La législation liturgique de Benoît XVI L’état des lieux établi au 30 mai 2012
publié dans regards sur le monde le 30 mai 2012
La législation liturgique
de
Benoît XVI
L’état des lieux établi au 30 mai 2012
Le 7 juillet 2007, le pape Benoît XVI publie le Motu Proprio intitulé Summorum Pontificum. Dans ce texte, il reconnait explicitement que le Missel traditionnel, latin, grégorien, dit de saint Pie V, n’a jamais été abrogé dans l’Eglise, qu’il ne pouvait pas l’être et qu’en conséquence tout prêtre demeure et demeurait libre d’en user. C’est ce qu’il exprime dans l’article 1 § 2 : « Il est donc permis de célébrer le sacrifice de la messe suivant (….) le Missel romain (traditionnel) (…) jamais abrogé ».
« Jamais abrogée » : « nunquam abrogatam ». En deux mots, le MP réglait l’interdiction odieuse, injuste et illégale qui, depuis quarante ans, frappait cette belle messe.
Cette affirmation était corroborée par le commentaire que faisait le pape lui-même dans sa lettre d’accompagnement du MP aux évêques: « Ce Missel n’a jamais été juridiquement abrogé et, par conséquent, en principe, il est toujours resté autorisé ».
C’est dire que l’interdiction longuement répétée était « illicite », comme le faisait remarquer Jean Madiran.
Et plus loin, le pape en donne la raison: « Ce qui était sacré pour les générations précédentes reste grand et sacré pour nous, et ne peut à l’improvise se retrouver totalement interdit, voire considéré comme néfaste ».
C’est dire l’importance de la coutume dans l’Eglise : « Ce qui était sacré pour les générations précédentes reste grand et sacré pour nous… ». Il en est ainsi de la messe tridentine. Elle est une coutume immémoriale, ce qui lui donne, sous ce seul rapport « une pérennité intrinsèque en tant que monument incomparable de la foi ». Par conséquent, la « pérennisation » de la messe traditionnelle n’était ni à octroyer ni à ôter, comme l’écrivait M de Saventhem à Mgr Ré, le substitut, à l’époque, de la Secrétairerie d’Etat pour les affaires générales, elle était simplement à reconnaître et à faire respecter dans les dispositions réglant son emploi à côté, éventuellement, d’autres rites anciens ou nouveaux, s’ils sont. Et ils sont.
C’est ce que fait le pape Benoît XVI dans son MP Summorum Pontificum. Il veut faire respecter par une disposition légale, nouvelle, la messe tridentine, à côté de la messe dite de Paul VI.
Ce MP fut reçu par le monde de la Tradition avec une immense joie, une immense reconnaissance, un grand émerveillement. Tous ses sentiments se sont exprimés, pour beaucoup, par le chant de l’éternel Te Deum, avec la crainte cependant qu’il ne soit pas reçu facilement par les épiscopats et que son application en soit rendue difficile.
Nous voudrions, dans cet exposé, montrer
A- la nouveauté de la décision législative du Pontife Romain
B- la place de choix qu’il souhaite donner à ce rite tridentin dans l’Eglise par rapport à la « nouvelle messe » de Paul VI.
C- la nécessaire réforme de ce nouveau rite.
En abordant ces trois points, un état des lieux des « affaires liturgiques » de l’Eglise sera, je pense, établi.
A-Nouveauté de la législation du MP Summorum Pontificum.
C’est qu’en effet depuis quarante cinq ans, les épiscopats du monde entier s’étaient dressés contre « cette messe de toujours ».
Prenons un exemple, la Suisse.
Mgr Adam, évêque de Sion, publiait en janvier 1973, une « mise au point » affirmant l’interdiction de célébrer selon le rite de saint Pie V « qui a été aboli (sic) par la Constitution Missale romanum de 1969 ». Et Mgr Adam précisait : « La présente déclaration est faite sur renseignement authentique et indication formelle de l’Autorité ». Au mois de janvier suivant, c’était l’assemblée plénière des évêques suisses qui proclamait : « Il n’est plus permis de célébrer la messe selon le rite de saint Pie V ».
Partout c’était la même affirmation officielle : « L’obéissance à l’Eglise interdit de célébrer la messe selon le rite de saint Pie V dans quelque circonstance que ce soit ».
Il est vrai. Le séminaire d’Ecône était en ce pays !
Et le clou, en cette matière, fut le discours consistorial du Pape Paul VI, du 24 mai 1976, déclarant que la nouvelle messe « a été promulguée pour prendre la place de l’ancienne », substitution à laquelle il fallait donner « une prompte soumission au nom de l’autorité suprême ». « C’est au nom de la Tradition, disait le Pape, lors de ce consistoire, que nous demandons à tous nos fils, à toutes les communautés catholiques de célébrer dans la dignité et la ferveur la liturgie réformée »
Ainsi la messe nouvelle devenait obligatoire ; elle seule devait être célébrée. Elle seule était la loi. La messe traditionnelle était interdite. Elle était remplacée par la nouvelle messe dite de Paul VI.
« C’est donc avec une profonde amertume, mais aussi avec une paternelle espérance que nous nous adressons une fois de plus à ce confrère (Mgr Lefebvre), à ses collaborateurs et à ceux qui se sont laissés entraîner par eux…Nous comprenons leur attachement sentimental à des formes de culte et de discipline auxquelles ils étaient habitués, qui pendant longtemps ont été pour eux un soutien spirituel et dans lesquelles ils avaient trouvé une nourriture spirituelle. Mais nous avons le ferme espoir qu’ils sauront réfléchir avec sérénité et sans parti pris et qu’ils voudront admettre qu’ils peuvent trouver aujourd’hui le soutien et la nourriture auxquels ils aspirent dans les formes renouvelées que le Concile Vatican II et nous même avons décrétées comme nécessaire pour le bien de l’Eglise, pour son progrès dans le monde contemporain, pour son unité ».
L’intention ne peut pas être exprimée d’une manière plus claire. Les formes canoniques n’ont peut-être pas été respectées – c’était la thèse de M l’abbé Dulac défendue avec brio à l’époque – la messe traditionnelle cependant, dans la pensée, du moins, de la hiérarchie, avait vécu. Elle n’était plus.
Telle était la position officielle jusqu’en 1978.
A partir de 1978, et plus nettement à partir de 1984, avec la lettre Quattuor abhinc annos, et plus nettement encore en 1988, avec le MP de Jean Paul II Ecclesia Dei adflicta, le langage s’est fait moins catégorique, évitant les termes d’obligation du rite nouveau et d’interdiction du rite traditionnel. On passait peu à peu, dit Jean Madiran, à un régime d’autorisation préalable. C’était la législation mise en place par les documents précités : il fallait demander l’autorisation à l’évêque du lieu – ce qui laissait supposer, mais implicitement cette fois, que l’interdiction existait toujours. Toutefois elle n’était plus absolue. Des dérogations pouvaient être obtenues, des dispenses données.
D’autant que la curie romaine et certains cardinaux, archevêques et évêques, – certainement les plus compétents -, comprenaient que l’interdiction avait été un abus de pouvoir. Mais ils ne l’ont pas dit malgré la tendance grandissante, à la même époque, aux repentances de toutes sortes.
Ils ne l’ont pas dit tout de suite, ils l’ont même « caché ».
Par exemple : on a su, mais seulement en 1995, par une révélation du Cardinal Stickler, que Jean Paul II avait réuni une commission ad hoc, composée de neuf cardinaux, à laquelle il avait posé deux questions :
-la messe tridentine a-t-elle été abolie ?
-et un évêque peut-il interdire un de ses prêtres en situation canonique normale, de dire la messe tridentine ?
A la première question, 8 cardinaux sur 9, ont répondu que la messe tridentine n’avait jamais été abolie. A la seconde, qu’un évêque ne pouvait pas interdire à son prêtre de dire cette messe. Ils firent même des propositions au Souverain Pontife, l’une d’entre elles reconnaissait la légalité, la légitimité du rite de Jean XXIII, de 1962 : « Pour chaque messe célébrée en langue latine, était-il dit, – avec ou sans fidèles présents – le célébrant a le droit de choisir librement entre le missel de Paul VI (1970) et celui de Jean XXIII (1962). Si le célébrant choisit le missel de Paul VI, il doit s’en tenir aux rubriques du dit missel. Si le célébrant choisit le Missel de Jean XXIII, il est tenu d’employer les rubriques dudit missel, mais il peut
-employer soit la langue latine, soit la langue vulgaire pour les lectures ;
-puiser dans les Préfaces et les prières du Propre de la messe supplémentaires, contenues dans le missel de Paul VI, et introduire des preces universales (les fameuses intercessions). Le calendrier liturgique pour les fêtes sera celui choisi par le célébrant ».
Le pape, pourtant favorable à une telle mesure, au témoignage même du cardinal Stickler, ne publia rien à cause de la pression de certains épiscopats.
Nous étions en 1986.
En raison du silence des meilleurs, l’interdiction, de fait, de la messe tridentine continuait d’être la règle. L’interdiction demeurait. En effet le MP Ecclesia Dei adflicta de 1988 n’a pas substantiellement modifiée la « législation » de Paul VI. La loi générale en matière liturgique était encore à cette époque en faveur de la messe nouvelle.
J’en veux pour preuve la réponse de Mgr Re à M de Saventhem, président honoraire d’Una Voce. Il lui écrivait le 17 janvier 1994 : « par le MP Ecclesia Dei l’usage du missel romain approuvé en 1962 a été concédé à certaines conditions. Les diverses dispositions prises depuis 1964 avait pour but de faciliter la vie ecclésiale d’un certain nombre de fidèles, sans pérenniser pour autant les formes liturgiques antérieures. La loi générale demeure l’usage du rite rénové depuis le Concile, alors que l’usage du rite antérieur relève actuellement de privilèges qui doivent garder le caractère d’exceptions ».
Les termes du prélat sont clairs : « la loi générale demeure l’usage du rite rénové depuis le Concile alors que l’usage du rite antérieur relève actuellement de privilèges qui doivent garder le caractère d’exceptions ».
Nous étions le 17 janvier 1994.
Toutefois certaines personnalités d’importance, à la même date, comme le cardinal Ratzinger, soutenu par le cardinal Stickler, commençaient à prendre leur distance par rapport à de telles affirmations, à une telle législation. Oui, dès 1994, c’est la date de son livre, en langue française, « le sel de la terre », le cardinal Ratzinger écrivait : « Je suis certes d’avis que l’on devrait accorder beaucoup plus généreusement à tous ceux qui le souhaitent le droit de conserver l’ancien rite. On ne voit d’ailleurs pas ce que cela aurait de dangereux ou d’inacceptable. Une communauté qui déclare soudain strictement interdit ce qui était jusqu’alors pour elle tout ce qu’il y a de plus sacré et de plus haut, et, à qui l’on présente comme inconvenant le regret qu’elle en a, se met elle-même en question. Comment la croirait-on encore ? Ne va-t-elle pas interdire demain ce qu’elle prescrit aujourd’hui ? Malheureusement la tolérance envers les fantaisies aventureuses est chez nous presque illimitée,, mais elle est pratiquement inexistante envers l’ancienne liturgie. On est sûrement ainsi sur le mauvais chemin ».
Dans son livre testament, « Ma vie. Souvenirs », il dit avoir été « consterné par l’interdiction de l’ancien missel. Car cela ne s’était jamais vu dans toute l’histoire de la liturgie ». Il reprendra cette idée en 1998 à Rome lors du pèlerinage des communautés Ecclesia Dei. S’appuyant sur l’autorité, cette fois, du Cardinal Newman, il disait : « Il est bon de rappeler ici ce qu’a constaté le cardinal Newman qui disait que l’Eglise dans toute son histoire n’avait jamais aboli ou défendu des formes liturgiques orthodoxes, ce qui serait tout à fait étranger à l’Esprit de l’Eglise…De tels rites peuvent mourir, si le sujet qui les a portés historiquement disparaît ou si ce sujet s’est inséré dans un autre cadre de vie. L’autorité de l’Eglise peut définir et limiter l’usage des rites dans des situations historiques diverses – mais jamais elle les défend purement et simplement ».
De telles déclarations d’un cardinal, du cardinal, préfet de la Congrégation de la doctrine de la foi, étaient, on le comprend, très importantes…et allaient tôt ou tard modifier les choses, les esprits, la législation liturgique.
Mais dans les faits, même encore en 1998-1999, l’interdiction –de facto – de la liturgie ancienne était toujours de rigueur.
Le cardinal Medina eut l’occasion de le rappeler en 1999, le 3 juillet 1999 au cardinal Bonicelli, ou le 17 octobre 1999 dans ce que l’on a appelé en France, « l’affaire de la FSSP » : à tous, Rome rappelait que « la loi générale demeurait l’usage du rite rénové depuis le Concile alors que l’usage du rite antérieur relevait actuellement de privilèges qui devaient garder le caractère d’exception ».
La justice en faveur de la messe tridentine n’était toujours pas rendue. Dans les paroisses, dans les écoles, dans les mouvements catholiques, on continuait à professer que la messe traditionnelle n’était plus permise. On l’a donc répété pendant quarante ans. L’espace, largement, d’une génération, voire de deux générations.
Il fallut attendre 2001 pour voir la législation « Medina », du nom du préfet de l’époque de la Congrégation des sacrements et de la liturgie, se « lézarder » et ne plus être appliquée dans la totalité des diocèses. Ce fut à l’occasion de la création de l’Administration Apostolique Saint Jean Marie Vianney à Campos au Brésil. Le pape Jean Paul II, dans sa lettre du 25 décembre 2001 Ecclesiae unitas , déclarait : « On confirmera à l’administration apostolique la faculté de célébrer l’eucharistie et la liturgie des heures selon le rite romain et la discipline liturgique codifiée par notre prédécesseur Saint Pie V, avec les adaptations introduites par ses successeurs jusqu’au bienheureux Jean XXIII ».
Ainsi la loi générale pour ce diocèse n’était plus le nouveau missel, mais bien le missel antérieur.
Ce qui fut confirmé par le décret d’érection signé par le cardinal Re : « La faculté est accordée à l’administration apostolique de célébrer la sainte eucharistie, les autres sacrements, la liturgie des heures et les autres actions liturgiques selon le rite romain et la discipline liturgique de saint Pie V, avec les adaptations que ses prédécesseurs ont introduites jusqu’au bienheureux Jean XXIII ».
L’enseignement du cardinal Ratzinger portait ses premiers fruits. Enfin ! Il avait déclaré, en 1994, nous l’avons vu : « Il est important aussi de cesser de bannir la forme de la liturgie en vigueur jusqu’en 1970 » C’était chose faite pour l’Administration Apostolique Saint Jean Marie Vianney, en 2001, un vrai diocèse.
Il fallut attendre encore 6 ans pour voir cette nouvelle législation appliquée à l’Eglise universelle.
Ainsi avec le MP Summorum Pontificum de Benoît XVI, la messe traditionnelle était non pas libéralisé, comme beaucoup l’écrivaient, mais libérée comme le fit justement remarquer Jean Madiran.
Parce qu’elle ne pouvait pas être, de toute façon, valablement interdite.
Cette impossible interdiction fut affirmée dans les milieux de la Tradition, sans interruption, jusqu’à maintenant. Ce combat dura des années.
Cette impossible interdiction avait été affirmée, il faut s’en souvenir, dès le début par Louis Salleron, au nom du droit naturel, par l’abbé Raymond Dulac au nom du droit canon, au nom du dogme, par le P Calmel, Mgr de Castro Mayer, par Mgr Lefebvre, par le cardinal Ottaviani. L’interdiction de la messe traditionnelle ne pouvait obliger en conscience.
Le cardinal Ottaviani, dans sa lettre de présentation du Bref Examen Critique au Pape Paul VI écrivait :
«Toujours les sujets, pour le bien desquels est faite la loi, ont eu le droit et plus que le droit, le devoir, si la loi se révèle tout au contraire nocive, de demander au législateur, avec une confiance filiale, son abrogation. C’est pourquoi nous supplions instamment Votre Sainteté de ne pas vouloir que — dans un moment où la pureté de la foi et l’unité de l’Eglise souffrent de si cruelles lacérations et des périls toujours plus grands, qui trouvent chaque jour un écho affligé dans les paroles du Père commun — nous soit enlevée la possibilité de continuer à recourir à l’intègre et fécond Missel romain de saint Pie V, si hautement loué par Votre Sainteté et si profondément vénéré et aimé du monde catholique tout entier ».
Vous imaginez le poids de telles affirmations, sous la plume du cardinal, ancien préfet du Saint Office !
La déclaration du Père Calmel fit sensation aussi. Ecrite en novembre-décembre 1969, quelques mois seulement après la publication du nouvel Ordo Missae, elle parut en janvier 1970. « Elle fut la première de ce genre et de cet éclat », dit Jean Madiran. Elle demeure au premier rang des apologies de la messe catholique traditionnelle, latine et grégorienne selon le missel romain de saint Pie V. « Avec une résolution tranquille, continue Jean Madiran, elle s’engage : « Je m’en tiens à la messe traditionnelle »… « La déclaration du Père Calmel fut un chef-d’œuvre, elle fut un acte, elle est un exemple ».
Ainsi pendant quarante ans, toute une génération de catholiques militants, membres religieux ou laïcs de l’Eglise militante a ouvertement contesté l’interdiction arbitraire de la messe traditionnelle. Nous pensons à nos morts : le cardinal Ottaviani, le Père Calmel, l’abbé Raymond Dulac ; Mgr Renatto Pozzi, Mgr Lefebvre, Mgr de Castro Mayer, le P Guérard des Lauriers. Et parmi les laïcs : Critina Campo, Luce Quénette. Louis Salleron, Eric de Saventhem.
Sans cette mâle réaction des catholiques et tout particulièrement de Mgr Lefebvre et de Mgr de Castro Mayer, nul doute que le MP de Benoît XXVI n’aurait pas vu le jour, tout simplement parce qu’il aurait été sans objet, la messe traditionnelle ayant tout simplement disparue de nos églises.
Le MP Summorum Pontificum
Comme nous l’avons dit en introduction, la nouveauté essentielle du Motu Proprio Summorum Pontificum tient dans sa reconnaissance explicite du Missel traditionnel, de sa licéité, de sa légitimité dans l’Eglise latine. Il n’a pas été abrogé, il ne pouvait pas l’être parce qu’il est une coutume immémoriale dans l’Eglise. En conséquence tout prêtre demeure, demeurait libre d’en user, sans pouvoir subir aucune sanction canonique.
C’est ce qu’exprime très clairement l’article 1 §2 du MP : « Il est donc permis de célébrer la Sacrifice de la Messe romain promulguée par le bienheureux Jean XXIII en 1962 et jamais abrogé ». Ce rite du bienheureux Jean XXIII est appelé « forme extraordinaire de la liturgie de l’Eglise ». M. l’abbé Barthe reconnaît que l’expression « forme extraordinaire » convient parfaitement à ce rite, l’autre, celui de Paul VI étant dit « rite ordinaire »…
Cette déclaration de la libre célébration dans l’Eglise du rite traditionnel, dit extraordinaire, est aussi rappelée dans la lettre d’accompagnement du MP aux évêques. Là, Benoît XVI leur dit : « Ce Missel n’a jamais été juridiquement abrogé, et, par conséquent, en principe, il est toujours resté autorisée ». Et un peu plus loin, Benoît XVI ajoute : « Ce qui était sacré pour les générations précédentes reste grand et sacré pour nous, et ne peut à l’improviste se retrouver totalement interdit, voire considéré comme néfaste ».
Tout cela fut, je vous l’ai dit, reçu et accueilli avec grande joie.
M l’abbé Barthe dans un article de Présent écrivait: Summorum Pontificum «favorise le relèvement du sacrifice de la messe, et donc du sacerdoce catholique » et par conséquent il favorise le relèvement de la sainte Eglise… Sous cet aspect, l’affirmation apparemment modeste, mais définitive, que la liturgie antérieure à la réforme de Vatican II n’a jamais été abolie, est un des germes les plus précieux de la revitalisation à venir du catholicisme ».
C’est ce que reconnaît aussi la FSSPX, dans sa lettre à nos frères prêtres du mois de juin : « La Fraternité saint Pie X se réjouit du fait que, grâce au MP, de plus en plus de prêtres puissent célébrer selon le Missel traditionnel, de plus en plus de fidèles puissent bénéficier de ces célébrations. Et donc tout ce qui rendra plus facile, plus pérenne, plus large, plus universelle la liberté reconnue par le MP est accueilli avec ferveur par la FSSPX. Car chaque fois que le Missel traditionnel regagne du terrain, c’est le rayonnement spirituel, apostolique et missionnaire de l’Eglise qui grandit ». (p 3)
L’influence de Mgr Gamber, en cette affaire de liberté reconnue dans l’Eglise du rite tridentin, fut immense. Elle est première parce que le cardinal Ratzinger, aujourd’hui pape, voiyait en lui, en effet, un vrai liturgiste, un vrai historien de la liturgie, le « père » d’ « un nouveau départ » liturgique nécessaire: « Ce nouveau départ a besoin de « pères » qui soient des modèles, et qui ne se contentent pas d’indiquer la voie à suivre. Qui cherche aujourd’hui de tels « pères » rencontrera immanquablement la personne de Mgr Gamber, qui nous a malheureusement été enlevé trop tôt ». Le cardinal se veut son « élève ». Il veut s’en inspirer.
On en a connu la pensée, en France, grâce à la publication par Dom Gérard, du livre intitulé « La réforme liturgique en question » Titre audacieux ! Cette « œuvre » permet de comprendre le véritable esprit du Motu Proprio Summorum Pontificum, de comprendre l’œuvre aujourd’hui entreprise par le pape et ses dicastères.
Cette œuvre sera double : un rappel du « droit de l’antique messe » et donc l’affirmation de la coexistence pacifique des rites, mais aussi la correction du Novus Ordo Missae , l’antique messe étant l’archétype de toute réforme liturgique à venir.
Mgr Gamber écrivait déjà en 1974 : « Il faut qu’à l’avenir le rite plus que millénaire de la messe soit conservé dans l’Eglise catholique romain…De toute façon il faudrait que le nouveau rite soit amélioré par rapport à celui qui se pratique de nos jours » (La réforme liturgique en question. p. 96)
Les deux formes, – l’ancien et le nouveau rite – doivent subsister paisiblement côte à côte.
Mgr Klaus Gamber exprime sa pensée sur la coexistence des deux formes du rituel de la messe, qui est l’objet du Motu Proprio Summorum Pontificum, dans le chapitre 7 de son livre: « Le ritus romanus et le ritus modernus devraient être tous deux considérés comme légitimes ».
Voilà ce que notre auteur écrivait en 1974, 1978. Or cette époque était l’époque où régnait une véritable « tyrannie » dans l’Eglise contre les prêtres et les laïcs qui voulaient rester fidèles à la messe « tridentine ». Que l’on se souvienne des propos de Paul VI cités plus haut au consistoire du 24 mai 1976. Malgré cela, Mgr Gamber affirme qu’il « faut qu’à l’avenir le rite plus que millénaire de la messe soit conservé dans l’Eglise catholique romaine…comme rite primaire de la célébration de la messe ».
Relevez, je vous prie, la force du mot utilisé en faveur de la messe tridentine :« Rite millénaire dans l’Eglise catholique… ». J’aurais aimé trouver cette expression dans le Motu Proprio de Benoît XVI en son article I §1. Mais peu importe, Ici est affirmé le retour du rite tridentin.
Ce retour historique du rite tridentin, le pape le veut et le fait.
Il le veut. Il l’exprimait déjà alors qu’il était encore cardinal, préfet de la Congrégation de la doctrine de la foi dans tous ses livres ayant cette question pour objet..
Dans le « sel de la terre » : à la question « Est-il possible, pour lutter contre cette manie de tout niveler et de ce désenchantement de remettre en vigueur l’ancien rite ? « il répond:« Je suis certes d’avis que l’on devrait accorder beaucoup plus généreusement à tous ceux qui le souhaitent le droit de conserver l’ancien rite. On ne voit d’ailleurs pas ce que cela aurait de dangereux ou d’inacceptable. Une communauté qui déclare soudain strictement interdit ce qui était jusqu’alors pour elle tout ce qu’il y a de plus sacré et de plus haut, et à qui l’on présente comme inconvenant le regret qu’elle en a, se met elle-même en question. Comment la croirait-on encore ? Ne va-t-elle pas interdire demain ce qu’elle prescrit aujourd’hui ?…. Malheureusement, la tolérance envers des fantaisies aventureuses est chez nous presque illimitée, mais elle est pratiquement inexistante envers l’ancienne liturgie. On est sûrement ainsi sur le mauvais chemin. » (p. 172-173).
Dans son livre « Voici quel est notre Dieu », on retrouve la même idée. A la page 291, il écrit : « Pour la formation de la conscience dans le domaine de la liturgie, il est important aussi de cesser de bannir la forme de la liturgie en vigueur jusqu’en 1970. Celui qui, à l’heure actuelle, intervient pour la validité de cette liturgie, ou qui la pratique est traité comme un lépreux ; c’est la fin de toute tolérance. Elle est telle qu’on n’en a pas connue durant toute l’histoire de l’Eglise. On méprise par là tout le passé de l’Eglise… J’avoue aussi que je ne comprends pas pourquoi beaucoup de mes confrères évêques se soumettent à cette loi d’intolérance, qui s’oppose aux r »conciliations nécessaires dans l’Eglise sans raison valable » (p 291).
Il le fait. C’est l’objet de son Motu Proprio Summorum pontificum. Ce sont les 5 premiers articles du Motu Proprio. Il affirme tout d’abord la libre célébration des deux rites, un qu’il appelle rite « extraordinaire », celui de Jean XXIII, l’autre qu’il appelle le rite « ordinaire », celui de Paul VI. – Mgr Gamber lui parlait, nous l’avons dit, du « ritus romanus » pour la messe de Jean XXIII et du « ritus modernus » pour celui de Paul VI – J’aurais préféré, vous dis-je, retrouver ces expressions de Mgr Gamber.
L’article 1 §2 : « Il est donc permis de célébrer la sacrifice de la messe suivant l’édition type du Missel romain promulgué par le B. Jean XXIII en 1962 et jamais abrogé, en tant que forme extraordinaire de la liturgie de l’Eglise ».
C’est un droit purement et simplement affirmé. Ce n’est plus une « concession ». Ce n’est plus un « privilège ». C’est un droit. Il n’est plus nécessaire de recourir préalablement à une quelconque autorité, celle du Saint Siège ou de l’ordinaire, comme le demandait les derniers documents en la matière : « Quattuor abhinc annos » » ou « Ecclesia Dei addflica ». Ces derniers textes sont purement et simplement abolis. C’est l’article 1 § 2 qui l’affirme : « Mais les conditions établies par les documents précédents Quattuor abhinc annos et Ecclesia Dei pour l’usage de ce Missel sont » abolies
C’est clairement repris dans l’article 2 : « Pour célébrer ainsi selon l’un ou l’autre missel, le prêtre n’a besoin d’aucune autorisation, ni du Siège apostolique ni de son ordinaire » .
Ce droit vaut pour tout prêtre diocésain, pour tout prêtre religieux, pour tous instituts de vie consacrée et de Sociétés de vie apostolique de droit pontifical. C’est l’article 3 : « Si des communautés d’Instituts de vie consacrée et de Sociétés de vie apostolique de droit pontifical ou de droit diocésain désirent, pour la célébration conventuelle ou « communautaire », célébrer dans leurs oratoires propres la Messe selon l’édition du Missel romain promulgué en 1962, cela leur est permis. Si une communauté particulière ou tout l’Institut ou Société veut avoir de telles célébrations souvent ou habituellement ou de façon permanente, cette façon de faire doit être déterminée par les Supérieurs majeurs selon règles du droit et les lois et statuts particuliers ». Ici, Le R.P. de Blignière qui s’était exprimé sur ce sujet, dans Sedes Sapientiae, sa revue, au nom des tous les Instituts de droit pontifical dépendant d’« Ecclesia Dei » trouve, là, entière satisfaction.
L’article 5 va préciser ce droit et son exercice pour les paroisses. Voici sa formulation :
Art. 5, § 1: Dans les paroisses où il existe un groupe stable de fidèles attachés à la tradition liturgique antérieure, le curé accueillera volontiers leur demande de célébrer la Messe selon le rite du Missel romain édité en 1962. Il appréciera lui-même ce qui convient pour le bien de ces fidèles en harmonie avec la sollicitude pastorale de la paroisse, sous le gouvernement de l’Evêque selon les normes du canon 392, en évitant la discorde et en favorisant l’unité de toute l’Eglise.
§ 2: La célébration selon le Missel du bienheureux Jean XXIII peut avoir lieu les jours ordinaires mais les dimanches et les jours fêtes, une Messe sous cette forme peut aussi être célébrée.
§ 3: Le curé peut aussi autoriser aux fidèles ou au prêtre qui demandent, la célébration sous cette forme extraordinaire dans des cas particuliers comme des mariages, des obsèques ou des célébrations occasionnelles, par exemple des pèlerinages.
§ 4: Les prêtres utilisant le Missel du bienheureux Jean XXIII doivent être idoines et non empêchés par le droit.
§ 5: Dans les églises qui ne sont ni paroissiales ni conventuelles, appartient au Recteur de l’église d’autoriser ce qui est indiqué ci-dessus ».
Distinction des deux rites
Dans le chapitre 7, du livre « La Réforme liturgique en question », Mgr Klaus Gamber affirme que les deux formes du rite, qu’il appelle « ritus romanus » et « ritus modernus », doivent être nettement distinguées l’une de l’autre. « Ils devront être nettement distingués l’un de l’autre comme deux rites indépendants, et cela de telle manière que le missel romain utilisé jusqu’ici, ainsi que les autres livres liturgiques (rituel et pontifical), soient à nouveau imprimés et autorisés sous leur forme préconciliaire. Les modifications du rite de l’après Concile ne devraient être valable que pour le rite modernus. En font partie, entre autres, le changement dans les paroles de la consécration qui a scandalisé de nombreux prêtres, les nouvelles prières eucharistiques, ainsi que la nouvelle distribution des lectures, qui, de toute façon, étant donné ses insuffisances, devra être remplacée par une autre, meilleure ».( p. 75)
Cette idée importante est clairement reprise par le Motu Proprio Summorum pontificum. Le pape prend bien soin, en effet, de les distinguer. L’un n’est pas l’autre, même s’ils expriment, dit-il, la même « lex credendi » de l’Eglise. A voir ! C’est tout l’objet du § 1 de l’article 1 : « Le Missel romain promulgué par Paul VI est l’expression ordinaire de la « lex orandi » de l’Eglise catholique de rite latin. Le Missel romain promulgué par S. Pie V et réédité par le B. Jean XXIII doit être considéré comme l’expression extraordinaire de la même « lex orandi » de l’Eglise et en raison de son usage vénérable et antique doit jouir de l’honneur qui lui est dû. Ces deux expressions de la « lex orandi » de l’Eglise n’induisent aucune division de la « lex credendi » de l’Eglise ; ce sont en effet deux mises en œuvre de l’unique rite romain ».
Cette stricte distinction des deux formes rituelles avait été également suggérée à Jean-Paul II par la commission de neuf cardinaux en 1986 dont nous avons parlé plus haut. Ils avaient suggéré en effet au Pape un certain nombre de propositions – que l’on retrouve tout à fait dans le Motu Proprio de Benoît XVI – insistant beaucoup aussi sur cette distinction des deux rites. M de Saventhem, président honoraire d’Una Voce Internationale, les avait ainsi résumées :
« Les normes de 1986 : en été 1986, une commission de huit cardinaux de Curie fut constituée ad hoc pour contrôler si l’indult de 1984 était susceptible de fonctionner. Elle trouva qu’en pratique, il s’était montré « peu secourable » et présenta des recommandations détaillées pour une nouvelle réglementation pour toute l’Eglise. La teneur de ces recommandations peut se résumer de la façon suivante :
1- Dans les offices du rite romain, l’honneur qui lui est dû (debita honor) doit être accordé à la langue latine. Les évêques doivent donc prendre soin que les dimanches et jours fériés soit célébrée au moins une messe en langue latine dans chaque localité importante de leur diocèse. Cependant les lectures pourront être dites en vernaculaire.
2- Pour leurs messes privées tous les prêtres peuvent, en tout temps, employer la langue latine
3- Pour chaque messe célébrée en langue latine, avec ou sans fidèles présents, le célébrant a le droit de choisir librement entre le missel de Paul VI(1970) et celui de Jean XXIII(1962)
4- Si le célébrant choisit le missel de Paul VI, il doit s’en tenir aux rubriques du dit missel.
5- Si le célébrant choisit le missel de Jean XXIII, il est tenu d’employer les rubriques du dit missel, mais il peut : -employer soit la langue latine, soit la langue vulgaire pour les lectures et – puiser dans les Préfaces et les prières du Propre de la messe supplémentaires, contenues dans le missel de Paul VI et introduire des « preces universales »(intercessions)
6- Le calendrier liturgique pour les fêtes sera celui du missel choisi par le célébrant ».
Mgr Gamber insiste lui aussi beaucoup sur cette stricte distinction à maintenir entre les deux rites. Pour quelle raison ? La « continuité des formes de la messe » en est la raison première et fondamentale. Il écrit: « Il est sans intérêt de faire subir au ritus romanus traditionnel comme on l’a malheureusement fait jusqu’ici, les expériences actuelles (et il faut considérer que la plupart des innovations en sont). Sinon on perdrait un élément important, cette continuité des formes de la messe dont nous avons plusieurs fois parlé dans les exposés qui précèdent. Tandis que si l’on laisse inchangé l’ancien rite et si l’on continue à l’utiliser à côté du nouveau – mais comme quelque chose de vivant et non comme une pièce de musée ! -, on aura gardé à toute l’Eglise, telle qu’elle se manifeste à travers les différents peuples, un élément important pour l’avenir : l’unité du culte » (p. 76)
Toutefois Mgr Gamber ne se serait pas exprimé sur ce sujet de la distinction des rites, ce me semble, de la même manière que Benoît XVI. Mgr Gamber, en effet, écrit : « La forme de la messe actuellement en vigueur ne pourrait plus passer pour le rite romain au sens strict mais pour un rite particulier ad experimentum. Seul l’avenir montrera si ce nouveau rite pourra un jour s’imposer de façon générale et pour une longue période. On peut supposer que les nouveaux livres liturgiques ne resteront pas bien longtemps en usage, car les éléments progressistes de l’Eglise auront entre temps certainement développé de nouvelles conceptions concernant l’ « organisation » de la célébration de la messe, s’ils ne l’ont déjà fait…La célébration versus populum, injustifiable du point de vue tant historique que théologique et sociologique, devrait être peu à peu à nouveau éliminée » (p 76)
Je pense que les «discussions », lors de la mise au point du Motu Proprio, ont été fortes sur ce sujet et qu’elles sont pour une part la raison du retard dans la publication de ce texte. Le pape a du concéder beaucoup aux oppositions, lui, le disciple de Mgr Gamber…Aussi n’est-il pas nécessaire de se laisser enfermer dans ce texte comme dans un cocon.…
Les raisons de cette coexistence des « rites »
Et si vous cherchez pourquoi Mgr Gamber souhaite le maintien du rite « antique », vous trouverez trois raisons qui seront explicitement reprises par Benoît XVI dans sa lettre de présentation du Motu Proprio aux évêques. Voici ces trois raisons exposées dans son chapitre 7.
La première raison : le maintien du rite romain, dans sa forme ancestrale et solennelle assurera plus facilement, demain, l’unité du culte et de l’Eglise. C’est « un élément important pour l’avenir : l’unité du culte », écrira-t-il. (76)
La deuxième raison : la coexistence de deux rites dans l’Eglise permettra d’éviter le risque d’un schisme.
« Bien des problèmes pourraient être résolus, nous dit encore Mgr Gamber, dans l’Eglise par la stricte séparation entre le rite romain et la nouvelle liturgie en langue vulgaire du ritus modernus et par la possibilité ainsi offerte aux fidèles d’utiliser les deux formes de messe. Mais surtout cela diminuerait le risque d’un schisme important, les légitimes réclamations d’innombrables catholiques – près de la moitié de ceux qui pratiquent encore – en faveur de la célébration traditionnelle de la liturgie étant satisfaites, sans que soit pour autant négligé le désir des autres d’avoir une messe « actuelle » (p. 77)
Cette idée est amplement développée dans la lettre explicative du pape Benoît XVI aux évêques. Il la présente même comme « la raison positive » de sa décision. Il leur écrit en effet : « J’en arrive à la raison positive qui est le motif qui me fait actualiser par ce Motu Proprio celui de 1988. Il s’agit de parvenir à une réconciliation interne au sein de l’Eglise. En regardant le passé, les divisions qui ont lacéré le corps du Christ au cours des siècles, on a continuellement l’impression qu’aux moments critiques où la division commençait à naître, les responsables de l’Eglise n’ont pas fait suffisamment pour conserver ou conquérir la réconciliation et l’unité ; on a l’impression que les omissions dans l’Eglise ont eu leur part de culpabilité dans le fait que ces divisions aient réussi à se consolider. Ce regard vers le passe nous impose aujourd’hui une obligation : faire tous les efforts afin que tous ceux qui désirent réellement l’unité aient la possibilité de rester dans cette unité ou de la retrouver à nouveau »
Et le pape de citer en conclusion de cette idée la nécessité d’ouvrir largement son cœur à tous. Plus de sectarisme ! C’est l’enseignement de saint Paul aux Corinthiens. Il le fait sien. Il veut que les évêques le fassent leur. Et ainsi en donnant à ceux qui le veulent la possibilité de recourir à l’usage ancien, on assurera plus facilement l’unité de tous.
c- La troisième raison affirme que la diversité des cultes ne nuit pas à l’unité de l’Eglise. Bien au contraire !
« On pourrait objecter que la solution proposée ici de deux rites utilisés parallèlement pourrait troubler l’unité ecclésiale dans les paroisses. On répondra à cela, que dans l’ensemble de l’Eglise et surtout en Orient, il y a eu de tout temps plusieurs rites reconnus par Rome. Cela ne saurait donc être vraiment grave si, dans l’Eglise romaine également, deux formes de messe cœxistaient côte à côte – au moins pour un certain temps. Mais si seulement il n’y en avait actuellement que deux ! Pour l’instant il y a comme on sait, d’innombrables rites, nombres de prêtres « arrangeant » la messe entièrement à leur guise. Il ne peut donc être vraiment question d’unité de rite » (p 78)
Cette idée fut reprise par le cardinal Ratzinger lors de sa conférence à Rome de 1998
Le cardinal Ratzinger reprenait en tous points cette idée dans la conférence qu’il adressait en 1998 aux membres des communautés « Ecclesia Dei » venues à Rome pour fêter les dix ans du Motu Proprio du même nom. Il leur disait : « Il faut encore examiner l’autre argument, qui prétend que l’existence de deux rites peut briser l’unité. Là, il faut faire une distinction entre le côté théologique et le côté pratique de la question. Pour ce qui est du côté théorique et fondamental, il faut constater que plusieurs formes du rite latin ont toujours existé, et qu’ils se sont retirés seulement lentement suite à l’unification de l’espace de vie en Europe. Jusqu’au concile existaient, à côté du rite romain, le rite ambrosien, le rite mozarabe de Tolède, le rite de Braga, le rite des Chartreux et des Carmes, et le plus connu : le rite des dominicains, – et peut-être d’autres rites encore que je ne connais pas. Personne ne s’est jamais scandalisé, que les dominicains, souvent présents dans nos paroisses, ne célébraient pas comme les curés, mais avaient leur rite propre. Nous n’avions aucun doute, que leur rite fût catholique autant que le rite romain, et nous étions fiers de cette richesse d’avoir plusieurs traditions diverses. En outre, il faut dire ceci : l’espace libre, que le nouvel Ordo Missae donne à la créativité, est souvent élargi excessivement, la différence entre la liturgie selon les livres nouveaux, comme elle est pratiquée en fait, célébrée en des endroits divers, est souvent plus grande que celle entre une liturgie ancienne et une liturgie nouvelle, célébrées toutes les deux selon les livres liturgiques prescrits. Un chrétien moyen sans formation liturgique spéciale a du mal à distinguer une messe chantée en latin selon l’ancien Missel d’une messe chantée en latin selon le nouveau Missel ; par contre, la différence entre une liturgie célébrée fidèlement selon le Missel de Paul VI et les formes et les célébrations concrètes en langue vulgaire avec toutes les libertés et créativités possibles, – cette différence peut être énorme ! »
La lettre de Benoît XVI aux évêques.
Benoit XVI reprend de nouveau l’argument dans sa lettre aux évêques, tout en donnant un autre motif. Il leur dit :
« En second lieu, au cours des discussions sur ce Motu Proprio attendu, a été exprimée la crainte qu’une plus large possibilité d’utiliser le Missel de 1962 puisse porter à des désordres, voire à des fractures dans les communautés paroissiales. Cette crainte ne me parait pas non plus réellement fondée. L’usage de l’ancien Missel présuppose un : minimum de formation liturgique et un accès à la langue latine ; ni l’un ni l’autre ne sont tellement fréquents. De ces éléments préalables concrets découle clairement le fait que le nouveau Missel restera certainement la forme ordinaire du Rite Romain, non seulement en raison de normes juridiques, mais aussi à cause de la situation réelle dans lesquelles se trouvent les communautés des fidèles ».
Cette petite étude montre réellement la parenté de pensée entre Benoît XVI et Mgr Klaus Gamber en matière liturgique. Il suit celui qu’il nous propose comme « maître » en liturgie. Ce qui nous laisse entendre que l’œuvre du Motu Proprio de Benoit XVI ne s’arrêtera pas à la simple reconnaissance de la coexistence pacifique des deux rites romains mais ira plus loin. Il affirmera le rôle premier de l’antique messe dans toute restauration liturgique. Raison supplémentaire de voir les choses de haut en cette matière de règlement…Voila l’objet de notre deuxième partie
B-: Le rôle de l’ancienne messe dans l’Eglise
Quel est ce rôle ? Mgr Gamber le précise encore dans son livre « La réforme liturgique en question ». Nous sommes à la conclusion du livre. Il écrit : : «…Il faut qu’à l’avenir le rite plus que millénaire de la messe soit conservé dans l’Eglise catholique romaine, pas seulement pour les prêtres et les laïcs âgés, incapables de s’adapter, mais comme forme primaire de la célébration de la messe. Il faut qu’il redevienne la norme de la foi et le signe de l’unité des catholiques dans le monde entier, un pôle fixe pour un temps déboussolé et en perpétuel changement » (p. 95-96) C’est bien reconnaître un rôle spécifique à cette messe : « Elle est la forme primaire de la célébration de la messe ». Ce qui lui permet d’être « la norme de la foi », « le signe de l’unité » des catholiques, d’être un « pôle fixe pour un temps déboussolé ». Que de privilèges ! Quel rôle important…Alors qu’il y a seulement quelques décades, on ne voulait plus en parler. Le vrai et le beau sont cultivés dans l’Eglise surtout en la liturgie. C’est un bien nécessaire à l’Eglise.
Mais sur ce sujet, il faut également invoquer la lettre du cardinal Antonio Canizares Llorera, « ministre » de la liturgie du pape. Cette lettre fut écrite le 20 avril 2010, et adressée aux autorités de l’Institut du Christ Roi Souverain Prêtre, à l’occasion du colloque que l’Institut avait organisé à cette date à Rome dans le cadre de l’anniversaire des cinq ans de pontificat de Benoît XVI. Le thème du colloque portait sur la liturgie et plus particulièrement sur le Motu Proprio du Pape Summorum Pontificum.
Il les en félicitait et les en remerciait: « Je remercie l’Institut du Christ Roi Souverain Prêtre de l’initiative de célébrer à cette date ce colloque sur le Motu Proprio Summorum Pontificum ».
Il rappelait tout au début de sa lettre que la liturgie est au cœur de la pensée du Pape. C’est une de ses « préoccupations majeurs » : « Dans le cœur du Saint-Père, écrit-il, et au centre de ses préoccupations comme pasteur de l’Eglise se trouve la connaissance profonde du mystère de la Liturgie et le désir qu’elle soit célébrée et vécue par l’Eglise entière avec délicatesse et ferveur ». Le pape, lui-même, l’affirmait alors qu’il recevait, quelques temps au paravent, des évêques brésiliens. La liturgie est au cœur du « ministère pétrinien », leur disait-il.
Après cette introduction, le cardinal affirme, pour en relever l’autorité, que ce texte Summorum Pontificum est « un acte de gouvernement qui cherche à satisfaire le bien commun de l’Eglise ». En conséquence, il ne doit pas être compris comme un « acte isolé » de Benoît XVI ; ni non plus comme une simple action « anecdotique ». Il n’est pas non plus un acte pour satisfaire une « situation particulière », ni une simple « concession à la nostalgie ou à l’intégrisme ». Non ! Cet acte relève du magistère pétrinien de Benoît XVI qui a en charge le bien commun de l’Eglise : « Le Motu Proprio Summorum Pontificum doit se comprendre dans cette vision d’ensemble de l’enseignement et des actes du Saint Père ».
Et si il a pour but immédiat de « favoriser – pour ceux qui le souhaitent – l’accès à la forme liturgique officielle du Rite Romain jusqu’à la réforme souhaitée par le Concile Vatican II », son but ultime est double:
Le premier: c’est …de « (faire) un pas pour favoriser la Communion Ecclésiale ». L’unité ecclésiale est la préoccupation du Pontife.
Le second, c’est de (créer) «une aide pour orienter et mieux comprendre l’actuelle « forme ordinaire » de la Liturgie Romaine selon une « herméneutique de la continuité ».
Il faut mesurer l’importance de cette phrase pas assez soulignée, du moins à mon avis.
Affirmer cela est absolument nouveau de la part du magistère de l’Eglise. Nous ne l’avions jamais encore entendu en quarante ans de « combat » inlassable, pour maintenir l’ancienne messe.
Le cardinal affirme bien que favoriser l’accès au rite tridentin …c’est favoriser « la Communion Ecclésiale », mais aussi et surtout c’est donner « une aide pour orienter et mieux comprendre l’actuelle « forme ordinaire » de la Liturgie Romaine ».
Ainsi le rite tridentin, dans la législation de Benoit XVI, n’est pas seulement légalisé dans l’Eglise latine. Plus, il devient l’archétype de la liturgie romaine. C’est le sens de l’expression « une aide pour orienter l’actuelle « forme ordinaire » de la Liturgie Romaine » et ainsi la mieux « comprendre ».
Quel chemin parcouru depuis 1976…Nous sommes passés de l’interdiction de la messe de « toujours » à sa reconnaissance légale et universelle ; puis de sa reconnaissance légale et universelle à l’affirmation qu’elle doit être l’archétype de la liturgie romaine. Cette phrase « une aide pour orienter et mieux comprendre l’actuelle « forme ordinaire » de la Liturgie Romaine » veut dire cela ou ne veut rien dire.
Et s’il en est ainsi c’est parce qu’elle est l’expression parfaite de la doctrine catholique sur la messe, sommet de la liturgie de l’Eglise, telle que l’ont exprimée les pères du Concile de Trente principalement dans la session 21ème de septembre 1562, dans ses chapitres doctrinaux et ses canons, face à la Réforme protestante.
Comme on le sait, « les apports théologiques de la messe tridentine constituent une réponse aux graves controverses du protestantisme » (card. Stickler) Mais cette session 21ème ne fut pas seulement une réponse nécessaire à l’époque du protestantisme, mais elle reste également la référence pour l’Eglise de toujours et en particulier pour la réforme liturgique issue de Vatican II. Il ne peut en être autrement. La vérité est immuable. Et si l’on veut déterminer le vrai sens de cette réforme liturgique, il faut toujours chercher à s’éclairer de la lumière du Concile de Trente et de la messe tridentine qui en est le reflet.
Cette messe est le phare. Aussi nous permettra-t-elle de mieux orienter toutes les réformes et de les bien comprendre.
Or on sait tout d’abord que, « dans le contexte de l’hérésie protestante, la messe de Saint Pie V porta l’accent sur la vérité majeure selon laquelle la messe est un sacrifice, ce qui fut établi par les discussions théologiques et les réglementations spécifiques du Concile » (Card. Stickler). On sait également qu’elle insista sur la notion de la présence réelle de NSJC dans l’Eucharistie, fruit du Sacrifice de la messe ainsi que sur le rôle spécifique du prêtre à l’autel comme représentant le Christ, comme « alter Christus ». On sait aussi que la messe tridentine insiste sur la place de l’autel, lieu du sacrifice renouvelé du Christ, insiste également sur son orientation, la messe devant être célébré « ad orientem », symbole du soleil levant que représente le Christ, Celui que nous devons adorer. Et toutes ces vérités ont entraînées, dans le rite tridentin, tout un symbolisme – le symbolisme liturgique – qui les expriment au mieux, comme les signes d’adoration, de génuflexions, comme la place de l’autel. Abandonner ce symbolisme est très grave. Par exemple « La toute nouvelle place de l’autel, dans le rite de Paul VI ainsi que la place du prêtre face à l’assemblée, interdites autrefois, deviennent aujourd’hui le signe d’une messe conçue comme réunion de la communauté ». C’est là une déficience théologique grave que la célébration commune de la messe tridentine permet de comprendre, d’orienter et de corriger. Il en est de même pour la langue liturgique qui est le latin. Ce principe pourtant affirmé par le Concile de Trente et le Concile Vatican II a été totalement détruit par la réforme liturgique de Paul VI et Paul VI lui-même. L’exception du vernaculaire admis par Trente et Vatican II est devenue dans la réforme de Paul VI une exclusivité. Ce qui entraîne de graves conséquences : la perte de l’unité externe au sein de l’Eglise catholique. Nous avons perdu cette possibilité de prier et de chanter ensemble même dans les grands rassemblements ecclésiaux.
Voilà autant de « déficiences théologiques », – Jean Paul II, lui, parlera d’ « ombres »liturgiques -, graves de la messe issue de Vatican II – ma liste ici n’est pas exhaustive – qui pourraient être corrigées, comprises et ainsi ré-orientées, c’est-à-dire réformées par les « bienfaits théologiques de la messe tridentine ». C’est ce que disait déjà le cardinal Stickler dans sa conférence donnée à Fort Lee dans le New Jersey, le 20 mai 1995. La messe tridentine est vraiment l’archétype de la liturgie romaine. Voila, me semble-t-il, le sens de cette phrase du cardinal espagnol : le Motu Proprio est « une aide pour orienter et mieux comprendre l’actuelle « forme ordinaire » de la Liturgie Romaine selon une « herméneutique de la continuité ».
C’est manifestement nouveau. Rendons en grâce à Dieu ! Et aimons toujours plus cette messe célébrée dans ce rite dit « extraordinaire ». Il l’est de fait !
C- la réforme de la réforme. Que faut-il penser de l’autre messe ?
a–Toutefois le MP affirme la continuité doctrinale entre la messe tridentine et le Novus Ordo Missae. C’est l’affirmation de l’article 1 §1 du MP: « Le Missel romain promulgué par Paul VI est l’expression ordinaire de la « lex orandi » de l’Église catholique de rite latin. Le Missel romain promulgué par S. Pie V et réédité par le B. Jean XXIII doit être considéré comme l’expression extraordinaire de la même « lex orandi » de l’Église et être honoré en raison de son usage vénérable et antique. Ces deux expressions de la « lex orandi » de l’Église n’induisent aucune division de la « lex credendi » de l’Église ; ce sont en effet deux mises en oeuvre de l’unique rite romain ».
Le décret d’application, signé par le cardinal William Levada, préfet de la Congrégation, le 13 mai 2011, dira à l’identique: « Les textes du Missel romain du Pape Paul VI et de la dernière édition de celui du Pape Jean XXIII sont deux formes de la liturgie romaine, respectivement appelées ordinaire et extraordinaire : il s’agit de deux mises en œuvre juxtaposées de l’unique rite romain. L’une et l’autre forme expriment la même lex orandi de l’Eglise ». (n°6)
Ainsi on affirme clairement, comme le fait remarquer M l’abbé Celier dans la « lettre à nos frères prêtres » de juin 2011, « l’équivalence théologique, liturgique et spirituelle du Missel de Paul VI avec le Missel traditionnel » (p.2)
Ce principe d’ « équivalence » est exprimé à plusieurs endroits de Summorum Pontificum ainsi que dans la lettre aux évêques. Par exemple : « Il n’est pas convenable de parler de deux versions du Missel Romain comme s’il s’agissait de deux Rites (…) il n’y a aucune contradiction entre l’une et l’autre édition du Missale romanum ».
Il est étonnant de lire cette affirmation sous la plume de Benoît XVI, alors que l’on sait qu’il nous a présenté Mgr Gamber comme un maître en matière liturgique, d’une grande culture historique. Il nous l’a donné en exemple. Or il n’y a peut-être pas un auteur qui ait été aussi sévère sur la nouvelle liturgie que Mgr Gamber. C’est ici, je pense, que des pressions fortes se sont exercées…Il fallait obtenir des compensations à la réconnaissance du droit de la messe ancienne, beaucoup d’épiscopats craignant que certains prennent fait et cause de cette reconnaissance pour critiquer le Concile Vatican II…
Je suis la position de Mgr Gamber. Mgr Simon ne pourra pas ainsi me traiter de « prétentieux »…
Comme je l’ai dit plus haut, Mgr Lefebvre, comme le Père Calmel, comme Mgr de Castro Mayer…, ont toujours présenté « des critiques » théologiques et canoniques de la réforme liturgique de Paul VI. Mgr Lefebvre a toujours affirmé avec le cardinal Ottaviani, Préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, que : « le nouvel Ordo Missae s’éloigne d’une façon impressionnante dans l’ensemble comme dans le détail, de la théologie catholique de la sainte messe, définie à jamais par le Concile de Trente ».
Et le cardinal Alfons Maria Stickler, bibliothécaire de la Sainte Eglise romaine et archiviste des Archives secrètes du Vatican, écrivait le 27 novembre 2004, à l’occasion de la réédition du Bref examen critique des cardinaux Ottaviani et Bacci : « L’analyse du Novus ordo faite par ces deux cardinaux n’a rien perdu de sa valeur ni, malheureusement, de son actualité… Les résultats de la réforme sont jugés dévastateurs par beaucoup aujourd’hui. Ce fut le mérite des cardinaux Ottaviani et Bacci de découvrir très vite que la modification des rites aboutissait à un changement fondamental de la doctrine. »
Il est difficile de considérer, comme l’avait noté dans sa déclaration de janvier 1970 le Père Calmel, la messe de saint Pie V et celle de Paul VI, dans une même « tradition apostolique ininterrompu ».
Cette idée exprimée hier par nos maîtres vient de trouver une nouvelle actualité et de nouveaux défenseurs, lors d’un colloque qui s’est tenu en juillet 2011 à Cork, en Irlande sous la haute présidence du Cardinal Burke, préfet de la Congrégation de la Signature apostolique. Dom Cassian Folsom, prieur du monastère bénédictin de Norcia (Italie) a donné la première communication. Il a précisément cité le Motu Proprio Summorum Pontificum qui affirme que les deux missels exprimeraient « une même foi ». Il s’est interrogé sur cette affirmation. Pour lui, elle est difficilement recevable au regard des faits. Il fit remarquer que le missel de 1970 laisse transparaître des positions contestables de la théologie contemporaine. C’est la position de Mgr Gamber. Il la reprend à son compte. Pour Dom Folsom, ainsi que pour Mgr Gamber, ainsi que pour nous, le Novus Ordo Missae a introduit une rupture radicale avec l’ancien missel. De plus, il est doté d’un esprit fort anti-rubriciste. Ce que reconnaissait du reste, le Cardinal Ratzinger dans sa conférence conclusive à Fontgombault le 24 juillet 2001 disant qu’il fallait mettre fin à toutes les improvisations liturgiques actuelles. Ainsi pour Dom Folsom et pour Mgr Gamber, le rite de Paul IV est non un développement du rite romain, mais bel et bien un nouveau rite. Alors comment comprendre l’affirmation du Pape disant que les deux missels « expriment une même foi » ? Le bénédictin a proposé que ce soit plutôt « un objectif à atteindre » à l’occasion de la mise en œuvre de la Réforme de la Réforme que souhaite le pape et qui devrait permettre de corriger la liturgie issue du Concile Vatican II.
Je ne suis pas loin de partager ce point de vue. Quoi qu’il en soit, il est nécessaire que les divergences profondes entre la messe traditionnelle et le Novus Ordo Missae soient levées.
Et c’est pourquoi reconnaître « l’idonéité » de la nouvelle messe, comme l’affirme l’article I § 1 du Motu Proprio me laisse perplexe
b- Reconnaître sa « valeur » et « sa sainteté » comme le pape l’affirme dans sa lettre d’accompagnement aux évêques, me fait également difficulté.
« Il n’y a aucune contradiction entre l’une et l’autre édition du Missale Romanum, nous dit le pape. L’histoire de la liturgie est faite de croissance et de progrès, jamais de rupture. …Evidemment, pour vivre la pleine communion, les prêtres des communautés qui adhèrent à l’usage ancien ne peuvent pas non plus, par principe, exclure la célébration selon les nouveaux livres. L’exclusion totale du nouveau rite ne serait pas cohérente avec la reconnaissance de sa valeur et de sa sainteté ».
Mais peut-on reconnaître « la valeur et la sainteté » de la nouvelle messe » comme nous le demande Benoît XVI ?
En lisant Mgr Gamber on peut en douter.
Ses critiques sont nombreuses. J’en recueille quelques unes.
« Nos messes sont-elles devenues plus attirantes pour les fidèles depuis le Concile ? La liturgie renouvelée a-t-elle contribué à augmenter le sens de la foi et de la piété ? A peine semble-t-il. Le peu de temps écoulé depuis l’introduction en 1969 du nouveau ordo missae a suffi à révéler que nos églises se vidaient de plus en plus, que le nombre de nos prêtres et de nos religieux diminuait de plus en plus et ce dans des proportions effrayantes. Certes les causes en sont multiples. Néanmoins la réforme liturgique n’a pas été capable de stopper cette évolution négative ; il est probable qu’elle n’a pas peu contribué à l’entretenir »(p 44)
Alors peut-on parler de « valeur » et de « sainteté » de la nouvelle messe ?
Ou encore : « Les rites d’ouvertures dotés, surtout dans la version allemande du missel, de nombreuses « prescriptions de choix possibles » ouvrent une porte toute grande à l’arbitraire du prêtre célébrant. Quel bavardage les fidèles ne doivent-ils pas subir par endroits dès le début de la messe ! Tout comme c’est plus d’une fois le cas aujourd’hui dans les communautés protestantes » (p. 45-46).
Peut-on parler alors de sainteté et de valeur de la nouvelle messe ?
Ou encore : « Les trois nouveaux canons constituent eux, une rupture complète avec la tradition. Ils ont été nouvellement composés d’après des modèles orientaux et gallicans et représentent, au moins de par leur style, un corps étranger dans le rite romain » (p 49)
Mais ou est donc la « valeur » et la « sainteté » de la nouvelle messe ?
Ou encore : « La modification, ordonnée par Paul VI, des paroles de la consécration et de la phrase qui suit, utilisées dans la liturgie romaine depuis plus de 1500 ans, n’avait pas été prévue par le Concile et n’était d’aucune utilité pour la pastorale. La traduction de « pro multis » par « pour tous » qu’on ne trouve dans aucun texte liturgique ancien, est douteuse et a même scandalisé » (p. 50)
Et vous voulez parler de « valeur » et de « sainteté » ?
Ou encore, « Du point de vue du rite, on est frappé de voir qu’on ait pu retirer sans raison les mots mysterium fidéi insérés dans les paroles de la consécration depuis environ VI siècle, pour leur conférer une utilisation nouvelle : ils deviennent un appel du prêtre après la consécration. Une appel de cette sorte : Mysterium fidei ! n’a certainement jamais été en usage à l’acclamation de l’assemblée : « Nous proclamons ta mort… » ne se trouve que dans quelques anaphores égyptiennes. Elle est en revanche étrangère aux autres rites orientaux et à toutes les prières eucharistiques occidentales, et ne cadre pas non plus avec le style du canon romain. En outre elle représente une rupture abrupte dans le discours : alors qu’on s’adresse à Dieu le Père, voici qu’on s’adresse brusquement au Fils » (p 50)
Ou donc est « la valeur » et la sainteté » d’un tel rite ?
Ou encore : « Les réformateurs voulaient visiblement une liturgie nouvelle, se différenciant de l’ancienne tant pas son esprit que par ses formes extérieures, et non plus un culte répondant davantage aux besoins de la pastorale moderne, comme le Concile l’avait souhaité. Liturgie et foi vont de pair. C’est pourquoi on a créé un nouveau rite correspondant largement aux tendances de la nouvelle théologie (moderniste). Comme jusqu’ici la liturgie respirait en tout l’esprit des vérités de foi traditionnelles et celui de l’ancienne piété, elle ne pouvait pas subsister sous la forme qui était la sienne. On supprima donc beaucoup de choses et on introduisit de nouveaux rites, de nouvelles prières et de nouveaux chants, ainsi que des lectures bibliques qu’il n’est pas rare de voir amputées intentionnellement des passages ne convenant pas à la théologie moderne, comme ceux qui rapportent les paroles d’un Dieu juge et qui châtie » (p 84)
Et vous voulez parler de « valeur » et de « sainteté ».
Ou encore : « La liturgie reste une patrie, même quand elle continue à se développer. Et elle n’a cessé de se développer au cours de l’histoire presque bi-millénaire de l’Eglise. Mais ce qui est capital, c’est que jamais il n’y eut cette rupture avec la tradition que nous vivons maintenant d’une manière si effrayante, et cela au moment où, en outre, on remet presque tout en question dans l’Eglise »(p. 92-93)
Ou donc est la sainteté ?
Et l’on comprend que pour Mgr Gamber « il faudrait que le nouveau rite soit amélioré par rapport à celui qui se pratique de nos jours » (p 96)
C’est ce que pourrait faire Benoît XVI, dans une prochaine étape.
En attendant, quant à moi, comme le RP Calmel, « je m’en tiens à la messe traditionnelle, celle qui fut codifiée, mais non fabriquée, par saint Pie V, au XVIe siècle, conformément à une coutume plusieurs fois séculaire. Je refuse donc l’Ordo Missae de Paul VI….C’est le droit de tout prêtre de refuser de porter le masque de cette Révolution liturgique. Et j’estime de mon devoir de prêtre de refuser de célébrer la Messe dans un rite équivoque….Je reconnais sans hésiter l’autorité du Saint Père. J’affirme cependant que tout Pape, dans l’exercice de son autorité, peut commettre des abus d’autorité. Je soutiens que le Pape Paul VI commet un abus d’autorité d’une gravité exceptionnelle lorsqu’il bâtit un rite nouveau de la Messe sur une définition de la Messe qui a cessé d’être catholique. « La Messe, écrit-il dans son Ordo Missae, est le rassemblement du peuple de Dieu, présidé par un prêtre, pour célébrer le mémorial du Seigneur. » Cette définition insidieuse omet de parti ¬pris ce qui fait catholique la Messe catholique, à jamais irréductible à la Cène protestante. Car dans la Messe catholique, il ne s’agit pas de n’importe quel mémorial; le mémorial est de telle nature qu’il contient réellement le Sacrifice de la Croix, parce que le corps et le sang du Christ sont rendus réellement présents par la vertu de la double consécration. Cela apparaît à ne pouvoir s’y méprendre dans le rite codifié par saint Pie V, mais cela reste flottant et équivoque dans le rite fabriqué par Paul VI. De même, dans la Messe catholique, le prêtre n’exerce pas une présidence quelconque ; marqué d’un caractère divin qui le met à part pour l’éternité, il est le ministre du Christ qui fait la Messe par lui ; il s’en faut de tout que le prêtre soit assimilable à quelque pasteur, délégué des fidèles pour la bonne tenue de leur assemblée. Cela, qui est tout à fait évident dans le rite de la Messe ordonné par saint Pie V, est dissimulé sinon escamoté dans le rite nouveau.
La simple honnêteté donc, mais infiniment plus l’honneur sacerdotal, me demandent de ne pas avoir l’impudence de trafiquer la Messe catholique, reçue au jour de l’Ordination. Puisqu’il s’agit d’être loyal, et surtout en une matière d’une gravité divine, il n’y a pas d’autorité au monde, serait-ce une autorité ponti¬ficale, qui puisse m’arrêter. Par ailleurs la première preuve de fidélité et d’amour que le prêtre ait à donner à Dieu et aux hommes c’est de garder intact le dépôt infiniment précieux qui lui fut confié lorsque l’évêque lui imposa les mains. C’est d’abord sur cette preuve de fidélité et d’amour que je serai jugé par le Juge Suprême. J’attends en toute confiance de la Vierge Marie, la Mère du Souverain Prêtre, qu’elle m’obtienne de rester fidèle jusqu’à la mort à la Messe catholique, véritable et sans équivoque ».
M l’abbé Dulac soutenait la même position. En effet il démontrait, en juin 1969, que cette nouvelle messe si elle n’était pas hérétique, si elle était donc « valide » selon les trois conditions requises à la validité d’un sacrement, était toutefois « équivoque », ce qui, disait-il, est bien plus grave que l’hérésie.
Il écrivait en 1975, dans « Le Courrier de Rome » :
« Nous avons été les premiers à dénoncer le défaut radical, inguérissable du Nouvel Ordo Missae. C’était le 25 juin 1969, quelques jours après l’apparition, en France, de l’édition typique. Nous y sommes revenus bien des fois depuis cette date. Nos critiques étaient assez graves pour que nous ayons pu, dès le début, y trouver le motif d’un refus.
« Mais jamais, nous n’avons dit que la nouvelle Messe était hérétique.
« Hélas ! Elle est, pourrait-on dire, pis que cela : elle est équivoque.
Elle est flexible en des sens divers. Flexible à volonté. La volonté individuelle qui devient ainsi la règle et la mesure des choix ».
« L’hérésie formelle et claire agit à la manière d’un coup de poignard. L’équivoque agit à la manière d’un poison lent.
« L’hérésie attaque un article précis du dogme. L’équivoque, en lésant l’ « habitus » lui-même de la foi, blesse ainsi tous les dogmes.
« On ne devient formellement hérétique qu’en le voulant. L’équivoque peut ruiner la foi d’un homme à son insu.
« L’hérésie affirme ce que nie le dogme ou nie ce qu’il affirme. L’équivoque détruit la foi aussi radicalement en s’abstenant d’affirmer et de nier : en faisant de la certitude révélée une opinion libre.
« L’hérésie est ordinairement un jugement contradictoire à l’article de la foi. L’équivoque est dans l’ordre de ce que les logiciens appellent « le disparate ». Elle est à côté de la foi. A côté même de la raison, de la logique.
« Eh bien, nous oserons le dire : il y a pire encore peut-être que l’équivoque. Il y a le substitut de la foi théologale, sa contrefaçon, son ersatz : son succédané sentimental ».
Alors je me pose la question : tout cela peut-il être saint? Est-ce que le mal est le fruit de la sainteté? Et quel mal ce nouveau rite n’a-t-il pas fait aux âmes, aux prêtres, à l’Eglise! Il a divisé l’Eglise. Il a vidé et vide les séminaires et les congrégations religieuses. Mgr Lefebvre disait ne pouvoir ouvrir et faire vivre un séminaire avec le nouveau rite. J’en suis personnellement convaincu. Il ne suffira pas de « sacraliser » le nouveau rite de Paul VI pour sortir de la crise ecclésiale, il faut soit le supprimer soit le réformer. On semble se diriger vers la « réforme ». Mais ce rite est-il seulement « réformable »?
Le cardinal Stickler, dans une conférence, citait en conclusion d’une conférence une revue canadienne Precious Blood Banner où on pouvait lire : « Il apparaît toujours plus clairement que l’extrémisme des réformateurs postconciliaires a consisté, non pas à réformer la liturgie catholique depuis ses racines mais à la déraciner de son sol traditionnel ; selon cet article, ils n’ont pas restauré le rite romain, ce que leur demandait le Concile Vatican II, ils l’ont déraciné » (p. 61).
Cela est-il guérissable ?
Et puis il serait nécessaire pour que nous puissions changer d’avis que le Vatican réponde aux objections du « Bref Examen Critique » dont on connaît les conclusions. Il ne suffit pas de nous enjoindre d’obéir. Faut-il encore nous donner les réponses à nos légitimes questions. Le droit canon lui-même nous encourage à cette défense, à cette mâle résistance.
On se souviendra, aussi, avec bonheur, de ces belles réflexions du Père Calmel : « Si vous mettez la main dans certains engrenages, le corps entier sera broyé. Le Novus Ordo Missae peut se comparer à un engrenage implacable, exactement calculé pour broyer la messe, et, avec la messe, le prêtre. Banni le latin. Repoussé le canon ou règle invariable de la consécration. Encouragées les prières eucharistiques peu consistantes, notamment le canon express. Fini le rite odorant et fixe pour recevoir la communion. En somme la messe démantelée de part en part, dans toutes les prières, dans toutes les attitudes ; aussi bien du côté du prêtre que du côté des fidèles ; la messe abandonnée, dans la pratique, à l’arbitraire de chacun. Et vous voudrez, avec cela, que la consécration, qui certes est conservée, continue d’être faite dans un contexte approprié à son mystère ! Vous voudriez que la messe demeure stable, infailliblement valide ; vous voudriez qu’elle ne devienne pas n’importe quoi ! Autant vouloir l’impossible. Autant dire : pendant l’orage, ne vous abritez d’aucune manière, mais quand même ne soyez pas mouillés ! Il est vrai que les novateurs s’imaginent qu’après Vatican II il fera toujours beau dans la sainte Eglise, que les orages ne viendront plus nous éprouver. Vue intéressante sans doute, dont la seule faiblesse est de manquer de réalisme ». (Publiés dans Le sel de la Terre n° 12 bis p 148)
c- Venant en maintenant à la reconnaissance de la légitimité du NOM.
Cette légitimité est affirmée à l’article 19 du décret du Cardinal Levada en date du 13 mai 2011
Voilà tout d’abord l’article lui-même:
« Les fidèles qui demandent la célébration de la forme extraordinaire ne doivent jamais venir en aide ou appartenir à des groupes qui nient la validité ou la légitimité de la Sainte Messe ou des sacrements célébrés selon la forme ordinaire, ou qui s’opposent au Pontife romain comme Pasteur suprême de l’Église universelle ».
Voilà l’article de Jean Madiran : sous le titre « une autre lecture »
« Le dix-neuvième paragraphe de l’Instruction brandi par La Croix contre les traditionalistes s’oppose à ce que l’on nie « la validité ou la légitimité » de la messe nouvelle. Revenons donc aux bases classiques de sa contestation : la validité et la légitimité du Missel de Paul VI ne sont pas mises en cause dans le Bref examen critique présenté par le cardinal Ottaviani, et pas davantage dans le livre de Louis Salleron « La nouvelle messe » auquel se référait Mgr Lefebvre lors de son interrogatoire par les cardinaux inquisiteurs. Les critiques fondamentales de la nouvelle messe promulguée en 1969 n’ont pas été un procès en illégitimité ni en invalidité.
Parenthèse. On m’objectera peut-être que la FSSPX « s’interroge sérieusement sur la légitimité » du Missel de Paul VI. Mais légitimité ne paraît pas avoir le même sens dans l’Instruction et dans l’interrogation de la FSSPX. Dans l’Instruction, il s’agit d’affirmer que le Pape a le pouvoir légitime de promulguer un Missel. Cette « légitimité » d’origine est distincte du fait : le Missel de Paul VI « s’éloigne d’une manière impressionnante, dans l’ensemble comme dans le détail, de la théologie catholique de la sainte messe, définie à jamais par le concile de Trente » (Ottaviani).
A mon avis, le Missel de Paul VI avait commencé à entrer dans l’illégitimité avec son usage, qui en a été fait aussitôt, comme arme par destination contre la messe traditionnelle, dont l’interdiction fut invalide et gravement coupable. Fin de la parenthèse ».
Je crois que Jean Madiran fait la bonne distinction. Elle est essentielle en cette matière. Tout comme lui, je ne nie pas que le Pape ait, dans la plénitude de son pouvoir, le droit de donner à l’Eglise une nouvelle liturgie. Comme le dit M l’abbé de Tanoüarn, (dans metablog du 13 mai 2011 : Un petit pas de plus) : c’est une question d’ecclésiologie. C’est dans son pouvoir pontifical. Et dans ce sens, ce rite est légitime. Mais cela étant admis, cela ne veut pas dire que le pape ait pour autant le pouvoir de signer une réforme liturgie toute basée sur l’article 7 de la Constitution Missale romanum, plus protestant que catholique, comme l’affirme le Père Calmel. Il y aurait là aussi abus de pouvoir. Il ne faut pas oublier la crise de l’Eglise. Mieux, il convient de mesurer la crise qui touche l’Eglise. Elle est doctrinale et liturgique.
Sur le plan liturgique, deux mondes s’affrontent. Osons le mot : la liturgie tridentine, la liturgie « moderniste. Elles sont incompatibles l’une à l’autre. On ne peut nous demander de l’oublier pour seulement exister. Ce serait se détruire…Sur ce sujet, il me semble que M l’abbé Barthe exprime fort bien cette opposition liturgique dans une synthèse difficilement dé passable, dans son dernier livre : « La messe à l’endroit », à la page 11et 12. Nous assistons dans la liturgie moderne à une « déritualisation », dit-il. Venez assister à une messe chrismale et vous en serez convaincu ! Vous avez également un « pluralisme » rituel…Qu’est devenue dans bien des églises la messe de Paul VI ? Vous avez également « un aplatissement du symbolisme liturgique », l’envahissement d’une « pédagogie de monitions », bien évidemment « le retournement de l’autel, si possible placé au centre de l’assemblée, la mue du célébrant hiérarchique en acteur personnel ». Oui ! Ce sont là quelques caractéristiques de la liturgie moderne. « Tout a contribué, dit-il, à faire (bien gauchement d’ailleurs) du culte divin une sorte de théâtralité accordée à la modernité, et donc, à faire que la dramaturgie liturgique cesse largement d’être … une réprobation de ce monde ». Or la vraie « liturgie chrétienne au sein du monde moderne ne peut qu’être critique de ce monde ». C’est très juste. La liturgie classique est « théandrique » ou elle n’est pas. Le monde moderne, lui, est « anthropocentrique ». Le culte divin est louange et adoration de Dieu. Le monde moderne est replié sur soi-même. Ainsi « s’adapter à ce monde, c’est disparaître. Ce qui est advenu »….Dès lors, « l’aspect de rupture de l’univers rituel catholique par rapport à la modernité individualiste a ainsi largement disparu ». La conciliation – d’autant plus maladroite qu’elle est par la force des choses partielle – avec la « culture » que cette modernité sécrète fait que le culte divin a cessé d’avoir la pleine force d’invitation à tout « restaurer dans le Christ ». C’est ainsi que le profane, d’une manière non totale, certes, mais cependant d’une manière assez massive, est entrée dans le sanctuaire idéologiquement, par la re-fabrication de rites où le subjectif de la célébration du groupe centré sur lui-même s’impose sensiblement par un abandon de l’hiératisme rituel, de la langue sacrée, de la prière « vers le Seigneur », de l’adoration exprimée au moyen d’une gestuelle et d’un silence de prosternation. « On a ainsi concédé à la société moderne une atténuation de ce qu’elle n’est plus en mesure d’entendre : la valeur de la messe comme sacrifice offert pour les péchés, la présence réelle du Christ sous les espèces eucharistiées, la différence/similitude du sacerdoce de l’Homme-Dieu exprimant précisément l’action du Christ-Tête ». (p. 11-12). Ces dernières valeurs, rappelées heureusement ici par l’abbé Barthe, sont essentielles à la doctrine catholique et parfaitement exprimée dans le rite tridentin. Oui ! Sa « gestuelle » et « ses prières » les expriment à la perfection.
Ce sont bien deux mondes « liturgiques » qui s’affrontent. Ils sont incompatibles, inconciliables. Cette critique n’est pas outrancière. Elle est juste. Voilà la réalité, même si elle ne s’exprime pas partout, dans les églises paroissiales dans toute cette acuité. Heureusement.
Les choses en sont là aujourd’hui.
Il faut procéder à l’arrêt de ce qui est devenu une vraie « subversion ». Il faut comme le dit M l’abbé Barthe, « subvertir cette idéologie d’ouverture ».
L’Eglise doit nécessairement restaurer sa tradition liturgique. C’est ce que veut le pape. C’est son désir. Il l’exprime tellement bien dans son livre « L’esprit liturgique ». Tous devraient l’avoir en main!
Nous savons aussi que le pape veut « favoriser la réconciliation au sein de l’Église ». C’est expressément formulé dans le § 8 du décret d’application. Mais il n’y aura pas de réconciliation profonde et donc d’unité des esprits et des cœurs dans le monde sacerdotal -ce qui est hautement souhaitable – sans la réforme liturgique. La réconciliation par la réforme liturgique doit être le maître mot aujourd’hui dans l’Eglise. Cette réconciliation est une œuvre de patience. Elle se prépare dans les séminaires. C’est là que l’esprit de la liturgie se communique, s’explique et se fait aimer. C’est là que le Vatican doit porter ses efforts s’il veut agir efficacement. Il faudrait que les évêques lui portent main forte
Conclusion.
C’est pourquoi nous avons entendu avec beaucoup de bonheur les propos tenus par Mgr Schneider, à Paris, lors de la réunion de la mi-janvier 2012. Ils nous laissent un immense espoir de voir cet esprit liturgie retrouvé et cette liturgie de Paul VI réformée. De cette conférence, M Jean Madiran en a fait le meilleur commentaire. Il dit tout ce qu’il faut dire. C’était dans Présent du 2 mars 2012, sous le titre : « L’Offertoire de Paul VI »
« Le débat avance. Quel débat ? Justement, le débat refusé. Refusé dans l’Eglise depuis quarante-cinq ans ; refusé à tous ceux qui ont opposé doutes, questions, objections aux nouveautés post-conciliaires. Ce débat avance quand même. L’offertoire de la messe de Paul VI est maintenant mis en cause par une voix autorisée. Non pas quelques abus, quelques dérives, quelques excès, mais l’offertoire lui-même, dans le texte officiel de la « forme ordinaire du rite romain ».
Ce fut à Paris, le 15 janvier de cette année (2012). L’intervenant nous vient d’Asie centrale, il est secrétaire général de la Conférence épiscopale du Kazakhstan. Heureux Kazakhstan ! Il est aussi consulteur à Rome de plusieurs dicastères, notamment de la Congrégation pour la doctrine et de la Congrégation pour le culte. Il se nomme Athanasius Schneider. Il appartient à la nouvelle génération épiscopale : il n’avait que huit ans quand Paul VI décréta sa nouvelle messe. Paix liturgique a publié la semaine dernière le texte intégral de son intervention parisienne du 15 janvier (Paix liturgique, 1 allée du Bois Gougenot, 78290 Croissy-sur-Seine.)
Parmi ce qu’il appelle les cinq plaies de la « pratique liturgique dominante actuelle », Mgr Schneider pointe « les nouvelles prières de l’offertoire » :
« Elles sont une création entièrement nouvelle, elles n’ont jamais été en usage dans l’Eglise. Elles expriment moins l’évocation du mystère du sacrifice de la Croix que celle d’un banquet rappelant les prières du repas sabbatique juif. »
Alors que, ajoute-t-il, « dans la tradition plus que millénaire de l’Eglise d’Occident et d’Orient, les prières de l’offertoire ont toujours été axées expressément sur le mystère du sacrifice de la Croix ».
Ces nouvelles prières de l’offertoire, « il serait souhaitable, propose Mgr Schneider, que le Saint-Siège les remplace par les prières correspondantes de la forme extraordinaire ».
Les quatre autres « plaies du corps mystique liturgique du Christ » qu’énumère Mgr Schneider ne sont pas forcément, ne sont pas explicitement imposées par le texte lui-même de la messe promulguée par Paul VI en 1969, aujourd’hui appelée « forme ordinaire du rite romain ». Ce sont :
— la plus visible : le visage du prêtre tourné vers les fidèles ;
— la communion dans la main ;
— la disparition totale du latin et du grégorien ;
— l’emploi de femmes pour le service de la lecture et celui d’acolyte.
A la différence du nouvel offertoire, ces quatre plaies-là ne figurent ni dans la messe promulguée par Paul VI, ni dans la constitution conciliaire sur la liturgie. La critique sévère qu’en fait Mgr Schneider, le refus fortement motivé qu’il leur oppose, ne mettent donc en cause ni la constitution conciliaire, ni le texte même de la forme ordinaire du rite romain.
Il n’en va pas de même pour un offertoire qui, relisons, « exprime moins l’évocation du mystère du sacrifice de la Croix que celle d’un banquet rappelant les prières du repas sabbatique juif ».
Un tel offertoire, avec la gravité de cette énorme déficience, est au cœur de la messe que Paul VI a signée de sa main. Mgr Schneider ne voit aucune possibilité de le réformer, de l’améliorer, il n’envisage que sa suppression pure et simple, et son remplacement radical par l’offertoire traditionnel.
A mesure que le débat continuera d’avancer de cette manière, il deviendra de plus en plus difficile de recommander que l’on regarde et traite avec le même respect les « deux formes » du rite romain ».
Voilà ! Tout est dit et bien dit.
Voilà l’état des lieux de la vie liturgique dans l’Eglise au 30 Mai 2012. Il me semble fidèle à la réalité.
Il constate le travail fait : il est admirable. C’est le droit de la messe tridentine aujourd’hui reconnu par Benoît XVI. C’est la reconnaissance du bien de cette messe tridentine comme étant l’archétype de toute réforme liturgique. Qui l’aurait affirmé hier ?
Il contemple le travail à faire. La réforme de la réforme de Paul VI. La tache est immense et difficile. Elle demande la collaboration de tous, in sinu Ecclesiae. Mais les réflexions de Mgr Schneider laissent l’immense espoir d’y arriver. . Rien n’est statique dans l’Eglise. L’Esprit Saint souffle où Il veut, quand Il veut. Notre attachement à l’Eglise est total ainsi qu’à la messe tridentine. Et cette fidélité est le meilleur des services que nous pouvons rendre au Souverain Pontife. C’est ce que disait Mgr Lefebvre dans sa déclaration du 21 novembre 1974 qui sera toujours ma charte.
Abbé Paul Aulagnier.
Annexe 1: « La nouvelle évangélisation et la sainte liturgie »
Vous lirez ci-dessous la magnifique conférence que Mgr Athanasius Schneider a donnée lors de la 4e Rencontre pour l’Unité Catholiques qui s’est tenue à Paris le 15 janvier 2012. Il est l’évêque auxiliaire de l’archidiocèse de Sainte Marie d’Astana, au Kazakhstan, secrétaire de la Conférence des évêques catholiques du Kazakhstan
La nouvelle évangélisation et la sainte liturgie
par Monseigneur Schneider – 15 janvier 2012-
Pour parler correctement de la nouvelle évangélisation il est indispensable de porter tout d’abord notre regard sur Celui qui est le véritable évangélisateur, à savoir Notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ, le Verbe de Dieu fait Homme. Le fils de Dieu est venu sur cette terre pour expier et racheter le plus grand péché, le péché par excellence. Et ce péché par excellence de l’humanité consiste dans le refus d’adorer Dieu, dans le refus de Lui réserver la première place, la place d’honneur. Ce péché des hommes consiste dans le fait qu’on ne porte pas attention à Dieu, dans le fait qu’on n’a plus le sens des choses, voire des détails qui relèvent de Dieu et de l’adoration qui Lui est due, dans le fait qu’on ne veut pas voir Dieu, dans le fait qu’on ne veut pas s’agenouiller devant Dieu.
Face à une telle attitude, l’incarnation de Dieu est gênante, gênante également et par contrecoup la présence réelle de Dieu dans le mystère eucharistique, gênante la centralité de la présence eucharistique de Dieu dans les églises. L’homme pécheur veut en effet se mettre au centre, tant à l’intérieur de l’église que lors de la célébration eucharistique, il veut être vu, il veut être remarqué.
C’est la raison pour laquelle Jésus eucharistie, Dieu incarné, présent dans le tabernacle sous la forme eucharistique, on préfère Le placer sur le côté. Même la représentation du Crucifié sur la croix au milieu de l’autel lors de la célébration face au peuple est gênante, parce que le visage du prêtre s’en trouverait occulté. Donc l’image du Crucifié au centre aussi bien que Jésus eucharistie dans le tabernacle également au centre de l’autel, sont gênants. En conséquence la croix et le tabernacle sont déplacés sur le côté. Pendant l’office, les assistants doivent pouvoir observer en permanence le visage du prêtre, et celui-ci prend plaisir à se mettre littéralement au centre de la maison de Dieu. Et si par hasard Jésus eucharistie est quand même laissé dans son tabernacle au centre de l’autel, parce que le ministère des monuments historiques, même sous un régime athée, a interdit pour des raisons de conservation du patrimoine artistique de le déplacer, le prêtre, souvent tout au long de la célébration liturgique, lui tourne sans scrupules le dos.
Combien de fois de braves fidèles adorateurs du Christ, dans leur simplicité et leur humilité, se seront écriés : « Bénis soyez-vous, les Monuments historiques ! Vous nous avez au moins laissé Jésus au centre de notre église. »
Ce n’est qu’à partir de l’adoration et de la glorification de Dieu que l’Église peut annoncer de manière adéquate la parole de vérité, c’est-à-dire évangéliser. Avant que le monde entende Jésus, le Verbe éternel devenu chair, prêcher et annoncer le royaume, Jésus s’est tu et a adoré durant trente années. Cela reste pour toujours la loi pour la vie et l’action de l’Eglise ainsi que de tous les évangélisateurs. « C’est dans la manière de traiter la liturgie que se décide le sort dela Foiet de l’Eglise », a dit le cardinal Ratzinger, notre actuel Saint Père le Pape Benoit XVI. Le Concile Vatican II se voulait de rappeler à l’Eglise quelle réalité et quelle action devaient prendre la première place dans sa vie. C’est bien pour cela que le premier document conciliaire était consacré à la liturgie. En cela le concile nous donne les principes suivants : Dans l’Eglise, et de ce fait dans la liturgie, l’humain doit s’orienter sur le divin et lui être subordonné, de même le visible par rapport à l’invisible, l’action par rapport à la contemplation, et le présent par rapport à la cité future, à laquelle nous aspirons (cf. Sacrosanctum Concilium, 2). Notre liturgie terrestre participe, d’après l’enseignement de Vatican II, à un avant-goût de la liturgie céleste de la ville sainte de Jérusalem (cf. idem, 2)
De ce fait, tout dans la liturgie dela Sainte Messedoit servir à ce que s’exprime de façon plus nette la réalité du sacrifice du Christ, c’est-à-dire les prières d’adoration, de remerciement, d’expiation, de demande, que l’éternel Grand-Prêtre a présentées à Son Père.
Le rite et tous les détails du Saint Sacrifice de la messe doivent s’axer sur la glorification et l’adoration de Dieu, en insistant sur la centralité de la présence du Christ, que ce soit dans le signe et dans la représentation du Crucifié, ou bien dans Sa présence eucharistique dans le tabernacle, et surtout au moment de la consécration et de la sainte communion. Plus cela est respecté, moins l’homme se tient au centre de la célébration, moins la célébration ressemble à un cercle fermé, mais est ouverte même d’une façon extérieure sur le Christ, comme dans une procession se dirigeant vers Lui avec le prêtre à sa tête, plus une telle célébration liturgique reflètera de manière véritable le sacrifice d’adoration du Christ en croix, plus riches seront les fruits que les participants recevront dans leur âme venant de la glorification de Dieu, plus Dieu les honorera.
Plus le prêtre et les fidèles chercheront en vérité lors des célébrations eucharistiques la gloire de Dieu et non la gloire des hommes, et ne chercheront pas à recevoir la gloire les uns des autres, plus Dieu les honorera en laissant participer leur âme de manière plus intense et plus fertile àla Gloireet à l’Honneur de Sa vie divine.
A l’heure actuelle et en divers lieux de la terre, nombreuses sont les célébrations dela Sainte Messeoù l’on pourrait dire à leur propos les paroles suivantes, en inversant les paroles du psaume 113, verset 9 : « À nous, ô Seigneur, et à notre nom donne la gloire » et en outre à propos de telles célébrations s’appliquent les paroles de Jésus : « Comment pouvez-vous croire, vous qui recevez votre gloire les uns des autres, et ne cherchez pas la gloire qui revient à Dieu seul ? » (Jean 5, 44).
Le Concile Vatican II a émis, concernant une réforme liturgique, les principes suivants :
1. L’humain, le temporel, l’activité doivent, durant la célébration liturgique, s’orienter sur le divin, l’éternel, la contemplation, et avoir un rôle subordonné par rapport à ces derniers (cf. Sacrosanctum Concilium, 2).
2. Durant la célébration liturgique, on devra encourager la prise de conscience que la liturgie terrestre participe de la liturgie céleste (cf Sacrosanctum Concilium, 8).
3. Il ne doit y avoir absolument aucune innovation, donc aucune création nouvelle de rites liturgiques, surtout dans le rite de la messe, sauf si c’est pour un profit véritable et certain en faveur de l’Eglise, et à condition que l’on procède avec prudence et qu’éventuellement des formes nouvelles remplacent les formes existantes de manière organique (cf. Sacrosanctum Concilium, 23).
4. Les rites de la messe doivent être de telle sorte que le sacré soit exprimé plus explicitement (cf. Sacrosanctum Concilium, 21).
5. Le latin doit être conservé dans la liturgie et surtout dans la Sainte Messe (cf. Sacrosanctum Concilium, 36 et 54).
6. Le chant grégorien a la première place dans la liturgie (cf. Sacrosanctum Concilium, 116).
Les pères conciliaires voyaient leurs propositions de réforme comme la continuation de la réforme de saint Pie X (cf. Sacrosanctum Concilium, 112 et 117) et du serviteur de Dieu, Pie XII, et en effet, dans la constitution liturgique, c’est l’encyclique Mediator Dei du pape Pie XII qu’ils ont le plus citée.
Le pape Pie XII a laissé à l’Eglise, entre autres, un principe important de la doctrine surla Sainteliturgie, à savoir la condamnation de ce qu’on appelle l’archéologisme liturgique, dont les propositions coïncidaient largement avec celles du synode janséniste et protestantisant de Pistoia de 1786 (cf. « Mediator Dei », n° 63-64) et qui en fait rappellent les pensées théologiques de Martin Luther.
C’est pourquoi déjà le Concile de Trente a condamné les idées liturgiques protestantes, notamment l’accentuation exagérée de la notion de banquet dans la célébration eucharistique au détriment du caractère sacrificiel, la suppression de signes univoques de la sacralité en tant qu’expression du mystère de la liturgie (cf. Concile de Trente, sessio XXII ).
Les déclarations liturgiques doctrinales du magistère, comme dans ce cas du Concile de Trente et de l’encyclique Mediator Dei, qui se reflètent dans une praxis liturgique séculaire, voire de plus d’un millénaire, constante et universelle, ces déclarations, donc, font partie de cet élément de la sainte tradition que l’on ne peut abandonner sans courir de grands dommages au plan spirituel. Ces déclarations doctrinales sur la liturgie, Vatican II les a reprises, comme on peut le constater en lisant les principes généraux du culte divin dans la constitution liturgique Sacrosanctum Concilium.
Comme erreur concrète dans la pensée et l’agir de l’archéologisme liturgique, le pape Pie XII cite la proposition faite de donner à l’autel la forme d’une table (cf. Mediator Dei n° 62). Si déjà le pape Pie XII refusait l’autel en forme de table, on imagine comment il aurait a fortiori refusé la proposition d’une célébration comme autour d’une table « versus populum » !
Si Sacrosanctum Concilium enseigne au n° 2 que, dans la liturgie, la contemplation doit avoir la priorité et que toute la célébration de la messe doit être orientée vers les mystères célestes (cf. idem n° 2 et n° 8), on y trouve un écho fidèle de la déclaration suivante du Concile de Trente qui disait : « Etant donné que la nature de l’homme est ainsi faite qu’elle ne se laisse pas élever facilement à la contemplation des choses divines sans aides extérieures,la Mère Eglise, dans sa bienveillance, a introduit des rites précis ; elle a eu recours, s’appuyant sur l’enseignement apostolique et sur la tradition, à des cérémonies tels que bénédictions empreintes de mystère, cierges, encens, vêtements liturgiques et bien d’autres choses ; tout cela devrait inciter les esprits des fidèles, grâce à des signes visibles de la religion et de la piété, à la contemplation des choses sublimes » (sessio XXII, cap. 5).
Les enseignements cités du magistère de l’Eglise et surtout celui de Mediator Dei ont sans aucun doute été reconnus par les pères conciliaires comme pleinement valides ; en conséquence ils doivent continuer aujourd’hui encore à être pleinement valides pour tous les enfants de l’Eglise.
Dans sa lettre adressée à tous les évêques de l’Eglise catholique que Benoit XVI a jointe au Motu proprio Summorum Pontificum du 7 juillet 2007, le pape fait cette déclaration importante : «Dans l’histoire de la liturgie, il y a croissance et progrès, mais non rupture. Ce qui a été sacré pour les générations passées, doit rester sacré et grand pour nous». En disant cela, le pape exprime le principe fondamental de la liturgie que le Concile de Trente, le pape Pie XII et le Concile Vatican II ont enseigné.
Si on regarde, sans idées préconçues et de façon objective, la pratique liturgique de l’écrasante majorité des églises dans tout le monde catholique où la forme ordinaire du rite romain est en usage, personne ne peut nier en toute honnêteté que les six principes liturgiques mentionnés du Concile Vatican II ne sont pas ou alors très peu respectés, bien qu’on déclare erronément que cette pratique de la liturgie a été souhaitée par Vatican II. Il y a un certain nombre d’aspects concrets dans la pratique liturgique dominante actuelle, dans le rite ordinaire, qui représentent une rupture véritable avec une pratique liturgique constante depuis plus d’un millénaire. Il s’agit des cinq usages liturgiques suivants que l’on peut désigner comme étant les cinq plaies du corps mystique liturgique du Christ. Il s’agit de plaies, car elles représentent une violente rupture avec le passé, car elles mettent moins l’accent sur le caractère sacrificiel qui est pourtant bel et bien le caractère central et essentiel de la messe, elles mettent en avant le banquet ; tout cela diminue les signes extérieurs de l’adoration divine, car elles mettent moins en relief le caractère du mystère dans ce qu’il a de céleste et d’éternel.
Concernant ces cinq plaies, il s’agit de celles qui – à l’exception de l’une d’entre elles (les nouvelles prières de l’offertoire) – ne sont pas prévues dans la forme ordinaire du rite de la messe, mais ont été introduites par la pratique d’une mode déplorable.
La première plaie, et la plus évidente, est la célébration du sacrifice de la messe où le prêtre célèbre le visage tourné vers les fidèles, notamment lors de la prière eucharistique et de la consécration, le moment le plus haut et le plus sacré de l’adoration due à Dieu. Cette forme extérieure correspond plus par nature à la façon dont on fait cours ou dont on partage un repas. On est en présence d’un cercle fermé. Et cette forme n’est absolument pas conforme au moment de la prière et encore moins à celui de l’adoration. Or cette forme, le concile Vatican II ne l’a pas souhaitée le moins du monde et elle n’a jamais été recommandée par le magistère des papes postconciliaires. Le pape Benoit XVI écrit dans sa préface au premier tome de ses oeuvres complètes : « L’idée que le prêtre et l’assemblée doivent se regarder lors de la prière est née chez les modernes et elle totalement étrangère à la chrétienté traditionnelle. Le prêtre et l’assemblée ne s’adressent pas mutuellement une prière, c’est au Seigneur qu’ils s’adressent. C’est pourquoi dans la prière ils regardent dans la même direction : soit vers l’est comme étant le symbole cosmique du retour du Seigneur, ou alors là où cela n’est pas possible, vers une image du Christ située dans l’abside, vers une croix ou tout simplement ensemble vers le haut ».
La forme de célébration où tous portent leur regard dans la même direction (conversi ad orientem, ad Crucem, ad Dominum) est même évoquée par les rubriques du nouveau rite de la messe (cf. Ordo Missae, n. 25, n. 133 et n. 134). La célébration qu’on appelle « versus populum » ne correspond certainement pas à l’idée dela Sainte Liturgietelle qu’elle est mentionnée dans les déclarations de Sacrosanctum Concilium n°2 et n° 8.
La deuxième plaie est la communion dans la main répandue pratiquement partout dans le monde. Non seulement cette façon de recevoir la communion n’a été évoquée en aucune manière par les Pères conciliaires de Vatican II, mais bel et bien introduite par un certain nombre d’évêques en désobéissance au Saint Siège et dans le mépris du vote négatif en 1968 de la majorité du corps épiscopal. Ce n’est qu’après que le pape Paul VI l’a légitimée sous conditions particulières et à contrecoeur.
Le pape Benoit XVI, depuis la fête du Saint Sacrement 2008, ne distribue plus la communion qu’à des fidèles à genoux et sur la langue, et cela non seulement à Rome, mais aussi dans toutes les églises locales auxquelles il rend visite. Par là, il donne à l’Église toute entière un exemple clair du magistère pratique en matière liturgique. Si la majorité qualifiée du corps épiscopal, trois ans après le concile, a refusé la communion dans la main comme quelque chose de nuisible, combien plus les Pères conciliaires l’auraient également fait !
La troisième plaie, ce sont les nouvelles prières de l’offertoire. Elles sont une création entièrement nouvelle et n’ont jamais été en usage dans l’Eglise. Elles expriment moins l’évocation du mystère du sacrifice de la croix que celle d’un banquet, rappelant les prières du repas sabbatique juif. Dans la tradition plus que millénaire de l’Eglise d’Occident et d’Orient, les prières de l’offertoire ont toujours été axées expressément sur le mystère du sacrifice de la croix (cf. p. ex. Paul Tirot, Histoire des prières d’offertoire dans la liturgie romaine du VIIème au XVIème siècle, Rome 1985). Une telle création absolument nouvelle est sans nul doute en contradiction avec la formulation claire de Vatican II qui rappelle : « Innovationes ne fiant … novae formae ex formis iam exstantibus organice crescant » (Sacrosanctum Concilium, 23).
La quatrième plaie est la disparition totale du latin dans l’immense majorité des célébrations eucharistiques de la forme ordinaire dans la totalité des pays catholiques. C’est là une infraction directe contre les décisions de Vatican II.
La cinquième plaie est l’exercice des services liturgiques de lecteur et d’acolyte par des femmes, ainsi que l’exercice de ces mêmes services en habit civil en pénétrant dans le choeur pendantla Sainte Messe directement depuis l’espace réservé aux fidèles. Cette coutume n’a jamais existé dans l’Eglise, ou tout au moins n’a jamais été bienvenue. Elle confère à la célébration de la messe catholique le caractère extérieur de quelque chose d’informel, le caractère et le style d’une assemblée plutôt profane. Le deuxième concile de Nicée interdisait déjà, en 787, de telles pratiques en édictant ce canon : « Si quelqu’un n’est pas ordonné, il ne lui est pas permis de faire la lecture depuis l’ambon pendant la sainte liturgie » (can. 14). Cette norme a été constamment respectée dans l’Eglise. Seuls les sous-diacres ou les lecteurs avaient le droit de faire la lecture pendant la liturgie dela Messe. En remplacement des lecteurs et acolytes manquants, ce sont des hommes ou des garçons en habits liturgiques qui peuvent le faire, et non des femmes, étant donné que le sexe masculin, sur le plan de l’ordination non sacramentelle des lecteurs et acolytes, représente symboliquement le dernier lien avec les ordres mineurs.
Dans les textes de Vatican II, il n’est fait nullement mention de la suppression des ordres mineurs et du sous-diaconat, ni de l’introduction de nouveaux ministères. Dans Sacrosanctum Concilium n° 28, le concile fait la différence entre « minister » et « fidelis » pendant la célébration liturgique, et il stipule que l’un et l’autre ont le droit de ne faire que ce qui leur revient de par la nature de la liturgie. Le n° 29 mentionne les « ministrantes », c’est-à-dire les servants d’autel qui n’ont reçu aucune ordination. En opposition à ceux-là, il y aurait, selon les termes juridiques de l’époque, les « ministri », c’est-à-dire ceux qui ont reçu un ordre qu’il soit majeur ou mineur.
Par le Motu proprio Summorum Pontificum, le pape Benoit XVI stipule que les deux formes du rite romain sont à regarder et à traiter avec le même respect, parce que l’Eglise reste la même avant et après le concile. Dans la lettre d’accompagnement du Motu proprio, le pape souhaite que les deux formes s’enrichissent mutuellement. En outre, il souhaite que dans la nouvelle forme «apparaisse, plus que cela n’a été le cas jusqu’à présent, le sens du sacré qui attire de nombreuses personnes vers l’ancien rite».
Les quatre plaies liturgiques ou usages malheureux (célébration versus populum, communion dans la main, abandon total du latin et du chant grégorien et intervention des femmes pour le service de la lecture et celui d’acolyte) n’ont en soi rien à faire avec la forme ordinaire de la messe et sont en plus en contradiction avec les principes liturgiques de Vatican II. Si on mettait un terme à ces usages, on reviendrait au véritable enseignement liturgique de Vatican II. Et à ce moment-là, les deux formes du rite romain se rapprocheraient énormément, de sorte que tout au moins extérieurement, on n’aurait pas à constater de rupture entre elles, et de ce fait, pas de rupture non plus entre l’Eglise d’avant le concile et celle d’après.
En ce qui concerne les nouvelles prières de l’offertoire, il serait souhaitable que le Saint Siège les remplace par les prières correspondantes de la forme extraordinaire ou tout au moins qu’il permette leur utilisation ad libitum. Ainsi ce n’est pas seulement extérieurement, mais intérieurement que la rupture entre les deux formes serait évitée. La rupture dans la liturgie, c’est bien d’elle que la majorité des Pères conciliaires n’a pas voulu ; en témoignent les actes du concile, parce que dans les deux mille ans d’histoire de la liturgie dansla Sainte Église, il n’y a jamais eu de rupture liturgique, et que par conséquent, il ne doit jamais en avoir. Par contre, il doit y avoir une continuité comme il convient que ce soit pour le magistère.
Les cinq plaies au corps liturgique de l’Eglise évoquées ici réclament guérison. Elles représentent une rupture comparable à celle de l’exil d’Avignon. La situation d’une rupture aussi nette dans une expression de la vie de l’Eglise qui est loin d’être sans importance – autrefois l’absence des papes de la ville de Rome, aujourd’hui la rupture visible entre la liturgie d’avant et d’après le concile – cette situation donc réclame guérison.
C’est pourquoi on a besoin aujourd’hui de nouveaux saints, d’une ou de plusieurs sainte Catherine de Sienne. On a besoin de la « vox populi fidelis » réclamant la suppression de cette rupture liturgique. Mais le tragique de l’histoire, c’est qu’aujourd’hui comme autrefois au temps de l’exil d’Avignon, une grande majorité du clergé, surtout du haut clergé, se satisfait de cet exil, de cette rupture.
Avant qu’on puisse s’attendre à des fruits efficaces et durables de la nouvelle évangélisation, il faut tout d’abord que s’instaure à l’intérieur de l’Eglise un processus de conversion. Comment peut-on appeler les autres à se convertir tant que, parmi les appelants, aucune conversion convaincante vers Dieu n’ait encore eu lieu, parce que, dans la liturgie, ils ne sont pas suffisamment tournés vers Dieu, tant intérieurement qu’extérieurement. On célèbre le sacrifice de la messe, le sacrifice d’adoration du Christ, le plus grand mystère de la foi, l’acte d’adoration le plus sublime dans un cercle fermé en se regardant les uns les autres.
Il manque la « conversio ad Dominum » nécessaire, même extérieurement, physiquement. Puisque pendant la liturgie, on traite le Christ comme s’il n’était pas Dieu et qu’on ne Lui manifeste pas de signes extérieurs clairs d’une adoration due à Dieu seul, dans le fait que les fidèles reçoiventla Saintecommunion debout et qu’en plus, ils la prennent dans leurs mains comme une nourriture ordinaire, en l’attrapant avec les doigts et en se la mettant eux-mêmes dans la bouche. Il y a ici le danger d’une sorte d’arianisme ou d’un semi-arianisme eucharistique.
Une des conditions nécessaires d’une fructueuse nouvelle évangélisation serait le témoignage suivant de toute l’Eglise sur le plan du culte liturgique publique, observant au moins ces deux aspects du Culte divin, à savoir :
1) Que sur toute la terre, la Sainte Messe soit célébrée, même dans la forme ordinaire, dans la « conversio ad Dominum », intérieurement et nécessairement aussi extérieurement.
2) Que les fidèles plient le genou devant le Christ au moment de la Sainte communion, comme saint Paul le demande, évoquant le nom et la personne du Christ (cf. Phil. 2, 10), et qu’ils Le reçoivent avec le plus grand amour et le plus grand respect possible, comme il Lui revient en tant que Dieu véritable.
Dieu soit loué, le pape Benoit XVI a entamé, par deux mesures concrètes, le processus de retour d’exil avignonnais liturgique, à savoir par le Motu proprio Summorum Pontificum et par la réintroduction du rite de communion traditionnel.
Il est encore besoin de beaucoup de prières et peut-être d’une nouvelle sainte Catherine de Sienne afin que suivent les autres pas, de façon à guérir les cinq plaies sur le corps liturgique et mystique de l’Église et que Dieu soit vénéré dans la liturgie avec cet amour, ce respect, ce sens du sublime, qui ont toujours été le fait de l’Église et de son enseignement, notamment à travers le concile de Trente, le pape Pie XII dans son encyclique Mediator Dei, le concile Vatican II dans sa constitution Sacrosanctum Concilium et le pape Benoit XVI dans sa théologie de la liturgie, dans son magistère liturgique pratique et dans le Motu proprio précité.
Personne ne peut évangéliser s’il n’a d’abord adoré, voire même s’il n’adore pas en permanence et ne donne pas à Dieu, le Christ Eucharistie, la vraie priorité dans la façon de célébrer et dans toute sa vie. En effet, pour reprendre les mots du cardinal Joseph Ratzinger : « C’est dans la manière de traiter la liturgie que se décide le sort dela Foiet de l’Eglise ».
Monseigneur Athanasius Schneider,
Réunicatho, le 15 janvier 2012
Merci Mgr pour ce très beau texte et de la force de votre foi.. Il nous permet de dire que, dans l’agitation de la mer, Dieu n’abandonne pas son Eglise.
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Annexe 2: Les commentaires de Jean Madiran dans Présent:
L’Offertoire de Paul VI
Le débat avance. Quel débat ? Justement, le débat refusé. Refusé dans l’Eglise depuis quarante-cinq ans ; refusé à tous ceux qui ont opposé doutes, questions, objections aux nouveautés post-conciliaires. Ce débat avance quand même. L’offertoire de la messe de Paul VI est maintenant mis en cause par une voix autorisée. Non pas quelques abus, quelques dérives, quelques excès, mais l’offertoire lui-même, dans le texte officiel de la « forme ordinaire du rite romain ».
Ce fut à Paris, le 15 janvier de cette année. L’intervenant nous vient d’Asie centrale, il est secrétaire général de la Conférenceépiscopale du Kazakhstan. Heureux Kazakhstan ! Il est aussi consulteur à Rome de plusieurs dicastères, notamment de la Congrégationpour la doctrine et de la Congrégationpour le culte. Il se nomme Athanasius Schneider. Il appartient à la nouvelle génération épiscopale : il n’avait que huit ans quand Paul VI décréta sa nouvelle messe. Paix liturgique a publié la semaine dernière le texte intégral de son intervention parisienne du 15 janvier (Paix liturgique, 1 allée du Bois Gougenot, 78290 Croissy-sur-Seine.)
Parmi ce qu’il appelle les cinq plaies de la « pratique liturgique dominante actuelle », Mgr Schneider pointe « les nouvelles prières de l’offertoire » :
« Elles sont une création entièrement nouvelle, elles n’ont jamais été en usage dans l’Eglise. Elles expriment moins l’évocation du mystère du sacrifice de la Croix que celle d’un banquet rappelant les prières du repas sabbatique juif. »
Alors que, ajoute-t-il, « dans la tradition plus que millénaire de l’Eglise d’Occident et d’Orient, les prières de l’offertoire ont toujours été axées expressément sur le mystère du sacrifice de la Croix ».
Ces nouvelles prières de l’offertoire, « il serait souhaitable, propose Mgr Schneider, que le Saint-Siège les remplace par les prières correspondantes de la forme extraordinaire ».
Les quatre autres « plaies du corps mystique liturgique du Christ » qu’énumère Mgr Schneider ne sont pas forcément, ne sont pas explicitement imposées par le texte lui-même de la messe promulguée par Paul VI en 1969, aujourd’hui appelée « forme ordinaire du rite romain ». Ce sont :
— la plus visible : le visage du prêtre tourné vers les fidèles ;
— la communion dans la main ;
— la disparition totale du latin et du grégorien ;
— l’emploi de femmes pour le service de la lecture et celui d’acolyte.
A la différence du nouvel offertoire, ces quatre plaies-là ne figurent ni dans la messe promulguée par Paul VI, ni dans la constitution conciliaire sur la liturgie. La critique sévère qu’en fait Mgr Schneider, le refus fortement motivé qu’il leur oppose, ne mettent donc en cause ni la constitution conciliaire, ni le texte même de la forme ordinaire du rite romain.
Il n’en va pas de même pour un offertoire qui, relisons, « exprime moins l’évocation du mystère du sacrifice dela Croixque celle d’un banquet rappelant les prières du repas sabbatique juif ».
Un tel offertoire, avec la gravité de cette énorme déficience, est au cœur de la messe que Paul VI a signée de sa main. Mgr Schneider ne voit aucune possibilité de le réformer, de l’améliorer, il n’envisage que sa suppression pure et simple, et son remplacement radical par l’offertoire traditionnel.
A mesure que le débat continuera d’avancer de cette manière, il deviendra de plus en plus difficile de recommander que l’on regarde et traite avec le même respect les « deux formes » du rite romain.
JEAN MADIRAN
Article extrait du n° 7552
du Vendredi 2 mars 2012
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Depuis la fête, en 2008, du Saint-Sacrement
Dans son exposé critique des « cinq plaies » de la « forme ordinaire » (du rite romain) telle qu’elle est célébrée aujourd’hui « dans l’écrasante majorité des églises », Mgr Schneider n’a pas omis, le 15 janvier, de s’exprimer sur la communion dans la main, « répandue partout dans le monde » :
« Non seulement cette façon de recevoir la communion n’a été évoquée en aucune manière par les Pères conciliaires de Vatican II, mais bel et bien introduite par un certain nombre d’évêques en désobéissance au Saint-Siège et dans le mépris du vote négatif en 1968 de la majorité du corps épiscopal. Ce n’est qu’après, que le pape Paul VI l’a légitimée sous conditions particulières et à contre-cœur. »
Mgr Schneider recommande alors de suivre l’exemple de Benoît XVI :
« Le pape Benoît XVI, depuis la fête du Saint-Sacrement 2008, ne distribue plus la communion qu’à des fidèles à genoux et sur la langue, et cela non seulement à Rome, mais aussi dans toutes les Eglises locales auxquelles il rend visite. Par là, il donne à l’Eglise tout entière un exemple clair du magistère pratique en matière liturgique. »
On aura remarqué les premiers mots de cette dernière citation : « depuis la fête du Saint-Sacrement 2008 », le Pape « ne distribue plus » la communion dans la main. Il l’a fait jusqu’à cette date mémorable et précise : en 2008, la fête du Saint-Sacrement. C’est-à-dire le 22 mai 2008, énoncé sous sa forme liturgique la plus solennelle. Ce jour-là il s’est passé quelque chose, et ce n’était pas une hésitation ni une alternance ; ce n’était pas un changement occasionnel et provisoire ; c’était une décision sans retour.
En 2005, Benoît XVI avait reçu la charge d’une Eglise où, au premier rang des anomalies et inconvenances les plus visibles, il y avait cette communion dans la main qui s’était partout imposée. Il avait commencé par reprendre son souffle. Il a médité durant trois années les possibilités pratiques, extrêmement limitées, d’intervenir efficacement à contre-courant. Il a finalement pris la décision, silencieuse et ferme, de ne plus jamais donner la communion dans la main. Il n’a pour le moment pas fait davantage sur ce point, mais il a ainsi manifesté ce qu’il en pense et il a daté sa décision. Cela nous révèle peut-être un aspect de ce qu’est, non pas toujours, mais souvent, l’action de Benoît XVI dans l’Eglise d’aujourd’hui ; cela nous révèle peut-être à quel point il juge cette Eglise quasiment ingouvernable.
Sur la communion dans la main comme sur les autres « plaies » liturgiques, l’argumentation de Mgr Schneider se fonde sur le concile de Trente condamnant, dit-il, « l’accentuation exagérée de la notion de banquet dans la célébration eucharistique au détriment du caractère sacrificiel » ; elle se fonde également sur l’encyclique Mediator Dei de Pie XII et sur la constitution liturgique Sacrosanctum concilium de Vatican II. Cette dernière se trouve ainsi recadrée dans une continuité cohérente, celle de la doctrine et de la coutume catholiques. Telle est en somme la manière personnelle de Mgr Schneider, impérieuse et dynamique, d’interpréter Vatican II à la lumière dela Tradition.
JEAN MADIRAN
Article extrait du n° 7553
du Samedi 3 mars 2012
Annexe 3:
Annexe 3 : la lettre du cardinal Ratzinger au professeur Heinz-Lothar BARTH du 23 juin 2003
Le 23. 6. 2003, le cardinal RATZINGER a écrit la lettre suivante à Heinz-Lothar BARTH, auteur théologique réputé, docteur ès lettres et maître des conférences à la chaire des lettres classiques de l’université de Bonn.
Le cardinal RATZINGER dit que dans l’avenir l’église romaine doit avoir un seul rite. Le rite romain devra être un seul et unique rite, entièrement dans la tradition du rite classique.
Très estimé Monsieur le Docteur Barth,
Je vous remercie de votre lettre du 6 avril, à laquelle je ne réponds que maintenant, faute de temps. Vous me demandez de m’engager pour l’autorisation plus élargie du rite romain ancien. Vous savez déjà que j’accueille bien une telle demande, vu que mon engagement dans cette affaire est maintenant connue par tout le monde.
Si le Saint Siège “autorisera le rite ancien de nouveau mondialement et sans limitation” -comme vous le souhaitez et l’avez entendu par rumeur- n’est pas si facile à dire : Trop de catholiques partagent encore une attitude négative -endoctrinée depuis des années- envers la liturgie traditionnelle, laquelle ils appellent orgueilleusement “pré conciliaire”, et beaucoup d’évêques s’opposeraient massivement à une autorisation générale du rite ancien.
La situation est différent si on n’envisage qu’une autorisation limitée ; car la demande de la liturgie ancienne est limitée. Je sais que sa valeur ne dépends point de la demande, mais le nombre des prêtres et laïcs intéressés a cependant une certaine importance. En plus, une telle mesure ne peut être réalisée progressivement aujourd’hui, une 30aine d’année après la réforme liturgique du Pape Paul VI ; chaque nouvelle précipitation ne produira pas de bons résultats.
Mais je crois que dans l’avenir l’église romaine ne devra avoir qu’un seul rite ; l’existence de deux rites est difficilement “gérable” pour les évêques et les prêtres. Le rite romain de l’avenir devrait être un seul rite, célébré en latin ou en langue populaire, mais basée entièrement dans la tradition du rite ancien ; il pourrait intégrer quelques nouvels éléments qui ont fait leurs preuves, quelques préfaces, des lectures plus larges -plus de choix qu’avant, mais pas trop- une “Oratio fidelium”, cela veut dire une litanie de prières d’intercession après l’Oremus avant l’offertoire, ou est sa place primitive.
Très estimé Dr Barth, si vous vous engagez ainsi pour la question liturgique, vous ne serez pas seul et vous préparez “l’opinion publique de l’église” à des mesures éventuelles en faveur d’un usage plus large des manuels liturgiques anciens. Il faut cependant être prudent quant à l’excitation des espoirs trop grands, maximaux, auprès des fidèles attachés à la tradition.
Je me sers de cette occasion de vous remercier de votre engagement appréciable en faveur de la liturgie de l’église romaine, dans vos livres et conférences, même si je souhaiterais ici et là plus d’amour et compréhension pour le magistère du Pape et des évêques. Que la semence, que vous semez, grandisse et porte des fruits pour une nouvelle vie renouvelée de l’église, dont la “source et sommet”, son véritable cœur, est et sera cette liturgie.
Je vous donne volontiers la bénédiction demandée par vous, cordialement
Votre Josef Cardinal RATZINGER