Désir de Dieu, désir de l’homme
publié dans regards sur le monde le 20 décembre 2011
Des sujets sur lesquels il faut réflechir:
Désir de Dieu, désir de l’homme
par l’abbé Guillaume de Tanoüarn
Mgr Fisichella, ancien recteur magnifique de l’université du Latran actuellement président du Conseil pontifical pour la Nouvelle évangélisation, répond à Eric Martin, notre confrère de Nouvelles de France, à propos des chances de la Nouvelle évangélisation : « En Occident, il y a une situation paradoxale : d’un côté on veut que Dieu soit mis de côté, on ne veut pas que les croyants aient une présence sociale mais d’un autre côté, le désir de l’homme est de connaître Dieu. Vous savez, Dieu est présent au plus profond de chaque personne. On ne peut pas éteindre le désir de Dieu et c’est pour cela que la situation est paradoxale ». L’année 2012 va être déclarée Année de la nouvelle évangélisation… Nous sommes donc dans le mouvement en réfléchissant à cette question délicate : comment évangéliser l’Europe aujourd’hui ?
A l’intérieur de cette grande interrogation, il importe de réfléchir sur la manière dont les hommes désirent Dieu. Y a-t-il encore un désir de Dieu ? Cette question dans la question est vraiment fondamentale : on ne donne pas à boire à un âne qui n’a pas soif. Si l’homme occidental s’éloigne de la religion et s’éloigne de la foi, c’est qu’il y a des raisons qu’il importe d’élucider, à la fois à travers une expérience pastorale et à travers une anthropologie qui sonne juste. Je vous disais récemment pourquoi je ne crois pas en l’homme… Je pense que, trop souvent, dans certaines approches cléricales, marquées par l’optimisme des années 70 (Ah les 30 glorieuses !), on considère que le désir de Dieu est un fait universel, universellement ressenti et qu’en faire une question relève de l’outrecuidance. C’est déjà presque un doute sur la validité du Concile.
Eh bien ! Doutons, alors, doutons !
Ce qui m’a toujours frappé, dans mon ministère sacerdotal, ce sont les échecs. Je me revois, par exemple, auprès d’une personne qui sait qu’elle va mourir. Bon contact. On parle d’elle, de sa famille, de son métier… – Voulez-vous vous confesser ? – Non ! Je parle de cet échec-là… Dans la même situation, je pourrais aussi dire des revirements, des conversions profondes, parce qu’il y en a aussi, et quelles ! Je suis parfois ébloui par les âmes qui, aux portes de la mort, sont dans la vérité pure… Elles m’intimident et font mon admiration, lorsqu’elles se tournent vers Dieu. Je me souviens d’un cadre, encore jeune, qui, après s’être confessé, m’avait demandé de lui trouver une image qui l’avait toujours frappé et poursuivi : la résurrection du Christ, avec simplement Marie Madeleine qui scrute le tombeau vide. Il est mort, cette image devant les yeux.
Mais c’est des échecs que je veux parler. Pas la peine de sonner la trompette de la nouvelle évangélisation, si l’on n’a pas réfléchi sur les échecs.
Ainsi les chevaliers français pendant la guerre de 100 ans. Ils se prennent Crécy et Poitiers dans les gencives (à Poitiers, 1356, le roi Jean II le bon est fait prisonnier). Il faut la sagesse et la curiosité universelle de Charles V pour remarquer que l’on devait faire la guerre autrement. Il fait connétable de France un chef de bandes breton Bertrand du Guesclin, qui avait compris que les Anglais étaient vainqueurs de la guerre chevaleresque par la guérilla des archers et des égorgeurs avec leur couteau de boucher… Du Guesclin s’est bien gardé de toutes batailles rangées. Il a reconquis la France à son roi en opposant la ruse à la guérilla et la guérilla à la ruse. Et puis en 1415, la chevalerie française n’avait rien compris, rien appris, rien oublié. Et le scénario catastrophe de Crécy s’est reproduit 80 ans après, à Azincourt, parce que sans réfléchir, les braves français s’étaient retrouvés face aux pieux aiguisé des Anglais, à leurs flèches et à leurs couteaux de bouchers, non pris en défaut dans leur courage, mais dans leur stratégie.
Vatican II, pastoralement, c’est Crécy et Poitiers pour l’Eglise. Les chiffres de la pratique en France, collationnés par un Jean de Viguerie, suffisent à le montrer. Le grand lâcher-prise religieux se situe au début des années 70, face aux applications aventurées du Concile. Cette pastorale n’est pas bien sûr la seule cause de la déchristianisation. Mais le moins que l’on puisse dire, c’est que la stratégie conciliaire n’a rien changé à la Bérézina ecclésiale. Il ne faudrait pas que la nouvelle évangélisation ressemble à Azincourt : le même courage, le même élan juste et pieux des Ducs et chevaliers et l’horrible échec à l’arrivée, parce que l’on n’a pas assez réfléchi sur les causes du premier échec.
Il est urgent de réfléchir sur Vatican II. Avec beaucoup d’amour. Non pas dans un esprit de critique systématique ou d’autojustification tout aussi systématique de part et d’autre, mais parce qu’à Vatican II, l’Eglise a voulu affronter la modernité idéologique, et au dernier moment, au lieu d’affronter… elle a… vénéré, elle a cultivé, elle a voulu servir. Comme le déclarait Paul VI dans le justement célèbre Discours de clôture, le 8 décembre 1965 : « Au Concile, le culte du Dieu qui s’est fait homme est allé à la rencontre du culte de l’homme qui se fait Dieu. Qu’est-il arrivé ? Un affrontement ? Une incompréhension ? Non : un immense mouvement de sympathie a débordé du Concile sur le monde ». Notez que lorsqu’il parle du « monde », dans ce texte, c’est l’idéologie mondaine que Paul VI a en vue, c’est « le culte de l’homme qui se fait Dieu » comme il le dit lui-même.
« Un immense mouvement de sympathie » ? Quel optimisme ! Et combien il sera cruellement démenti par les faits.
Il est vrai que plus personne aujourd’hui, à l’heure de la christianophobie, n’oserait faire montre de l’optimisme de Paul VI à l’issue du Concile. Mais la théologie fondamentale qui a fait Vatican II reste en vigueur, et c’est cela que nous montre l’entretien de Mgr Fisichella.
L’idée principale de cet entretien et de ce que j’appellerais ici la théologie fondamentale néo-con (non : pas néo-conservateur, néo-conciliaire), c’est qu’il existe en tout homme un désir de Dieu et que ce désir, présent consciemment ou inconsciemment, ne demande pour s’exprimer que deux choses : que l’Eglise sorte de ses bastions et qu’elle se rende aimable. On peut dire que cette idée est au coeur de la réflexion de ce professeur d’apologétique surdoué et multiintervenant qu’était le Père Henri de Lubac, fait cardinal par Jean Paul II en 1994.
Quiconque a fait un peu d’évangélisation de rue sait que ce double postulat (sur lequel repose Gaudium et spes, je peux le prouver) est totalement théorique. Non, il ne suffit pas de montrer l’Eglise en gloire, ayant fait repentance, pour attirer les foules. C’est un fait que le glorieux pontificat ecclésial de Jean Paul II suffirait à prouver si l’on en faisait un bilan optimiste : des millions et des dizaines de millions de personnes dans le monde ont vu le pape. Le plus grand rassemblement de l’histoire de l’humanité a eu lieu à Manille aux Philippines, à l’occasion des JMJ. Mais le déclin de l’Eglise continue. Et personnellement ce constat me suffit pour remettre en cause cette doxa théologique du désir naturel de voir Dieu : contra factum non fit argumentum.
Le déclin de l’Eglise n’est donc pas lié à une Institution insuffisamment populaire, à des manifestations trop étroites, trop fermées…
Il me semble que l’on peut lui donner deux raisons : la destruction de l’homo religiosus en Occident et l’Occidentalisation morale et mentale du monde non islamiste premièrement. Le mauvais diagnostic pastoral deuxièmement.
On ne peut pas faire grand chose contre le premier constat. Mais on peut s’appliquer à soi-même ce jugement. L’homo religiosus est mort. Le sacré dans nos société n’est plus religieux mais purement médiatique et c’est quand un pape devient médiatique (Jean Paul II mais aussi Benoît XVI à sa manière) qu’il redevient sacré. Comme le montrait Chantal Delsol dans un article récent, le sacré a changé de lieu. le sacré n’est plus lié au religieux et au transcendant. Il est médiatique, pour la plus grande gloire des footballeurs et des apprentis dictateurs. L’homme a tout à perdre à cet oubli de Dieu, comme le montre Benoît XVI de son côté.
Il nous faut simplement nous souvenir de cette migration du sacré pour notre propre vie intérieure et faire notre examen de conscience sur notre capacité à pratiquer la vertu de religion.
Le mauvais diagnostic pastoral, j’y reviendrai. il me semble que c’est une réflexion sur le désir de Dieu et sur le désir de l’homme qu’il nous faut engager. De façon à ne pas être dupes des désirs qui nous agitent. Ah les vitrines de Noël ! L’argent nécessaire aux cadeaux ! L’argent indispensable pour les cadeaux que nous voulons nous faire à nous-mêmes. EN VÉRITÉ, peu importe tous ces désirs qui n’ont pour but qu’eux-mêmes et qui nous empêchent de voir et d’aimer les autres, qui nous empêchent de désirer Dieu…
S’il y a un moment où le désir de Dieu peut nous étreindre pour peu que nous y mettions toute l’attention dont nous sommes capables, c’est ce moment de Noël, ce sont les chants de Noël qui souvent nous transportent dans leur simplicité, parce que dans la musique il y a la méditation devant la crèche, la crèche invisible que nous gardons sans cesse devant les yeux.