est-elle un remède à la confusion doctrinale et à la division générale qu’il déplore sincèrement ? Dans son entretien à Valeurs Actuelles, le cardinal Sarah affirme à juste titre : « Certains ont adopté les idéologies du monde actuel sous le prétexte fallacieux de s’ouvrir au monde ; mais il faudrait plutôt porter le monde à s’ouvrir à Dieu qui est la source de notre existence. » C’est une affirmation prudente, diplomatique, au conditionnel (il faudrait plutôt), et elle s’appuie sur cette herméneutique de la réforme dans la continuité qui n’est qu’une interprétation. C’est dire la fragilité de cette position. Face à l’effondrement actuel causé par l’alignement de l’Eglise sur « les idéologies du monde actuel », il faut plus qu’une réponse conditionnelle et seulement interprétative.
Les faits sont têtus et ils ont une cause obstinée. Le principe de causalité n’est pas une interprétation subjective, mais une loi du réel qui s’impose à tous : il n’y a pas d’effet sans cause, pas de fumée sans feu. Cette cause est désignée par le cardinal Ratzinger, cité par le cardinal Sarah, mais ni l’un ni l’autre ne la reconnaissent comme la cause des maux qu’ils dénoncent. Pour l’ancien préfet de la Congrégation de la foi : « Vatican II avait raison de souhaiter une révision des rapports entre l’Eglise et le monde. Car il y a des valeurs qui, même si elles sont nées hors de l’Eglise, peuvent, une fois examinées et amendées, trouver leur place dans sa vision [du monde] ». (op.cit. p. 38) Il précisait ailleurs : « Le problème des années soixante était d’acquérir les meilleures valeurs exprimées par deux siècles de culture libérale » (Entretien avec Vittorio Messori, dans le mensuel Jesus, novembre 1984, p. 72)
Mgr Lefebvre affirmait : « L’Eglise souffre partout et elle souffre d’abord – il faut le dire – par ceux qui, dans la Curie romaine, continuent à propager les idées modernistes en maintenant, envers et contre tous, ces réformes qui ont été instituées après le concile Vatican II et qui sont en train de détruire l’Eglise, d’autodétruire l’Eglise, comme le disait lui-même le pape Paul VI » (Homélie du 29 juin 1981).
Dans son Histoire des variations des Eglises protestantes, Bossuet déclarait : « Dieu se rit des prières qu’on lui fait pour détourner les malheurs publics, quand on ne s’oppose pas à ce qui se fait pour les attirer. Que dis-je ? quand on l’approuve et qu’on y souscrit, quoique ce soit avec répugnance. » Ce que le critique littéraire Jules Lemaître transformait, de façon concise, en conseil pratique : il faut renoncer à « respecter les causes dont on déplore les conséquences ».
(Sources : Atlantico/Aleteia/IMedia/Boulevard Voltaire/Valeurs Actuelles – FSSPX.Actualités – 23/05/2019)