Droite : l’union sans la force
publié dans doctrine politique le 17 avril 2010
Dans Spectacle du Monde du mois d’Avril, cette analyse politique d’Eric Zemmour sur l’UMP: Droite : l’union sans la force
Voulue par Chirac, transformée en machine de guerre par Sarkozy, l’UMP a été déformée par l’ouverture et rejetée par les électeurs.
Le parti unique, ce n’était pas son truc. Nicolas Sarkozy a longtemps rechigné. Il n’y voyait pas d’intérêt et beaucoup d’inconvénients. Il y voyait une lubie technocratique d’Alain Juppé. Il y consentit de force plus que de gré. En 2002, il n’avait pas les moyens de résister à la volonté de Jacques Chirac. Il ne se rendit pas tout de suite compte que cette unification des droites serait faite pour son plus grand profit, même si elle avait été réalisée pour le compte du successeur désigné de Chirac, Alain Juppé. Sarkozy était en effet trop libéral pour les technocrates et trop colbertiste pour les libéraux. Trop atlantiste pour les gaullistes, et trop bonapartiste pour les centristes. Mais il était une sorte de synthèse parfaite, un Chirac remodelé par Balladur, un tempérament RPR avec des idées UDF. Sans le savoir, Sarkozy était le point d’intersection idéal entre les deux familles de droite si longtemps rivales. Il était même le point d’aboutissement d’une évolution historique qui arrivait à son terme : la fin des droites selon René Rémond.
On se souvient que l’historien avait distingué trois familles de droite : la légitimiste, la bonapartiste et l’orléaniste. On sait moins que René Rémond avait construit cet édifice comme un mausolée, persuadé de la mort de la droite après l’épisode pétainiste. Il se trompait, quoique la droite eût perdu définitivement son innocence conservatrice dans la bataille. Elle se voulut désormais résolument réformatrice, progressiste. Même le général de Gaulle endossa l’habit de la modernité. Il était pourtant le plus à même d’unifier les trois droites. Il avait partiellement exaucé le rêve de Maurras et Bainville en donnant un roi (élu) à la France ; il imprimait un style plébiscitaire et bonapartiste à sa fonction; il donna rapidement le pouvoir de gestion gouvernementale aux orléanistes rassemblés sous la houlette de Georges Pompidou. Les deux élections présidentielles de 1965 et de 1969 consacrèrent la puissance inouïe de ce grand rassemblement à plus de 40 % des suffrages. Paradoxalement, les successeurs potentiels, Chaban-Delmas, Giscard, puis Chirac, ne réussirent pas une telle synthèse. Peut-être parce qu’ils étaient finalement tous trois de la même mouvance, de cette droite modernisatrice et technocratique, mais aussi sociale-démocrate qui, depuis la création de l’ENA, avait grandi sous l’aile protectrice du géant de Colombey-les-Deux-Eglises.
Pour se distinguer et se départager, ils accusèrent leurs différences. Chaban remit son imper beige de grand résistant au moment même où la génération 68 s’apprêtait à passer par-dessus bord celle de la guerre. Giscard joua au prof d’économie brillant alors que la crise du pétrole n’avait pas encore produit ses effets délétères ; orléaniste jusqu’au bout, il réalisa les rêves sociétaux des soixante-huitards – avortement, divorce, majorité à dix-huit ans… – qui l’en remercièrent en rejoignant son adversaire de gauche, François Mitterrand. Dernier arrivé, Jacques Chirac, d’abord ébloui par Giscard, finit par rompre brutalement; pour exister et détruire son président d’adversaire, il se coucha dans le lit bonapartiste et gaulliste. Deux partis naquirent de l’affrontement, le RPR chiraquien et l’UDF giscardien. Ils hissèrent les étendards traditionnels des deux droites. Le RPR fut colbertiste, nationaliste, jacobin ; l’UDF fut européiste, libérale, girondine. Il y avait de la parodie dans l’air. Mais l’affrontement eut lieu selon les codes séculaires.
Dès la défaite de Giscard consommée en 1981, Chirac entreprit de réconcilier les deux familles déchirées. C’est alors que débuta la longue marche vers le parti unique de la droite. Alain Juppé et Edouard Balladur personnifièrent ce virage chiraquien, tandis que Pierre Juillet et Marie-France Garaud, conseillers de l’époque héroïque, furent sacrifiés. Le RPR conserva un style bonapartiste et un mode de fonctionnement centralisé, mais adopta les principales idées de son adversaire. Chirac vota « oui » au référendum de Maastricht en 1992; il gouverna en 1986 en suivant le programme libéral popularisé par les droites anglo-saxonnes; il investit les collectivités locales de ses élus; devint une puissance au Sénat. Cette « UDFisation » du RPR ne se fit pas sans troubles ni déperditions électorales : la rébellion de Philippe Séguin et Charles Pasqua en 1990 laissa des traces ; de nombreux militants RPR rejoignirent les rangs du Front national. L’affrontement avec Balladur pour la présidentielle de 1995 – lorsque le Premier ministre chaussa les escarpins giscardiens – retarda les évolutions engagées. Mais une fois seul vainqueur, Chirac profita de l’émotion suscitée par la présence de Jean-Marie Le Pen au second tour de la présidentielle de 2002 pour accoucher du parti unique de la droite. Seul parmi les centristes, François Bayrou refusa ce qu’il vivait – non sans raison – comme une annexion par les gaullistes.
Alain Juppé crut en devenir le seul imperator ; mais ses ennuis judiciaires l’obligèrent à abandonner son poste. Sarkozy le remplaça.
Il modifia le logiciel d’origine. Alain Juppé et Jacques Chirac avaient rêvé d’un parti centriste et technocratique, respectant le politiquement correct imposé par les médias sur tous les sujets de société. Sarkozy fit de l’UMP une machine de guerre hyperprofessionnelle, hyperpersonnalisée, un mélange détonant de bonapartisme et de berlusconisme médiatique. Il n’hésita pas à renouer avec les envolées patriotiques des gaullistes, les injonctions assimilationnistes des vieux républicains; il mania le bâton du policier au plus près des besoins sécuritaires des classes populaires. Sur le plan économique, il promit aux élites l’adaptation – cent fois retardée – de notre vieux pays colbertiste égalitaire au vent libéral et inégalitaire venu des pays anglo-saxons. Il osa même rompre avec l’anti-américanisme et se fit atlantiste vibrant.
Ce composite hétéroclite lui permit de rassembler un électorat à la fois bourgeois et populaire : pour la première fois depuis des décennies, l’UMP retrouva les couleurs, magnifiées par Malraux, du « métro à six heures du soir ».
Ce mélange des genres, des idéologies et des électorats permit à Sarkozy de rassembler plus de 31 % des suffrages au premier tour de la présidentielle de 2007. D’arracher une partie des électeurs du FN. Une puissance de feu qui le rendit irrésistible pour le second tour.
Après, vint le temps de la théorisation. Comme disait Napoléon: « on avance et on voit. » Sarkozy s’efforça de systématiser son heureuse surprise de la présidentielle. Il fit grossir l’UMP de centristes qui avaient abandonné Bayrou, de socialistes ralliés, et puis, à droite, des chasseurs et de quelques villiéristes.
Mais la magie fut rompue. L’UMP avait pris du poids, pas de la force. Aux élections européennes et plus encore régionales, l’abstention massive bouleversa les plans de l’état-major sarkozyste. Les électeurs de droite refusèrent leurs votes en masse. Dans ces conditions, les canons de l’UMP ne peuvent plus tonner. La puissance devient solitude. L’UMP, désarmée, se retrouve sans alliés. La gauche divisée retrouve les avantages de la coalition. Les stratèges de l’UMP rêvent du scrutin majoritaire à un tour qui rendrait les alliances inutiles. Les centristes veulent s’émanciper pour retrouver un rôle et des postes. La droite de l’UMP pleure ses électeurs perdus et crie à la trahison du discours de 2007. Chaque droite retrouve ses racines, ses couleurs, ses drapeaux. Le parti unique a-t-il vécu?