François Ier sur la Chaire de Saint Pierre – de Roberto de Mattei
publié dans regards sur le monde le 18 mars 2013
François Ier sur la Chaire de Saint Pierre – de Roberto de Mattei
Dans Correspondance européenne
L’Eglise a un nouveau Pape : Jorge Mario Bergoglio, le premier Pape non européen, le premier Pape latino-américain, le premier Pape du nom de François. Les médias tentent de deviner quel sera l’avenir de l’Eglise sous son pontificat à travers son passé de Cardinal, d’archevêque de Buenos Aires et de simple prêtre. De quelle “révolution” sera-t-il porteur ? Hans Küng le définit comme «le meilleur choix possible» (“La Repubblica”, 14 Mars 2013). Mais déjà après la nomination de ses collaborateurs et après ses premiers discours au sujet de son programme, on peut imaginer les lignes directrices du pontificat du Pape François. Pour chaque Pape vaut ce que disait le cardinal Enea Silvio Piccolomini en 1458 au moment de son élection et lorsqu’il prit le nom de Pie II : «Oubliez Enea, accueillez Pie».
L’histoire ne se répète jamais exactement de la même façon mais le passé aide à comprendre le présent. Au XVIème siècle l’Eglise catholique traversait une crise sans précédent. L’Humanisme, avec son hédonisme immoral, avait contaminé la Curie Romaine et même les Pontifes. La pseudo-réforme protestante de Martin Luther contre cette corruption avait été qualifiée par le Pape Léon X et par la famille Médicis comme une simple «querelle entre moines». L’hérésie avait commencé à s’étendre quand, à la mort de Léon X en 1522, fut élu, de façon inattendue, le premier Pape allemand, Adrian Florent de Utrecht, sous le nom d’Adrien VI. La brièveté de son pontificat l’empêcha de mener à termes ses projets en particulier, comme l’écrit l’historien des Papes Ludwig von Pastor : «la guerre gigantesque contre l’essaim d’abus qui déformait la curie romaine et presque toute l’Eglise». Si même il avait eu un gouvernement plus long, le mal dans l’Eglise était tellement enraciné, observe Pastor, «qu’un pontificat seul n’aurait pu produire ce grand changement qui était nécessaire. Tout le mal qui avait été commis depuis plusieurs générations aurait pu s’améliorer seulement avec un travail long et ininterrompu».
Adrien VI compris la gravité du mal et les responsabilités des hommes d’Eglise, comme cela en est ressorti de l’instruction que le nonce Francesco Chieregati lu en son nom à la Diète de Nuremberg, le 3 Janvier 1523. Il s’agit, comme le remarque Ludwig von Pastor, d’un document d’une importance extraordinaire, non seulement pour connaitre les idées réformatrices du Pape mais aussi parce que c’est un texte sans précédent dans l’histoire de l’Eglise.
Après avoir réfuté l’hérésie luthérienne, dans la dernière et aussi la plus remarquable partie de l’instruction, Adrien parle de la défection de la suprême autorité ecclésiastique face aux novateurs.
«Tu diras encore», voici la claire instruction qu’il donne au nonce Chieregati, «que nous reconnaissons librement, que Dieu a permis cette persécution de l’Eglise, à cause des péchés des hommes et particulièrement des prêtres et des prélats ; car il est certain que la main de Dieu n’est pas raccourcie, qu’Il pourrait nous sauver, mais que le péché nous sépare de Lui et l’empêche de nous entendre. La Sainte Ecriture nous apprend, tout au long, que les fautes du peuple ont leur source dans les fautes du clergé. C’est pourquoi notre Sauveur, comme le dit saint Jean Chrysostome, lorsqu’il voulut purifier la ville de Jérusalem malade, alla d’abord au Temple, pour punir avant tout les fautes des prêtres, en bon médecin, qui tranche le mal dans sa racine. Nous savons que même sur le Saint-Siège, depuis nombre d’années, beaucoup d’abominations ont été commises : abus des choses saintes, transgression des commandements, de telle sorte que tout a tourné au scandale. Il n’y a pas lieu de s’étonner, que la maladie, soit descendue de la tête dans les membres, des Papes chez les prélats.
Nous tous, prélats et ecclésiastiques, nous nous sommes détournés de la voie de la justice. Il y a déjà longtemps que personne n’a fait le bien ; c’est pourquoi nous devons tous honorer Dieu et nous humilier devant Lui ; chacun de nous doit examiner en quoi il a tombé et s’examiner plus rigoureusement lui-même, qu’il ne le sera par Dieu, au jour de sa colère. En conséquence, tu promettras en notre nom, que nous mettrons toute notre application à commencer par améliorer la Cour de Rome, de laquelle peut-être est venu tout le mal ; c’est d’elle, que sortira la guérison, comme c’est d’elle, qu’est venue la maladie. Nous nous considérons comme d’autant plus engagé à le faire, que le monde entier a soif d’une telle réforme ; nous n’avons jamais aspiré à la dignité pontificale et nous eussions préféré passer nos jours dans la solitude de la vie privée ; volontiers, nous eussions refusé la tiare. Ce n’est que la crainte de Dieu, la légitimité de l’élection et le danger d’un schisme, qui nous ont déterminé à accepter la charge de pasteur suprême. Nous ne voulons pas administrer dans un esprit de domination ni pour enrichir nos parents, mais pour rendre sa première beauté à la Sainte Eglise, la fiancée de Dieu, pour assurer secours aux opprimés, placer dans les hauts emplois doctes et vertueux, enfin accomplir tous les devoirs d’un bon Pasteur et d’un vrai successeur de saint Pierre.
Que personne ne s’étonne, si Nous ne détruisons pas d’un seul coup tous les abus, car le mal est profondément enraciné et multiforme. On ne pourra aller que pas à pas et remédier, par des médecines appropriées, aux maux les plus graves et les plus dangereux, pour ne pas augmenter encore la confusion par une réforme précipitée de tout. Aristote dit avec raison que tout changement subit est dangereux pour le bien public. »
Les mots d’Adrien VI nous aident à comprendre que la crise que l’Eglise traverse en ces jours peut avoir son origine dans le laxisme doctrinal et moral des hommes d’Eglise pendant le demi-siècle qui a suivi le Concile Vatican II. L’Eglise est indéfectible mais ses membres, même les suprêmes autorités ecclésiastiques, peuvent se tromper et doivent être prêts à reconnaître leurs fautes, même publiquement. Nous savons qu’Adrien VI eut le courage d’entreprendre cette révision du passé. Comment, aujourd’hui, le nouveau Pape affrontera-t-il le processus d’autodestruction doctrinal et moral de l’Eglise et quel comportement adoptera-t-il face à un monde moderne imprégné d’un profond esprit antichrétien ? Seul l’avenir nous le dira, toutefois il est certain que les causes de l’obscurité du temps présent ont leurs racines dans notre passé le plus récent.
L’histoire nous dit aussi qu’à Adrien VI succéda Jules de Médicis, avec le nom de Clément VII (1523-1534). Pendant son pontificat eut lieu le 6 mai 1527 le terrible sac de Rome, mis en œuvre par les lansquenets luthériens de Charles V. Il est difficile de décrire combien et quels furent les dégâts et les sacrilèges accomplis pendant cet évènement qui surpassa l’atrocité du sac de Rome de 410. On s’acharna avec une cruauté particulière sur les personnes ecclésiastiques : religieuses violées, prêtres et moines tués ou vendus comme esclaves, églises, palais, maisons détruites. Au massacre suivirent très rapidement la famine et l’épidémie de peste. Les habitants furent décimés.
Le peuple catholique interpréta cet évènement comme un châtiment mérité pour les péchés accomplis. Ce fut seulement après ce sac terrible que la vie de Rome changea profondément. Le climat de relativisme moral et religieux se dissout et la misère générale donna à la Ville Sacrée un caractère d’austérité et de pénitence inattendu. Cette nouvelle atmosphère rendit possible la grande renaissance de la Contre-Réforme catholique du XVIème siècle. (Roberto de Mattei)