Prédication pour la fête de l’Assomption : le 15 août 2009
publié dans couvent saint-paul le 14 août 2009
C’est au milieu d’un grand concours de peuple que le Pape Pie XII définit le 1 novembre 1950, en l’année sainte, le dogme de l’Assomption au ciel de Notre Dame. Etaient présents 38 cardinaux, 600 évêques et archevêques, dont Mgr Lefebvre, et 600 000 fidèles sans compter les millions qui suivirent la cérémonie à la Radio.
La cérémonie se déroula sur la place saint Pierre.
A 8h30 le long cortège des évêques sortait par la porte de bronze, traversait la place saint Pierre au chant des Litanies et s’arrêtait sur les escaliers menant à la Basilique. Au milieu du cortège, Pie XII, revêtu de la chape, portant la mitre, avançait, porté sur la « sedia gestatoria ».
Arrivé à son trône, situé sur le parvis de la Basilique, le pape s’asseyaitt et son Eminence le cardinal Tisserant, faisant fonction de Doyen du Sacré Collège, s’adressait au Saint Père lui demandant « de définir, en vertu de son suprême pouvoir, exempt d’erreur, que la Vierge Marie, Mère de Dieu, après son exil sur la terre, a été élevée au ciel en âme et en corps ». Ce dogme serait un « nouveau joyau sur le front couronné de notre très douce Mère et augmenterait sa gloire sur la terre ».
A cette supplique, le saint Père répondait qu’il est sur le point de déclarer ce dogme « que réclame la dignité de la noble Mère de Dieu, à savoir que dans son corps vivant, elle triompha en union avec son Fils dans la béatitude éternelle ». A cette fin, il demandait la prière de toute l’assemblée des fidèles ici présents.
Après quoi, le pape entonnait à genoux, le « Veni Creator Spiritus » » demandant les lumières du Saint Esprit avant de poser cet acte solennel. C’est alors qu’il lisait la finale de la Constitution apostolique « Munificentissimus Deus », se terminant par la définition elle-même, à savoir :
« C’est pourquoi, après avoir adressé à Dieu d’incessantes et suppliantes prières, et invoqué les lumières de l’Esprit de vérité, pour la gloire du Dieu Tout-Puissant, qui prodigua sa particulière bienveillance à la Vierge Marie, pour l’honneur de son Fils, Roi immortel des siècles et vainqueur de la mort et du péché, pour accroître la gloire de son auguste Mère et pour la joie et l’exultation de l’Eglise tout entière, par l’autorité de Notre Seigneur Jésus-Christ, des bienheureux apôtres Pierre et Paul, et par la Nôtre, Nous proclamons, déclarons et définissons que c’est un dogme divinement révélé que Marie, l’Immaculée Mère de Dieu toujours Vierge, à la fin du cours de sa vie terrestre, a été élevée en âme et en corps à la gloire céleste ».
Si seule la finale était lue par le pape lors de la cérémonie, la Constitution Apostolique « Munificentissimus Deus », est un merveilleux exposé théologique sur le dogme de l’Assomption.
Il constate tout d’abord que la piété envers la Vierge Marie, Mère de Dieu est en « plein essor dans le peuple fidèle » et que c’est une grâce insigne qui est donnée à l’Eglise de ce temps « de pouvoir mettre en plus grande lumière le privilège de l’Assomption corporelle au ciel de la Vierge Marie, Mère de Dieu »
Il reconnaît, toutefois, que la croyance en l’Assomption de Marie au ciel était contenue déjà dans le dogme défini en 1859 par Pie IX, de « l’Immaculée Conception ». « Ce privilège de l’Assomption resplendit d’un nouvel éclat lorsque Pie IX définit solennellement le dogme de l’Immaculée Conception de la Mère de Dieu. « Ces deux privilèges, dit Pie XII, sont en effet très étroitement liés ». Et Pie XII de l’expliquer très clairement : « Par sa propre mort, le Christ a vaincu le péché et la mort, et celui qui est surnaturellement régénéré par le baptême triomphe par le même Christ du péché et de la mort. Toutefois en vertu d’une loi générale, Dieu ne veut pas accorder aux justes le plein effet de la victoire sur la mort, sinon quand viendra la fin des temps. C’est pourquoi les corps mêmes des justes sont dissous après la mort et ne seront réunis, chacun à sa propre âme glorieuse qu’à la fin des temps. Cependant, Dieu a voulu exempter de cette loi universelle la Bienheureuse Vierge Marie. Grâce à un privilège spécial, la Vierge Marie a vaincu le péché par son Immaculée Conception, et de ce fait, elle n’a pas été sujette à la loi de demeurer dans la corruption du tombeau, et elle ne dut pas non plus attendre jusqu’à la fin du monde la rédemption de son corps ».
C’est précisément ce qu’il va définir en ce jour du 1er novembre 1950, jour de la Toussaint.
Toutefois Pie XII, qui entendait la supplique des fidèles, prescrivit la poursuite des études patristiques, théologiques, liturgiques en vue de faire la pleine lumière en ce mystère.
Il consulta l’épiscopat, le 1er mai de l’année 1946 par une lettre « Deiparae Virginis Mariae ». On y lit ces questions : « Est-ce que vous, vénérables frères, dans votre grande sagesse et prudence, vous pensez que l’Assomption corporelle de la Bienheureuse Vierge puisse être proposée et définie comme dogme de foi et est-ce que vous, votre clergé et vos fidèles, vous désirez cela ? »
La réponse des évêques fut quasi unanime. Ainsi s’exprimait le magistère ordinaire de l’Eglise sur ce dogme. Sur ce sujet, le pape a ce très beau passage : « C’est pourquoi, de l’accord universel du magistère ordinaire de l’Eglise, on tire un argument certain et solide servant à établir que l’Assomption corporelle au ciel de la Bienheureuse Vierge Marie…est une vérité révélée par Dieu et par conséquent elle doit être crue fermement et fidèlement par tous les enfants de l’Eglise. Car ainsi que l’affirme le même Concile du Vatican, « on doit croire de foi divine et catholique toutes les choses contenues dans la parole de Dieu écrite ou transmise, et que l’Eglise propose à notre foi par son magistère ordinaire ou universel, comme des vérités révélées par Dieu ».
Mais c’est aussi l’art chrétien qui s’exprime dans le temps pour témoigner de cette croyance en l’Assomption. Ce sont d’innombrables églises qui furent consacrées à Dieu en l’honneur de la Vierge Marie dans son Assomption. Ce sont d’innombrables chefs d’œuvre exposés dans nos églises à la vénération des fidèles et représentant aux yeux de tous ce singulier triomphe de la Bienheureuse Vierge Marie. Ce sont de nombreuses villes, diocèses, régions qui sont placées sous la protection et le patronage spéciaux de la Vierge Marie, élevée au ciel. Ce sont aussi des instituts religieux approuvés par l’Eglise qui furent créés, dans le temps, portant le nom de ce privilège de Marie. C’est la prière du Rosaire, tellement approuvée par l’Eglise, qui propose, depuis Saint Dominique, à notre piété la méditation du mystère ayant trait, comme chacun sait, à l’Assomption au ciel de la Bienheureuse Vierge.
Mais c’est aussi la liturgie de l’Eglise qui confesse la croyance de l’Eglise à ce dogme. Tant en Orient qu’en Occident, depuis les temps anciens, furent célébrées des solennités liturgiques en l’honneur de l’Assomption de ND. Les Pères et les docteurs de l’Eglise n’ont pas manqué de puiser là un lumineux argument attendu que la liturgie est « une profession de vérités célestes » et qu’à ce titre, elle peut fournir des preuves et des témoignages de grandes valeurs pour décider de quelques points particuliers de la doctrine chrétienne ». Et c’et ainsi que Pie XII cite le « sacramentaire » qu’Adien 1er envoya à l’empereur Charlemagne où il est dit en effet : « Vénérable est pour nous, Seigneur, la fête de ce jour, en lequel la Sainte Mère de Dieu, subit la mort temporelle, mais cependant ne put être humiliée par les liens de la mort, elle qui engendra dans sa chair, son Fils, Notre Seigneur ». Dans le « Sacramentaire Gallican », on qualifie déjà ce privilège de Marie « d’inexplicable mystère d’autant plus admirable qu’il est exceptionnel parmi les hommes, par l’Assomption de la Vierge ». Il cite également la liturgie byzantine : « Et dans la liturgie byzantine, l’Assomption corporelle de la Vierge Marie est reliée plus d’une fois, non seulement à la dignité de Mère de Dieu, mais encore à ces autres privilèges, à un titre particulier à sa maternité virginale, faveur qu’elle doit à un singulier dessein de la divine Providence : « Dieu, le Roi de l’univers, t’a accordé des choses qui dépassent la nature, de même il préserva ton corps de la corruption du tombeau et le glorifia par une divine translation »
Et le Siège de Rome ne fut pas le dernier à promouvoir cette dévotion de l’Assomption de ND. C’est saint Serge 1er qui prescrivit litanie et procession pour les quatre fêtes mariales : à savoir, la Nativité, l’Annonciation, la Purification et la Dormition. Saint Léon IV eut à cœur lui aussi de faire célébrer avec toujours plus de solennité la fête déjà établie sous le titre de l’Assomption de la BVM. A cette fin, il institua la Vigile que l’on a célébrée hier.
Mais ce sont surtout les Pères de l’Eglise et ses docteurs qui ont prêché le mystère de l’Assomption. Ils l’ont mis en grande lumière. Ils en ont exposé le fait et le sens par des raisons profondes. Ils affirmèrent que cette « fête rappelait non seulement qu’il n’y eut aucune corruption du corps inanimé de la BVM, mais encore son triomphe remportée sur la mort et sa glorification céleste, à l’exemple de son Fils unique, Jésus-Christ ».
Et le pape Pie XII de citer surtout saint Jean Damascène qui demeure, dit-il, parmi tant d’autres, le « héraut par excellence de cette vérité dans la tradition ».
« Il fallait que Celle qui avait conservé sans tache sa virginité dans l’enfantement, conservât son corps sans corruption même après la mort. Il fallait que Celle qui avait porté le Créateur comme enfant dans son sein, demeurât dans les divins tabernacles. Il fallait que l’Epouse que le Père s’était unie habitât le séjour du ciel. Il fallait que Celle qui avait vu son Fils sur la Croix et avait échappé au glaive de douleur en le mettant au monde, l’avait reçu en son sein, le contemplât encore siégeant avec son Père. Il fallait que la Mère de Dieu possédât tout ce qui appartient à son Fils et qu’elle fût honorée par toute créature comme la Mère de Dieu et sa servante ».
Mais aussi saint Germain de Constantinople qui estimait que l’incorruption du corps de la Vierge Marie et son élévation au ciel, non seulement convenait à sa maternité divine, mais encore à la sainteté particulière de son corps virginal. « Tu apparais, comme il est écrit en splendeur ; et ton corps virginal est entièrement saint, entièrement chaste, entièrement la demeure de Dieu ; de sorte que de ce fait, il est ensuite exempt de tomber en poussière ; transformé dans son humanité en une sublime vie d’incorruptibilité, vivant lui-même et très glorieux, intact, et participant de la vie parfaite ».
Mais c’est aussi les écrivains scolastiques qui mirent en lumière le mystère et donnèrent les arguments théologiques. Et le Premier de ces arguments, dit Pie XII, est le fait que Jésus-Christ, à cause de la piété à l’égard de sa Mère, a voulu l’élever au ciel ».
La force de leurs arguments s’appuient sur l’incomparable dignité de la maternité de ND et de toutes les grâces qui en découlent, à savoir : sa sainteté insigne qui surpasse la sainteté de tous les hommes et de tous les anges ; l’intime union de la Mère avec son Fils et ce sentiment d’amour privilégié dont le Fils honorait sa très digne Mère. Les docteurs de l’Eglise illustrent la doctrine en se fondant sur les images de l’Ancien Testament, comme celle de l’Epouse du Cantique des Cantiques « qui monte du désert comme une colonne de fumée exhalant la myrrhe et l’encens » pour ceindre la couronne de gloire. Mais ils invoquent surtout cette femme revêtue de Soleil que contempla Saint Jean dans l’Île de Pathmos.
Il cite Saint Antoine de Padoue qui, le jour de l’Assomption, expliquait ces paroles du Prophète Isaïe : « je glorifierai le lieu où reposent mes pieds » affirmant d’une façon certaine que le divin Rédempteur a orné de la plus haute gloire sa Mère très chère, dont il avait pris sa chair d’homme : « Par là, vous savez clairement, dit-il, que la BVM dans son corps, où fut le lieu où reposèrent les pieds du Seigneur, a été élevé au ciel »
Mais c’est aussi Saint Albert le Grand qui affirme, après avoir invoqué tous les arguments scripturaires, patristiques, liturgiques…: « Pour toutes ces raisons et ces témoignages qui font autorité, il est clair que la bienheureuse Mère de Dieu a été élevée en âme et en corps au dessus du séjour des anges. Et nous croyons que cela est vrai de toutes façons ».
Il cite aussi saint Thomas : « bien qu’il n’ait jamais traité expressément la question, chaque fois cependant qu’incidemment il y touche, il maintient constamment en union avec l’Eglise que le corps de Marie a été élevé au ciel avec son âme »
Il invoque également Saint Bernardin de Sienne ; il écrit : « Au XV siècle, saint Bernardin de Sienne reprenant d’une manière générale, et étudiant de nouveau avec soin tout ce que les théologiens du Moyen Age avaient déclaré et discuté sur cette question, ne se contenta pas de rapporter les principales considérations que les docteurs du temps passé avaient proposées, mais il en ajouta de nouvelles. A savoir la ressemblance de la divine Mère et de son divin Fils pour ce qui touche à la noblesse et à la dignité de l’âme et du corps …demande que Marie « ne puisse se trouver que là où est le Christ ».
Au sujet de Saint François de sales, il dit : « De la même façon, saint François de sale, après avoir soutenu qu’on ne peut mettre en doute que Jésus-Christ a accompli à la perfection le commandement divin qui prescrit aux fils d’honorer leurs parents, se pose cette question : « Qui est l’enfant qui ne ressusciterait sa bonne mère s’il pouvait et ne la mit en paradis après qu’elle soit décédée ». Et saint Alphonse écrit : « Jésus n’a pas voulu que le corps de Marie se corrompit après sa mort, car c’eût été un objet de honte pour lui si sa chair virginale était tombée en pourriture cette chair dont lui-même avait pris la sienne ».
Et dans une merveilleuse synthèse, le Pape conclut :
« Tous ces arguments et considérations des Saints Pères et des théologiens s’appuient sur les saintes Lettres comme sur leur premier fondement. Celles-ci nous proposent, comme sous nos yeux, l’auguste Mère de Dieu dans l’union la plus étroite avec son divin Fils et partageant toujours son ort. C’est pourquoi, il est impossible de considérer Celle qui a conçu le Christ, l’a mis au monde, nourri de son lait, portée dans ses bras et serré sur son sein, séparée de lui, après cette vie terrestre, sinon dans son âme du moins dans son corps. Puisque notre Rédempteur est le Fils de Marie, il ne pouvait certainement pas, lui qui fut l’observateur de la loi divine le plus parfait, ne pas honorer avec son Père éternel, sa Mère très aimée. Or, il pouvait la parer d’un si grand honneur qu’il la garderait exempte de la corruption du tombeau. Il faut donc croire que c’est ce qu’il a fait en réalité.
Il faut surtout se souvenir que, depuis le 2ème siècle, les Saints Pères proposent la Vierge Marie comme une Eve nouvelle en face du nouvel Adam et, si elle lui est soumise, elle lui est étroitement unie dans cette lutte contre l’ennemi infernal, lutte qui devait, ainsi que l’annonçait le protévangile, aboutir à une complète victoire sur le péché et la mort, qui sont toujours liés l’un à l’autre dans les écrits de l’Apôtre des Nations. C’est pourquoi, de même que la glorieuse Résurrection du Christ fut la partie essentielle de cette victoire et comme son suprême trophée, ainsi le combat commun de la Bienheureuse Vierge et de son Fils devait se terminer par la glorification de son corps virginal ; car, comme le dit ce même Apôtre, « lorsque ce corps mortel aura revêtu l’immortalité, alors s’accomplira la parole qui est écrite : la mort a été engloutie dans sa victoire ».
C’est pourquoi l’auguste Mère de Dieu, unie de toute éternité à Jésus-Christ, d’une manière mystérieuse, par un même et unique décret de prédestination, immaculée dans sa conception, Vierge très pure dans sa divine maternité, généreuse associée du Divin Rédempteur qui remporta un complet triomphe du péché et de ses suites, a enfin obtenu comme suprême couronnement de ses privilèges d’être gardée intacte de la corruption du sépulcre, en sorte que, comme son Fils, déjà auparavant, après sa victoire sur la mort, elle fut élevée dans son corps et dans son âme, à la gloire suprême du ciel où Reine, elle resplendirait à la droite de son Fils, Roi immortel des siècles ».
C’est alors que Pie XII proclama proprement dit le dogme de l’Assomption.