Sur la Lybie de Kadhafi: Un texte du père Piero Gheddo
publié dans flash infos le 16 avril 2011
Le P. Piero Gheddo, cofondateur des Editions missionnaires italiennes et de l’ONG Mani Tese, directeur du bureau d’histoire de l’Institut pontifical des missions étrangères, a fondé en 1987 l’agence Asia News, qui est l’une des principales sources d’information sur l’Asie et le Proche Orient (en anglais, italien et chinois). Le 29 mars, il a publié un texte sur la Libye, dont voici la traduction. (texte trouvé sur Novopress)
Le père Piero Gheddo
L’Occident s’est mis du côté des opposants à Mouammar Kadhafi, qui devra choisir entre mourir à Tripoli réduite en décombres, ou accepter l’exil dans un pays ami. Actuellement ce n’est qu’une question de temps, et il serait superflu de rappeler ce que le pape a dit à de nombreuses reprises. Et encore hier, le 27 mars, après l’Angélus, Benoît XVI a dit : « Face aux nouvelles, toujours plus dramatiques qui proviennent de la Libye, je suis de plus en plus inquiet pour la sécurité de la population civile et mon appréhension grandit pour le développement de la situation, marquée aujourd’hui par l’utilisation des armes. En ces moments de grande tension, il est urgent de recourir à tous les moyens dont dispose l’action diplomatique et de soutenir aussi le plus petit signal d’ouverture et de volonté de réconciliation. » L’évêque de Tripoli, Mgr Giovanni Martinelli, ajoute : « La guerre aurait pu être évitée. Quelques jours avant que Sarkozy décide de bombarder, il y avait des lueurs d’espoir pour une vraie médiation. Mais les bombes ont tout ravagé. »
Dictateur depuis 1969, Kadhafi a d’abord suivi une ligne anti-occidentale, au point de financer le terrorisme islamique, des mosquées inspirées par l’extrémisme musulman, et des madrasas un peu partout dans le monde. Il expulsa 25000 Italiens et autres étrangers qui étaient la colonne vertébrale de l’économie et des services publics, réduisant le peuple à la misère. En 1986, Reagan bombarda les six tentes, à l’intérieur du camp militaire, l’une d’elles abritant le chef libyen, qui en réchappa par miracle. Isolé entre l’Egypte et la Tunisie pro-occidentales, il comprit que la ligne révolutionnaire courait à l’échec et, de ce fait, il changea peu à peu de politique : il a pu continuer de faire des discours révolutionnaires et anti-occidentaux, mais dans la pratique, particulièrement après la levée de l’embargo économique en 1998 et de l’embargo sur les armes en 2004, il commença un processus de rapprochement avec l’Occident et, ce qui est plus important, d’éducation de son peuple.
J’ai été en Libye en 2007, et je suis resté en contact avec des amis. Kadhafi utilisait les revenus du pétrole pour développer le pays : routes, écoles, hôpitaux, universités, logements à bas prix, un début d’industrialisation, et de développement agricole.
Le régime de Kadhafi est soutenu par les tribus de Tripolitaine, il a combattu celles de Cyrénaïque, la région qui s’est révoltée. Une rivalité traditionnelle, qui avait déjà causé des problèmes au temps de la colonisation italienne. Le récent soulèvement n’a pas été causé par la pauvreté, comme en Egypte et en Tunisie, et l’on remarque que parmi les nombreux réfugiés du Maghreb, aucun Libyen n’a fui de Libye, signe que les gens n’y étaient pas si mal. La révolte est le fait de rivalités tribales, et vient aussi de l’oppression d’une dictature qui ne permet pas l’émergence d’une participation du peuple dans la politique et la conduite du pays.
Mais nous ne pouvons pas oublier ce que le dictateur a fait : il a envoyé les filles à l’école et au collège, a aboli la polygamie, et a édicté des lois en faveur des femmes mariées : par exemple, il a interdit de garder les femmes enfermées. Surtout, il a contrôlé et surveillé de près l’extrémisme musulman. Une commission d’érudits, à Tripoli, préparait à l’avance les textes religieux pour le vendredi, et les envoyait à toutes les mosquées du pays, et les imams devaient lire ce texte, sans y ajouter ou en retrancher quoi que ce soit, sous peine de perdre leur poste.
Jusqu’à ce jour il y avait la liberté religieuse en Libye. Les 100000 chrétiens (tous travailleurs étrangers, en grande partie des coptes), malgré de nombreuses limitations, jouissaient de la liberté de culte. La Caritas de Libye est respectée et on lui demande souvent d’intervenir. Deux faits particuliers. En 1986, Kadhafi écrivit au pape Jean-Paul II, lui demandant des religieuses italiennes pour les hôpitaux. Cette requête venait du bon exemple qu’avaient donné deux soeurs franciscaines italiennes qui avaient assisté le père de Kadhafi jusqu’à sa mort. Aujourd’hui, en Libye, il y a environ 80 religieuses catholiques des Philippines et d’Inde, de même que de nombreux médecins philippins, indiens, libanais, italiens. Mgr Martinelli m’avait dit : « La présence de ces jeunes femmes chrétiennes, professionnellement formées, attentives aux besoins des patients, les soignant avec amour, est en train de changer l’image du christianisme parmi les musulmans. » Cela n’est possible dans aucun autre pays islamique.
Un second fait. J’étais dans le désert, à 900 ou 1,000 km de Tripoli, où la région était florissante grâce à l’eau tirée des profondeurs de la terre. Un lac de 35 km de long, des champs cultivés et des villes, où 20 ans avant il n’y avait rien. La capitale de la région de Sabha a 80000 habitants, et c’est là qu’habite le prêtre et médecin Giovanni Bressan, de Padoue, qui a été l’un des fondateurs de l’hôpital. Le P. Bressan rassemblait autour de lui de nombreux réfugiés de pays africains du sud du désert. Il a fondé une église, une école, et un centre communautaire. Les Africains travaillent pendant trois ans ou plus, et quand ils ont assez d’argent il cherchent à gagner l’Italie… Le P. Bressan a réussi à faire rester quelques familles. Le processus de complète intégration de la Libye dans le monde moderne et la Charte des droits avait commencé. Je ne défends pas Kadhafi et sa dictature, mais il me semble simplement honnête de témoigner des aspects de son gouvernement qui ont été complètement ignorés ces derniers jours.
Le 26 mars, Magdi Cristiano Allam écrivait dans le journal italien Il Giornale : « Dans la guerre qui a éclaté en Libye et qui voit l’Italie en première ligne, la seule certitude réelle, au-delà des intentions de ceux qui l’ont déclenchée, est que les islamistes gagneront et que, par conséquent, les populations des rives est et sud de la Méditerranée seront soumises de façon croissante à la charia, la loi islamique qui nie les droits humains et légitime la dictature théocratique. Un résultat qui est exactement le contraire des proclamations de Sarkozy et Obama et de leur utilisation excessive de slogans comme “liberté et démocratie”. »
Texte extrait du n° 121 de Daoudal hebdo daté du jeudi 31 mars 2011,