Les Nouvelles de Chrétienté n°182 : Jean XXIII et son Encyclique sur le Saint Curé d’Ars
publié dans nouvelles de chrétienté le 19 juin 2009
Jean XXIII a publié, à l’occasion du centenaire de la mort du Curé d’ars, une très belle encyclique. Il est intéressant de la relire à l’occasion de l’ouverture de l’année sacerdotale. Cette encyclique a pour nom : Nostri sacerdotii primitias. Elle comprend trois parties que nous publierons successivement pour ne pas trop allonger. La première partie est consacrée à l’ascèse sacerdotale. La seconde, à la prière sacerdotale. La troisième à l’apostolat sacerdotal.
Nostri sacerdotii primitias
De Jean XXIII
A Nos Vénérables Frères, Patriarches, Primats, Archevêques, Evêques et autres Ordinaires, en paix et communion avec le Siège apostolique
Jean XXIII, Pape. Vénérables Frères, Salut et Bénédiction apostoliques.
COINCIDENCES SIGNIFICATIVES
Les Joies pures qui accompagnèrent en abondance les prémices de Notre sacerdoce sont à Jamais liées, dans Notre mémoire, à l’émotion profonde que Nous avons ressentie le 8 janvier 1905, en la basilique vaticane, lors de la béatification glorieuse de cet humble prêtre de France que fut Jean-Marie-Baptiste Vianney. Elevé Nous-même au sacerdoce depuis quelques mois à peine, Nous fûmes saisi par l’admirable figure sacerdotale que Notre Prédécesseur saint Pie X, l’ancien curé de Salzano, était si heureux de proposer en exemple à tous les pasteurs d’âmes. Et, à tant d’années de distance. Nous ne pouvons rappeler ce souvenir sans remercier encore Notre divin Rédempteur, comme d’une grâce insigne, de l’élan spirituel ainsi imprimé, dès ses débuts, à Notre vie sacerdotale.
Il Nous souvient aussi que, le jour même de cette béatification, Nous apprenions l’élévation à l’épiscopat de Mgr Jacques-Marie Radini-Tedeschi, ce grand évêque qui devait quelques jours après Nous appeler à son service, et qui fut pour Nous un maître et un père très aimé. Ce fut en sa compagnie qu’au début de cette même année 1905 Nous Nous rendions pour la première fois en pèlerinage à Ars, ce modeste village que son saint Curé rendit à Jamais si célèbre.
Par une nouvelle disposition providentielle, c’est l’année où Nous recevions la plénitude du sacerdoce que le Pape Pie XI, d’illustre mémoire, procédait, le 3 mai 1925, à la solennelle canonisation du « pauvre Curé d’Ars ».
Dans son homélie, le Pontife se plaisait à décrire « la frêle silhouette de Jean-Marie Vianney : cette tête aux longs cheveux blancs qui lui font comme une éclatante couronne ; ce mince visage creusé par les Jeûnes, mais sur lequel reflétaient si bien l’innocence et la sainteté d’un cœur très humble et très doux, ce visage dont le seul aspect suffisait à ramener les foules à de salutaires pensées[1] ». Peu après, Pie XI, en l’année de son Jubilé sacerdotal, complétait le geste déjà accompli par saint Pie X à l’égard des curés de France et étendait au monde entier le céleste patronage de saint Jean-Marie Vianney « pour le bien spirituel des curés de tout l’univers[2] ».
Ces actes de Nos Prédécesseurs, liés à tant de chers souvenirs personnels, Nous aimons. Vénérables Frères, les évoquer en cette année centenaire de la mort du saint Curé d’Ars.
C’est, en effet, le 4 août 1859 qu’il rendit son âme à Dieu, usé par les fatigues d’un exceptionnel ministère pastoral de plus de quarante années et entouré de la vénération unanime. Et Nous bénissons la divine Providence, qui par deux fois déjà se plut à réjouir et à illuminer les grandes heures de Notre vie sacerdotale par l’éclat de la sainteté du Curé d’Ars, de Nous offrir à nouveau, dès les premiers temps de ce suprême Pontificat, l’occasion de célébrer la si glorieuse mémoire de ce pasteur d’âmes. Vous ne vous étonnerez pas, d’autre part, qu’en vous adressant cette Lettre Notre esprit et Notre cœur se tournent spécialement vers les prêtres. Nos fils très chers, pour les exhorter tous instamment — et ceux surtout qui sont engagés dans le ministère pastoral — à méditer les admirables exemples de leur frère dans le sacerdoce, devenu leur céleste patron.
Enseignements de ce centenaire
Certes, nombreux sont les documents pontificaux qui, déjà, rappellent aux prêtres les exigences de leur état et les guident dans l’exercice de leur ministère. Pour ne mentionner que les plus importants, nous recommandons à nouveau l’Exhortation « Haerent animo » de saint Pie X[3], qui stimula la ferveur de Nos premières années sacerdotales, la magistrale Encyclique « Ad Catholici Sacerdotii fastigium » de Pie XI[4], et, parmi tant de Documents et d’Allocutions de Notre Prédécesseur immédiat sur le prêtre, son Exhortation « Menti Nostrae »[5] et aussi l’admirable trilogie en l’honneur du sacerdoce[6], que lui suggéra la canonisation de saint Pie X. Ces textes, Vénérables Frères, vous sont connus. Mais vous Nous permettrez d’évoquer ici, avec l’âme émue, le dernier discours que la mort empêcha Pie XII de prononcer et qui demeure comme l’ultime et solennel appel de ce grand Pontife à la sainteté sacerdotale : « Le caractère sacramentel de l’Ordre, y était-il écrit, scelle de la part de Dieu un pacte éternel de son amour de prédilection, qui exige en échange, de la créature choisie, la sanctification… Avec humilité et vérité, le clerc doit s’habituer à nourrir, au sujet de sa personne, une conception bien différente et bien plus haute que la conception ordinaire du chrétien, même éminent ; il sera un élu parmi le peuple, un privilégié des charismes divins, un dépositaire du pouvoir divin, en un mot un alter Christus,.. Il ne s’appartient plus, il n’appartient plus à ses parents et à ses amis, pas même à une patrie déterminée : la charité universelle sera sa respiration. Ses pensées elles-mêmes, sa volonté, ses sentiments, ne sont pas les siens, mais sont du Christ, qui est sa vie »[7].
Vers ces sommets de la sainteté sacerdotale, saint Jean-Marie Vianney nous entraîne tous. Et Nous sommes heureux d’y convier les prêtres d’aujourd’hui; car, si Nous savons les difficultés qu’ils rencontrent dans leur vie personnelle et dans les charges du ministère, si Nous n’ignorons pas les tentations et les fatigues de certains, Notre expérience Nous dit aussi la fidélité courageuse du plus grand nombre et les montées spirituelles des meilleurs. Aux uns comme aux autres, le Seigneur adressa, au jour de l’Ordination, cette parole de tendresse : « Iam non dicam vos servos, sed amicos[8] ! » Puisse Notre Lettre Encyclique les aider tous à persévérer et à grandir dans cette amitié divine qui constitue la joie et la force de toute vie sacerdotale.
But de l’Encyclique
Notre dessein n’est pas, Vénérables Frères, d’aborder ici tous les aspects de la vie sacerdotale contemporaine ; et, à l’exemple de saint Pie X, « Nous ne disons rien que vous n’ayez entendu, rien de neuf pour qui que ce soit, mais simplement ce qu’il importe à tous de se remémorer[9]. » En effet, en retraçant les traits de la sainteté du Curé d’Ars, Nous serons conduit à mettre en relief des aspects de la vie sacerdotale, qui en tout temps sont essentiels, mais qui prennent de nos jours une telle importance que Nous tenons pour un devoir de Notre charge apostolique d’y insister particulièrement à l’occasion de ce centenaire.
L’Eglise, qui a glorifié ce prêtre « admirable par son zèle pastoral et son désir ininterrompu de prière et de pénitence[10] », a aujourd’hui la joie, un siècle après sa mort, de le présenter aux prêtres du monde entier comme un modèle d’ascèse sacerdotale, un modèle de piété et surtout de piété eucharistique, un modèle de zèle pastoral.
PREMIÈRE PARTIE : ASCÈSE SACERDOTALE
Parler de Saint Jean-Marie Vianney, c’est évoquer la figure d’un prêtre exceptionnellement mortifié qui, pour l’amour de Dieu et la conversion des pécheurs, se privait de nourriture et de sommeil, s’imposait de rudes disciplines et surtout pratiquait le renoncement de soi à un degré héroïque. S’il est vrai qu’il n’est pas communément demandé aux fidèles de suivre cette voie d’exception, la divine Providence a disposé du moins qu’il ne manquerait jamais, à travers le monde, des pasteurs d’âmes qui, poussés par l’Esprit-Saint, n’hésiteraient pas à s’engager sur ces traces, car de tels hommes opèrent des miracles de conversion ! A tous l’exemple admirable de renoncement du Curé d’Ars, « sévère pour lui-même et doux pour les autres[11] », rappelle de façon éloquente et pressante la place primordiale de l’ascèse dans la vie sacerdotale.
Conseils évangéliques et sainteté sacerdotale
Notre Prédécesseur Pie XII, voulant dissiper certaines équivoques, tint à préciser qu’il est faux d’affirmer « que l’état clérical — en tant et parce qu’il procède du droit divin — par sa nature ou du moins en vertu d’un postulat de cette même nature, exige que ses membres professent les conseils évangéliques[12] ». Et le Pape de conclure avec justesse : « Le clerc n’est donc pas tenu par droit divin aux conseils évangéliques de pauvreté, de chasteté et d’obéissance[13]. » Mais ce serait se tromper gravement sur la pensée de ce Pontife, si soucieux de la sainteté des prêtres, et sur l’enseignement constant de l’Eglise, de croire pour autant que le prêtre séculier est moins appelé à la perfection que le religieux. C’est même le contraire qui est vrai, car l’accomplissement des fonctions sacerdotales « requiert une plus grande sainteté intérieure que ne l’exige l’état religieux lui-même[14] ». Et si, pour atteindre à cette sainteté de vie, la pratique des conseils évangéliques n’est pas imposée au prêtre en vertu de son état clérical, elle s’offre néanmoins à lui comme à tous les disciples du Seigneur, comme la voie royale de la sanctification chrétienne. Du reste, à Notre grande consolation, combien de prêtres généreux l’ont aujourd’hui compris qui, tout en demeurant dans les rangs du clergé séculier, demandent à de pieuses associations approuvées par l’Eglise de les guider et de les soutenir dans les voies de la perfection !
Convaincus que « la grandeur du sacerdoce est dans l’imitation de Jésus-Christ[15] », les prêtres seront donc plus que jamais attentifs aux appels du divin Maître : « Si quelqu’un veut se mettre à ma suite, qu’il se renonce à lui-même, qu’il prenne sa croix et qu’il me suive». »[16]. Le saint Curé d’Ars, rapporte-t-on, « avait médité souvent cette parole de Notre-Seigneur, et il tâchait de la mettre en pratique »[17]. Dieu lui fit la grâce d’y demeurer héroïquement fidèle ; et son exemple nous guide encore dans les voies de l’ascèse où il brilla d’un grand éclat par sa pauvreté, sa chasteté et son obéissance.
Saint Jean-Marie Vianney exemple admirable de pauvreté évangélique
Avant tout, la pauvreté de l’humble Curé d’Ars, digne émule de saint François d’Assise, dont il fut, dans le tiers-ordre, un disciple fidèle[18]. Riche pour donner aux autres, mais pauvre pour lui-même, il vécut dans un total détachement des biens de ce monde, et son cœur vraiment libre s’ouvrait largement à toutes les misères matérielles et spirituelles qui affluaient à lui. « Mon secret est bien simple, disait-il, c’est de tout donner et de ne rien garder »[19]. Son désintéressement le rendait attentif aux pauvres, à ceux de sa paroisse surtout, envers qui il témoignait une extrême délicatesse, les traitant « avec une véritable tendresse, avec beaucoup d’égards, on peut dire avec respect »[20]. Il recommandait de ne jamais manquer d’égards envers les pauvres, parce que ce manque retombe sur Dieu ; et quand un miséreux frappait à sa porte, il était heureux, en l’accueillant avec bonté, de pouvoir lui dire : « Je suis pauvre comme vous, je suis aujourd’hui un des vôtres ! »[21]. A la fin de sa vie, il aimait répéter : « Je suis très content, je n’ai plus rien, le Bon Dieu peut m’appeler quand il voudra »[22].
Applications aux prêtres d’aujourd’hui
Aussi pourrez-vous comprendre, Vénérables Frères, de quel cœur nous exhortons Nos chers fils du sacerdoce catholique, à méditer un tel exemple de pauvreté et de charité. « L’expérience quotidienne atteste — écrivait Pie XI en pensant au saint Curé d’Ars — qu’un prêtre qui est évangéliquement pauvre et désintéressé fait des miracles de bien auprès du peuple chrétien. »[23]
Et le même Pontife, considérant la société contemporaine, adressait aussi aux prêtres ce grave avertissement : « Pendant qu’on voit les hommes vendre et acheter tout avec de l’argent, qu’ils passent exempts de tout égoïsme, méprisant toute basse cupidité ; qu’ils se donnent à la recherche des âmes, non de l’argent, de la gloire de Dieu, non de la leur »[24].
Ces paroles doivent être inscrites au cœur de tous les prêtres. S’il en est qui possèdent légitimement quelques biens personnels, qu’ils ne s’y attachent pas! Qu’ils se souviennent plutôt de l’obligation que formule le Code de droit canonique à propos des bénéfices ecclésiastiques « de dépenser leur superflu pour les pauvres ou les bonnes œuvres »[25]. Et Dieu veuille qu’aucun ne mérite le reproche du saint Curé à ses ouailles : « Combien ont de l’argent qu’ils tiennent enfermé, tandis que tant de pauvres meurent de faim ! »[26]. Mais Nous savons que beaucoup de prêtres aujourd’hui vivent en fait dans des conditions de réelle pauvreté. La glorification d’un des leurs, qui volontairement vécut si dépouillé et se réjouissait à la pensée d’être le plus pauvre de la paroisse[27], sera pour eux un providentiel encouragement à se renoncer eux-mêmes dans la pratique d’une évangélique pauvreté. Et si Notre paternelle sollicitude peut leur être de quelque réconfort, qu’ils sachent combien Nous Nous réjouissons vivement de leur désintéressement au service du Christ et de l’Eglise.
Certes, en recommandant cette sainte pauvreté, Nous n’entendons nullement. Vénérables Frères, approuver le dénuement auquel sont parfois réduits les ministres du Seigneur dans les villes ou les campagnes. Dans son commentaire de l’exhortation du Seigneur au détachement des biens de ce monde, saint Bède le Vénérable nous met précisément en garde contre toute interprétation abusive : « II ne faut pas croire, écrit-il, qu’il soit prescrit aux saints de ne pas conserver d’argent pour leur usage personnel ou celui des pauvres, puisqu’on lit que le Seigneur lui-même… avait une caisse pour fonder l’Eglise… ; mais, plutôt, qu’on ne serve pas Dieu pour cela ni qu’on renonce à la justice par crainte du dénuement »[28]. Aussi bien- l’ouvrier a droit à son salaire[29] et, faisant Nôtres les préoccupations de Notre prédécesseur immédiat[30], Nous demandons instamment à tous les fidèles de répondre avec générosité à l’appel des évêques, légitimement soucieux d’assurer à leurs collaborateurs des ressources convenables.
Sa chasteté angélique
Saint Jean-Marie Vianney, pauvre dans ses biens, fut également mortifié en sa chair. « II n’y a qu’une manière de se donner à Dieu dans l’exercice du renoncement et du sacrifice, disait-il : c’est de se donner tout entier »[31]. Et toute sa vie il pratiqua, à un degré héroïque, l’ascèse de la chasteté.
Son exemple sur ce point apparaît d’une particulière opportunité, car en bien des régions, hélas ! les prêtres sont tenus de vivre, en raison même de leur charge, dans un monde où règne une atmosphère d’excessive liberté et de sensualité.
Et le mot de saint Thomas n’est pour eux que trop vrai : « II est parfois plus difficile de vivre vertueusement en ayant charge d’âmes, en raison des dangers extérieurs »[32]. Souvent, au surplus, ils sont moralement seuls, peu compris, peu soutenus par les fidèles auxquels ils se dévouent. A tous, aux plus isolés et aux plus exposés surtout, Nous adressons ici un appel très pressant pour que leur vie entière soit un pur témoignage rendu à cette vertu que saint Pie X appelait « le plus bel ornement de notre Ordre »[33]. Et Nous vous recommandons avec une vive insistance, Vénérables Frères, de procurer à vos prêtres, dans toute la mesure du possible, des conditions d’existence et de travail qui soutiennent leur générosité. Il faut à tout prix combattre les périls de l’isolement, dénoncer les imprudences, écarter les tentations de l’oisiveté ou les risques du surmenage. Qu’on se souvienne également à cet égard des magnifiques enseignements de Notre Prédécesseur dans l’Encyclique Sacra Virginitas[34].
« La chasteté brillait dans son regard »[35], a-t-on dit du Curé d’Ars. En vérité, qui se met à son école est saisi non seulement par l’héroïsme avec lequel ce prêtre réduisit son corps en servitude[36], mais aussi par l’accent de conviction avec lequel il réussissait à entraîner à sa suite la foule de ses pénitents. C’est qu’il savait, par une longue pratique du confessionnal, les ravages des péchés de la chair : « S’il n’y avait pas quelques âmes pures pour dédommager le Bon Dieu, soupirait-il…, vous verriez comme nous serions punis ! » Et, parlant d’expérience, il joignait à son appel un encouragement fraternel : « La mortification a un baume et des saveurs dont on ne peut plus se passer quand on les a une fois connus… Dans cette voie, il n’y a que le premier pas qui coûte »[37].
Cette ascèse nécessaire de la chasteté, loin de refermer le prêtre dans un stérile égoïsme, rend son cœur plus ouvert et plus disponible à tous les besoins de ses frères : « Lorsque le cœur est pur, disait -magnifiquement le Curé d’Ars, il ne peut pas se défendre d’aimer, parce qu’il a retrouvé la source de l’amour qui est Dieu. » Quel bienfait pour la société d’avoir ainsi au milieu d’elle des hommes qui, libres des sollicitudes temporelles, se consacrent entièrement au service de Dieu et donnent à leurs frères leur vie, leurs pensées et leurs forces ! Quelle grâce pour l’Eglise que des prêtres fidèles à cette haute vertu ! Avec Pie XI, nous la considérons comme la gloire la plus pure du sacerdoce catholique, elle qui Nous semble « la meilleure réponse aux désirs du Cœur de Jésus et à ses desseins sur les âmes sacerdotales »[38]. N’est-ce pas à ce même dessein de la charité divine que pensait le Saint Curé d’Ars, quand il s’écriait : « Le sacerdoce, c’est l’amour du Cœur de Jésus ! »[39].
Son esprit d’obéissance
Sur l’esprit d’obéissance du Saint, les témoignages sont innombrables, car on peut affirmer que pour lui l’exacte fidélité au promitto de l’ordination fut l’occasion d’un renoncement permanent de quarante années. Toute sa vie, en effet, il aspira à la solitude d’une sainte retraite, et les responsabilités pastorales lui furent un trop lourd fardeau, dont il tenta même plusieurs fois de se libérer. Son obéissance totale à l’évêque n’en fut que plus admirable. Ecoutons, Vénérables Frères, les témoins de sa vie : « Depuis l’âge de quinze ans, dit l’un, ce désir (de la solitude) était dans son cœur pour le tourmenter et lui enlever le bonheur qu’il aurait pu goûter dans sa position »[40]. « Mais Dieu ne permit pas, atteste un autre, qu’il pût réaliser son dessein. La divine Providence voulait sans doute qu’en sacrifiant son goût à l’obéissance, son plaisir au devoir, M. Vianney eût sans cesse l’occasion de se vaincre lui-même »[41]. « M. Vianney, conclut un troisième, resta Curé d’Ars avec une aveugle obéissance, et il y est demeuré jusqu’à sa mort »[42].
Cette totale adhésion à la volonté de ses supérieurs était — faut-il le préciser ? — toute surnaturelle en son motif ; elle était un acte de foi en la parole du Christ, disant à ses apôtres : « Qui vous écoute, m’écoute » [43]; et, pour y demeurer fidèle, il s’exerçait à renoncer habituellement à sa volonté propre dans l’acceptation de son lourd ministère du confessionnal et dans toutes les tâches quotidiennes ou la collaboration entre confrères. rend l’apostolat plus fructueux.
Nous aimons proposer cette rigoureuse obéissance en exemple aux prêtres, dans la confiance qu’ils en comprendront toute la grandeur et en acquerront le goût spirituel. Et si jamais ils étaient tentés de douter de l’importance de cette vertu capitale, si facilement méconnue aujourd’hui, qu’ils sachent bien qu’ils ont contre eux les affirmations claires et nettes de Pie XII qui atteste que la sainteté de la vie personnelle et l’efficacité de l’apostolat ont pour base et pour soutien… l’obéissance constante et exacte à la sainte hiérarchie [44] ». Au reste, vous vous souvenez, Vénérables Frères, avec quelle force Nos derniers Prédécesseurs ont dénoncé les dangers graves de l’esprit d’indépendance dans le clergé, tant pour l’enseignement de la doctrine que pour les méthodes d’apostolat et la discipline ecclésiastique.
Nous ne voulons pas insister davantage sur ce point, mais Nous préférons exhorter Nos fils prêtres à développer en eux-mêmes le sens filial de leur appartenance à l’Eglise, notre Mère. On disait du Curé d’Ars qu’il ne vivait que dans l’Eglise, et pour l’Eglise, comme le brin de paille perdu dans le brasier. Prêtres de Jésus-Christ, nous sommes plongés dans ce brasier qu’anime le feu de l’Esprit Saint ; nous avons tout reçu de l’Eglise ; nous n’agissons qu’en son nom et par les pouvoirs qu’elle nous a conférés : aimons la servir dans les liens de l’unité et de la manière dont elle-même veut être servie[45].
[1] A.AS., XVI., 1925. p. 224.
[2] Lett. apost. Anno jubilari ; A. A. S., XXI, 1929, p. 313. —
[3] Acta Pii X, IV, p. 237-264. —
[4] A.A.S. XXVIII, 1936, p. 5-53. —
[5] A.A.S., XLII, 1950, p. 357-702.
[6] AA.S., XLVI, 1954, p. 313-317 et 666-677.
[7] Cf. Osservatore Romano 17 oct. 1958.
[8] Pontificale Romanum ; cf. Jean, xv, 15.
[9] Exhort. Haerent animo, acta Pii X, p. 238.
[10] Oraison de la messe de Saint Jean-Marie Vianney.
[11] Cf. Archives secrètes du Vatican, C. S. Rituum Processus, t. 227, p. 196.
[12] Alloc. Annus sacer. ; A. A. S., XLIII, 1950. p. 29.
[13] Ibid.
[14] S. Thomas, Sum Theol, II-II, q. 184, a. 8, in corp.
[15] Pie XII, Disc. du 16 avril 1953 ; A.A.S., XLV, 1953, p. 288.
[16] Matth., xvi, 24.
[17] Cf. Arch. secr. Vat.,, t. 227, p. 42.
[18] Cf. Arch. secr. Vat.. t. 227. p. 137.
[19] Ibid. p. 92.
[20] Ibid. t. 3 897, p. 510.
[21] Ibid. t. 227, p. 334.
[22] Ibid., p. 305.
[23] Lett. Enc. Divini Redemptoris ; A.A,S. XXIX, 1937, p. 99.
[24] Lett. Enc. Ad Catholici Sacerdotii ; A.A.S. XXVIII, 1936, p. 28.
[25] C. I. C., can. 1 473
[26] Cf. Sermons du bienheureux Jean-B.-M. Vianney, 1959, t. 1, p. 364.
[27] Cf. Arch. secr. Vat., t. 227, p. 91.
[28] in Lucae Evang. Expositio, IV, in c. xii ; Migne P. L. 92, col. 494-5.
[29] Cf. Luc, x, 7.
[30] Cf. Exhort. Menti Nostrae ; A.A.S. XLII, 1950, p. 697-699
[31] Arch. secr. Vat., t. 227, p. 91.
[32] S. thomas, Sum Theol., 1. c.
[33] Exhort. haerent animo ; Acta Pii X, IV, p. 260.
[34] A.A.S., XLVI, 1954, p. 161-191.
[35] Arch. secr. Vat., t. 3 897, p. 536.
[36] Cf. I Cor. ix, 27.
[37] Arch. secr. Vat., t. 3 897, p. 304.
[38] Lett. Enc. Ad Catholici Fastigium ; A. A. S. XXVIII, 1936, p. 28.
[39] Arch. secr. Vat.. t. 227, p. 29.
[40] Arch. secr. Vat., t. 227. p. 74.
[41] Ibid. t., 227, p. 39.
[42] Ibid. t. 3 897, p. 153.
[43] Luc, x, 16
[44] Exhort. In auspicando; A. A, S., LX, 1948. p. 375.
[45] Arch. secr. Vat., t. 227, p. 136.