Un entretien de l’abbé Schmidberger sur les relations de la Fraternité Saint-Pie X avec Rome
publié dans regards sur le monde le 28 septembre 2012
Un entretien de l’abbé Schmidberger sur les relations de la Fraternité Saint-Pie X avec Rome
Le 18 septembre 2012, l’abbé Franz Schmidberger, Supérieur du District d’Allemagne de la Fraternité Saint-Pie X et ancien Supérieur général, a donné un entretien au site pius.info. L’original en allemand est consultable sur le site du district d’Allemagne.
« Je trouce cet entretien très bien et donné dans un très bon esprit ».
PA
Question : On n’entend plus beaucoup parler des échanges entre la Fraternité Saint-Pie X et Rome. Le Chapitre Général d’Ecône est le dernier événement important en date. En tant que supérieur de district, vous y avez participé. Comment jugeriez-vous l’impact qu’il a eu tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de la Fraternité ?
Abbé Schmidberger : Tout d’abord, ce Chapitre Général a renforcé l’unité dans nos rangs, laquelle avait un peu souffert au cours des derniers mois. Je considère comme une grande grâce que nous ayons pu trouver un terrain d’entente. Cela nous aidera à continuer notre œuvre pour l’Eglise avec une force et une détermination renouvelées. Cela est à mon avis l’effet interne (du Chapitre). A l’extérieur, je pense que nous pourrions nous concentrer sur ces éléments importants qu’il nous faut absolument demander à Rome dans le cas d’une normalisation. Ces éléments peuvent être formulés en trois points : premièrement, qu’il nous soit permis de continuer à dénoncer certaines erreurs du concile Vatican II, c’est-à-dire d’en parler ouvertement ; deuxièmement, qu’il nous soit accordé de n’utiliser que les livres liturgiques de 1962, en particulier le missel ; troisièmement, qu’il y ait toujours un évêque dans les rangs de la Fraternité, choisi dans son sein.
Aux alentours de la Pentecôte, il semblait qu’une reconnaissance légale était imminente. Il apparaît à présent que nous nous trouvons bien éloignés d’un tel dénouement. Que s’est-il passé au cours des dernières semaines ? Quand et comment ce changement est-il survenu ?
Ce changement est survenu le 13 juin à Rome, lors de la rencontre entre notre Supérieur général, Mgr Fellay et le cardinal Levada, alors Préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi. Ce jour-là, le cardinal Levada présenta à Mgr Fellay un nouveau document doctrinal, qui, d’un côté, acceptait le texte proposé par Mgr Fellay, mais de l’autre, contenait des changements significatifs qui nous posent un vrai problème – ce qui créait une situation entièrement nouvelle.
Des bruits courent sur une lettre que le pape a personnellement écrite au Supérieur général.
Cette lettre est très probablement la réponse à une demande que nous avons faite au pape, où nous voulions savoir si ces nouvelles exigences avaient réellement été ajoutées avec son approbation, si elles étaient vraiment de lui ou de certains de ses collaborateurs. Il nous assura que c’était son souhait propre que nous acceptions ces nouvelles exigences.
Et quelles sont ces nouvelles exigences du 13 juin ?
En particulier, il nous est demandé que nous reconnaissions la licéité de la nouvelle liturgie. Je crois que l’on entend par là la légitimité de la nouvelle liturgie. Egalement, qu’il soit possible de poursuivre les discussions sur certaines nuances du concile Vatican II, mais aussi que nous soyons prêts à accepter sa continuité tout simplement, c’est-à-dire à considérer le concile Vatican II dans la ligne ininterrompue des autres conciles et enseignements de l’Eglise. Et cela pose problème. Il y a des incohérences dans le concile Vatican II qui ne peuvent être niées. Nous ne pouvons reconnaître une pareille herméneutique de continuité.
Quelle sera la réaction de la Fraternité face à ces nouvelles exigences, inacceptables ?
Je pense que nous dirons aux autorités romaines que nous pouvons difficilement les accepter et qu’il leur faudra les abandonner s’ils souhaitent réellement une normalisation. Il est apparu évident, au cours des entretiens qui se sont déroulés d’octobre 2009 à avril 2011, qu’il y a des points de vue très différents au sujet du concile Vatican II, certains textes du concile et le magistère postconciliaire. Tous ont reconnu qu’il ne serait pas aisé de trouver un accord entre les vues du magistère postconciliaire et celles que nous soutenons avec les papes du XIXe siècle et les enseignements constants de l’Eglise. Et je pense que tant que ces blessures n’auront pas été soignées avec le remède adéquat, qui serait de parler ouvertement de ces points qui ne s’accordent pas, il n’y aura aucune solution réelle à la crise dans l’Eglise.
Mgr Müller a été nommé Préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi. On connaît son antipathie à l’égard de la Fraternité. Ses opinions très discutables sur certaines questions dogmatiques rentrent aussi en jeu. Quelle position prend-il dans le cadre des négociations de la Fraternité avec Rome ?
En effet, Mgr Müller a été récemment nommé Préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi. Cela fait de lui, après le pape, l’homme qui assume la responsabilité finale de ces négociations. Bien sûr, c’est avec Mgr Di Noia que nous sommes directement en contact, désigné personnellement par le pape, peut-être pour contrebalancer la position constamment hostile que Mgr Müller a affichée à notre égard. Mais ce que je trouve bien plus problématique, ce sont ses enseignements hétérodoxes sur certaines questions d’importance telles que la transsubstantiation, le changement de substance qui s’opère pendant la messe, qui fait que le pain et le vin deviennent le Corps et le Sang de Jésus-Christ. Il remplace plus ou moins cela par ce qu’il appelle la « transfinalisation », ce qui signifie que le pain et le vin reçoivent une finalité nouvelle. Vous pouvez lire cela dans ses écrits dogmatiques.
Un autre exemple : il n’affirme pas clairement que la consécration se produit précisément à travers les mots prononcés par le prêtre. En ce qui concerne la mariologie, il ne semble pas avoir une idée très nette de la virginité constante de Notre Dame, ou en tout cas c’est ce qui en ressort lorsqu’on lit ses écrits. Au contraire, on peut affirmer que, par moments, il se sépare de la doctrine que l’Eglise a toujours crue, ou au mieux qu’il permet une certaine ambigüité. Et cela est en effet très grave et très regrettable, car le Préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi doit être le gardien suprême de la foi ; le gardien de la pureté de la foi, de son intégrité, de sa virginité. Il doit aussi transmettre cette foi dans toute sa beauté, sa profondeur et sa grandeur aux fidèles. Il ne devrait jamais avoir là le moindre doute ni la moindre ambigüité concernant tout ce que l’Eglise a toujours cru et prêché.
D’un côté, on exige sans cesse de la Fraternité qu’elle reconnaisse la papauté, ce qui n’a jamais été un problème, mais aussi la continuité de l’enseignement doctrinal. De l’autre côté, au nom de l’œcuménisme, on invite les protestants dans les églises sans la moindre condition, alors même que le protestantisme rejette en bloc la papauté. Quel commentaire pouvez-vous faire sur cette situation ?
Il y a là bien sûr une contradiction. On pratique l’œcuménisme avec des personnes qui nient le dogme catholique, nient la papauté, et qui déjà à la base ont une position totalement différente.
Nous acceptons la totalité de la doctrine catholique, la totalité de la foi catholique. Nous serions heureux de signer le Credo de notre propre sang, la foi de notre Eglise. Et on nous accuse de ne pas accepter ceci ou cela… Les protestants acceptent-ils Vatican II ? Voilà la question qu’il faudrait se poser. Si aujourd’hui, chacun peut faire ce qu’il veut en matière de liturgie, pourquoi ne pas permettre de manière générale l’ancienne liturgie ?
Bien sûr, il y a eu une nouvelle ouverture avec le pape actuel, et nous remercions Dieu que cela se soit produit, avec le Motu Proprio de 2007. Mais à présent, par exemple, un nouveau secrétaire a été nommé à la Congrégation pour le Culte Divin et la Discipline des Sacrements, Mgr Roch, venu d’Angleterre, dont on sait pourtant qu’il est un adversaire du Motu Proprio et qu’il a tout tenté pour faire obstacle à la messe ancienne dans son diocèse, plutôt que de l’encourager. Ce genre de faits est très étrange.
Comment pensez-vous que Rome réagira si la Fraternité répond négativement à ces deux points (la licéité de la nouvelle messe et la continuité de la doctrine) en affirmant qu’il y a eu un changement avec Vatican II ? Envisageons la pire possibilité : pensez-vous qu’une nouvelle excommunication pourrait être possible ?
Personnellement, je ne le pense pas. Le pape ayant lui-même en 2009 levé l’excommunication qui pesait sur les quatre évêques de la Fraternité, cela passerait pour un manque de cohérence dans sa pensée et ses actes. Cela ne jouerait pas vraiment en faveur de l’Eglise. Il faut aussi se rappeler que la Fraternité n’est pas simplement une communauté de 560 ou 570 prêtres, de quelques sœurs et frères, et même de quelques écoles. Elle a aussi une influence très étendue, et – cela est peut-être un peu impudent de le dire, mais je le pense – elle est, d’une certaine manière, la colonne vertébrale, le point de référence de tous ceux qui soutiennent la tradition dans l’Eglise. Si ce point de référence venait à être discrédité de cette manière, cela aurait pour effet un découragement d’une ampleur sans pareille de toutes les forces restauratrices et conservatrices dans l’Eglise. Ce serait une catastrophe. Non pas tant pour la Fraternité que pour l’Eglise. Je verrais cela comme un grand dommage.
Il y a aussi quelques critiques de la part de certains qui disent que les négociations ont échoué à cause de l’entêtement et de la rigidité de la Fraternité. D’autres remettent en question les discussions en soi, en disant « Cela ne sert à rien dans tous les cas. Pourquoi se donner la peine de discuter avec Rome ? »
Voici donc notre dernière question : Ces discussions nous ont-elles apporté quelque chose ?
Elles ont été d’une grande utilité. A mon avis, elles ont montré que nous avons de l’intérêt pour une normalisation de la situation, que nous considérons notre situation comme le résultat de la crise dans l’Eglise, et que c’est une situation anormale. Nous avons montré que cela nous conduit à aspirer à une régularisation, mais aussi que cette situation n’est pas de notre faute. Nous voulons vraiment insister sur ce point.
C’est nécessaire à cause de la situation actuelle, si l’on veut conserver l’ancienne doctrine, l’ancienne liturgie, l’ancienne discipline de l’Eglise dans son intégralité, et si l’on veut vivre une vie de catholique en se nourrissant de cette richesse. Cela est un premier point.
D’autre part, les discussions ont démontré que nous nous accrochons à Rome, que nous aussi, nous reconnaissons le pape, cela va de soi à nos yeux. D’un autre côté, les discussions ont mis en évidence l’existence de différences doctrinales, et que ces différences ne viennent pas de nous, mais – on est malheureusement contraints de le dire – qu’on les trouve du côté des actuels représentants officiels de l’Eglise, lesquels organisent les réunions d’Assise et pratiquent ce qui a été condamné par l’Eglise, les papes et les conciles par le passé. Et tout cela est fait explicitement ! C’est le second point.
Les discussions ont eu une troisième utilité. Elles nous ont révélé une certaine faiblesse dans nos rangs. Nous devons avoir l’humilité de l’admettre. Nous avons donc également expérimenté un processus de clarification à l’intérieur. Nous ne sommes pas d’accord avec ceux qui rejettent toute discussion avec Rome. Je présenterais les choses ainsi : la Fraternité n’a jamais travaillé pour elle-même, elle n’a jamais été sa propre fin, mais au contraire elle a toujours voulu servir l’Eglise, servir les papes.
C’est ce que Mgr Lefebvre a toujours dit. Nous voulons être à la disposition des évêques, du pape, nous voulons les servir, et nous voulons les aider à sortir l’Eglise de sa crise, afin qu’Elle se renouvelle dans toute sa beauté, dans toute sa sainteté. Mais bien sûr, cela ne peut se produire qu’à la condition qu’il n’y ait aucun compromis, aucun faux compromis. Cela est d’une grande importance à nos yeux. En effet nous avons essayé – c’est tout ce que nous voulions – de rétablir officiellement ce trésor dans l’Eglise, de lui rendre ses droits, et peut-être y sommes-nous parvenus à une certaine échelle.
Grâce à ces discussions doctrinales, la Fraternité a contribué à l’impulsion d’un nouvel élan de réflexion sur Vatican II et certaines de ses déclarations.
(Source : pius.info – Traduction française DICI n°261 du 28/09/12)