En ce temps-là du moins nous avions Soljenitsyne
publié dans regards sur le monde le 4 mars 2013
En ce temps-là du moins nous avions Soljenitsyne
• Ce que devra faire le prochain pape en vue de sauver l’Eglise du discrédit mondain qui l’accable, il ne manque pas d’anarchistes, de laïcistes et d’athées pour en tracer impérieusement le plan bien connu, toujours le même : mariage des prêtres, ordination des femmes, promotion de l’homosexualité, démocratisation de la hiérarchie ecclésiastique, assouplissement et modernisation de la morale sexuelle, le tout dans un climat idéologique LGBT-OGM (Lesbiennes, Gays, Bi, Trans – Organes Génitaux Modifiés) qui donne une saveur particulière aux préconisations religieuses de tous les irréligieux.
Mais il ne manque pas non plus d’hommes d’Eglise pour tenir ouvertement un langage analogue.
• Un exemple. Le jésuite universitaire François Boëdec, responsable de l’ « éthique » à la faculté jésuite de Paris, professe que « la parole de l’Eglise est a priori discréditée dans beaucoup de domaines, en particulier sur les questions qui touchent à la famille ou au mariage ». Et le journal La Croix, qui publie cette appréciation, en est tellement satisfait qu’il la reproduit dans un hors-texte insistant. Donc, le P. Boëdec et le responsable de La Croix tiennent pour dramatique le fait que la parole de l’Eglise soit a priori discréditée dans tout l’univers médiatique LGBT-OGM, classe politique incluse. Dans cet univers mental, on tient pour rien un million de manifestants dans la rue et 700 000 pétitionnaires, deux phénomènes formant un auditoire qui est sans équivalent et qui ne tient point la parole de l’Eglise pour « a priori discréditée, en particulier sur les questions qui touchent à la famille ou au mariage ». C’est ainsi que le responsable de La Croix et le P. Boëdec sont « religieusement corrects » et conformes, ils méprisent eux aussi les 700 000 pétitionnaires et le million de manifestants qui ont l’audace de ne pas tenir la parole de l’Eglise pour discréditée. Avec des religieux et des journalistes catholiques de cette espèce, le prochain pape aura fort à faire.
• Quand Philippe Maxence nous dit que la grande œuvre de Benoît XVI aura été « le retour aux fondamentaux du christianisme, que nous avions perdus depuis cinquante ans », je n’ai pas l’intention de le contredire sur ce point, mais au contraire de prolonger sa pensée. Car enfin, on ne perd pas les fondamentaux du christianisme par hasard, comme on perd son parapluie dans le métro. Benoît XVI a été sévère, le 14 février, pour le « concile des médias » qui dès 1962 s’est aussitôt imposé. Mais on aurait pu savoir qu’il risque fortement d’en être ainsi quand la presse et la télévision sont totalement sous l’emprise d’une idéologie et d’un personnel anarchistes et notamment athées : parmi les « signes des temps », c’était (et c’est toujours) l’un des plus tyranniques. Le Concile ne l’a pas su. Cinquante ans après, on devrait normalement pouvoir commencer à observer en outre que ce n’est pas seulement le « concile des médias » qui est en cause. Ce n’est pas lui qui a mis à mal la continuité du magistère en privilégiant une certaine théologie et certains théologiens qui venaient d’être condamnés par Pie XII. Ce n’est pas le « concile des médias » qui a fait cardinal un Congar ! et un Lubac ! Cela se paye, et au prix le plus fort. Ce n’est pas non plus le « concile des médias » qui a imposé au Concile une impasse absolue sur le communisme, provoquant une éclipse où la vérité sur le marxisme-léninisme, ce n’était plus Rome qui la disait, mais Soljenitsyne.
Sur ce point comme sur quelques autres aussi essentiels, la grandeur de Soljenitsyne a été de dire au monde ce que les catholiques auraient aimé entendre de Rome. Ce n’est point là un argument théologique, me dira-t-on sans doute, et cela ne prétend pas l’être. Mais en tout cas ce fut un symptôme des années soixante qui mérite bien d’être analysé un jour par les théologiens.
JEAN MADIRAN
Article extrait du n° 7805 de Présent
du Mardi 5 mars 2013