Hommage à Jean de Viguerie
publié dans regards sur le monde le 16 janvier 2020
Jean de Viguerie est décédé le 15 décembre dernier.
Catholiqueconvaincu, spécia-liste reconnu du XVIIIe siècle et de la Révolution,c’était un historien exigeant, héritier de la vieilleécole et sachant encore manier une belle langue.
Né en 1934, il a consacré sa thèse aux frères de laDoctrine chrétienne et à l’enseignement populairesous l’Ancien Régime, ce qui l’a conduit à s’intéresserau rôle de l’Église en la matière.
Il en avait tiré en2001 un livre passionnant, L’Église et l’éducation(rééd. DMM, 2010) qui mettait en lumière l’action ci-vilisatrice de l’Église en faveur de l’éducation dans laFrance monarchique.
Il était profondément marquépar la rupture de transmission qui s’est opérée avecl’esprit de Mai 68 et par la folie des nouvelles péda-gogies qui triomphaient alors et qu’il tenait pour res-ponsable de la faillite actuelle du système scolaire.Dans Les pédagogues (Cerf, 2011), il montrait queleur utopie remontait loin, à Érasme précisément,puis à Nicole, Locke et bien sûr Rousseau, Piaget,Mérieu, utopie qui a abouti aujourd’hui au mythe del’enfant qui «invente» lui-même son propre savoir.
Il est surtout connu pour son Histoire et diction-naire du temps des Lumières dans la prestigieusecollection Bouquins (1995) et pour son remarquableLouis XVI le roi bienfaisant (Le Rocher, 2003) qui montre un homme bon, soucieux du «bonheur» deson peuple, mais d’une faiblesse coupable et sansvision politique, et donc à ce titre largement res-ponsable des événements qu’il ne sut maîtriser. Letableau qu’il brosse de l’Ancien Régime juste avantla Révolution est d’une rare sévérité: des nobles égoïstes et décadents rivés à leurs privilèges et op-posés à toute réforme, et un haut-clergé pire en-core, beaucoup de ses membres menant des vies scandaleuses loin de leur diocèse. «Il y a dans ce royaume des inégalités criantes et qui ne cessent des’aggraver, écrivait Jean de Viguerie. Il existe en particulier un contraste de plus en plus accusé entre l’extrême richesse et le train luxueux de la grandenoblesse et d’une certaine haute bourgeoisie, et lapauvreté, voisine souvent de la misère, d’une masseconsidérable de salariés, de journaliers, d’artistes etde petits propriétaires de campagne, masse considé-rable et qui ne cesse de grossir» (p.190). Dans la continuité de ses recherches,
Jean de Vi-guerie s’est également intéressé à la déchristianisa-tion de la France dans laquelle la Révolution tientle premier rôle. Dans Christianisme et révolution(Nouvelles Éditions Latines, 1986), il conclut sonétude de façon péremptoire: «La Révolution aréussi sa déchristianisation» (p.260).
Enfin, Jean de Viguerie s’était aussi signalé parun essai controversé qui donna lieu à d’âpres dé-bats (1): Les deux patries (DMM, 1998). L’auteur ydistingue en France «deux patries», la patrie char-nelle et éternelle et une patrie idéologique issue dela Révolution et qui s’identifie aux droits del’homme: «Cette patrie n’est pas la France, et laFrance ne représente pour elle qu’un support et uninstrument. Le patriotisme qui lui correspond la di-vinise, l’adore, la place au-dessus de tout, déclare àses ennemis une haine mortelle et réquisitionne àson service les vies de tous les citoyens» (p.8). Au-jourd’hui, l’idéologie des droits de l’homme s’étantimposée partout, l’auteur estime que la seconde pa-trie a définitivement supplanté la première, laconclusion est donc brutale et sans appel: la Francen’existe plus, elle est morte! «La patrie a disparu ànos yeux. De même que la nation. […] Conserver laFrance n’a plus d’intérêt… elle est déjà morte»(p.270 et10). Hélas, ce pessimisme profond qu’ilexprimait alors ne l’a, semble-t-il, plus quitté.C.G. « (1)LaNef avait contribué à ces débats en consacrant un granddossier à cette question après une substantielle recension: cf. les n°86 de septembre 1998 et n°88 de novembre 1998. (Source La NEF)