Le psaume 118 X du dimanche à None
publié dans couvent saint-paul le 11 octobre 2019
Prier avec l’Eglise
Tome 7
Chapitre 12
Les psaumes du dimanche à None
Psaume 118 X
Cette partie 10ème de ce psaume 118, qui est très long, comme vous pouvez le constater, commence par des accents passionnés à la prière, à l’oraison. Nous avons bien cinq strophes dans ce sens ; trois d’entre elles commencent par le verbe « clamavi » « j’ai crié » : « Clamavi in toto corde » « j’ai crié de tout mon cœur »; « clamavi ad te » ; avant même l’aurore, « j’ai crié vers vous » « Praeveni in maturitate et clamavi ». Je trouve que cette dernière phrase est une très belle phrase, pleine d’allant, de force et de dynamise. Le « et » est très bien placé : praeveni in maturitate et clamavi ». Ce « et » est comme un tremplin qui donne l’élan au sportif…mais n’est-ce pas précisément la force du moine qui dès l’aurore, va prier l’office, plein de courage !
« Clamare » est un verbe très fort. Ce n’est pas une simple clameur dite timidement. Non ! C’est un vrai cri. « Clamare » veut dire : « invoquer à grands cris », « crier », « pousser un cri », « proclamer », « appeler ». De la même famille, nous trouvons aussi : « clamitare » qui veut dire, « crier à plusieurs reprises » « crier fort, « appeler à grands cris » ; nous trouvons aussi : « clamor, clamoris » qui se traduit par « cri », « bruit », « acclamation » « huée ». Nous trouvons même « clamator, oris » que l’on traduit par « braillard » ; « clamose », l’adverbe, que l’on traduit par « à grands cris ».
Ainsi lorsque le psalmiste écrit « clamavi in toto corde » « j’ai crié de tout mon cœur », il faut comprendre qu’il exprime une intensité extrême dans sa prière, une véritable ardeur dans sa supplique. « Clamavi in toto corde meo, exaudi me, Domine, justificationes tuas requiram » « j’ai crié de tout mon cœur, exaucez-moi, Seigneur je rechercherai vos ordres ». « Je rechercherai vos ordres » : tel est l’objet de son intense prière : vivre, contempler en se conformant « aux ordres du Seigneur ». C’est là son unique et seul vœu. C’est pourquoi il dit « exaudi me, Domine, justificationes tuas requiram » « exaucez moi Seigneur je rechercherai vos ordres ».
La répétition de la même pensée dans ce début de psaume est notable, elle participe, comme le choix des mots, à exprimer l’intensité de la prière : « Clamavi ad te, salvum me fac, ut custodiam mandata tua » « j’ai crié vers vous : sauvez-moi afin que je garde vos commandements ». « Custodire », c’est également un très beau verbe latin. Il veut dire : « garder, protéger, conserver, préserver, surveiller ». Le « custos » du voile de Turin, a pour mission de le « garder, de le protéger, de le conserver, d’en prendre garde ». Ici il vaudrait mieux traduire, selon le contexte : « se conformer à, « être fidèle à » : « j’ai crié vers vous, sauvez-moi afin que je reste fidèle à vos commandements » « ut custodiam mandata tua »
« Praeveni in maturitate et clamavi quia in verba tua supersperavi » « j’ai devancé l’aurore et j’ai crié vers vous parce que j’ai beaucoup espéré en vos promesse»
« Praeveni in maturitate et clamavi » : je le redis volontiers, j’aime beaucoup cette phrase. Elle exprime un grand dynamisme, un grand élan dans la prière. Le « et » en fait tout le charme, toute la force. Il est un peu comme le tremplin, comme je l’ai dit plus haut, où le sportif prend son élan pour accroître sa force. N’est-ce pas dès l’aurore, au petit matin, que le moine prend son « élan » pour aller chanter la gloire du Seigneur. Il sait qu’il sera exaucé dans sa prière. Dieu est fidèle en ses promesses.
Le psalmiste renouvelle sa prière, ce qui est encore une manière de décrire l’intensité de sa ferveur : « Praevenerunt oculi mei ad te diluculo ut meditarer eloquia tua » « mes yeux ont devancé l’aurore, se tournant vers vous afin de méditer vos paroles ». Le « diluculo » « à la pointe du jour » exprime encore une nouvelle fois, l’ardeur de l’orant. « A la pointe du jour, » il est venu méditer les paroles du Seigneur, ses mystères.
Un peu plus loin, on a cette belle strophe : « Vocem meam audi secundum misericordiam tuam Domine et secundum judicium tuum vivifica me » « Ecoutez ma voix, Seigneur, selon votre miséricorde et faites-moi vivre selon votre justice ». On sent, là aussi, la même intensité dans la voie que, plus haut, dans les toutes premières strophes du psaume. La prière du psalmiste est vraiment intense : « Vocem meam audi secundum misericordiam tuam ». « Ecoutez », ou mieux « soyez attentif à ma voix » ou même « exaucez » ma prière. Vous qui êtes plein de miséricorde ».
« Appropinquaverunt persequentes me iniquitati, a lege autem tua longe facti sunt » « mes persécuteurs se sont approchés de l’iniquité, et ils se sont éloignés de votre loi »
C’est parce que mes « ennemis » se sont éloignés de votre loi qu’ils se sont approchés de l’iniquité. Cela va de pair. L’un ne va pas sans l’autre. Tout est lié : l’éloignement de la loi de Dieu et l’iniquité. Si tu veux vivre droitement, respecte la loi de Dieu !
« Prope es tu Domine et omnes viae tuae veritas » « Vous êtes proche, Seigneur, et toutes vos voies sont la vérité même ».
Dieu est proche de tout parce qu’Il est la cause de tout, parce qu’il est Dieu. Rien ne serait, si Dieu n’était pas et ne soutenait toutes choses de son souffle. C’est en Dieu que toute réalité, quelle qu’elle soit, possède l’être, le mouvement et la vie. Ainsi Dieu est présent partout selon la plénitude de son être. Mais plus encore, « Dieu est proche » « prope es tu Domine » parce qu’il est, par la grâce sanctifiante et les vertus théologales, en nous. Ce sont les paroles mêmes de notre Seigneur, juste avant sa Passion. Pour consoler ses disciples, il leur dit : « Je prierai le Père et il vous donnera un autre Paraclet, pour être avec vous à jamais, l’esprit de vérité, que le monde ne peut recevoir, parce qu’il ne le voit pas ni ne le connaît. Vous, vous le connaissez parce qu’il demeure avec vous et qu’il est en vous » (Jn 14 16-17). Mais là où se trouve une personne divine, se trouvent toutes les personnes divines, à raison de leur inhabitation mutuelle. Là où se trouve l’Esprit de Dieu, là se trouve avec Lui les deux autres Personnes divines dont il est le lien. Mais plus encore : « Celui qui m’aime sera aimé de mon Père et je l’aimerai et me manifesterai à lui » (Jn 14 21). « Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole et mon Père l’aimera, nous viendrons en lui et nous ferons en lui notre demeure » (Jn 14 23)
C’est l’affirmation la plus claire de la présence de Dieu en l’âme chrétienne, au plus proche.
« et omnes viae tuae veritas » « et toutes vos voies sont la vérité même ».
Ne pourrait-on pas penser ici à la phrase du Seigneur : « je suis la Voix, la Vérité et la Vie ». Ne serait-ce pas le plus beau commentaire de cette strophe ? Tournez notre regard vers le Seigneur qui a dit être « la Voix, la Vérité et la Vie ».
« Ignitio cognovi de testimoniis tuis quia in aeternum fundasti ea » « J’ai reconnu dès le commencement que vous avez établi à jamais vos témoignages »
Selon l’interprétation que nous avons donnée plus haut du mot « testimonia » qui est un mot très indéterminé, nous pouvons, dans le contexte de ce psaume, lui donner le sens de « commandements ». Et donc le psalmiste reconnait leur existence et leur éternité. Qu’ils sont de toujours, parce que Dieu est lui-même de toujours et que tout ce qui émane de Lui est éternel. Le Verbe est éternel. L’Esprit est éternel. Sa loi est éternelle.
« Vide humilitatem meam et eripe me quia legem tuam non sum oblitus » « Voyez mon humiliation et délivrez-moi, car je n’ai point oublié votre loi ».
Le psalmiste met son mérite dans sa fidélité à la loi, aussi ose-t-il demander à Dieu qu’il ne l’oublie pas et le délivre. Toutefois sachons raison garder ! Dieu est toujours premier dans sa miséricorde. Il ne l’exerce pas en fonction de nos mérites. Heureusement ! Toutefois, faut-il « collaborer » à sa grâce.
Judica judicium meum et redime me, propter eloquium tuum vivifica me » « Jugez ma cause et rachetez moi, rendez-moi la vie selon votre parole ».
A partir de cette strophe jusqu’à la fin de ce psaume, le psalmiste parle du rachat, du salut, de la vie éternelle retrouvée. Il fait une nette allusion au plan de salut opéré par Notre Grand Dieu. Un plan de salut, preuve certaine de sa miséricorde. Je voudrais m’attarder un peu sur ce sujet, tant ce plan divin est beau, riche et réconfortant.
« Jugez ma cause et rachetez moi » « Judica judicium meum et redime me »
Tout est dit dans cette seule phrase. Elle est d’un grand réalisme. « Jugez ma cause ». Ma cause ? Mais elle est perdue d’avance en raison du péché originel qui me touche. Le Concile de Trente, en effet, parle du péché originel dans sa 5e session, du 17 juin 1546. Voici ce qu’il enseigne :
« 1510 … Aussi, suivant le témoignage des saintes Écritures, des saints Pères et des conciles les plus approuvés, ainsi que le jugement et l’accord de l’Église elle-même, il (le Concile) statue, confesse et déclare ce qui suit au sujet du péché originel.
« 1511 1. Si quelqu’un ne confesse pas que le premier homme, Adam, après avoir transgressé le commandement de Dieu dans le paradis, a immédiatement perdu la sainteté et la justice dans lesquelles il avait été établi et a encouru, par l’offense que constituait cette prévarication, la colère et l’indignation de Dieu et, par la suite, la mort dont il avait été auparavant menacé par Dieu, et avec la mort la captivité sous le pouvoir de celui qui ensuite « a eu l’empire de la mort, c’est-à-dire le diable » He 2,14 ; et que par l’offense que constituait cette prévarication Adam tout entier, dans son corps et dans son âme a été changé en un état pire : qu’il soit anathème ».
Ainsi la cause d’Adam est perdue, suite à son péché. Il a perdu, comme conséquence de son péché, « la sainteté et la justice dans lesquelles il avait été établi ». Il a encouru, toujours par suite de son péché, « la colère et l’indignation de Dieu ». « Jugez ma cause »…mais elle est perdue suite à ma prévarication ! C’est pourquoi le psalmiste affirme immédiatement « rachetez-moi » « Redime me ». On comprend très bien cette supplique : « Rachetez moi ».
Mais ce péché et ces conséquences ne valent pas seulement pour Adam, mais pour tous les hommes, parce que tous, ont péché en Adam. Le Concile l’enseigne clairement. C’est l’objet du § 2 : « 1512 2. “Si quelqu’un affirme que la prévarication d’Adam n’a nui qu’à lui seul et non à sa descendance”, et qu’il a perdu la sainteté et la justice reçues de Dieu pour lui seul et non aussi pour nous, ou que, souillé par le péché de désobéissance, “il n’a transmis que la mort” et les punitions “du corps à tout le genre humain, mais non pas le péché, qui est la mort de l’âme” : qu’il soit anathème, » puisqu’il est en contradiction avec l’Apôtre qui dit : “Par un seul homme, le péché est entré dans le monde, et par le péché, la mort et ainsi la mort a passé dans tous les hommes, tous ayant péché en lui” Rm 5,12 372 »
Le psalmiste a raison de dire : « Jugez ma cause et rachetez moi » « Judica judicium meum et redime me »
Il a raison de dire cela et d’invoquer le Seigneur, le Dieu tout puissant car le salut, le rachat, la rédemption est en aucun autre que dans le Fils de Dieu fait homme, le Christ, Dieu et Homme tout à la fois. C’est encore une claire affirmation du Concile. C’est le 3ème § : « 1513 3. Si quelqu’un affirme que ce péché d’Adam – qui est un par son origine et. transmis par propagation héréditaire et non par imitation, est propre à chacun –, est enlevé par les forces de la nature humaine ou par un autre remède que le mérite de l’unique médiateur notre Seigneur Jésus Christ 1347 qui nous a réconciliés avec Dieu dans son sang Rm 5,9 s, “devenu pour nous justice, sanctification et Rédemption” 1Co 1,30 ou s’il nie que ce mérite de Jésus Christ soit appliqué aussi bien aux adultes qu’aux enfants par le sacrement conféré selon la forme et l’usage de l’Église : qu’il soit anathème. Car “il n’est pas d’autre nom sous le ciel qui ait été donné aux hommes par lequel nous devons être sauvés” Ac 4,12. D’où cette parole : “Voici l’Agneau de Dieu, voici celui qui ôte les péchés du monde” Jn 1,19, et celle-ci “Vous tous qui avez été baptisés. vous avez revêtu le Christ” Ga 3,27. »
« Jugez ma cause et rachetez moi » « Judica judicium meum et redime me ». Cette phrase du psalmiste est parfaitement juste. Il se fonde sur le dogme de la Rédemption, en NSJC. « Il n’y a pas d’autre nom sous le ciel qui ait été donné aux hommes par lequel nous devions être sauvé » : ce sont les paroles mêmes de Saint Pierre le jour de la Pentecôte, prononcées devant les Juifs qui ont condamné leur Messie devant Pilate. Et c’est ce qu’affirme le psalmiste lorsqu’il dit: « rendez-moi la vie selon votre parole ». C’est la parole même de saint Pierre « propter eloquium tuum vivifica me ». La Rédemption est essentiellement la « vie divine » retrouvée par la foi en la parole de Dieu.
C’est, comme le dit encore le Concile de Trente, l’enseignement des Ecritures. J’en veux pour preuve les paroles de saint Paul aux Ephésiens en son chapitre 2: « Et vous, vous étiez morts par vos offenses et vos péchés, dans lesquels vous marchiez autrefois selon le train de ce monde, selon le prince de la puissance de l’air, de l’esprit qui agit maintenant dans les fils de la désobéissance.
Nous tous aussi, nous vivions autrefois comme eux selon les convoitises de notre chair, accomplissant les volontés de la chair et de nos pensées, et nous étions par nature enfants de colère, comme les autres. Mais Dieu, qui est riche en miséricorde, à cause du grand amour dont il nous a aimés, et alors que nous étions morts par nos offenses, nous a rendus vivants avec le Christ (c’est par grâce que vous êtes sauvés) ; il nous a ressuscités ensemble et nous a fait asseoir ensemble dans les cieux en Jésus-Christ , afin de montrer dans les siècles à venir l’infinie richesse de sa grâce par sa bonté envers nous en Jésus-Christ. Car c’est par la grâce que vous êtes sauvés, par le moyen de la foi ; et cela ne vient pas de vous, c’est le don de Dieu ; ce n’est point par les œuvres, afin que nul ne se glorifie. Car nous sommes son ouvrage, ayant été créés en Jésus-Christ pour faire de bonnes œuvres, que Dieu a préparées d’avance, afin que nous les pratiquions. C’est pourquoi souvenez-vous qu’autrefois, vous païens dans la chair, traités d’incirconcis par ceux qu’on appelle circoncis, et qui le sont en la chair par la main de l’homme, souvenez-vous que vous étiez en ce temps-là sans Christ, en dehors de la société d’Israël, étrangers aux alliances de la promesse, sans espérance et sans Dieu dans le monde. Mais maintenant, en Jésus-Christ, vous qui étiez jadis éloignés, vous êtes rapprochés par le sang du Christ. Car c’est lui qui est notre paix, lui qui des deux peuples n’en a fait ayant abrogé par l’immolation de sa chair la loi des ordonnances avec ses rigoureuses prescriptions, afin de fondre en lui-même les deux dans un seul homme nouveau, en faisant la paix, et de les réconcilier, l’un et l’autre unis en un seul corps avec Dieu par la croix, en détruisant par elle l’inimitié. Et il est venu annoncer la paix à vous qui étiez loin, et la paix à ceux qui étaient proches ; car par lui nous avons accès les uns et les autres auprès du Père, dans un seul et même Esprit.
Ainsi donc vous n’êtes plus des étrangers, ni des hôtes de passage ; mais vous êtes concitoyens des saints, et membres de la famille de Dieu, édifiés que vous êtes sur le fondement des apôtres et des prophètes, dont Jésus-Christ lui-même est la pierre angulaire. C’est en lui que tout l’édifice bien ordonné s’élève, pour former un temple saint dans le Seigneur ; c’est en lui que, vous aussi, vous êtes édifiés, pour être par l’Esprit-Saint, une demeure où Dieu habite. » (Eph 2 1-22)
C’est tout simplement merveilleux ! Oh que je plains ceux qui n’entendent pas un tel langage, plein d’espérance.
« Rendez-moi la vie selon votre parole » « propter eloquium tuum vivifica me ».
Mais c’est chose faite dans le Sang du Seigneur, dans son Sacrifice qui est renouvelé sur nos autels chaque jour, par chaque prêtre agissant « in persona Christi ». La seule chose qui nous est demandée pour connaître ce salut, c’est la foi à la parole de l’Evangile, l’Evangile de la Vie. Saint Jean, avec tous les Apôtres, est formel lorsqu’il dit : « Dieu a tellement aimé le monde qu’il a donné son Fils unique afin que quiconque croit en Lui, ne périsse pas mais ait la vie éternelle » (Jn 3 16) Il est clairement dit ici que la voie royale de la « vie éternelle » est la foi en NSJC : « afin que quiconque croit en Lui, ne périsse pas mais ait la vie éternelle ». Et selon le contexte de la phrase, il faut dire que c’est la foi en l’amour de Dieu qui est chemin de vie éternelle, le Fils étant l’expression de l’amour de Dieu: « Dieu a tellement aimé le monde qu’il a donné son Fils unique » qui est la vie du monde. C’est pourquoi il a raison le psalmiste de dire : « Longe a peccatoribus salus quia justificationes tuas non exquisierunt » « le salut est loin des pécheurs, parce qu’ils n’ont pas recherché vos lois ». « Vos lois » c’est-à-dire: votre amour, l‘amour de Dieu.
C’est ce qu’affirme merveilleusement aussi la Liturgie. La première antienne des premières Vêpres de la fête de l’Exaltation de la Sainte Croix, confesse, là aussi, que le Christ sur sa Croix est principe de Vie, c’est la grande œuvre de Dieu : « O grande œuvre de bonté !la mort est morte où la Vie mourut sur le bois ». C’est ce que confesse aussi la première strophe du bel hymne Vexilla Regis prodeunt : « Il resplendit le mystère de la Croix sur laquelle la vie a supporté la mort et, par la mort, a produit la vie » « Quae Vita mortem pertulit ».
C’est ce que confesse tout également le psalmiste lorsqu’il dit : « Misericordiae tuae multae, Domine, secundum judicium tuum vivifica me » « Vos miséricordes sont nombreuses, Seigneur, rendez-moi la vie selon votre jugement ».
Et parce que je vis de ce mystère d’amour, de ce mystère de miséricorde, peut m’importe ceux qui me persécutent ! Que sont leurs persécutions, par rapport à votre amour ? : « Multi qui persequuntur me et tribulant me, a testimoniis tuis non declinavi » « Ceux qui me persécutent et qui m’affligent sont nombreux, mais je ne me suis pas détourné de vos témoignages ; aussi « rendez moi la vie par votre miséricorde » « in misericordia tua vivifica me »
Cet amour divin, salvifique, étant tout pour moi, s’étant exprimé d’une manière si intense sur le bois de la Croix qui attire tout mon cœur, « je sèche » de douleurs, en conséquence, quand je contemple l’oubli par le monde de ce Dieu de bonté : « Vidi praevaricantes et tabescebam quia eloquia tua non custosierunt » « J’ai vu les prévaricateurs et je séchais de douleur parce qu’ils n’ont pas gardé vos paroles ». Que dirait-il aujourd’hui à la vue du monde moderne qui ne respecte ni l’amour de Dieu ni sa loi?
Nous avons analysé ce salut, confessé par le psalmiste en nous attachant au Magistère, le Concile de Trente, à l’Ecriture Sainte et à la liturgie….Mais il faut aussi invoquer la théologie, le dogme.
« Jugez ma cause et rachetez-moi, rendez-moi la vie selon votre parole »
Touché par le péché originel, comme nous l’avons dit plus citant le Concile de Trente, je ne peux trouver le salut qu’en Dieu seul et dans aucune créature, aussi sainte soit-elle. « Rachetez-moi »
En effet, comme le dit saint Thomas, le péché, par de nombreux côtés reste toujours un mal fini. Les facultés dont il procède sont limitées et finies, les actes eux-mêmes sont finis, les biens dont il nous dépouille, quoique très précieux, la grâce sanctifiante , sont finis. Mais pour apprécier le dommage, l’injure, l’offense du péché, il faut considérer, non pas l’acte et le sujet qui le pose, mais la valeur et la dignité de la personne qu’on attaque, qu’on offense. L’offense est proportionnée à la valeur de la personne outragée, c’est-à-dire à sa dignité. Si la dignité est infinie, l’offense l’est aussi, comme l’injustice serait infinie si l’objet volé ou détruit était d’un prix infini.
C’est ici que vaut l’adage : Honor est in honorante, injuria in injuriato, l’honneur se mesure à la personne qui honore et l’offense à la personne offensée.
Or quelle est la dignité lésée par le péché mortel ? N’est-ce pas une dignité, une majesté infinie ? Le péché, dit Saint Tomas, parce qu’il est commis contre Dieu a une certaine infinité à cause de l’infinité de la majesté divine ; l’offense, en effet, est d’autant plus grave que l’offensé est plus digne (III 1 3, ad 2). Ce n’est pas là une affirmation isolée ; Saint Thomas l’avait déjà posée dans ses autres écrits. Il disait dans son commentaire sur les Sentences : « le péché a une certaine infinité et cela tient tout d’abord à l’infinité de la majesté divine offensée par le mépris de la désobéissance ; plus grand est celui contre qui l’on pèche, plus grave devient la faute (III Sent 25 1 2)
C’est pourquoi les forces humaines ne suffiront jamais, conclut Saint Thomas, pour réparer une telle offense. Ce principe établi, il devient manifeste qu’aucune créature ne sera jamais capable d’égaler la réparation à l’outrage. Les hommages, les réparations, les satisfactions d’une personne créée, restant toujours bornées comme elle, ne seront jamais de la taille d’une offense infinie.
C’est pourquoi est juste cette strophe du psalmiste : « Voyez mon humiliation, et délivrez-moi » ou encore « Jugez ma cause et rachetez moi » ou encore « rendez moi la vie selon votre jugement » ou encore « rendez-moi la vie par votre miséricorde ». Ces phrases sont justes parce que le psalmiste confesse son impuissance à obtenir par lui-même ou par un quidam, son salut, en raison du péché originel, sa cause étant désespérée. Oui désespérée! Est juste cette strophe du psalmiste : « jugez ma cause et rachetez moi , rendez-moi la vie selon votre parole ». Je ne peux rien par moi-même. Sans votre miséricorde, je suis voué au feu éternel à jamais, pour toujours. Toutes les saintetés accumulées, toutes les pénitences, tous les amours, tous les martyres sont radicalement et à jamais incapables d’expier un seul péché mortel.
Il reste acquis qu’il faut, pour réparer la faute grave qui touche tout le monde, une personne d’une dignité infinie. Mais cela ne suffit pas. Dieu restant en lui-même peut bien pardonner et remettre l’injure infinie mais il ne saurait satisfaire. Car les réparations, les honneurs s’adressent à un supérieur et Dieu ne peut relever que de lui-même. Il faut donc qu’une personne d’une dignité infinie prenne une nature créée, dépendante. Parce qu’il y a nature inférieure, les actes peuvent aller à un supérieur ; parce qu’il y a personne infinie et que toutes les actions appartiennent à la personne, les satisfactions et les mérites ont une infinie valeur. Il fallait qu’une personne trinitaire prenne une chair humaine. C’est le Verbe incarné. La Parole de Dieu fait chair. Dans le Verbe incrarné ou la même personne subsiste en deux natures, il y a diversité de droits et de devoirs. En tant que nature divine, la personne de Verbe, ne peut rendre aucun devoir religieux à la Sainte Trinité ; mais en tant que subsistant dans la nature humaine, la personne du Verbe endosse ses devoirs. Elle peut et doit adorer. Elle peut au même titre offrir à Dieu des réparations. Celles-ci maintenant seront égales à l’offense. Mesurée à la dignité infinie de la personne outragée, l’offense est infinie, mesurée à la dignité infinie de la personne qui répare, la satisfaction est infinie. Il y a donc paiement rigoureux et total. La réparation est de condigno. « Judica judicium meum et redime me, propter eloquium tuum vivifa ma » « jugez ma cause et rachetez moi, rendez-moi la vie selon votre parole ». C’est dire, en terme poétique, purement et simplement, le dogme de la Rédemption, la Croix du Seigneur étant le prix du salut. «Judica judicium meum et redime me ». C’est chose faite dans le Sacrifice du Seigneur : « O grande œuvre de bonté ! La mort est morte où la Vie mourut sur le bois ». « La mort est morte… » C’est-à-dire la vie renait grâce à la mort du Seigneur sur le bois de la Croix. Le sacrifice du Fils est le prix du rachat. L’antienne 8 des Matines de la fête de l’Exaltation de la Sainte Croix résume tout le dogme que chante le psalmiste dans ce psaume : « Per lignum, servi facti sumus et per sanctam Crucem liberati sumus : fructus arboris seduxit nos, Filius Dei redemit nos, alleluia » « Par le bois, nous sommes devenus esclaves – telle est ma cause Seigneur, perdue – « le fruit d’un arbre nous a séduits – ma cause est perdue, esclave du démon, maitre de la mort – « le Fils de Dieu nous a rachetés, alléluia »
« Judica judicium meum et redime me » « Jugez ma cause et rachetez moi, rendez-moi la vie selon votre parole ».
C’est merveilleux.