Votre chronique radiophonique sur radio Notre-Dame avec « Marie-Ange » de ce vendredi m’incite à, de nouveau, me tourner vers vous. Poursuivant dans la continuité, sur le fond comme sur la forme, de votre intervention du 17 novembre vous affirmez :
Certes, cependant cette affirmation mériterait d’être largement nuancée. Il est en effet également écrit : « Il faut obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes » (Actes V, 29).
Une loi injuste n’oblige pas : « Ainsi en est-il des lois des tyrans qui incitent à l’idolâtrie ou à toute autre chose qui serait contraire à la loi divine. Il n’est en aucun cas licite d’observer de telles lois » (Summa Ia-IIae, q.96, a.4).
Or la sanctification du Jour du Seigneur est un commandement de Dieu devenu un commandement de l’Eglise par l’obligation d’assister à la messe dominicale. Les pouvoirs publics n’ont pas compétence à intervenir dans ce domaine. De plus l’histoire démontre, à loisir, que les lois promulguées par les autorités politiques ne sont pas toujours conformes aux lois divines. Elles peuvent être formellement légales et licites sans être, par le fait même, légitimes.
S’opposer publiquement aux pouvoirs publics, au nom du respect de la loi de Dieu ou de la loi naturelle, est alors, pour les pasteurs, plus qu’un droit, un devoir. Ainsi au XX e siècle le (futur) cardinal Von Galen, évêque de Munster, s’éleva-t-il contre les mesures euthanasiques prises par le régime hitlérien. Mgr Saliège, archevêque de Toulouse dénonça, lui, les persécutions des Juifs. Quant aux cardinaux Mindszenty et Wyszynski une grande partie de leur vie fut consacrée à la dénonciation de la barbarie communiste. Antigone, jusqu’à la fin des temps, en appellera, contre Créon, des lois éternelles voulues par les dieux. C’est cependant le pape Jean-Paul II qui semble avoir le mieux précisé dans l’encyclique Evangelium vitae (25 mars 1995) les difficultés que posaient à la conscience catholique un certain nombre de législations, opposées, à des degrés divers, à la loi de Dieu : « La démocratie ne peut être élevée au rang d’un mythe, au point de devenir un substitut de la moralité ou d’être la panacée de l’immoralité. Fondamentalement elle est un système et, comme tel, un instrument et non pas une fin » (§70), « En aucun domaine de la vie, la loi civile ne peut se substituer à la conscience, ni dicter des normes sur ce qui échappe à sa compétence » (§71) et enfin citant Jean XXIII dans Pacem in terris (11 avril 1963) : « Si donc il arrive aux dirigeants d’édicter des lois ou de prendre des mesures contraires à cet ordre moral et par conséquent à la volonté divine, ces dispositions ne peuvent obliger les consciences. (…) bien plus, en pareil cas l’autorité cesse d’être elle-même et dégénère en oppression » (§72) il n’y a plus alors qu’ « apparence de loi ». De son côté le pape François déclarait le 30 août 2013 : « Le pouvoir civil trouve sa limite face à la loi de Dieu ». Pour un chrétien l’obéissance à la loi civile, même régulièrement promulguée, n’est donc, jamais, un absolu.
Vos propos semblent, d’autre part, attribuer aux autorités politiques actuelles un satisfecit au service du bien commun qui ne peut que surprendre. La promotion continue de l’avortement, la légalisation des unions contre nature, les atteintes régulières aux droits des parents à élever leurs enfants selon leur foi et leurs convictions, la remise en cause de la liberté de se déplacer et de travailler, etc. Toutes ces mesures ne plaident pas en faveur de l’acceptation, sans examen, des décisions d’une autorité qui serait habituellement dévouée au bien commun.
C’est plutôt à la prolifération de ce que Jean-Paul II a qualifié de « structures de péché » que nous assistons. Elles conduisent à la perte les âmes emportées par ce que la philosophe Hannah Arendt a appelé « la banalité du mal ».
Les manifestants d’aujourd’hui n’en appellent ni à la sédition ni à l’insurrection, ils souhaitent uniquement pouvoir exprimer, publiquement, leur demande du rétablissement de la liberté de culte. Cette demande, en soi, légitime, alors que les dérogations au confinement sont multiples et que des activités que l’on peut raisonnablement considérer comme non essentielles, comme l’achat de cigarettes, restent autorisées, aurait mérité votre soutien.
« Je serais le premier à monter au créneau si je pensais que notre liberté, en particulier notre liberté de culte, était en cause » avez-vous déclaré dans cet entretien. Ainsi donc, selon vous, la liberté de culte ne serait pas remise en cause. Quand le sera-t-elle si l’interdiction de la célébration publique de la messe n’est pas une atteinte à la liberté de culte ? Quant à accepter, benoîtement, les limites en nombre de participants imposées aux cérémonies de mariage (6 personnes) et d’enterrement (30 personnes) ne s’agit-il pas là d’une intrusion indue des autorités politiques dans le domaine spirituel. Un siècle plus tard n’est-ce pas donner raison au vieux cri de guerre de Clemenceau : « Rendez à césar ce qui est à César et tout est à César ! » Que le culte soit sans importance pour des gouvernants qui mériteraient, sans doute, le reproche de saint Paul : « Leur Dieu c’est leur ventre » (Phil, III, 19) est concevable mais que ce sujet apparaisse comme mineur à des catholiques passe l’entendement. Vous aviez promis, lors du premier confinement « d’aboyer très fort » en cas d’atteinte à la liberté de culte. N’est-ce pas le moment de se conformer aux paroles du psalmiste : « Je parlerai de tes prescriptions devant les rois et n’en aurai point honte » (psaume 118) ?
Beaucoup de faits incitent à, peut-être, remettre en cause des idées reçues ou toutes faites. Ainsi la réalité est que le dimanche 22 novembre le nombre de manifestations organisées autour de la revendication : Rendez-nous la messe a été sensiblement supérieur à ce qu’il était le week-end précédent et cela malgré les menaces de M. Darmanin et ce que les gens ont perçu, peut-être à tort, comme votre condamnation de ces initiatives. Certains évêques ont d’ailleurs été très clairs sur le sujet comme Mgr Michel, évêque de Valence déclarant : « Je ne soutiens pas ce rassemblement », à propos d’une manifestation organisée devant sa cathédrale, pour le retour des messes. Chacun aura également observé que cette mobilisation est le fait de la partie la plus jeune- toutes les vidéos en témoignent- et la plus ardente du catholicisme français. N’est-ce pas là un signe des temps qu’il faudrait prendre en compte ?
Veuillez agréer, monseigneur, l’expression de mon fidèle et respectueux dévouement in Christo.