L’enquête romaine sur la messe tridentine. Un jugement de M Marquant.
publié dans nouvelles de chrétienté le 10 septembre 2020
La Lettre de Paix liturgique
lettre 761 du 9 Septembre 2020
RETOUR SUR L’ENQUÊTE ROMAINE AU SUJET DE LA MESSE TRADITIONNELLE
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Le 7 mars 2020 la congrégation pour la Doctrine de la Foi a lancé auprès de l’ensemble des évêques de l’église latine une enquête sur l’application du motu proprio Summorum Pontificum et les besoins relatifs à la forme extraordinaire du rite romain (voir notre Lettre 744 du 4 mai 2020). Beaucoup hier, mais encore aujourd’hui, se sont inquiétés ou s’inquiètent des suites que pourrait avoir cette démarche. Nous avons demandé à Christian Marquant, président d’Oremus – Paix Liturgique de nous faire part de ses réactions sept mois après le lancement de cette initiative.
Paix Liturgique : Pourquoi, selon vous, cette enquête a-t-elle été mise en œuvre ? Christian Marquant : D’une part, il est notoire qu’à Rome et dans l’épiscopat italien, existe une tendance qui voudrait faire rentrer la messe traditionnelle et plus encore les instituts Ecclesia Dei dans le droit commun, c’est-à-dire les soumettre respectivement aux Congrégations pour le Culte divin et pour les Religieux. La réponse du pape, qui subit ces pressions, a été la réponse classique d’un gouvernement qui veut enliser la critique : organiser une enquête. En outre, il parait normal que le Saint-Siège veuille en savoir plus sur la situation et le développement actuel du monde Summorum Pontificum, et ce par le moyen habituel à Rome : on interroge les évêques. Ce qui était réalisé jusqu’alors au cours des visites ad limina que les évêques font à Rome pays par pays, est mis en œuvre globalement. Voilà pourquoi, in fine, cette enquête me semble une bonne nouvelle, dans la mesure où elle devrait faire sortir nos pasteurs diocésains de la situation de négationnisme-autistique dans laquelle ils se sont si souvent enfermés à propos de notre réalité. Si du moins, ils répondent objectivement aux questions qu’on leur pose. Paix Liturgique : Et vous pensez que les autorités vaticanes ne connaissent pas cette réalité ? Christian Marquant : Elles ne la connaissent qu’imparfaitement parce qu’elles s’occupent surtout d’une partie de cette réalité. Depuis très longtemps (lors des discussions avec Mgr Lefebvre, qui ont échoué en 1988, et depuis la reprise de conversation depuis 2000 jusqu’aux dernières élections dans la FSSPX) l’attention des autorités vaticanes s’est tournée presque exclusivement vers la Fraternité Saint-Pie-X. Il faut dire que, pour ceux qui ne connaissent pas la réalité des choses, elle constitue, sinon la totalité du moins l’essentiel du monde traditionnel, alors qu’elle ne représente de plus en plus qu’un élément – important, c’est vrai – du monde attaché à la liturgie et au catéchisme traditionnel. Ensuite, pour la Rome postconciliaire, elle est un échec symbolique majeur, une épine dans le pied : depuis que l’Église, avec Vatican II, s’est ouverte à l’œcuménisme, elle n’a fait rentrer en elle aucune communauté séparée (sauf un certain nombre d’anglicans), et au contraire, elle a connu un nouvelle rupture, celui de la FSSPX ! Paix Liturgique : Vous pensez que cet intérêt prioritaire est une erreur ? Christian Marquant : Je n’ai pas à juger des priorités et des pôles d’intérêt des autorités romaines. Mais j’oserais dire que, s’intéresser essentiellement à la Fraternité Saint-Pie-X a été, pour ces mêmes autorités, un manque de professionnalisme, par manque d’analyse réelle et objective. Rome est restée tétanisée par la FSSPX parce qu’elle était la vitrine de l’opposition au Concile, qu’elle est devenue, dès 1974, un réservoir de prêtres traditionnels, et qu’elle a réalisé en 1988 des consécrations épiscopales. Pour le reste du monde traditionnel, le Saint-Siège a établi une situation de tolérance en 1988 (Ecclesia Dei), devenu théoriquement une situation de droit en 2007 (Summorum Pontificum), mais qui ne prend pas en compte le phénomène pour ce qu’il est et ce qu’il devient de plus en plus. Les conférences épiscopales nationales ont fait pire, en interprétant toujours minimalement les décisions de Rome. Paix Liturgique : Pourquoi ? Christian Marquant : A ce niveau épiscopal, c’est souvent de l’aveuglement. Je constate que la majorité de nos pasteurs n’ont pas consacré beaucoup d’énergie à essayer de comprendre le mouvement traditionnel et le potentiel qu’il représentait. Ils ont simplement cherché à l’ostraciser par des attaques souvent, il faut bien le dire, d’une rare bêtise, en continuant à affirmer à tort et à travers qu’il n’existait pas de problème liturgique et catéchétique, alors que plus de 90 % des catholiques d’Europe occidentale se sont éloignés de leur Église… Paix Liturgique : Mais auraient-ils pu voir les choses autrement ? Christian Marquant : Bien sûr, en ouvrant les yeux. Depuis trois ans, nous publions une situation de la liturgie traditionnelle sur l’ensemble des continents. On s’aperçoit que le monde Summorum Pontificum se développe constamment. Il est même aujourd’hui plus répandu et plus important que le monde Saint-Pie-X. Et à eux deux, ils représentent dans l’Église un ensemble qu’on peut de moins en moins ignorer au milieu d’un effondrement du point de vue du nombre des prêtres et religieux (en Occident) et du point de vue de la doctrine (partout). Paix Liturgique : Vous pensez que cette situation va s’amplifier ? Christian Marquant : Elle va continuer à s’amplifier. D’abord, il faut noter que les œuvres traditionnelles de type Summorum Pontificum sont très nombreuses aujourd’hui – pensez, en France, au réseau d’écoles hors contrat – et que leur audience multiplie celle de la liturgie. La croissance des lieux où est célébrée la messe traditionnelle a été exactement mesurée lors des 10 ans du motu proprio (grosso modo, leur nombre avait doublé). Cette croissance va continuer. En outre, s’il faut se garder, quand on pense au monde traditionnel, de se focaliser sur la FSSPX et il faut de même éviter, quand on pense au milieu traditionnel « officiel », de ne voir que les communautés Ecclesia Dei. Certes, elles sont, quant à leurs prêtres et leurs apostolats, en pleine vigueur, mais nous constatons que le mouvement Summorum Pontificum est désormais majoritairement diocésain et paroissial, ce qui laisse penser un développement rapide pratiquement illimité. Paix Liturgique : N’exagérez-vous pas ? Christian Marquant : Je rappelle que depuis 20 ans nous avons entrepris plus de 40 sondages d’opinion, non seulement en France mais dans les principaux pays d’Europe et désormais sur tous les continents… Or, les résultats sont très significatifs. Ils indiquent que partout, quelle que soit les régions étudiées et leurs cultures dominantes, il se trouve au moins 30 % des catholiques pratiquants qui désirent vivre leur foi catholique au rythme de la liturgie traditionnelle. Nous n’en sommes donc plus à quelques îlots de nostalgiques que l’on peut pointer du doigt : ces 30 % des fidèles représentent de centaines de millions de catholiques qui, en définitive, ne sont pas satisfait de la liturgie qu’on leur sert. Paix Liturgique : C’est une nouveauté ? Christian Marquant : En fait pas du tout ! Le matraquage médiatique postconciliaire a masqué la réalité et voulu faire croire que tous les catholiques étaient de fervents supporters des nouveautés : or cela était faux et a toujours était faux. Mais là, comme en bien des domaines, les élites, à savoir les autorités diocésaines, n’ont rien voulu entendre et aujourd’hui la réalité est sous les yeux sans qu’elles la comprennent. Paix Liturgique : C’est pourquoi vous vous réjouissez de cette enquête romaine auprès de tous les évêques du monde. Christian Marquant : Je parlais, en commençant, des évêques italiens hostiles au développement de la liturgie traditionnelle. Ils ont si bien vu le danger de cette enquête, dont les résultats sont traités par le personnel du bureau de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi en charge de la liturgie traditionnelle, qu’ils ont d’autorité modifié le processus prévu par Rome : les évêques italiens ont reçu l’ordre de leur Conférence d’envoyer leurs réponses, non à la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, mais à la CEI, laquelle se charge elle-même de les traiter, d’en faire la synthèse et de l’envoyer au Saint-Siège. Sans être naïf (je sais bien que les opposants à la liturgie traditionnelle continueront à faire le maximum contre elle), je vois en cela la preuve que la vérité dérange. Or, cette vérité c’est le poids du monde Summorum Pontificum, comme représentant le mécontentement d’une proportion considérable de catholiques de tous les pays. Paix Liturgique : Vous croyez que la situation les dérange ? Christian Marquant : Je le crois et je vous donne une raison : il y a quelques jours notre ami Marco Sgroi qui est le président de la Coordination Summorum Pontificum d’Italie nous annonçait que le nombre des lieux où était célébrée la liturgie traditionnelle en Italie était passé au cours de l’année 2019, soit en un an, de 129 à 134, soit 5 nouveaux lieux et donc une croissance de 4% au sein de 71 des 222 diocèses latins d’Italie et que les demandes de célébration sont de plus en plus nombreuses en Italie ( Au moins trente demandes connues situées pour la plupart dans des diocèses ou actuellement la liturgie traditionnelle n’est pas célébrée) alors que là-bas, comme dans beaucoup de pays, l’on avait longtemps martelé que le « problème traditionnel était un problème franco-français »… Donc l’on peut comprendre qu’aujourd’hui l’épiscopat italien soit inquiet comme l’était hier l’épiscopat français. Paix Liturgique : Vous êtes donc optimiste ? Christian Marquant : Par nature et par espérance chrétienne. En l’espèce, je pense que le diable va porter Pierre et qu’on ne pourra plus nier le développement de la liturgie traditionnelle. Si on est honnête. Parce que la mauvaise foi ne va pas disparaître pour autant. Certains continueront d’affirmer contre tout bon sens que ce mouvement et ces fidèles n’existent pas. Dans la Lettre 744 de Paix liturgique, il était rapporté que le plus virulent des ennemis de la liturgie tridentine, le professeur Andrea Grillo, qui enseigne à l’Université Pontificale Saint-Anselme, avait lancé une pétition, le 1er avril 2020, demandant que cette liturgie cesse d’avoir un statut d’exception et qu’elle soit pleinement soumise aux évêques diocésains et la Congrégation pour le Culte divin. Autrement dit, le but des ennemis de la messe traditionnelle est qu’elle soit asservie aux évêques, puis anéantie. Paix Liturgique : Et vous ne pensez pas cela possible ? Christian Marquant : Non. D’abord, parce que l’attachement à la liturgie traditionnelle est comme consubstantiel à la foi catholique, dans la mesure où il est un attachement à la lex orandi très pure de l’Église romaine. L’Église romaine, et donc sa foi liturgique, ont les paroles de la vie éternelle. Pas Andrea Grillo. Il y a eu bien des tentatives pour étouffer cette liturgie et tout ce qui va avec depuis 50 ans, tentatives qui se sont avérées infructueuses. Elles le seraient plus encore demain, en raison du risque de voir éclater une guerre liturgique bien plus vive que celle des années 70 dans un corps ecclésiastique aujourd’hui extrêmement affaibli… Imagineriez-vous demain le pape François lançant une croisade – et une croisade cléricale, horresco referens – contre les amoureux du silence et de la piété traditionnelle ? Pour moi c’est impensable et surtout impossible. Paix Liturgique : Alors que va-t-il sortir de cette enquête ? Christian Marquant : Je ne sais pas, mais elle pourra, je l’espère, aider à faire prendre conscience de l‘ampleur du phénomène traditionnel .Car, j’en suis persuadé , dans cinquante ans la plupart des prêtres catholiques diocésains ou religieux seront devenus au moins un peu bi-formalistes et la liturgie traditionnelle sera reconnu par tous, fidèles et prêtres comme un trésor spirituel et théologique de l’Église romaine. |