De Castel Gandolfo, le 4 août 2009: sur le saint Curé d’Ars
publié dans magistère de benoît XVI le 10 août 2009
Catéchèse de Benoît XVI : le Saint curé d’Ars
A 10h30, le 4 août 2009, le Saint-Père Benoît XVI s’est montré au balcon de la Cour intérieure du Palais Apostolique de Castel Gandolfo pour rencontrer les fidèles et les pèlerins venus pour l’Audience Générale du mercredi. Quelque 4.000 personnes, parmi lesquelles des martiniquais, des chinois, des coréens, s’étaient rassemblées dans la cour de la résidence pontificale. Un écran avait été installé à l’extérieur du palais pour ceux qui n’avaient pas pu entrer.
Dans son discours en langue italienne, le pape s’est arrêté sur la figure de Saint Jean Marie Vianney, le Saint Curé d’Ars.
Voici la traduction du texte intégral de la catéchèse du Saint-Père en langue italienne
Chers frères et sœurs,
Dans la catéchèse d’aujourd’hui, je voudrais parcourir brièvement l’existence du Saint Curé d’Ars en soulignant quelques traits, qui peuvent être un exemple même pour les prêtres de notre époque, certainement différente de celle où il vécut, mais marquée, par de nombreux aspects, des mêmes défis fondamentaux humains et spirituels. Justement hier, on a fêté les 150 ans de sa naissance au Ciel : il était en effet deux heures du matin le 4 août 1859, lorsque saint Jean Baptiste Marie Vianney acheva le cours de son existence terrestre et alla à la rencontre du Père céleste pour recevoir en héritage le royaume préparé depuis la création du monde pour ceux qui fidèlement, suivent ses enseignements (cfr Mt 25, 34). Quelle grande fête il doit y avoir eu au Paradis à l’entrée d’un pasteur si zélé! Quel accueil a du lui réserver la multitude des enfants réconciliés avec le Père, par son œuvre de curé et de confesseur ! J’ai voulu saisir l’occasion de cet anniversaire pour organiser l’Année Sacerdotale, qui, comme vous le savez, a pour thème Fidélité du Christ, fidélité du prêtre. La crédibilité du témoignage et, en définitive, l’efficacité même de la mission de chaque prêtre, dépend de la sainteté.
Jean Marie Vianney naquit dans le petit bourg de Dardilly le 8 mai 1786, d’une famille paysanne, pauvre de biens matériels, mais riche d’humanité et de foi. Baptisé, comme il était de bon usage à l’époque, le même jour de sa naissance, il consacra les années de son enfance et de son adolescence aux travaux dans les champs et à faire paitre les animaux, si bien que, à l’âge de dix-sept ans, il était encore analphabète. Il connaissait cependant de mémoire les prières que sa pieuse mère lui avaient enseignées et il se nourrissait du sens religieux qu’on respirait à la maison. Les biographes racontent que, depuis sa première jeunesse, il chercha à se conformer à la volonté divine même dans les fonctions les plus humbles. Il nourrissait dans son âme le désir de devenir prêtre, mais il ne lui fut pas facile de le devenir. Il arriva en effet à l’ordination presbytérale après de nombreuses mésaventures et incompréhensions, grâce à l’aide de savants prêtres, qui ne s’arrêtèrent pas à considérer ses limites humaines, mais surent regarder au-delà, en pressentant l’horizon de sainteté qui se profilait en ce jeune vraiment singulier. Ainsi, le 23 juin 1815, il fut ordonné diacre et, le 13 août suivant, prêtre. Finalement à l’âge de 29 ans, après beaucoup d’incertitudes, beaucoup d’échecs et de larmes, il put réaliser le rêve de sa vie.
Le Saint Curé d’Ars manifesta toujours une très haute considération du don reçu. Il affirmait : « Oh ! que le prêtre est quelque chose de grand ! il ne se comprendra bien que dans le ciel… s’il se comprenait sur la terre, il mourrait, pas de peur mais d’amour ! » (Abbé Monnin, Esprit du Curé d’Ars, p. 113). En outre, enfant, il avait confié à la mère : « Si j’étais prêtre, je voudrais conquérir beaucoup d’âmes » (Abbé Monnin, Procès de l’ordinaire, p. 1064). Et il en fut ainsi. Dans son service pastoral, tout aussi simple qu’extraordinairement fécond, ce curé anonyme d’un village perdu du sud de la France réussit tellement à s’identifier à son ministère, à devenir, même de manière visiblement et universellement reconnaissable, alter Christus, image du Bon Pasteur, qui, contrairement au mercenaire, donne sa vie pour ses brebis (cfr Jn 10.11). Son existence fut une catéchèse vivante, qui atteignait une efficacité très particulière lorsque les gens le voyait célébrer la Messe, s’arrêter en adoration devant le tabernacle ou passer de nombreuses heures dans le confessionnal.
Le centre de toute sa vie était donc l’Eucharistie qu’il célébrait et adorait avec dévotion et respect. Une autre caractéristique fondamentale de cette extraordinaire figure sacerdotale était le ministère de la confession assidu. Il reconnaissait dans la pratique du sacrement de la pénitence, l’accomplissement logique et naturel de l’apostolat sacerdotal, dans l’obéissance au mandat du Christ : « Ceux à qui vous pardonnerez les péchés, ils leur seront pardonnés ; et ceux à qui vous les retiendrez, ils leur seront retenus » (cfr Jn 20.23). Saint Jean Marie Vianney se distingua par conséquent comme un excellent et infatigable confesseur et maître spirituel. En passant « d’un seul mouvement intérieur, de l’autel au confessionnal », où il passait une grande partie de la journée, il cherchait par tous les moyens, avec la prédication et avec le conseil persuasif, de faire redécouvrir aux paroissiens le sens et la beauté de la pénitence sacramentelle, en la montrant comme une exigence intime de la Présence eucharistique (cfr Lettre aux prêtres pour l’Année Sacerdotale).
Les méthodes pastorales de saint Jean Marie Vianney pourraient apparaître peu adaptées aux conditions sociales et culturelles actuelles. Comment un prêtre pourrait-il en effet l’imiter aujourd’hui, dans un monde qui a tellement changé ? S’il est vrai que les temps changent et que beaucoup de charismes sont propres à la personne, il y a cependant un style de vie et un désir de fond que tous sont appelés à cultiver. A bien voir, ce qu’a rendu saint le Curé d’Ars, a été sa fidélité humble à la mission à laquelle Dieu l’avait appelé ; cela a été son abandon constant, plein de confiance, dans les mains de la Divine Providence. Il conquit les âmes, même les plus réfractaires, en leur communiquant ce qu’il vivait intimement, c’est-à-dire son amitié avec le Christ. « Il était amoureux » du Christ, et le vrai secret de son succès pastoral a été l’amour qu’il nourrissait pour le Mystère eucharistique annoncé, célébré et vécu. Son témoignage nous rappelle, chers frères et sœurs, que pour chaque baptisé, et encore plus pour le prêtre, l’Eucharistie « n’est pas un évènement simplement avec deux protagonistes, un dialogue entre Dieu et moi. La Communion eucharistique tend à une transformation totale de sa propre vie. Avec force il ouvre tout entier le « je » de l’homme et crée un nouveau « nous » » (Joseph Ratzinger, la Communion dans l’Église, p. 80).
Loin alors de réduire la figure de saint Jean Marie Vianney à un exemple, tout aussi admirable soit-il, de la spiritualité dévotionnelle du dix-neuvième siècle, il est nécessaire au contraire de cueillir la force prophétique qui marque sa personnalité humaine et sacerdotale. Dans la France post-révolutionnaire qui expérimentait une sorte de « dictature du rationalisme » en rayant même la présence des prêtres et de l’Église dans la société, il vécut, d’abord – dans les années de sa jeunesse – une clandestinité héroïque en parcourant des kilomètres dans la nuit pour participer à la Sainte messe. Ensuite – de prêtre – il se distingua par une créativité pastorale singulière et féconde, capable de montrer que le rationalisme, alors dominant, était en réalité loin de satisfaire des besoins authentiques de l’homme et donc, en définitive, pas vivable.
Chers frères et sœurs, à 150 ans de la mort du Saint Curé d’Ars, les défis de la société d’aujourd’hui ne sont pas moins prenants, au contraire peut-être, ils se sont faits plus complexes. Si alors il y avait la « dictature du rationalisme », à l’époque actuelle on enregistre dans beaucoup de milieux, une sorte de « dictature du relativisme ». Tous les deux apparaissent comme des réponses inadéquates à la juste question de l’homme d’utiliser pleinement sa raison comme élément distinctif et constitutif de son identité. Le rationalisme fut inadéquat parce qu’il ne tint pas compte des prétendues limites humaines d’élever la seule raison à la mesure de toutes les choses, en la transformant en une déesse ; le relativisme contemporain mortifie la raison, parce que, de fait, il arrive à affirmer que l’être humain ne peut rien connaître avec certitude au-delà du domaine scientifique positif. Aujourd’hui cependant, comme alors, l’homme « demandeur de sens et d’accomplissement » va à la recherche continue de réponses exhaustives aux questions de fond qu’il ne cesse de poursuivre.
Les Pères du Concile Œcuménique de Vatican II avaient bien présent à l’esprit cette « soif de vérité », qui brûle dans le cœur de tout homme, lorsqu’ils affirmèrent qu’il revient aux prêtres, « ces éducateurs de la foi », de former « une communauté chrétienne authentique » capable d’ouvrir « à tous les hommes la voie qui mène au Christ » et d’exercer « une vraie action maternelle » à leur égard, en indiquant ou en facilitant à celui qui ne croit pas « le chemin qui mène au Christ et à son Église », et en constituant pour celui qui croit déjà « stimulation, nourriture et soutien pour la lutte spirituelle » (cfr Presbyterorum ordinis, 6). L’enseignement qu’à ce propos continue à nous transmettre le Saint Curé d’Ars, est que, sur la base d’un tel engagement pastoral, le prêtre doit cultiver une union intime personnelle avec le Christ, et la faire grandir jour après jour. C’est seulement ainsi qu’il pourra toucher les cœurs des personnes et les ouvrir à l’amour miséricordieux du Seigneur ; c’est seulement ainsi, par conséquent, qu’il pourra inspirer de l’enthousiasme et de la vitalité spirituelle aux communautés que le Seigneur lui confie. Prions afin que, par intervention de saint Jean Marie Vianney, Dieu fasse don à son Église de saints prêtres, et pour que grandisse dans les fidèles le désir de soutenir et aider leur ministère.
Confions cette intention à Marie, qu’aujourd’hui nous invoquons comme Notre Dame des Neiges.