Une Europe sans Dieu ?
publié dans flash infos le 27 septembre 2010
Une Europe sans Dieu ?
Non, c’est l’Europe contre Dieu !
On pourrait croire qu’il s’agit d’une énorme blague. C’est de toute façon une performance. Avec l’éminente collaboration du cardinal catholique Tauran et l’érudit concours du professeur catholique Bossuat, La Documentation catholique, « bimensuel de référence sur la pensée de l’Eglise », nous présente le « dossier » de ce qui doit être « un souffle chrétien pour l’Europe à venir ». Avec le Cardinal, ce souffle chrétien évite de parler de Dieu ; avec le Professeur, il se soumet à l’interdiction d’en parler.
Le prétendu « souffle chrétien », quand il passe par la rhétorique du cardinal Tauran, se gargarise d’abstractions floues comme la défense
des valeurs, le rôle des religions, la place des spiritualités, l’humanisme.
(Quel bel exemple que l’« humanisme » à la place des « humanités ». L’humanisme est une généralité idéologique, les humanités sont, ou plutôt furent une réalité concrète, un programme scolaire, une méthode éducative.) Ce qui est en cause pour l’Europe, c’est une réalité concrète, une
réalité personnelle, c’est Dieu. Par ses représentants actuels, l’Europe a explicitement rejeté Dieu.
Certes, nous ne pouvions attendre rien de bon du cardinal Tauran depuis qu’il s’obstine à nous exhorter, nous autres catholiques, à aller apprendre chez les bouddhistes ce que sont vraiment la méditation, la contemplation et le détachement des biens matériels. C’est que lui-même sans doute a dû
s’y instruire, et le résultat est maigre. Mais ce qui nous intéresse en l’occurrence, c’est que La Documentation catholique nous renseigne,
très objectivement semble-til, sur l’état d’esprit des Importants – des sociologiquement et publicitairement importants – clercs ou laïcs, du catholicisme contemporain. Comme si Dieu pour eux était une simple opinion et le « christianisme » une idéologie parmi d’autres, ils acceptent que l’Europe rejette Dieu, puisqu’ils y sont minoritaires. Il ne s’agit pas d’une distraction, d’une omission. La question a été clairement débattue, la
question était bien de l’Europe à Dieu nommément désigné. Les Importants
du catholicisme ont admis que Dieu soit banni des textes moralement
et juridiquement fondamentaux par lesquels l’Europe définit son identité et son destin. Par ce refus, cette Europe s’est condamnée à mort.
Les Importants se retranchent derrière René Rémond, explicitement
invoqué en ce qu’il rappelle que « l’Eglise n’est pas en situation de revendiquer une quelconque référence à Dieu dans la Constitution
parce que les pouvoirs publics n’exercent pas de compétences religieuses
». Quel confusionnisme balbutiant !
Le pouvoir politique n’a pas de « compétence religieuse » s’il s’agit
de la religion révélée et de ses dogmes, c’est entendu. Autrement dit, il n’a pas compétence sur le surnaturel. Mais que signifie le « débat » ou le « dialogue » entre « la raison et la foi », si la raison n’est même plus capable de la connaissance naturelle d’un Dieu créateur, providence et fin dernière ?
On rencontre ici la dérive irrationnelle d’une raison embourbée dans la modernité, de Kant à Marx et la suite. Jusque-là, les erreurs de la raison étaient des accidents dans sa recherche de la vérité. Avec la modernité, il s’agit désormais d’un refus arbitraire de la volonté : la volonté personnelle (ou la supposée volonté générale) décide qu’elle a
atteint l’âge adulte où elle ne peut plus tolérer aucune espèce de loi ou
de guide qui lui soit supérieur. C’est le non serviaminitial. Et c’est pourquoi
aucun débat ne peut réfuter la modernité. Alors quoi ? Peut-être quelque chose d’un autre ordre, comme on vient de l’entrevoir avec le film sur les moines de Tibéhirine…
Quand on invoque René Rémond pour assurer que l’Eglise n’est plus en situation de revendiquer, c’est apparemment pour la faire renoncer à tout ce qui contredit la modernité, et en fait les Importants renoncent.
Il est vrai que souvent l’Eglise n’est plus en situation d’obtenir. Mais, en situation ou pas, elle a toujours le droit et le devoir d’enseigner.
JEAN MADIRAN (Extrait de Présent du Samedi 25 spetembre 2010)