Le sacerdoce catholique. Sixième conférence
publié dans la doctrine catholique le 3 décembre 2010
Sixième Conférence
« Domus salutis » (3)
A- Jn 3 16 :
Saint Jean exprime la même pensée que saint Paul dans son Evangile et son fameux chapitre 3 verset 16. Il faut sans cesse vous rappeler cette doctrine johannique : « Dieu a tellement aimé le monde qu’il donna son Fils unique afin que quiconque croit en lui ne périsse pas mais ait la vie éternelle ».
Il est admis quasi unanimement que cette phrase n’est pas de Jésus mais de l’Evangéliste qui commente le discours de Jésus à Nicodème et veut préciser la nature de la mission du Fils ; plus précisément Jean fait œuvre de théologien et rend compte de la mystérieuse affirmation : « il faut que le Fils de l’homme soit élevé » (v 15) Quel en est le sens ? S’agit-il d’une tragique nécessité ? Est-ce une contrainte imposée à Jésus, et par qui ? Pourquoi et dans quel but ?
A l’origine de la mission du Christ et de son œuvre rédemptrice il y a l’amour de Dieu pour les hommes, plus exactement son agapé, i.e. l’amour le plus généreux, le plus constant et le plus universel. Tout l’accent de cette phrase repose sur cette charité, sur sa nature, l’extension et les réalisations d’un amour aussi exceptionnel. Il s’agit, en effet, de l’amour propre à Dieu. Saint Jean vise ici la charité éternelle de Dieu qui a le privilège de toutes les initiatives et se manifeste dans une double intervention historique : l’Incarnation et le calvaire doivent considérés comme l’épiphanie de l’agapé divine (I Jn 4 9). On pourrait légitimement traduire : « C’est de cette façon que la charité divine s’est prouvé, à savoir… ».
(Le plan de salut est ainsi manifestement une œuvre de charité.)
Ce qui est révélé en premier lieu, c’est l’objet de cet amour et d’abord son extension : le monde entier. Le choix du terme « cosmos » interdit toute limitation. Il ne s’agit plus de la prédilection de Dieu pour Israël ni même du Père céleste pour ses enfants, mais de l’humanité : tous et chacun de ses membres.
Il faut relever le paradoxe d’un tel attachement. Concrètement ce monde est celui de pécheurs, d’ennemis de Dieu, et lorsque celui-ci décide de manifester sa charité, c’est en faveur de coupables. Et l’on sait que l’Agneau de Dieu viendra précisément enlever les péchés du monde (Jn 1 29)
Si l’objet de cet amour est surprenant, c’est de la stupeur que l’on éprouve en apprenant que Dieu livre aux pécheurs son propre Fils.
La pointe de l’affirmation est dans la correspondance entre ce don insigne et la charité du Père. Il y a un rapport de cause à effet entre celle-ci et celui-là. Elle traduit l’émotion de l’écrivain : Dieu a aimé les hommes de cette façon et à ce point, i.e. sous cette forme stupéfiante, que, de fait, il a donné son Fils ! Jamais aucun esprit humain n’aurait pu concevoir chose pareille !
Dieu donne aux hommes ce qui lui est le plus cher ! C’est une libre décision Il n’y a aucune contrainte dans cette initiative du Tout Puissant : Il aime les hommes, mais il offre son Fils unique aux croyants. Or cet amour divin qui se manifeste à un moment précis c’est le Fils fait chair, au milieu de nous, descendu du ciel et envoyé. De sorte que ce verset vise d’abord l’Incarnation, épiphanie de la charité (Tit 3 4) Toutefois le don est si complet, si total, qu’il englobe et la naissance de Jésus et sa mort et c’est même sur cet abandon que saint Jean met l’accent principal. N’oublions pas que saint Jean veut expliquer la typologie du serpent d’airain (Jn 3 14). Si l’amour se mesure au don, l’immensité de la charité du Père s’apprécie en fonction de cet envoi qui « est celui d’une victime » (Lc 20 13)
La désignation de Jésus comme le Monogène relève non seulement sa dignité, sa divinité, mais sa proximité avec le Père et à quel point il en est aimé. Le Monogène, c’est le Fils chéri entre tous. Ainsi Dieu aime les hommes à ce point qu’il leur livre son Unique, l’Aimé par excellence. Le Père sacrifie son propre Fils.
L’intention du Père et le but de l’envoi du Fils sont précisés dans la deuxième partie du verset : que nul ne se perde, que chacun vive. La double forme positive et négative de l’énoncé a valeur superlative : un salut universel, immédiat et définitif.
On ne peut signaler plus clairement que l’agapé divine est une volonté de bien des autres. Vouloir si sincère et fort qu’il consent au sacrifice le plus absolu pour obtenir ce bien, en l’espèce la vie éternelle, i.e. la participation à la vie même de Dieu, en définitive une réciprocité d’amour Ainsi l’amour du Père, le don du Fils –incarnation et mort – vie éternelle s’enchaînent rigoureusement dans le plan divin et l’économie du salut.
Il reste toutefois à l’homme de s’approprier le salut offert. La seule réponse qui lui est demandée à l’initiative divine est la foi en la personne du Christ incarné. D’après le contexte, le croyant confesse que Jésus est le Monogène, mais d’abord il le reçoit et même il le voit comme une épiphanie de la charité du Père : Dieu étant dans le Christ se réconciliant le monde (2 Cor 5 19). Selon saint Jean le salut d’un chacun se décide en fonction de l’acceptation ou du refus de l’amour de Dieu manifesté dans le Christ révélateur et victime.
L’objet de la foi vivante est cet agapé comme il sera dit clairement en I Jn 4 16)
C’est à juste titre que l’on considère ce verset comme le résumé de l’Evangile de saint Jean et le verbe agapan comme la clef de toute la Révélation i.e. du mystère de Dieu, de la christologie et de la sotériologie , en un mot du plan divin du salut. C’est l’amour, en effet qui fait le lien entre Dieu et les hommes, l’éternité et l’histoire et c’est dans le Christ que le croyant accède à la connaissance et à la vie de Dieu.
Aucun texte de l’Ecriture ne donne davantage de lumière sur la « charité ». Il révèle que cet amour est un attribut du Père ; qu’il est éternel, puisqu’il est antérieur à l’envoi du Fils et inspire le plan de salut ; universel, car il s’étend au monde entier ; parfaitement gratuit, sans autre motif que lui-même ; non seulement il est toute bienveillance et miséricorde, mais actif, dynamique, il prend l’initiative et veut se prouver. Ce qui est révélé surtout c’est son immensité.
Et cependant, malgré cet amour immense et insigne et si généreux de Dieu, les hommes se perdent…
B – La parabole des vignerons homicides.
Cette parabole allégorisante, prélude à la Passion est la seule, avec celles du Semeur et du grain de sénevé qui soit rapportée par les trois synoptiques.
Dieu est assimilé au propriétaire d’une vigne, laquelle symbolise le peuple élu qu’il a comblé de biens par des interventions succesives et gratuit au cours de l’histoire. Il en exige des revenus, i.e. la reconnaissance de ses droits souverains, par la docilité aux messages de ses prophètes et l’observation de ses commandements.
Dieu est en relation avec ses vignerons par l’entremise de ses envoyés. Il envoie un, puis deux, puis trois, puis beaucoup d’autres serviteurs (litt. Des esclaves) Ce sont tous les prophètes et saints hommes de Dieu de l’A T. A ce titre, et comme représentants de Dieu, ces serviteurs de Dieu sont des personnages hautement honorables et revêtus d’un caractère sacré. Cependant depuis Elie jusqu’à Jean Baptiste, ils ont rarement reçu bon accueil ; bien plus, ils ont été méprisés, rejetés, frappés, insultés et même assassinés et suppliciés. Jésus évoque l’ignominie et la constance de ces mauvais traitements qui se renouvellent et s’aggravent à chaque nouvelle ambassade A tout envoi de Dieu correspond la férocité croissante des vignerons, sans que le propriétaire du clos semble songer à sévir ni à demander réparations des outrages ; à telle enseigne que les vignerons semblent prendre cette mansuétude pour de la faiblesse et abusent de l’impunité.
Cette patience, en réalité, est tellement invraisemblable qu’elle ne correspond à aucun cas humain, et qu’elle ne peut relever que de la longanimité divine. Dans sa conduite envers les hommes, Dieu ne tient pas compte de l’injure à son égard que constitue leur désobéissance ou leur révolte ; il n’impose pas le respect de ses droits souverains ; au lieu de châtier sur le champ les coupables, il leur laisse le temps de se convertir.
C’est ainsi que le propriétaire semble faire confiance aux vignerons. Sans tenir compte de l’expérience passée, malgré leur méchanceté persévérante, il envoie serviteurs sur serviteurs, escomptant un sursaut de bonne volonté toujours possible. Aucun homme n’agirait de la sorte, mais les décisions de l’amour divin déroutent la sagesse humaine.
Or le premier enseignement de la parabole est de révéler dans cette patience et cette magnanimité l’extraordinaire bonté de Dieu.
Jésus fait connaître la charité divine en manifestant la longanimité et les prévenances inlassables de sa Providence à l’égard du peuple élu. En face de l’incroyable méchanceté des hommes et, il faut bien le dire, de leur stupidité, l’amour généreux de Dieu apparaît dans la lumière la plus crue et sous une forme tragique. C’est la leçon même des faits au cours d’un millénaire d’histoire ; et cependant la patience divine, loin d’être lassée et épuisée, tente la démarche la plus osée.
Toutes les missions de serviteurs ayant échoué, Dieu se décide à faire choix de son Fils ; résolution dont saint Marc a saisi le pathétique. C’est toujours le maître de la vigne qui garde l’initiative ; il se décide à l’envoi d’une nouvelle députation, mais en changeant la qualité de l’ambassadeur ; celui-ci sera tel que les vignerons n’oseront mettre la main sur lui, ni même ne pourront le renvoyer les mains vides ; s’il en avait été ainsi, il semble que les crimes précédents auraient été oubliés ou tacitement pardonnés.
Les mots avec lesquels est désigné l’ultime envoyé montrent le respect et l’amour que Dieu lui porte. « Il n’y avait plus d’autre qu’un seul, un Fils bien aimé ; c’est lui qu’en dernier il leur envoya ». Au lieu d’un esclave, c’est le fils ; au lieu des serviteurs nombreux, c’est l’unique Fils ; au lieu de domestiques anonymes et sans personnalité, c’est le Fils bien aimé. L’expression est matériellement identique à celle du Baptême et de la Transfiguration, mais dans ce contexte, elle revêt une force particulière. Saint Marc précis que c’est le seul que le Père ait engendré. Si Dieu l’envoi en mission, en dernier, il n’y aura plus la possibilité d’envoyer personne d’autre, car c’est le seul messager qui lui reste « encore ». Le Fils unique et bien aimé, qui est l’héritier ne peut avoir de successeur ni de remplaçant. Ici l’accent est mis sur l’exceptionnelle dilection dont celui-ci est l’objet. Le Maître de la vigne qui ne craint pas d’exposer de nouveaux serviteurs à des sévices, sacrifie maintenant l’être qui lui est le plus cher, son aimé. Sans doute il escompte dans la Parabole que les réfractaires respecteront son Unique, et se laisseront « attendrir par ses bons procédés » mais Lui, le maître de l’histoire, il sait bien à quel sort il voue son Fils et que sa décision équivaut à une condamnation à mort…Sic Deus dilexit mundum ut Filium suum unigenitum daret !Au Maître, il reste encore quelqu’un, un fils bien-aimé ! Et ce fils bien aimé, il l’enverra seul après tous et le fils ira courageusement à ce sort qu’il connaît ; telle en deux mots l’histoire poignante de notre rédemption, la preuve éclatante de l’amour divin pour le peuple juif et pour l’humanité.
En d’autres termes, agapetos est un des mots clef du récit. Celui-ci n’est pas simplement un rappel de l’histoire des relations de Dieu avec Israël, ni une prophétie de la passion imminente, il est l’explication théologique de cette histoire et de cette passion dont il révèle le secret : Dieu a agi et agira encore par amour envers sa vigne. Il lui est tellement attaché qu’il manifeste à son égard d’une patience inlassable et d’une générosité sans limite ; il lui veut tellement de bien qu’il est décidé à lui sacrifier ce qu’i a de plus cher, son Bien-aimé. Même le Fils unique est livré aux vignerons.
Mais ce dernier venant cher les siens ne l’ont pas reçu. Les vignerons incapables de saisir l’infini de l’amour de Dieu, ne pensent qu’à eux-mêmes et à s’approprier l’héritage. Ils tuent le Fils ».
Voilà le plan divin du salut merveilleusement raconté dans cette parabole.
Les Vignerons, i. e. le monde, tuèrent Jésus.
Le monde cherche à « détruire » l’Eglise, le sacerdoce, l’œuvre de salut. Lucifer inspire tout ce monde.
On pourrait commenter aussi la parabole du bon samaritain qui montre la charité de Dieu pour sauver le genre humain laissé comme mort sur le bord de la route.
C-Révélation du mystère.
Jusqu’à l’apparition du Christ sur terre, le mystère divin fut caché ; ce temps de silence fut toutefois interrompu, encore que faiblement et plus ou moins indistinctement, par des révélations prophétiques ; si bien que les apôtres de la loi nouvelle pourront se servir de ces écrits inspirés dans leur prédication relative au Christ ( Rom 1 2 ; 16 17).
Mais maintenant la plénitude des temps étant accomplie, Dieu par bienveillance (Eph 1 10) a voulu révéler son secret par son Esprit (1 Cor 2 10), lequel est un principe de connaissance et qui communique la sagesse divine concernant le Christ (Jn 14 26). Il a donné à cette divulgation la plus grande publicité possible ; il met en lumière (Eph 3 9), annonce, manifeste (Col 1 26) ; Et voici que ce mystère divin qui, de sa nature est essentiellement un secret, est mis constamment en relation avec les termes de «révélation (Rm 16 25), révéler (1 Cor 2 10), manifester (Rm 16 26), faire connaître, illuminer (Eph 3 9). Le secret divin est manifesté dans le monde, vu par les anges, attesté aux païens, cru dans l’univers entier (1 Tim 3 16).
Et pour ce faire, Dieu a choisi des hommes privilégiés et les a désignés officiellement pour communiquer au monde le mystère du salut. Voilà les Apôtres, les prêtres…Ils sont eux-mêmes les premiers dépositaires du secret révélé en vue de le divulguer : Tit 1 1-3 ; Rm 3 21 ; 1 Cor 1 23. A ce titre les apôtres sont les ministres des mystères de Dieu.
Et donc on peut dire que cette révélation est comme le couronnement du mystère de la piété. A tel point que le Christ et sa rédemption ne nous sauveraient pas s’ils n’étaient pas annoncés (Rm 10 14. C’est par les apôtres que les hommes reçoivent la communication du secret. Ils sont instruits de sa nature et de son objet ; ils savent que c’est un mystère à la fois sotériologique comportant le plan divin de salut, et eschatologique, en tant qu’il comprend tous les biens futurs. C’est ainsi que l’on parle sans cesse de la gloire.
Ce mystère divin qui n’était à l’origine qu’un propos divin, a été mis à exécution, il acquiert une existence objective. Il est devenu dans le Christ, un événement historique ; les apôtres en proclament la réalisation.
C’est ainsi que s’accomplit le plan de salut. Il a besoin de ministres. Vous serez ces ministres.
Dès lors on peut dire que le mystère de la piété, c’est le dessein de Dieu parvenu au stade de l’histoire actuelle, c’est la vie, la crucifixion et la résurrection du Christ, en tant que ces réalités ont été conçues et voulues par Dieu pour sauver les hommes. Les hommes sont invités à donner leur adhésion. Et c’est par cette croyance qu’ils se sauvent : « Dieu veut que tous les hommes soient sauvés et viennent à la connaissance de la vérité » (1 Tim 2 4) Le parallélisme des deux propositions atteste que c’est l’acceptation des dispositions providentielles qui permet de bénéficier des richesse du salut acquises par le Christ.
Vous voyez qu’il ne s’agit pas d’une vérité abstraite, encore moins d’une philosophie ou d’une doctrine sociale quelconque.
Non !
Le mystère de la piété c’est le Christ Jésus en personne, vérité vivante, unissant en lui toute l’humanité pour la référer à Dieu.
Or c’est l’Eglise apostolique qui a la garde de cette vérité révélée. Sa mission est de la conserver sans défaillance, intégralement. Et c’est pourquoi on comprend que Saint Paul puisse dire en son Epître aux Ephésiens que la sagesse divine s’est révélée dans le Christ par l’Evangile et par l’Eglise (Eph 3 6 10)
Ces deux expressions sont à peu près synonymes :
En effet le Christ n’est que la révélation de Dieu voulant sauver tous les hommes ; l’Eglise continue cette révélation et prolonge cette médiation entre Dieu et les hommes. Elle est le lieu permanent de cette activité salutaire. Ce salut, dans le Christ, c’est fait dans son sacrifice. C’est pourquoi le sacrifice est, pour le Christ, si important, ainsi que pour le prêtre.
Et si l’Eglise est le lieu permanent de cette activité salutaire qui s’est accomplie par le sacrifice, on comprend que dans l’Eglise, le plus important soit aussi le sacrifice, le sacrifice de la messe. Tout se tient. « Domus sacrificii », c’est le séminaire. Sa raison. « Domus salutis ».
Le mystère de salut, obscurément annoncé dans les écrits prophétiques de l’AT, est désormais ouvertement promulgué et effectivement réalisé dans l’Eglise. Elle propose et applique actuellement aux hommes les moyens efficaces que Dieu a décrétés pour leur conférer la vie éternelle : et avant tout le sacrifice. Vraiment le prêtre est au cœur de l’Eglise parce que le salut et le sacrifice sont au cœur du Christ et de l’Eglise.
« Assurément grand est le mystère de la piété » dira Saint Paul à Timothée : 1 Tim 3 14-16.