Le 25 Mars 1991, Mgr Lefebvre rendait sa belle âme à Dieu
publié dans regards sur le monde le 25 avril 2013
Le 25 Mars 1991, Mgr Lefebvre rendait sa belle âme à Dieu.
Un mois plus tard, le 25 avril 1991, le Bon Dieu rappelait à Lui Mgr de Castro Mayer.
Aujourd’hui, 25 avril 2013, fête de saint Marc, l’évangéliste, c’est le 22ème anniversaire du décès de Mgr Lefebvre et de Mgr de Castro Mayer. C’est pour moi l’occasion d’exprimer ma reconnaissance à ces deux « géants de la foi »
Mgr Lefebvre m’a donné le sacerdoce, le 17 octobre 1971.
Je veux lui rendre ce témoignage de fidélité filiale
L’héritage doctrinal de Mgr Lefebvre
Il est toujours agréable de parler de son maître, de celui que l’on a aimé, admiré et aussi servi de son mieux, du moins avec tout son cœur.
Je n’en resterai pas au niveau des anecdotes, des événements de sa vie. Non ! Je voudrais, si possible, aller plus au fond, chercher ce qui fut l’essentiel de sa pensée, ce qui a fait l’unité de sa vie, la raison de tous ses combats, d’abord en terre africaine comme Délégué apostolique de Pie XII, puis en Occident, comme Père conciliaire, puis Fondateur de la FSSPX, œuvre essentiellement sacerdotale.
Je voudrais étudier l’héritage qu’il nous laisse.
Si nous arrivions à trouver le cœur de sa pensée, nous pourrions lui rester plus facilement fidèles et être comptés parmi ses disciples. Ce qui pour moi, serait un honneur. Que sont les anecdotes de sa vie par rapport à sa pensée sinon de simples circonstances, de simples événements qui passent, des aspects fugitifs d’une vie certainement très pleine, toute donnée à Dieu, à l’Eglise, toute donnée aux prêtres… mais enfin des anecdotes qui lui sont personnelles…
Ce qui fait, me semble-t-il, l’unité de la pensée et de l’action apostolique de Mgr Lefebvre, son héritage, c’est sa foi et son amour pour Notre-Seigneur Jésus-Christ et l’Eglise romaine. « Credidimus caritati ». « Nous avons cru à la Charité » du Christ. C’est sa devise. Le Christ, pour lui, est tout, comme il le fut pour saint Pierre et pour saint Paul. Et c’est, vous dis-je, dans cette foi au Christ, fidèle à la « doctrine pétrinienne et paulinienne » que je trouve l’unité de la vie de Mgr Lefebvre. C’est en cette doctrine – l’amour du Christ – que je trouve l’unité de son épiscopat, la raison de son combat pour le sacerdoce ; c’est en cette pensée que je trouve la raison de son insistance sur la Messe, sur la garde de la Messe de toujours, que je trouve la raison de son combat sur la liberté religieuse, contre le laïcisme contemporain, contre le relativisme doctrinal, le propre de notre siècle. C’est en cet amour du Christ que je trouve la raison de sa doctrine sur le Christ-Roi et la fougue avec laquelle il a parlé et défendu cette doctrine essentiellement catholique. Il fut le témoin le plus hardi des Pères conciliaires sur ce sujet ; c’est en cette foi au Christ, vrai Fils de Dieu, que je trouve la raison de son opposition si forte à l’œcuménisme « pratiqué follement » et aux réunions interreligieuses, comme celle qui s’est tenue à Assise, le 27 octobre 1986 et qui eut une telle conséquence dans sa vie et sa pensée, ne fut-ce que dans sa décision d’opérer les sacres épiscopaux sans le consentement formel de Rome. Sur cet événement d’Assise, je peux dire qu’il en fut humilié pour le Pape lui-même, parce qu’il aimait absolument la papauté, parce qu’il a toujours vu en le Pape, précisément le Vicaire du Christ. C’est enfin en cette pensée du Christ « unique Principe de Vie », « Lumière unique et seul Sauveur des Nations » – expressions pauliniennes et pétriniennes – que je trouve la raison de son amour pour l’Eglise, puisque l’Eglise, c’est Jésus-Christ continué dans le temps, et qu’en elle s’actualise et s’opère ce salut qui nous vient du Christ. Il a eu un amour de l’Eglise tel, qu’il fut capable d’accepter sinon le martyr physique – il ne lui fut pas demandé -, du moins un martyr moral, le sacrifice de l’honneur de son nom, de sa dignité épiscopale préférant par fidélité au Christ, à l’Eglise même, être déclaré « anathème » « suspens a divinis», voire « excommunié ». Quel drame fut le sien ! Lui qui n’avait qu’un honneur au monde, celui de sa famille, de ses parents, de l’Eglise. Mgr Lefebvre fut parmi les évêques du XXe siècle, l’évêque le plus « ultramontain », je veux dire l’évêque romain par excellence, parce que, pour lui, Rome fut providentiellement préparée par Dieu pour devenir le Siège de Pierre, le centre du christianisme. Il écrit, dans son livre « Itinéraire spirituel », son dernier livre : « On ne peut pas nier que ce soit là un fait providentiel : Dieu, qui conduit toutes choses, a dans sa Sagesse infinie préparé Rome à devenir le Siège de Pierre et le centre du rayonnement de l’Evangile. D’où l’adage « Unde Christo e Romano ».
En un mot, c’est parce que le Christ est « la puissance de Dieu et la sagesse de Dieu » (1 Cor 1 24) que Mgr Lefebvre lui a donné toute sa vie d’Evêque, toute son énergie épiscopale.
Aussi voilà les différentes idées que je chercherai à développer dans cette conférence :
A – L’épiscopat de Mgr Lefebvre
B – Mgr Lefebvre et le Sacerdoce
C – Mgr Lefebvre et la Sainte Messe de toujours
D – Mgr Lefebvre et la doctrine du Christ-Roi
E – Mgr Lefebvre et la liberté religieuse
F – Mgr Lefebvre et l’œcuménisme
G – Mgr Lefebvre et le dialogue interreligieux
H – Mgr Lefebvre et l’Eglise romaine
A – L’ épiscopat de Mgr Lefebvre
Mgr Lefebvre est essentiellement évêque. Il fut un grand évêque. A lui, comme à tout évêque, lui fut confié « l’Evangile » (1 Tim 1 11), « sa prédication » comme le dit saint Paul aux Corinthiens : « Ce n’est pas pour baptiser que le Christ m’a envoyé, c’est pour prêcher l’Evangile… ». Et l’objet de la prédication de l’Evangile n’est pas un objet social, politique comme si les Apôtres avaient été envoyés pour l’instauration d’un ordre social et politique, voire même l’instauration du bien-être en ce monde, ce qui serait anachronique au sermon sur la Montagne… Non ! L’objet de la prédication de l’Evangile c’est « le Christ et le Christ crucifié » contemplé et adoré comme Principe unique de salut. « Nous, nous prêchons le Christ crucifié » (1 Cor 1 17 23), nous dit saint Paul. Il insiste : « C’est une parole certaine et digne de toute créance, que Jésus-Christ est venu dans le monde pour sauver les pécheurs, dont je suis le premier (moi qui étais auparavant blasphémateur, persécuteur, homme de violence)… Mais j’ai obtenu miséricorde précisément afin que Jésus-Christ fit voir en moi le premier, toute sa longanimité, pour que je servisse d’exemple à ceux qui, à l’avenir, croiront en lui pour avoir la vie éternelle » (1 Tim 1 16). La vie éternelle ! C’est pourquoi, pour Saint Paul comme pour Mgr Lefebvre, le Christ « est en nous l’espérance de la gloire », l’espérance de la vie éternelle. Il faut, de toute nécessité, lui être uni par le Baptême et par la Foi pour connaître la Béatitude éternelle. Sous ce rapport (du salut) Jésus-Christ est tout.
Voilà la prédication essentielle de tous les Apôtres, de tous les Evêques.
Voilà l’Evangile. Ce fut l’objet des premières prédications de saint Pierre. Une prédication claire et nette, énergique que d’aucuns diraient imprudente selon la chair. Il ne craignit pas de déranger les Juifs et leur religion hébraïque. Il ne tut pas le nom du Christ dans leurs assemblées. Non ! Le premier objet de sa prédication, de sa première prédication fut « Jésus de Nazareth », fut la confession de sa « filiation divine », fut la confession de sa « crucifixion » : « Lui… que vous avez fait mourir en le crucifiant par la main des impies ». Mais sans cette crucifixion, vain est notre salut. Le premier objet de sa première prédication fut la confession de sa « résurrection d’entre les morts » : « Dieu L’a ressuscité, déliant les liens de la mort, parce qu’il n’était pas possible qu’elle Le tînt en son pouvoir », étant Dieu lui-même. Sans cette Résurrection, vaine est notre foi.
Il en est de même pour la seconde prédication publique au Temple de Jérusalem. Avec saint Jean, Pierre monte au Temple pour prier à la neuvième heure. Pierre est interpellé par un boiteux. Il le guérit au nom de Christ. Avec ces paroles merveilleuses : « Je n’ai rien… Mais ce que j’ai, je te le donne : « Au nom de Jésus-Christ, lève-toi». Il le prit par la main et il se leva. Je n’ai rien, ce que j’ai, je te le donne : « Au nom de Jésus-Christ lève-toi ». Le Christ ! Voilà toute la richesse de Pierre. Et il le confessa de nouveau dans la prédication qui fit suite à ce miracle opéré au nom de Christ.
Après avoir en effet opérés ce miracle au nom du Christ qui est tout, qui est « le Béni de Dieu », Pierre et Jean sont interpellés par les grands-prêtres ; mis en prison, ils reçoivent l’ordre de ne plus prêcher au nom du Christ, « Alors Pierre, rempli du Saint-Esprit, leur dit : … C’est par le nom de Jésus-Christ de Nazareth que vous avez crucifié, que Dieu a ressuscité des morts, c’est par Lui que cet homme est présent devant vous en pleine santé. C’est Lui, la pierre rejetée par vous les constructeurs, qui est devenue tête d’angle. Et le salut n’est en aucun autre, car il n’est sous le ciel aucun autre nom donné parmi les hommes, par lequel nous devions être sauvés » (Act 4 8-12).
Voilà la foi de Pierre sur le Christ. Le Christ est la « pierre angulaire » c’est-à-dire « la pierre qui tient tout », « qui tient tout l’édifice ». Le Christ, en cet édifice, est le salut, le Sauveur, le seul Sauveur.
Voilà aussi la foi de Mgr Lefebvre. Qu’a-t-il pris comme devise de son épiscopat sinon cette phrase de saint Jean : « Credidimus caritatis ». Mais comment se manifesta cette charité de Dieu, précisément dans le salut et l’envoi du Fils de Dieu pour le réaliser dans sa chair, dans sa Passion ? C’est ce que dit saint Jean dans son Evangile : « Dieu a tellement aimé le monde qu’Il envoya son Fils bien-aimé, son Monogène, afin que quiconque croit en Lui ne périsse pas mais ait la Vie éternelle » (Jn 3 16).
La finalité de l’Incarnation rédemptrice, c’est la vie éternelle, le salut, manifestation de charité. La cause efficiente du salut, c’est la charité de Dieu manifestée dans le Christ. La cause finale de l’Incarnation, c’est encore la charité possédée, la vie éternelle, la vision de gloire. Tout, en matière de salut, en matière de rédemption, de sainteté se récapitule dans le Christ Jésus, c’est pourquoi saint Paul pouvait dire : « Omnia instaurare in Christo ».
Voilà la Foi de Mgr Lefebvre. Il y conforma toute sa vie épiscopale. Il éleva son épiscopat à ce niveau. Il fut consacré évêque pour prêcher cela et rien d’autre. Voilà la haute idée que Mgr Lefebvre eut de son épiscopat, de sa mission épiscopale.
Il n’a pas eu seulement le sens de sa dignité épiscopale qu’il porta toujours avec simplicité et grande noblesse s’appliquant à suivre les conseils que saint Paul donnait à Timothée : L’évêque doit avoir le « sens rassis », il doit être « circonspect » « capable d’enseigner », « il ne doit pas s’adonner au vin, ni violent, mais doux, pacifique, désintéressé, gouvernant bien sa propre maison, il faut encore qu’il jouisse de la considération de ceux du dehors » (1 Tim 3 2-7)… telle fut l’attitude de Mgr Lefebvre dans sa vie épiscopale. J’en suis le témoin parmi beaucoup d’autres.
Mais au-delà de ses qualités personnelles d’évêque – il était, il faut le dire, agréable de l’approcher -, il a surtout eu le sens de ses obligations, de ses devoirs épiscopaux. Il nous en a donnés de nombreux témoignages.
Souvenez-vous de son discours de Lille en juillet 1976 : Il vient d’être frappé d’une suspens, la « suspens a divinis », il démontre en quoi elle est illégale, en quoi elle est un abus de pouvoir et donc nulle, elle ne l’oblige pas en conscience et il conclut son sermon par ces mots pathétiques : « Je pense, en toute sincérité, en toute paix, en toute sérénité, que je ne puis pas contribuer par l’obéissance à cette suspense, par ces peines dont je suis frappé, par la fermeture de mes séminaires, par le refus de faire des ordinations, à la destruction de l’Eglise catholique. Je veux qu’à l’heure de ma mort, lorsque Notre-Seigneur me demandera : « Qu’as-tu fait de ta grâce épiscopale et sacerdotale ? » je ne puisse pas entendre de la bouche du Seigneur : « Tu as contribué à détruire l’Eglise avec les autres » (p. 72). Et cette grâce épiscopale l’obligea à rester fidèle à Notre-Seigneur Jésus-Christ qui est la Vérité. « On nous dit, poursuit-il, vous jugez le Pape. Mais où est le critère de la vérité ? Mgr Benelli m’a jeté à la figure : « Ce n’est pas vous qui faites la vérité ». Bien sûr, ce n’est pas moi qui fais la vérité, mais ce n’est pas le pape non plus ! La vérité, c’est Notre-Seigneur Jésus-Christ (NSJC) et donc il faut nous reporter à ce que NSJC nous a enseigné, à ce que les Pères de l’Eglise et toute l’Eglise nous ont enseigné pour savoir où est la vérité. Ce n’est pas moi qui juge le Saint-Père. C’est la Tradition. Un enfant de cinq ans avec son catéchisme peut très bien répondre à son évêque. Si son évêque venait à lui dire : « NSJC n’est pas présent dans la Sainte Eucharistie. C’est moi qui suis le témoin de la vérité et je te dis que NSJC n’est pas présent dans la Sainte Eucharistie », eh bien, cet enfant, malgré ses cinq ans, a son catéchisme, il répond : « Mais mon catéchisme dit le contraire ». Qui a raison ? L’évêque ou le catéchisme ? Le catéchisme évidemment qui représente la foi de toujours et c’est simple, c’est enfantin comme raisonnement. Mais nous en sommes-là » (pp. 77-78).
Vous voyez, pour Mgr Lefebvre, « la Vérité, c’est le Christ ». Et cette vérité, le Christ l’a enseignée à ses Apôtres et par eux, à l’Eglise. La Vérité du Christ c’est la Tradition. Et la mission de l’Evêque, c’est de la garder dans son intégrité pour la transmettre fidèlement. Voilà ce que fut son épiscopat. Que demande-t-on à un ministre, « qu’il soit trouvé fidèle », dira saint Paul. Fidélité à sa mission ! Ce sont presque les dernières paroles de Mgr Lefebvre prononcées lors du sermon des Sacres, le 30 juin 1988, nous n’étions qu’à trois ans de son décès : « Cette vie de Notre-Seigneur, dont nous avons besoin pour aller au ciel – vous voyez, nouvelle insistance de Mgr Lefebvre sur le Christ, c’est vraiment le souci de son épiscopat -, elle est en train de disparaître partout dans cette église conciliaire parce qu’elle suit les chemins qui ne sont pas les chemins catholiques. Loin de moi, loin de moi de m’ériger en Pape ! Je ne suis qu’un évêque catholique, qui continue à transmettre, à transmettre la doctrine. « Tradidi quod et accepi » (J’ai transmis ce que j’ai reçu), c’est ce que je pense… C’est ce que je souhaiterais que l’on mette sur ma tombe et le moment ne tardera sans doute pas. Que l’on mette sur ma tombe : Tradidi quod et accepi, ce que dit saint Paul. Je vous ai transmis ce que j’ai reçu, tout simplement. Je suis le facteur qui porte une lettre. Ce n’est pas moi qui l’ai faite cette lettre, ce message, cette parole de Dieu, c’est Dieu Lui-même, c’est NSJC, et nous vous l’avons transmise – voilà de nouveau affirmé la fonction de l’Evêque : transmettre la doctrine du Christ, sur le Christ -, par l’intermédiaire de ces chers prêtres qui sont ici présents et par tous ceux qui, eux-mêmes, ont cru devoir résister à cette vague d’apostasie dans l’Eglise, en gardant la foi de toujours et en la transmettant aux fidèles. Nous ne sommes que des porteurs de cette nouvelle, de cet Evangile que NSJC nous a donné, nous vous transmettons les moyens de sanctification, la vraie et sainte Messe, les vrais sacrements qui donnent la vie spirituelle ». Je crois que l’on ne peut pas exprimer en termes plus simples, le rôle de l’Evêque, transmettre le Christ, sa doctrine, et tous les moyens de salut, ses sacrements qu’Il remit aux Apôtres et par les Apôtres à l’Eglise apostolique.
Et c’est pourquoi, durant les dernières années de son épiscopat, en raison de cette crise moderniste post-conciliaire, Mgr Lefebvre n’a cessé de réclamer entre autres choses au Saint-Père qu’il nous redonne, outre le droit public de l’Eglise, j’y reviendrai –, « la Bible catholique, la Vulgate et non une Bible œcuménique, la vraie Messe et enfin le catéchisme… « Rendez-nous la vraie Bible, telle qu’était la Vulgate autrefois, qui a été tant de fois consacrée par les Conciles et par les papes… Enfin, rendez-nous notre catéchisme suivant le modèle du Catéchisme du Concile de Trente, car, sans un catéchisme précis, que seront nos enfants demain, que seront les générations futures ? Elles ne connaîtront plus la foi catholique, et nous le constatons déjà aujourd’hui » (p. 72).
Vraiment transmettre la foi, la doctrine de NSJC, transmettre NSJC et ses moyens de salut, voilà ce que fut le souci de l’épiscopat de Mgr Lefebvre. Il l’exprima très clairement aussi dans son petit ouvrage « Itinéraire spirituel ». Il a des pages sublimes sur le Christ Jésus. C’est l’objet de son chapitre 6. NSJC doit être, comme le dit saint Paul, « notre vie » et qu’à ce titre, nous devons « être toujours plus chrétiens ». Il écrit : « Si l’on pense et croit que ce mystère de l’Incarnation est pour le mystère de la Rédemption, alors il va de soi que sans Jésus-Christ, il n’y a pas de salut possible ». Il en déduit que « tout acte, toute pensée qui ne sont pas chrétiens sont sans valeur salvifique, sans mérite pour le salut » (p. 46) et c’est pourquoi, écrit-il, « l’avenir (d’un chacun) pour l’éternité dépendra désormais de (sa) relation avec Jésus-Christ, qu’il en soit conscient ou non, qu’il le veuille ou non » (p. 47). Et c’est là que se fonde le zèle missionnaire de Mgr Lefebvre et de tout prêtre. C’est très beau.
B – Le Christ, Mgr Lefebvre et le Sacerdoce
Et parce que le prêtre est « le collaborateur » de l’Evêque dans « la vigne du Seigneur », on comprend volontiers que Mgr Lefebvre s’attacha toute sa vie à la formation sacerdotale. Le prêtre était en quelle sorte le prolongement de son « bras », de « sa puissance » épiscopale.
Voilà le deuxième grand thème de l’épiscopat de Mgr Lefebvre, son amour du Sacerdoce.
Et là aussi, il faut dire que, puisque tout sacerdoce ministériel est une participation au sacerdoce unique et éternel de NJSC, Mgr Lefebvre aima le sacerdoce catholique plus que tout. Il porta son amour du Christ sur ce qui était le plus cher au cœur de Notre-Seigneur : le prêtre. Comme d’autres saints, Mgr Lefebvre aimait dire : « NSJC est mort, Il s’est sacrifié pour faire un prêtre ». Aussi la Providence permit-elle qu’il consacra de nombreuses années de sa vie à la formation sacerdotale, au Gabon, puis à Mortain et, enfin, les vingt dernières années de sa vie, à Ecône, dans le cadre de la FSSPX. Si tous les évêques de l’Eglise avaient fait autant de prêtres qu’en fit Mgr Lefebvre en vingt ans de sa vie, il n’y aurait pas aujourd’hui de crise sacerdotale…
Il veilla à la sainteté sacerdotale. Elle lui tenait à cœur, cette sainteté. Car le prêtre doit être le reflet de la sainteté du Christ en son sacerdoce puisque le sacerdoce ministériel participe à l’unique sacerdoce, celui du Christ. Dénaturer le sacerdoce ministériel, le diminuer, le confondre avec le sacerdoce des fidèles était, pour Mgr Lefebvre, insupportable : c’était porter atteinte au sacerdoce de Jésus-Christ. La crise sacerdotale qui agita le prêtre dans les années 1960-1970, fut la grande blessure de son épiscopat. Voir des prêtres demander leur réduction à l’état laïc, défroquer même tout simplement, était pour lui un scandale, une infidélité au Seigneur qui, vous dis-je, a donné sa vie pour faire un prêtre. Avoir remis, le Jeudi-Saint, entre les mains du prêtre, son Corps, son Sang, preuve, ô combien, de son amour, et voir ensuite le prêtre « frivole », « mondain », « gardant des habitudes mondaines », lui était particulièrement pénible. Il ne le supportait pas en ses propres prêtres.
La sainteté sacerdotale : ce fut toute sa préoccupation. Je me souviens très bien des conseils qu’il nous donnait alors que nous étions au Séminaire français, dont il était le supérieur hiérarchique.
Voyez ce qu’il écrivait aux séminaristes, le 19 août 1970 alors qu’ils se préparaient à rejoindre Ecône :
« Ainsi tout nous invite et nous encourage à continuer cette œuvre de sainteté sacerdotale ».
« Car c’est bien de cela qu’il s’agit, soit à Ecône, soit à Fribourg, faire de vous d’ardents disciples de NSJC que vous devez revêtir, dans lequel vous devez vous rénover comme le dit saint Paul – c’est, vous le voyez toujours la même idée : le Christ est tout pour le prêtre, il doit le revêtir, se rénover en Lui, le prêtre se définit par rapport au Christ. C’est si vrai que toute la tradition affirme que le prêtre est « un alter Christus » – le connaître, connaître Dieu en Lui, Le prier nuit et jour, L’aimer de tout votre être, telles doivent être vos dispositions, et les fruits de sagesse, de vérité, de charité inonderont nos âmes ».
Alors il médite ensuite, dans cette même lettre, les vertus sacerdotales. Ce sont celles-là mêmes que le Christ a pratiquées : la vertu d’humilité, d’oubli de soi, de condescendance, mais surtout la vertu d’obéissance : « Notre-Seigneur a donné un exemple particulier de la vertu d’obéissance qui doit être la règle fondamentale de notre conduite. Obéissance à Dieu, à l’Eglise par la soumission de nos intelligences à la foi, à la vérité révélée et à la loi de Dieu qui commande à nos volontés. Obéissance aussi à ceux qui ont la mission de nous transmettre cette Révélation et cette Loi. C’est pourquoi je vous demande de venir dans de saintes dispositions à cet égard ».
Et parce que la situation de l’Eglise en matière sacerdotale était véritablement atroce – elle l’est toujours -, il nous demandait de réagir fortement, de nous attacher vraiment à NSJC : « Parce qu’aujourd’hui l’enseignement de l’Eglise et la Tradition est délaissé ou déformé dans la conduite des actes quotidiens, parce que le sacerdoce tend à se séculariser et donc à se profaner, parce que les vices de ce monde déchu tendent à pénétrer partout dans la société chrétienne et dans les membres de l’Eglise, nous entendons l’appel du Cœur de NSJC, de l’Esprit Saint, l’appel de la Vierge Marie : « Si vous ne faites pénitence, vous périrez tous ». C’est pourquoi nous voulons prêcher plus que jamais au monde la pénitence, le mépris des vanités de ce monde, par notre habit ecclésiastique, par la soutane, par notre répulsion pour tout ce qui respire la concupiscence de la chair, en nous abstenant de la lecture de revues ou journaux dont les illustrations sont indécentes et les articles pétris d’esprit licencieux, en évitant généralement cinéma, télévision et musique lascive. Nous voulons garder nos âmes et nos sens purs pour aller à Dieu et Le recevoir dans la sainte Eucharistie ».
Voyez toujours cette insistance de Mgr Lefebvre sur le Christ, la sainte Eucharistie. C’est tout un.
Et Mgr Lefebvre était conscient de rien faire d’extraordinaire. Il imitait seulement les grands saints de l’Eglise catholique, les grands réformateurs du sacerdoce catholique : « Ce faisant, nous imiterons tous les saints qui, au cours de l’histoire de l’Eglise, ont réagi avec courage contre les erreurs et les mœurs corrompues de leur époque. C’est ainsi que nous servirons vraiment les personnes de notre temps en leur donnant l’exemple de l’Evangile vécu au XXe siècle ».
Ainsi pour Mgr Lefebvre, c’est parce qu’on oublie le vrai sens de l’Evangile, le vrai sens du Christ, que l’on délaisse l’idéal sacerdotal et que l’on tombe dans « les erreurs » sur le sacerdoce.
En effet, qu’est-ce que l’Evangile ? C’est essentiellement la Révélation du plan divin de salut voulue par Dieu de toute éternité et réalisé par son Fils, le Verbe de Dieu fait chair, par le sacrifice de la Croix. « Le sacrifice du Calvaire » est le point central et de l’Ancien Testament qui l’annonce dans les figures, les prophètes, et c’est le point central du Nouveau Testament qui le réalise par la victime « sainte, et sans tache », NSJC. Le sacrifice du Calvaire est la raison de l’Ancien Testament, c’est la raison de l’Incarnation, la réalisation de la Rédemption, celui qui glorifie Dieu infiniment et ouvre les portes du Ciel à l’humanité pécheresse.
« On ne peut qu’être frappé par l’insistance de NSJC, écrivait Mgr Lefebvre dans son « Itinéraire spirituel », durant toute sa vie terrestre, sur son « heure ». « Desiderio desideravi » dit NSJC ; j’ai désiré d’un grand désir cette heure de mon immolation. Jésus est tendu vers sa croix. Le « mysterium Christi », qui est tout l’Evangile, c’est avant tout le « mysterium Crucis ». C’est pourquoi dans les desseins de l’infinie Sagesse de Dieu, pour la réalisation de la rédemption, de la Recréation, de la Rénovation de l’Humanité, la Croix de Jésus est la solution parfaite, totale, définitive, éternelle, par laquelle tout sera résolu. C’est dans cette relation de chaque âme avec Jésus crucifié que le jugement de Dieu sera porté. Si l’âme est dans une relation vivante avec Jésus crucifié, alors elle se prépare à la vie éternelle et participe déjà à la gloire de Jésus par la présence de l’Esprit Saint en elle. C’est la vie même du Corps mystique de Jésus. « Si quelqu’un ne demeure pas en moi, il est jeté dehors comme le sarment et il sèche, puis on ramasse les sarments, on les jette au feu et ils brûlent » (Jn 15 6). Pour notre justification, pour notre sanctification, Jésus organise tout, autour de cette fontaine de Vie qu’est son sacrifice du Calvaire. Il fonde l’Eglise, il transmet son sacerdoce, Il institue les sacrements, pour faire part aux âmes des mérites infinis du Calvaire ; saint Paul n’hésite pas à dire : « Je n’ai pas jugé que je devais savoir parmi vous autre chose que Jésus et Jésus crucifié » (1 Cor 2 2) (Itinéraire spirituel, p. 59).
Voilà ce qu’est l’Evangile, « l’Evangile de la Vie », de la Vie divine obtenue par le Calvaire.
Or, ce sacrifice du Calvaire devient sur nos autels le Sacrifice de la Messe qui, en même temps qu’il réalise le sacrifice de la Croix, réalise le sacrement de l’Eucharistie qui nous rend participants à la divine Victime Jésus-Christ. C’est donc autour du Sacrifice de la Messe que s’organisera l’Eglise, Corps mystique de NSJC, que vivra le Sacerdoce pour édifier ce Corps mystique, par la prédication qui attirera les âmes à se purifier dans les eaux du Baptême pour être digne de participer au Sacrifice Eucharistique de Jésus, à la manducation de la divine Victime, et s’unir ainsi toujours plus à la Trinité Sainte, inaugurant déjà ici-bas la vie céleste et éternelle.
Or ce programme merveilleux élaboré par la Sagesse éternelle de Dieu ne pourrait se réaliser sans le Sacerdoce.
Ainsi donc, la grâce particulière du Sacerdoce est de perpétuer l’unique Sacrifice du Calvaire, source de vie, de Rédemption, de sanctification et de glorification.
Voilà le sens profond du Sacerdoce. Jésus, crucifié et ressuscité, est au cœur du Sacerdoce. Il se définit par rapport au Sacrifice du Christ. Il le perpétue. Le prêtre est vraiment un « alter Christus ».
Mgr Lefebvre n’a cessé de nous rappeler cette vérité.
Le rayonnement de la grâce sacerdotale, c’est le rayonnement de la Croix. Le prêtre est donc au cœur de la rénovation méritée par NSJC. Le prêtre n’est pas un homme « social », un homme « politique », il n’a pas directement à inventer une société démocratique, une nouvelle civilisation. Il n’a pas d’abord l’ordre temporel comme objet, ce n’est pas l’objet de ses responsabilités. Les laïcs sont là pour cela.
Le prêtre doit prêcher Jésus-Christ et Jésus Crucifié. Il doit garder sans faille et sans compromission la foi en la vertu de la Croix de Jésus, unique source de salut. Il ne doit pas verser, à l’image du monde, dans la recherche des moyens humains pour un apostolat soi-disant plus efficace. Il y aurait là un signe de la perte de la foi en Jésus-Christ crucifié, un signe de la perte du sens du sacerdoce. Le prêtre, sa mission essentielle, est d’appeler son « peuple » au pied de l’autel, pour le faire vivre du mystère de la Rédemption, du mystère de la Croix, dans l’espérance du mystère de la gloire céleste.
Le Sacrifice du Calvaire : voilà l’essence du Sacerdoce catholique.
Voilà ce que Mg Lefebvre nous a enseigné.
Voilà ce qu’il a restauré : le Sacerdoce catholique.
Et c’est ce Sacerdoce catholique dans sa relation au Sacrifice du Calvaire, à la Messe qui est le « bien », le « trésor » de tous les instituts sacerdotaux dépendant aujourd’hui de la Commission « Ecclesia Dei ». Sous ce rapport, ne craignons pas de le dire, ces instituts qui gardent, tous, cet idéal sacerdotal, font tous honneur à Mgr Lefebvre, tous, non seulement la FSSPX, mais aussi tous les instituts de droit pontifical dépendant de la Commission « Ecclesia Dei » car tous, comme la FSSPX, gardent le sens du Sacerdoce, l’amour de la Messe, l’amour de Jésus et de Jésus crucifié. C’est ce que leur ont transmis les « anciens » de la FSSPX… C’est ce qu’ils ont reçu, tout comme nous, de Mgr Marcel Lefebvre. Et si cela ne dépendait que de moi, il y aurait belle lurette que j’aurais rétabli de bonnes relations amicales avec tous ces instituts puisque nous partageons sur ce point, même idéal : celui-là même de Mgr Lefebvre, mais plus encore celui de l’Eglise catholique. Car ce que je viens de vous rappeler, c’est l’enseignement de l’Eglise catholique. Mgr Lefebvre n’a rien inventé, là aussi. Il n’a fait que transmettre fidèlement ce qu’il avait reçu de l’Eglise.
Ah ! (MBCF), comme on aime relire les paroles que Mgr Lefebvre prononçait en Allemagne, à Friedrichshafen, le 1er novembre 1990, à l’occasion du 20ème Anniversaire de la fondation de la FSSPX : « Faire de bons prêtres, c’est pour cela que la FSSPX a été fondée ».
« Mais qu’est-ce donc qu’un prêtre ? Le prêtre, selon l’esprit de l’Eglise, selon la définition de l’Eglise catholique, le prêtre est celui qui offre le Sacrifice de la Croix de NSJC, qui a le pouvoir par la grâce du sacrement de l’Ordre d’offrir le même sacrifice que Jésus-Christ a offert sur la Croix. Et donc le prêtre est un homme qui a un pouvoir sur Dieu Lui-même, sur le Verbe de Dieu incarné, il a le pouvoir de faire descendre sur l’autel, pour renouveler son sacrifice, NSJC Lui-même. Voilà ce qu’est le prêtre… Et par le fait même, deuxième pouvoir du prêtre, par le fait même qu’il a un pouvoir sur le Corps physique de Notre-Seigneur, sur son Corps, son Ame et sa Divinité dans la sainte Eucharistie, le prêtre a aussi un pouvoir sur le corps mystique de NSJC qu’est l’Eglise. Il reçoit de Dieu une autorité sacrée pour amener tous les hommes – tous, toute l’humanité – à participer au Sacrifice de NSJC. Les prêtres, par conséquent, doivent préparer toutes ces âmes qui s’uniront à NSJC, et ils le font par les sacrements de Baptême, de Confirmation et tous les autres sacrements qui préparent les âmes à recevoir dignement Jésus-Christ, leur Créateur et leur Rédempteur. Voilà le travail du prêtre. Voilà ce qu’est le prêtre catholique… Quelle dignité que la dignité sacerdotale, quel idéal que l’idéal sacerdotal, idéal magnifique et c’est pourquoi, pendant ces vingt années, nous nous sommes efforcés d’insuffler dans l’âme de ces jeunes séminaristes, un amour profond pour leur vocation, pour NSJC…
Etait-il vraiment nécessaire de fonder cette FSSPX ? N’y avait-il pas assez de séminaires dans le monde… ? (MBCF), c’est le sacerdoce qui est l’objet des attaques les plus tragiques, les plus persistantes, les plus méchantes du démon dans l’Eglise. Le démon a une haine du vrai prêtre, une haine de la vraie Messe, de la Messe qui est la Croix de Jésus parce qu’il a été vaincu par la Croix de Jésus. Depuis ce temps-là, il ne cesse d’attaquer le Sacerdoce pour pouvoir détruire la Messe parce qu’il sait que c’est par la Messe que nous le vaincrons. Comme NSJC a vaincu le démon par sa Croix, nous aussi, prêtres, nous vaincrons le démon par la Croix….
Mais tout autour de nous, il faut le reconnaître, l’esprit de sacrifice disparaît. On ne veut plus se mortifier. On veut jouir. On veut profiter de la vie. Pourquoi ? Parce qu’il n’y a plus la Croix de Jésus-Christ. Et s’il n’y a plus de Croix, il n’y a plus d’Eglise catholique… Il n’y a plus de sacerdoce catholique… puisque le prêtre est fait pour offrir le Sacrifice de la Croix, pour continuer le Sacrifice de la Croix, le prêtre a été atteint aussi par le fait même, il n’a plus été l’homme du Sacrifice. Il a été l’homme du partage, il a été l’homme du rassemblement, de la communion. Il a été l’animateur social. Il n’est plus l’homme du Sacrifice de la Croix. Et ceci est un changement considérable, voyez-vous. C’est un autre esprit. Ce n’est plus l’esprit de l’Eglise catholique… ».
C’est pourquoi il fallait nos séminaires. C’est pourquoi il faut que tous les instituts continuent de transmettre aux jeunes générations, cet idéal sacerdotal appris aux pieds de Mgr Lefebvre.
Vous voyez, je ne me trompe pas en vous disant que Mgr Lefebvre tire la grandeur du prêtre de son union à la Croix de Jésus, union qui est telle qu’il s’identifie dans l’oblation du Sacrifice au Prêtre Eternel qu’est NSJC Lui-même. Le prêtre est grand, parce que grand est le Mystère de la Croix qui est le mystère du Christ, qui est le Verbe de Dieu fait chair.
De même que sa foi dans le Christ a fait la grandeur de son épiscopat, de même sa foi au Christ crucifié lui a permit de restaurer le sacerdoce en rappelant simplement la doctrine catholique : le prêtre c’est l’homme qui perpétue le Sacrifice du Christ qui est la Voie royale du Ciel.
C – Le Christ, Mgr Lefebvre et la Sainte Messe de toujours
Et s’il y a un combat qui fut au cœur de la vie de Mgr Lefebvre ce fut bien celui de la sainte Messe. Et s’il le prit tellement à cœur, s’il le prit à bras-le-corps, pourrait-on dire, c’est qu’il a vu, en cette réforme de la messe issue du Concile Vatican II, un nouveau danger pour la pureté de la foi catholique, un nouveau danger pour l’Eglise, un danger dans la transmission de ce que NSJC a réalisé le Jeudi-Saint dans l’Institution de la Sainte Eucharistie. Là, NSJC n’a pas seulement institué le sacrement de son Corps et de son Sang, mais, en son Corps et en son Sang consacrés séparément et réellement présents sous les espèces eucharistiques, Il instituait son Sacrifice et ordonnait prêtres ses Apôtres, pour qu’eux et leurs successeurs dans le sacerdoce, célébrassent à perpétuité ce Sacrifice, le même, le seul : « Faites ceci en mémoire de Moi ».
Or, comme nous l’avons dit plus haut, il n’y a rien de plus grand en NSJC que son Sacrifice, que le Sacrifice du Calvaire. Il est venu sur la terre pour accomplir ce sacrifice par lequel Il rendait à Dieu toute honneur et toute gloire, confessant sa totale Seigneurie sur toutes choses, opérant notre salut par mode de cause efficiente, nous dit saint Thomas, par mode de mérite, par mode de satisfaction, en tant qu’il nous a délivrés de l’obligation de la peine qu’avaient mérité nos péchés, par mode de rédemption ou de rachat, en tant qu’Il nous a délivrés de l’esclavage du péché et du démon et par mode de sacrifice, en tant que par ce Sacrifice nous rentrons en grâce auprès de Dieu, réconciliés avec Lui. Dès lors, les portes du ciel nous sont ouvertes puisque l’obstacle – le péché – est enlevé, réparé. Nous comprenons ainsi combien est importante pour la foi et la doctrine catholique, ce Sacrifice du Seigneur. Et combien il faut l’aimer.
Or on sait que le Sacrifice de la Messe est le Sacrifice de la Croix. C’est l’enseignement de l’Eglise.
Le Catéchisme du Concile de Trente affirme sur ce point capital, essentiellement deux choses :
Nous reconnaissons, dit le catéchisme, que le Sacrifice qui s’accomplit à la Messe, et celui qui fut offert sur la Croix ne sont et ne doivent être qu’un seul et même Sacrifice,
1) parce qu’il n’y a qu’une seule et même Victime, Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui s’est immolé une fois sur la Croix d’une manière sanglante. Car il n’y a pas deux hosties, l’une sanglante, et l’autre non sanglante, il n’y en a qu’une ; il n’y a qu’une seule et même Victime dont l’immolation se renouvelle tous les jours dans l’Eucharistie depuis que le Seigneur a porté ce commandement « Faites ceci en mémoire de Moi » ;
2) parce qu’il n’y a qu’un seul et même Prêtre dans ce Sacrifice, c’est Jésus-Christ. Car les Ministres qui l’offrent n’agissent pas en leur propre nom. Ils représentent la Personne de Jésus-Christ, lorsqu’ils consacrent son Corps et son Sang, comme on le voit par les paroles mêmes de la Consécration. Car les prêtres ne disent pas : Ceci est le Corps de Jésus-Christ, mais, Ceci est mon Corps : se mettant ainsi à la place de Notre-Seigneur, pour convertir la substance du pain et du vin en la véritable substance de son Corps et de son Sang.
Les choses étant ainsi, il faut sans aucune hésitation enseigner avec le saint Concile que l’auguste Sacrifice de la Messe n’est pas seulement un Sacrifice de louanges et d’actions de grâces, ni un simple mémorial de celui qui a été offert sur la Croix, mais EST encore un vrai Sacrifice de propitiation pour, je me répète tant la chose est importante, pour apaiser Dieu et nous Le rendre favorable. Si donc nous immolons et si nous offrons cette Victime très Sainte avec un cœur pur, une Foi vive et une douleur profonde de nos péchés, nous obtiendrons infailliblement miséricorde de la part du Seigneur, et le secours de sa Grâce dans tous nos besoins. Le parfum qui s’exhale de ce Sacrifice lui est si agréable qu’Il nous accorde les dons de la grâce et du repentir, et qu’Il pardonne nos péchés. Aussi l’Eglise dit-elle, dans une de ses prières solennelles : « Chaque fois que nous renouvelons la célébration de ce Sacrifice, nous opérons l’œuvre de notre salut » (Secrète du 9ème dimanche après la Pentecôte). Car tous les mérites si abondants de la Victime sanglante se répandent sur nous par ce Sacrifice non sanglant.
Ainsi de la même manière, Mgr Lefebvre n’a cessé de rappeler lui aussi cette vérité : « Notre Messe est la Messe du Sacrifice et il n’y a qu’un seul Sacrifice qui nous ouvre la porte du ciel : « Tu devicto mortis aculeo… », « Toi, en nous délivrant des chaînes de l’enfer, Tu nous as conduits au Ciel par la Croix ». La croix, c’est le chemin qui nous mène au ciel. Le Sacrifice de NSJC, c’est la voie royale qui nous mène à l’éternité. Il n’y en a pas d’autre. Il n’y a pas de choix. Il n’y a pas de liberté religieuse dans ce sens que l’on pourrait choisir sa religion. Il n’y a qu’une religion parce qu’il n’y a qu’un chemin qui nous mène au ciel, il n’y en a pas deux, la Croix de NSJC. La Croix de Notre-Seigneur Jésus-Christ, c’est la vraie Messe, la Messe de toujours. Alors si nous voulons demeurer catholiques, il faut garder cette Messe qui est le Sacrifice de la Croix de NSJC. Et si nous voulons garder cette Messe, il faut avoir des prêtres catholiques, des prêtres qui y croient… » (Homélie en Allemagne pour les 20 ans de la Fondation de la FSSPX, p. 182).
Aussi voulut-il garder clairement cette Messe de « toujours ».
Il vous souvient, du moins pour les plus anciens, de son appel pathétique lancé à la Porte de Versailles, lors de sa Messe Jubilaire, pour le 50ème Anniversaire de son Sacerdoce, le 23 septembre 1979 : « Je terminerai, Mes Bien Chers Frères, disait-il, par, ce que j’appellerai un peu, mon testament. Mon testament, c’est un bien grand mot, je voudrais que ce soit l’écho du testament de Notre-Seigneur : Novi et aeterni testamenti – Vous voyez comme toujours il moule sa pensée dans la pensée du Christ Seigneur. Il n’a qu’un amour au cœur, celui de NSJC. Il ne veut prêcher qu’une chose, NSJC et sa Croix, le Christ et le Christ crucifié. On ne peut pas trouver une plus grande insistance… Il n’a qu’un Testament à donner, non le sien, on sent qu’il s’est surpris lui-même en parlant de son testament… Non pas mon testament, mais celui de NSJC – « Novi et aeterni testamenti…, c’est le prêtre qui récite ces paroles de la Consécration du Précieux Sang. Hic est calix sanguinis mei, novi et aeterni testamenti », l’héritage que Jésus-Christ nous a donné, c’est son Sacrifice, c’est son Sang, c’est sa Croix. Et cela est le ferment de toute la civilisation chrétienne et de ce qui doit nous mener au ciel. Aussi je vous dis : Pour la gloire de la Très Sainte Trinité, pour l’amour de NSJC, pour la dévotion à la Très Sainte Vierge Marie, pour l’amour de l’Eglise, pour l’amour du pape, pour l’amour des évêques, des prêtres, de tous les fidèles, pour le salut du monde, pour le salut des âmes, gardez ce testament de NSJC ! Gardez le Sacrifice de NSJC ! Gardez la Messe de toujours… Dans quelques instants, je vais prononcer ces paroles sur le calice de mon ordination, et comment voulez-vous que je prononce, sur le calice de mon ordination, d’autres paroles que celles que j’ai prononcées il y a cinquante ans sur ce calice ? C’est impossible. Je ne puis pas changer ces paroles. Alors nous continuerons à prononcer les paroles de la Consécration, comme nos prédécesseurs nous l’ont appris, comme les papes, les évêques et les prêtres qui ont été nos éducateurs nous l’ont appris, afin que NSJC règne et que les âmes soient sauvées par l’intercession de Notre Bonne Mère du ciel. Amen ».
Cette fidélité au testament de NSJC, à savoir au don que NSJC fait de son Sacrifice à son Eglise et aux prêtres, lui valut les pires ennuis. En effet, au milieu, en pleine décadence sacerdotale, il créa son séminaire : Fribourg, puis Ecône. Il n’avait – vous pouvez l’imaginer facilement -, il n’avait dans cette œuvre qu’un but : celui de former des prêtres qui célèbreraient cette Messe de toujours. Nous étions en septembre 1969. Or, au même moment, quelques mois auparavant, le Pape Paul VI publiait son « Novus Ordo Missae » qui, aux dires de nombreuses critiques et pas des moindres -le Cardinal Ottaviani, le Cardinal Bacci -, s’éloignait dans l’ensemble comme dans le détail de la doctrine catholique sur la Messe définie à jamais par le Concile de Trente dans sa session XXII, pour protéger la Chrétienté de l’hérésie protestante. Pour les protestants, la messe n’était que la Cène célébrée le Jeudi-Saint. Ils n’en font qu’une simple commémoration. Pour eux, elle n’est nullement le renouvellement du Sacrifice de la Croix. Elle n’est pour eux que l’assemblée des fidèles réunis en son nom sous la présidence du ministre pour faire, pour en faire une simple commémoration. L’article 7 de l’Institutiuo generalis du Novus Ordo Missae publiée dans la constitution apostolique « Missale romanum » en reprenait étonnamment tous les éléments, d’où le grand émoi dans toute la Chrétienté et l’opposition qu’elle suscita un peu partout.
Mgr Lefebvre, sans être le seul, loin de là, ni le premier, fut un ardent défenseur de la messe de toujours et un ferme opposant de la Nouvelle Messe. On ne peut être pour l’une sans être contre l’autre, doctrinalement. On ne peut être pour la vérité sans être en même temps contre l’erreur. Le 5 juin 1971, devant son corps professoral et devant tous les séminaristes d’Ecône, puis le lendemain, de Fribourg, il prenait officiellement position contre la réforme liturgique ; il s’y opposa fortement disant que la Nouvelle Messe exprime d’une manière équivoque les trois vérités essentielles de la messe catholique, à savoir la Présence réelle et substantielle de NSJC dans l’Eucharistie, comme victime du sacrifice, du Sacrifice de la messe, qui n’est pas seulement un sacrifice de louange, ni une simple commémoration, ni une simple assemblée des fidèles sous la présidence du prêtre mais qui est essentiellement le Sacrifice propitiatoire du Christ en Croix renouvelé sur les autels, nous rachetant du péché originel et de nos péchés personnels, le prêtre offrant seul au nom du Christ-Grand Prêtre selon l’ordre de Melchisédech, ce sacrifice réparateur. Dans ses homélies, ses conférences, de part le monde, Mgr Lefebvre ne cessa d’exposer les dangers de la Nouvelle Messe argumentant contre elle. On ne sait quelles conférences citer tellement elles sont nombreuses. Il me reste dans ma bibliothèque personnelle, peut-être une cinquantaine de conférences et homélies réunies, à l’époque, en plaquettes ; la plaquette intitulée « Le sacerdoce et la messe », la plaquette réunissant « les homélies de l’été chaud » Nous étions en 1976. La plaquette intitulée « Pour l’honneur de l’Eglise » elle contient une conférence donnée en 1975 à Vienne, le 9 septembre 1975 et un sermon prononcé à la salle Wagram à Paris le 4 octobre 1975 à l’occasion des Confirmations ; une autre plaquette, intitulée : « Crise de l’Eglise ou crise du sacerdoce », ce sont les textes d’une conférence donnée à Tourcoing, le 30 janvier 1974 ; dans une plaquette, intitulée « En cette crise de l’Eglise, gardons la foi », nous avons le texte d’une conférence qu’il donnait à Brest, le 17 janvier 1973. Et puis la fameuse plaquette intitulée : « La messe de Luther » qui contient deux de ses conférences, l’une qui a pour titre : « De la messe évangélique de Luther au Novus Ordo Missae ». C’était une conférence prononcée à Florence, le 15 février 1975, et l’autre intitulée : « De la messe et du sacerdoce catholique », C’était une conférence donnée à Mariazell en Suisse, le 8 septembre 1975 ; la plaquette réunissant les homélies qu’il donnait à Rome à l’occasion de l’Année Sainte de 1975, les 3 et 26 mai. J’ai aussi dans les mains sa fameuse conférence de Bruxelles du 22 mars 1986 toute consacrée à l’œcuménisme et la liberté religieuse… Nous en parlerons plus loin… Vous le voyez, la messe « de toujours » fut vraiment son sujet de prédilection. Il mit tout son cœur pour garder ce trésor essentiel à l’Eglise et au sacerdoce. Et j’affirme que si nous avons encore ce trésor dans nos mains sacerdotales, c’est grâce à Mgr Lefebvre. Si nous avons la joie d’avoir le Motu Proprio de Benoît XVI, c’est encore grâce à Mgr Lefebvre. Benoît XVI n’aurait pas pu l’écrire sans Mgr Lefebvre puisque c’est lui qui, contre vents et marées, garda ce trésor. Contre vents et marées, précisons, contre la volonté expresse de Paul VI qui fit tout pour que Mgr Lefebvre cède. Il fallait un caractère bien trempé, mieux, une foi particulièrement forte et éclairée pour oser se « dresser » contre Paul VI et sa volonté formelle. En 1976 la chose était entendue, du moins dans la pensée du pape. Oui ! Il aurait dû en être ainsi sans l’opiniâtreté de Mgr Lefebvre qui s’est battu comme un lion. Il devait cesser son opposition à la réforme liturgique et prendre enfin, lui et ses prêtres, la Nouvelle Messe, sinon son séminaire serait fermé, sa Fraternité sacerdotale supprimée, lui serait déclaré suspens a divinis, ses prêtres, sans juridiction et donc sans aucun ministère. Mgr Lefebvre connaissait ces menaces. Elles lui furent souvent formulées, puis communiquées par voie hiérarchique, canonique. Il les pesa, soupesa, examina ; il en chercha la raison. Elles avaient pour raison, nous expliqua-t-il, son attachement à la Messe de toujours, pourtant jamais interdite, en termes formels et canoniques dans la Constitution Missale romanum de Paul VI. Souvenez-vous du fameux sermon du 29 juin 1976 : « Mais si, en toute objectivité, nous cherchons quel est le motif véritable qui anime ceux qui nous demandent de ne pas faire ces ordinations, si nous recherchons leur motif profond, nous voyons que c’est parce que nous ordonnons ces prêtres afin qu’ils disent la Messe de toujours. Et c’est parce que l’on sait que ces prêtres seront fidèles à la Messe de toujours, qu’on nous presse de ne pas les ordonner. Et j’en veux pour preuve le fait que six fois depuis trois semaines, six fois, on m’a demandé de rétablir des relations normales avec Rome et de donner pour témoignage de recevoir le rite nouveau et de le célébrer moi-même. On est allé jusqu’à m’envoyer quelqu’un qui m’a offert de concélébrer avec moi dans le rite nouveau afin de manifester que j’acceptais volontiers cette nouvelle liturgie et, que de ce fait, tout serait aplani entre nous et Rome. On m’a mis dans les mains un missel nouveau en me disant : « Voilà la messe que vous devez célébrer et que vous célébrerez désormais dans toutes vos maisons ». On m’a dit également que si en cette date, aujourd’hui ce 29 juin, devant toute votre assemblée, nous célébrions une messe selon le nouveau rite, tout serait aplani désormais entre nous et Rome. Ainsi donc, il est clair, il est net que c’est sur le problème de la Messe que se joue tout le drame entre Ecône et Rome ».
« Est-ce que nous avons tort de nous obstiner à vouloir garder le rite de toujours ? ». Grave question, à la vérité. Il s’employa, vous dis-je, à démontrer les raisons de sa fidélité. Là aussi, on peut les résumer en une question de fidélité à la foi de toujours, à une fidélité au mystère de la Rédemption de NSJC.
Voyez, il disait, toujours dans le même discours du 29 juin 1976 : « Cette nouvelle messe est un symbole, une expression, une image d’une foi nouvelle, d’une foi moderniste. Si la Très Sainte Eglise a voulu garder tout au cours des siècles ce trésor précieux qu’elle nous a donné du rite de la sainte Messe qui a été canonisé par saint Pie V, ce n’est pas pour rien. C’est parce que dans cette messe se trouve toute notre foi, toute la foi catholique, la foi dans la Très Sainte Trinité, la foi dans la Rédemption de NSJC, la foi dans le Sang de NSJC qui a coulé pour la rédemption de nos péchés, la foi dans la grâce surnaturelle qui nous vient par tous les sacrements. Voilà ce que nous croyons en célébrant le saint Sacrifice de la Messe de toujours. Cela est une leçon de foi et en même temps une source de notre foi, indispensable pour nous en cette époque où notre foi est attaquée de toute part. Nous avons besoin de cette messe véritable, de cette messe de toujours, de ce Sacrifice de NSJC pour réellement remplir nos âmes du Saint-Esprit et de la force de NSJC ».
« Rédemption de NSJC avec tous ses fruits » : Voilà ce que nous donne la messe de toujours. Voilà ce que n’exprime plus clairement la Nouvelle Messe. Voilà pourquoi je la refuse, nous disait Mgr Lefebvre. Vous le voyez, c’est toujours pour une question de fidélité à la Croix de NSJC, mystère central de notre foi catholique parce que mystère central du Christ – Mysterium Christi, Mysterium Crucis -, que Mgr Lefebvre garda sa vie durant, et nous à sa suite, la Messe de toujours.
Il y a vraiment une profonde unité dans la vie de Mgr Lefebvre et son combat : Cette unité se fait sur la doctrine de l’amour de NSJC et de sa Croix. Voilà son héritage !
D – Le Christ, sa royauté et Mgr Lefebvre
Or, c’est précisément sur le Sacrifice de la Croix que se fonde la Royauté de NSJC. Voilà pourquoi Mgr Lefebvre, très attaché au sacrifice du Calvaire, le sera tout également à sa Royauté. Il sera le grand défenseur, dans le corps épiscopal, en cette fin du XXe siècle, de la Royauté sociale de NSJC. Que de sermons a-t-il prononcés sur ce sujet ! Ils sont presque infinis.
Mais rappelons le principe pour en tirer la conséquence, comme le fit Mgr Lefebvre. Il part de la citation des Philippiens :
« Dieu l’a exalté et lui a donné un nom qui est au-dessus de tout nom, afin qu’au nom de Jésus tout genou fléchisse, au ciel, sur terre et dans les enfers ; et que toute langue confesse que le Seigneur Jésus-Christ est dans la gloire de Dieu le Père » (Phil 2 9-11).
Il suit de la doctrine de l’Apôtre que l’imposition du nom glorieux de Jésus et la domination universelle, l’empire souverain attaché à ce nom, sont une récompense accordée au Fils de Marie.
Assurément, le nom et l’attribut de Maître et Dominateur, de Roi, appartiennent par nature au Fils de Dieu fait homme : c’était l’apanage obligé de la personnalité divine. Mais à son droit de naissance, il a joint le droit de conquête, comme le dit Pie XI. Il a voulu posséder, à titre de mérite et comme conséquence des actes de sa volonté humaine, ce que sa nature divine lui octroyait déjà par collation.
Et quelle a été la source de ce mérite ? Saint Paul nous l’apprend dans la même Epître : « Bien qu’il fût dans la condition de Dieu, il n’a pas retenu avidement son égalité avec Dieu ; mais il s’est anéanti Lui-même, en prenant la condition d’esclave, en se rendant semblable aux hommes, et reconnu pour homme par tout ce qui a paru de lui ; il s’est abaissé Lui-même, se faisant obéissant jusqu’à la mort, et à la mort de la Croix ». Or, poursuit l’Apôtre : « C’est pourquoi aussi, Dieu l’a souverainement élevé, et lui a donné le nom qui est au-dessus de tout nom, afin qu’au nom de Jésus tout genou fléchisse dans les cieux, sur la terre et dans les enfers, et que toute langue confesse, à la gloire de Dieu le Père, que Jésus-Christ est Seigneur » (Phil 2 6-9).
Quelle doctrine importante !
« Il s’est anéanti Lui-même » ! Lucifer a été abaissé au-dessous de son rang primitif, mais ce fut contre son gré. L’homme aussi est tombé au-dessous de lui-même, mais cela a été la juste peine infligée à son ambition. Il n’en est point ainsi de NSJC. C’est librement, c’est par choix, c’est par amour pour nous que le Fils de Dieu, égal et consubstantiel au Père, a résolu de s’abaisser jusqu’à prendre notre nature. Puis, ayant poursuivi ce dessein, c’est par un acte méritoire de sa volonté humaine et de ses facultés créées que, non content de s’être fait homme, il s’est fait esclave, qu’il a choisi la confusion de préférence à la joie et, finalement, qu’il a poussé le sacrifice jusqu’à l’acceptation de la mort, et de la mort de la Croix. Or, dit le grand Apôtre : « à cause de cela », « propter quod » et abstraction faite de son empire qu’il a au titre de sa divinité, « Dieu L’a exalté et Lui a donné un nom qui est au-dessus de tout nom ». Ce nom étant au-dessus de tout nom, c’est l’ordre établi de Dieu que devant Lui tout genou fléchisse au ciel, sur terre et dans les enfers. Au ciel, c’est l’attribut, l’occupation des Anges et des Bienheureux.
« Aux enfers », oui encore, ils le font par force…
Mais « à la terre », c’est aussi le commandement de l’adorer. Il n’est rien ici-bas, il n’est rien de terrestre, qui ne doive courber le genou devant ce nom de Jésus : c’est le commandement fait à la terre. Dieu a mis toutes choses sous ses pieds et il l’a donné pour Chef à toute l’humanité régénérée. C’est le devoir de toute langue de reconnaître et de proclamer sa puissance souveraine. « Tout genou », « toute langue ». « N’établissons donc point d’exceptions là où Dieu n’a pas laissé de place à l’exception », nous dit le Cardinal Pie. L’homme individuel, le chef de famille, le simple citoyen et l’homme public, les particuliers et les peuples, en un mot, tous les éléments quelconques de ce monde terrestre doivent la soumission et l’hommage au nom de Jésus-Christ. Voilà l’enseignement du Syllabus. Voilà l’enseignement de Quas Primas.
Voilà l’enseignement de Mgr Lefebvre.
Et voilà précisément, ce que refuse la Révolution, ce que refusent les philosophes des Lumières, ce que refuse leur rationalisme, leur naturalisme, leur athéisme. Voilà la politique contemporaine. Voilà le monde moderne. Voilà ce qu’à son tour Mgr Lefebvre refuse, pour cette unique raison qu’il veut suivre l’ordre divin qui est l’adoration du Christ-Roi, la soumission au Christ-Roi, à sa Loi. En conséquence, il s’est toujours opposé, comme tous les papes jusqu’à Pie XII, au catholicisme libéral qui veut « marier l’Eglise à cette subversion ». Mgr Lefebvre parlera alors de « l’union adultère entre l’Eglise et la Révolution ». Il le rappellera très fortement lors de son discours à Lille en 1976 : « Qu’est-ce qu’ont voulu, en effet, les catholiques libéraux pendant un siècle et demi ? Marier l’Eglise et la Révolution, marier l’Eglise et la subversion, marier l’Eglise et les forces destructrices de la société, de toutes les sociétés, la société familiale, civile, religieuse. Ce mariage de l’Eglise avec la Révolution, il est inscrit dans le Concile. Prenez le schéma Gaudium et Spes et vous y trouverez : « Il faut marier les principes de l’Eglise avec les conceptions de l’homme moderne ». Qu’est-ce que cela veut dire ? Cela veut dire qu’il faut marier l’Eglise, l’Eglise catholique, l’Eglise de NSJC avec les principes qui sont contraires à cette Eglise, qui la minent, qui ont toujours été contre l’Eglise. C’est précisément ce mariage qui a été tenté pendant le Concile par des hommes d’Eglise, et non pas l’Eglise, car jamais l’Eglise ne peut admettre une chose comme celle-là. Pendant un siècle et demi précisément tous les souverains pontifes ont condamné ce catholicisme libéral, ont refusé ce mariage (pour l’honneur de NSJC et sa Royauté), avec les idées de la Révolution, avec les idées de ceux qui ont adoré la Déesse-Raison. Les papes n’ont jamais accepté des choses semblables » (pp. 57-58).
Le Concile s’est pourtant bien dressé là contre. Je me souviens de la lecture qu’il faisait à Ecône des propos écrits par le Cardinal Ratzinger dans le dernier chapitre de son livre « Les principes de la Théologie catholique ». Ils l’horrifiaient tout en étant, pour lui, comme un confirmatur de son analyse propre du Concile. Voyez. Pour le Cardinal « Gaudium et Spes », dit-il,… permet de percevoir la physionomie spéciale du dernier concile ». Il doit être considéré comme « le véritable testament du Concile ». Quel est donc ce testament ? Le texte cherche à amener et l’Eglise et le monde à « une coopération dont le but est la construction du monde. L’Eglise coopère avec le monde pour construire le monde… C’est ainsi, écrit-il, qu’on pourrait caractériser la vision déterminante du texte » (p. 224). Mais l’Eglise longtemps est restée en réserve par rapport à ce monde moderne et ses principes. Or, précisément, ce texte a eu « la force de déloger (dans les mentalités de l’Eglise) des conceptions enracinées depuis des siècles ». « Ce texte respire un optimisme étonnant ». En effet, dit le cardinal : « L’attitude de réserve critique à l’égard des forces déterminantes du monde moderne devait être effacée par une insertion résolue dans leur mouvement ».
C’est pourquoi Gaudium et Spes est comme « une révision du Syllabus de Pie IX, une sorte de contre-syllabus ». Il « a tracé une ligne de démarcation devant les forces déterminantes du XIXe siècle ». C’est pourquoi il « représente une tentative pour une réconciliation officielle de l’Eglise avec le monde tel qu’il était devenu depuis 1789 » (p. 427).
Ces derniers propos du Cardinal, vous dis-je, tout en confortant Mgr Lefebvre dans l’analyse qu’il faisait du Concile, étaient pour lui tout simplement scandaleux. « Se réconcilier avec le monde tel qu’il était devenu depuis 1789 » ? C’est inouï, disait-il. C’est impossible. Ce monde issu de 1789 est opposé au Christ, Ce monde est « antichristique ». Comment peut-on envisager une réconciliation ? Le naturalisme qui est le formel de la Révolution et, en conséquence, du monde moderne, est ce qu’il a de plus opposé au christianisme. En effet, le christianisme dans son essence est tout surnaturel, ou plutôt c’est le surnaturel même en substance et en acte. Dieu surnaturellement révélé et connu. Dieu surnaturellement aimé et servi, surnaturellement donné, possédé et goûté : c’est tout le dogme, toute la morale, tout le culte et tout l’ordre sacramentel chrétien. La nature y est indispensable, certes, elle est la base ; mais elle est partout dépassée. Le christianisme est l’élévation, l’extase, la déification de la nature créée. Or, le naturalisme philosophique nie avant tout ce surnaturel. Le surnaturel, le christianisme est pour lui une usurpation et une tyrannie. Le naturalisme est bien le pur antichristianisme. Il nie qu’il y ait des dogmes et qu’il puisse y en avoir. De toute façon, il les refuse… Le naturalisme nie que Dieu soit révélateur. Le naturalisme élimine Dieu du monde et de la création. Il est en tout point en opposition à la religion chrétienne, nous dit le Concile Vatican I. Et parce que le Christ dans le catholicisme est central, le naturalisme, son principe, sa loi fondamentale, son besoin essentiel, son œuvre réelle, sa passion obstinée et, dans la mesure où il y réussit, son œuvre réelle, c’est de détrôner le Christ et de le chasser de partout : ce qui est la tache de l’antéchrist et ce qui est l’ambition de Satan. Tel est le programme de la Révolution. Le Christ, notre unique Seigneur et Sauveur, c’est-à-dire le Christ qui est deux fois notre Maître, maître parce qu’il a tout fait, maître parce qu’il a tout racheté, il s’agit de l’exclure de la pensée et de l’âme des hommes, de le bannir de la vie publique et des mœurs des peuples, pour substituer à son règne ce qu’on appelle le pur règne de la raison ou de la nature. Et les conséquences ne sont rien d’autres que le développement, dans le rejet de Dieu, du panthéisme, de l’athéisme, du matérialisme.
Et vous voulez vous réconcilier avec de tels principes !
Voilà, bien sûr, ce que ne pouvait admettre Mgr Lefebvre. Son épiscopat se dressait légitimement contre un tel programme. Voilà son héritage pour moi.
Il prêchait à Lille : « On ne veut plus du Règne social de NSJC, et cela sous prétexte que ce n’est plus possible. Je l’ai entendu de la bouche du Nonce de Berne, je l’ai entendu de la bouche de l’envoyé du Vatican, le Père Dhanis, ancien Recteur de l’Université Grégorienne, qui est venu me demander, au nom du Saint-Siège, de ne pas faire les ordinations du 29 juin. Il était le 27 juin à Flavigny lorsque je prêchais la retraite aux séminaristes. Il m’a dit : « Pourquoi êtes-vous contre le Concile ? ». Je lui ai répondu : « Est-il possible d’accepter le Concile, alors qu’au nom du Concile vous dites qu’il faut détruire tous les Etats catholiques, qu’il ne faut plus d’Etats catholiques, donc plus d’Etats sur lesquels règne NSJC ? ». « Ce n’est pas possible aujourd’hui ». Mais autre chose est que cela ne soit plus possible aujourd’hui, et autre chose que nous prenions cette impossibilité comme principe, et que, par conséquent, nous ne recherchions plus ce règne de NSJC. Que disons-nous tous les jours dans le Notre Père ? « Que votre règne, que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel. Qu’est-ce que c’est que ce règne ? Tout à l’heure, vous avez chanté dans le Gloria : « Tu solus Dominus, tu solus Altissimu Jésu Christe », « Vous êtes le seul Très-Haut, vous êtes le seul Seigneur ». Nous le chanterions, et dès que nous serions sortis nous dirions : « Non il ne faut plus que NSJC règne sur nous ». Vivons-nous dans l’illogisme, sommes-nous catholiques ou non, sommes-nous chrétiens ou non ? Il n’y aura de paix sur cette terre que dans le règne de NSJC. … Même du point de vue économique, il faut que NSJC règne. Parce que le Règne de NSJC c’est justement le règne de ses principes d’amour que sont les commandements de Dieu et qui mettent de l’équilibre dans la société, qui font régner la justice, la paix dans la société. Ce n’est que dans l’ordre, la justice et la paix que l’économie peut refleurir » Et de citer l’exemple de l’Argentine. Il poursuit : « C’est le Règne de NSJC que nous voulons, et nous professons notre foi en disant que NSJC est Dieu. Et c’est pourquoi nous voulons aussi la Messe de saint Pie V. Pourquoi ? Parce que cette Messe est la proclamation de la Royauté de NSJC. La nouvelle messe est une espèce de messe hybride qui n’est plus hiérarchique, qui est démocratique, c’est l’assemblée qui prend plus de place que le prêtre. Et donc ce n’est plus une messe véritable, qui affirme la royauté de NSJC. Comment NSJC est-il devenu Roi ? Il a affirmé sa Royauté sur la Croix. Regnavit a ligno Deus. Jésus-Christ a régné par le bois de la croix. Car il a vaincu le péché, il a vaincu le démon, il a vaincu la mort par sa Croix ! ».
Voilà ce que demandait Mgr Lefebvre au Souverain Pontife : « Très Saint-Père, rendez-nous le droit public de l’Eglise, c’est-à-dire le règne de NSJC… ». « Hélas, je n’ai eu aucune réponse, sinon la suspens a divinis ».
Et voilà pourquoi Mgr Lefebvre parlait si souvent de la « Chrétienté ». Il aimait dire : « C’est de la Croix que se construira la Chrétienté ou le Règne social de Jésus crucifié, dans la famille et la société. La Chrétienté, c’est la société vivant à l’ombre de la Croix, de l’Eglise paroissiale construite en croix, surmontée de la Croix, abritant l’autel du Calvaire renouvelé quotidiennement, où les âmes viennent naître à la grâce et l’entretiennent, par le ministère des prêtres, qui sont d’autres Christ. La Chrétienté, c’est le village, ce sont les villages, les cités, le pays qui, à l’imitation du Christ en Croix, accomplissent la loi d’amour, sous l’influence de la vie chrétienne de la grâce. La Chrétienté, c’est le Royaume de Jésus-Christ ; les autorités de cette chrétienté se disent « lieutenants de Jésus-Christ » chargés de faire appliquer sa Loi, de protéger la foi en Jésus-Christ et d’aider par tous les moyens à son développement, en plein accord avec l’Eglise » (Itinéraires spirituels, p. 60).
Et c’est pourquoi, il s’opposa si fortement au principe de la liberté religieuse.
E – La liberté religieuse et Mgr Lefebvre
Car la doctrine de la « liberté religieuse » c’est la reconnaissance des droits à l’erreur et concrètement la négation de la Vérité. On ne peut tout de même pas reconnaître des droits à l’erreur. On peut tolérer l’erreur mais on ne peut pas lui reconnaît de droit. Car NSJC est le seul Dieu, il a fondé la seule vraie religion à laquelle il faut croire pour être sauvé. Ce fut la position de toujours de l’Eglise jusqu’au Concile Vatican II.
Dans le commentaire que Mgr Lefebvre donnait aux séminaristes à Ecône sur l’Encyclique de Léon XIII, « Libertas », et qui fut publié dans un livre : « C’est moi l’accusé qui devrait vous juger », on lit cette belle page, sous le titre Des droits pour toutes les religions : La liberté des cultes est une liberté fausse. Cent ans après Léon XIII, cette liberté est vraiment devenue un principe courant et normal. Rares sont les catholiques qui comprennent encore que l’on puisse interdire l’expansion d’une religion dans un pays. C’est dire combien les erreurs ont pénétré les intelligences. Pour ne pas se laisser empoisonner, revenons toujours aux principes vrais. On entend dire : il est mieux que l’Etat laisse tout le monde libre en matière de religion. Mais c’est un raisonnement absolument contraire à ce que le Bon Dieu a voulu. Quand Il a créé les hommes et les sociétés, c’était pour que la religion fût mise en œuvre et pas n’importe quelle religion ! Or, prenons la déclaration de Vatican II sur la liberté religieuse : on y parle de groupes religieux (DH 1,4) sous l’intertitre : Liberté des groupes religieux : « Les groupes religieux, en effet, sont requis par la nature sociale tant de l’homme que de la religion elle-même. Dès lors donc, que les justes exigences de l’ordre public ne sont pas violées, ces groupes sont en droit de jouir de cette immunité afin de pouvoir se régir selon leurs propres normes, d’honorer d’un culte public la divinité suprême… ».
De quels groupes s’agit-il ? Mormons ? Scientologistes ? Musulmans ? Bouddhistes ? Où est Notre-Seigneur Jésus-Christ là-dedans ? La « divinité suprême », est-ce le Grand Architecte ?
« …aider leurs membres dans la pratique de leur vie religieuse et les sustenter par un enseignement, promouvoir enfin les institutions au sein desquelles leurs membres coopèrent à orienter leur vie propre selon leurs principes religieux ».
Vous avez bien lu : chaque groupe religieux selon son propre principe religieux ! Cela est inouï ! Pensons toutefois que ce n’était qu’un Concile « pastoral » et que le Saint-Esprit n’y était pas…
« Les groupes religieux ont aussi le droit de ne pas être empêchés d’enseigner et de manifester leur foi publiquement, de vive voix et par écrit ».
Leur foi ? Mais c’est ce qui est contraire à la foi catholique ! Les Etats devraient donc donner à ces « groupes religieux » la faculté de pouvoir écrire, diffuser leurs erreurs, propager leur enseignement par les institutions ? C’est inimaginable !
Il n’y a pas seulement les erreurs. Il faut immédiatement penser aux conséquences. Car cela ne reste pas dans le domaine spéculatif : chaque religion a ses convictions doctrinales mais aussi sa morale. Les protestants acceptent le divorce, les contraceptifs ; les musulmans ont droit à la polygamie… Faut-il alors que les Etats admettent tout cela pour que les « groupes religieux » puissent orienter leur vie propre selon leurs principes religieux ?
Et après, pourquoi y aurait-il des limites ? Pourquoi pas le sacrifice humain ? On dira peut-être : c’est contraire à l’ordre public… Mais un père qui sacrifierait son enfant (en son particulier) gênerait-il vraiment l’ordre public ? Voilà à quoi on arrivera !
Et puis, pourquoi pas l’euthanasie ? Tuer les vieillards dans les hôpitaux, cela libère la société de gens écrasants et trop coûteux… Une piqûre, et c’est fini ! Et sans gêner l’ordre public ! C’est effrayant. On peut dès lors tout admettre, au nom du droit pour tous « de ne pas être empêché d’enseigner » et « de manifester leur foi publiquement par écrit ou de vive voix ».
La déclaration conciliaire ajoute : « Mais dans la propagation de la foi (quelle foi ?) et l’introduction des pratiques religieuses, on doit toujours s’abstenir de toute forme d’agissements ayant un relent de coercition, de persuasion malhonnête ou peu loyale, surtout s’il s’agit de gens sans culture ou sans ressources. Une telle manière d’agir doit être regardée comme un abus de son propre droit et une entorse au droit des autres ».
Voilà les propos qui se retournent contre nous. On écrit qu’il faut des limites à la propagande afin que n’y soient pas soumis des gens incapables de distinguer la vérité de l’erreur (par exemple, contre les Témoins de Jéhovah, les Adventistes, qui font du porte à porte, qui disposent de beaucoup d’argent…). Mais de là, on en vient à nous dire à nous : n’essayer pas de convaincre les gens, de leur faire quitter leur religion, de les convertir… C’est bien en fait ce qui se produit : puisque tous les « groupes religieux » ont le droit d’exister. Que va-t-on faire en mission ? Si tous ont un droit naturel à avoir leur religion, ce n’est pas la peine d’essayer de les convertir, nous n’en avons même plus le droit.
« La liberté religieuse, dit encore la Déclaration, demande en outre que les groupes religieux ne soient pas empêchés de manifester librement l’efficacité singulière de leur doctrine pour organiser la société et vivifier toute l’action humaine ».
Quelle « efficacité » ? Celle des musulmans avec la polygamie et l’esclavage ?
« La nature sociale de l’homme, enfin, ainsi que le caractère même de la religion fondent le droit qu’ont les hommes mus par leur sentiment religieux de tenir librement des réunions ou de constituer des associations éducatives, caritatives et sociales, selon leur propres principes ».
Et après tout, puisque tout le monde doit pouvoir se réunir librement, pourquoi pas aussi les francs-maçons ?
Tout cela est absolument contraire à l’enseignement des papes du XIXe siècle et de la première moitié du XXe siècle. S’il y a une vérité, le Bon Dieu ne peut pas donner à l’erreur un droit pour qu’elle se propage comme la vérité. Ce n’est pas possible. Parler ainsi revient à insulter Dieu » (pp. 171-173).
Mgr Lefebvre aimait nous raconter comment les choses se sont passées au Concile sur ce sujet. Il le redisait le 10 octobre 1990, un an avant sa mort. Il faut relire ce passage émouvant, son témoignage personnel sur le Concile Vatican II.
« J’ai souvent cité comme exemple cette opposition véhémente entre deux hommes : d’une part, le Cardinal Ottaviani représentant l’Eglise catholique et sa Tradition de 20 siècles et, d’autre part, le Cardinal Bea représentant l’esprit libéral, moderniste. Cet esprit libéral et moderniste se trouvait déjà à l’intérieur de l’Eglise du temps de saint Pie X qui a dû le condamner. Eh bien, j’ai été témoin de cette opposition à la dernière séance de la Commission centrale préparatoire du Concile, deux idéologies se sont affrontées durement, violemment : l’idéologie révolutionnaire de ceux qui ont adopté ou qui veulent adopter les principes des droits de l’homme et tout ce que cela comporte, cette espèce d’athéisme, athéisme profond de l’homme qui ne considère plus que sa liberté, et qui ne veut plus considérer la Loi de Dieu, qui ne veut plus se considérer par rapport à Dieu, qui veut être indépendant, indépendant de Dieu, indépendant de l’Eglise. Le Cardinal Bea représentait cette idéologie de liberté. La meilleure preuve c’est que le texte qu’il nous présentait était intitulé : La liberté religieuse, et le texte que nous présentait le Cardinal Ottaviani sur le même sujet avait pour titre : La tolérance religieuse. Parce que l’Eglise tolère l’erreur, l’Eglise tolère les fausses religions, mais elle ne peut pas les approuver, elle ne peut pas les mettre sur le même pied que la véritable religion, ce n’est pas possible. L’Eglise traditionnelle affirme qu’elle est la seule véritable religion fondée par Dieu Lui-même, par Notre-Seigneur Jésus-Christ, – NB : Vous le voyez, nous trouvons toujours la même référence à la Vérité de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à l’amour de Notre-Seigneur Jésus-Christ et de son Eglise – et, par conséquent, que les autres religions sont fausses et qu’il faut être missionnaire et essayer de convertir les adeptes de ces fausses religions pour les faire devenir catholiques et qu’ils soient sauvés » – C’est ce qu’affirmait saint Pierre lors de sa première prédication… – « Cela a toujours été la foi de l’Eglise, cela a toujours été la raison d’être des missions dans l’Eglise : convertir les âmes et non pas dire aux âmes : votre religion est aussi bonne que la nôtre. Alors, ces deux idéologies se sont affrontées dans deux personnes qui caractérisaient en quelque sorte les oppositions à l’intérieur de l’Eglise, le Cardinal Ottaviani a dit ouvertement au Cardinal Bea qu’il n’était pas d’accord avec son texte et que, d’ailleurs, il n’avait pas le droit de le rédiger, et le Cardinal Bea s’est levé et lui a dit : « Eh bien, moi aussi je suis contre votre texte, fondamentalement ». Qui avait raison ? Le Cardinal Bea ou le Cardinal Ottaviani ? Qui a raison, de la Révolution ou de l’Eglise catholique ? La Révolution s’est dressée contre l’Eglise catholique. Il fallait en finir avec ce cléricalisme. Il fallait en finir avec cette autorité de l’Eglise, et avec cette autorité de Notre-Seigneur Jésus-Christ sur la société. Il est évident que l’Eglise ne pouvait que condamner les principes de la Révolution si elle voulait être fidèle au message de Notre-Seigneur Jésus-Christ. C’est ce qu’ont fait tous les papes au cours du XIXe siècle jusqu’au cours de la première moitié du XXe siècle, jusqu’au Pape Pie XII : condamner les principes de la Révolution. Or voici que dans cette Commission centrale préparatoire se forme un clan de cardinaux qui prétend accepter les principes de la Révolution avec le Cardinal Bea. Alors le Cardinal Ruffini, de Palerme, s’est levé et a dit : « Nous regrettons infiniment de voir deux éminents confrères s’opposer l’un à l’autre de façon aussi violente et aussi profonde sur un sujet qui est capital pour la foi de l’Eglise, pour la doctrine de l’Eglise. Nous sommes obligés donc d’en référer à l’autorité supérieure, au Pape lui-même. Le Cardinal Bea a dit : « Ah mais non, je veux un vote, je veux qu’on fasse un vote pour savoir quels sont les cardinaux qui sont avec moi et ceux qui sont contre moi ». On a fait un vote et les 70 cardinaux qui étaient là se sont partagés en deux camps : celui du Cardinal Bea et celui du Cardinal Ottaviani. Généralement, ceux qui étaient avec le Cardinal Bea étaient des Allemands, des Hollandais, des Français, ceux des Etats-Unis, les Anglo-Saxons ; et ceux qui étaient avec le Cardinal Ottaviani furent les Italiens, les Espagnols, les Sud-Américains, plutôt les latins qui ont encore le sens de la Tradition dans l’Eglise.
Voilà comment a débuté le Concile : dernière séance de la Commission centrale préparatoire du Concile, opposition violente entre deux groupes de cardinaux. Un groupe favorable aux idées révolutionnaires, donc favorable à l’athéisme d’Etat, contre le règne social de Notre-Seigneur Jésus-Christ dans la société, et le Cardinal Ottaviani avec le groupe des cardinaux qui le suivaient en faveur, évidemment, du règne social de Notre-Seigneur Jésus-Christ, tolérant les fausses religions, mais ne leur donnant pas la même place qu’à la véritable religion, qu’à Notre-Seigneur Jésus-Christ que l’Eglise considère comme Dieu, qu’elle affirme être Dieu. Ce sont des choses qui paraissent si simples. C’est ainsi que la Révolution est vraiment entrée à l’intérieur de l’Eglise.
Il faut regarder toute l’Histoire précédente, à l’intérieur de l’Eglise, dans les différents pays européens surtout, ces idées ont fait leur chemin grâce au libéralisme, grâce ensuite au modernisme, au sillionisme. Toutes ces idées fausses se sont introduites à l’intérieur de l’Eglise. Ce n’est pas pour rien que le Pape Pie IX d’abord a condamné les idées de la Révolution dans son Encyclique Quanta cura et le Syllabus, et qu’ensuite le Pape Saint Pie X a condamné le modernisme, qui n’était que la suite des idées révolutionnaires dans son Encyclique Pascendi Dominici Gregis et dans son décret Lamentabili où il condamne les idées fausses qui sont issues des principes révolutionnaires.
Alors maintenant en 1962, l’Eglise veut prétendre aller à l’encontre de ce que treize papes, depuis la Révolution, ont condamné officiellement. Qui a raison ? Qui va avoir raison ? A qui les membres du Concile vont-ils donner raison ? A la Tradition de l’Eglise, donc à ces treize papes qui ont condamné les idées révolutionnaires qui se sont introduites à l’intérieur de l’Eglise, ou bien, au contraire, vont-ils suivre les idées révolutionnaires qui se répandent à l’intérieur de l’Eglise ? Eh bien, il faut reconnaître en toute sincérité que ce sont les libéraux qui ont gagné, qui ont réussi à dominer le Concile, grâce évidemment à l’appui des papes Jean XXIII et Paul VI.
C’est tout de même un drame, ce drame que l’Eglise, d’une manière quasi officielle, admettant les principes révolutionnaires à l’intérieur de l’Eglise, admettant les droits de l’Homme, refusant que Notre-Seigneur Jésus-Christ règne dans les sociétés civiles, sur les sociétés civiles, ne demande plus que le droit commun comme les autres religions, considérant toutes les autres religions comme aussi valables que la sienne. C’est une véritable Révolution à l’intérieur de l’Eglise et dans les sociétés. Et cela a des conséquences évidemment déplorables pour toutes les familles chrétiennes, pour la foi des fidèles. Mais que s’est-il passé dans l’Eglise ? Que se passe-t-il dans l’Eglise ? Pourquoi y a-t-il ce changement maintenant ?
Alors le Concile ayant donné raison aux libéraux, toutes les ordonnances qui en ont résulté, et tous les règlements qui l’ont appliqué, ils se sont efforcés évidemment de mettre en pratique ce nouveau principe révolutionnaire : la liberté. Le Concile a été essentiellement anti-autoritaire, contre l’autorité. D’abord contre l’autorité de Dieu, contre l’autorité de Notre-Seigneur Jésus-Christ, contre l’autorité du pape, contre l’autorité des évêques, contre l’autorité des prêtres, contre l’autorité des pères de famille. Toutes les autorités ont été pratiquement décapitées. Pourquoi ? Parce qu’il fallait donner à l’homme la liberté de sa conscience. On a exalté la conscience de l’homme, ce qui est le principe fondamental des droits de l’homme : l’homme a une conscience, et c‘est à lui de décider de son avenir, de sa vie, de ses pensées, de sa religion, de sa morale. Voilà. Il y a un transfert qui se fait : d’un côté, l’autorité qui vient de Dieu et qui se transmet à travers les autorités, même de la société civile, pour imposer la Loi du Bon Dieu, pour faire pratiquer la Loi du Bon Dieu aux hommes et, de l’autre côté, la libération : l’homme se libère de la Loi, se libère des autorités. C’est l’anarchie totale dans laquelle nous vivons actuellement, l’anarchie complète. Nous sommes confrontés à une situation inimaginable… Ce qui s’est passé dans le Concile, c’est le suicide de l’Eglise catholique… Ceux qui sont à l’intérieur de l’Eglise minent la vie de l’Eglise, sont en train de la ruiner totalement… Il n’y a aucun espoir de retour à une grande vitalité de l’Eglise s’il n’y a pas un retour à la Tradition, au règne de Notre-Seigneur Jésus-Christ, aux principes fondamentaux de l’Eglise… C’est une véritable trahison envers Notre-Seigneur Jésus-Christ ! Notre Seigneur est trahi ! On ne veut plus de son règne, on ne veut plus qu’il règne sur les âmes, sur les familles, sur la société ! Et là où Notre-Seigneur Jésus-Christ ne règne plus, c’est le désordre, c’est la ruine totale dans tous les domaines ! » (In L’Eglise 25 ans après Vatican II et 10 ans avant l’an 2000, pp. 6-10).
F – L’œcuménisme et Mgr Lefebvre
Le règne de Notre-Seigneur Jésus-Christ sur toutes choses parce que Notre-Seigneur Jésus-Christ est tout. Et parce qu’il en est ainsi, parce qu’Il est la tête du Corps mystique qu’est l’Eglise, il faut aller à Lui pour être sauvé. Il faut aller à l’Eglise romaine pour connaître et le Christ et le salut éternel. « Il n’y a pas d’autre nom sous le ciel par lequel nous puissions être sauvé » répète Mgr Lefebvre après l’Apôtre saint Pierre. Et ce nom de Jésus se trouve dans sa totalité dans l’Eglise, avec sa vérité, celle de Dieu, avec ses sacrements, ses sacrements de vie, de vie surnaturelle. Il faut nécessairement appartenir à l’Eglise catholique par le Baptême et la confession de la foi. Dès lors, pour Mgr Lefebvre, l’œcuménisme, le vrai, ne peut être qu’un retour de toutes les confessions chrétiennes dans l’Eglise romaine. Voilà le grand principe. L’Eglise est une, en elle-même. Elle est toujours telle. Il le disait à Bruxelles, le 22 mars 1986 : « L’Eglise catholique est toujours une, parce qu’elle est une dans sa foi ». Elle n’a pas à le devenir. Elle l’est de par sa constitution divine. Ceux qui l’ont quittée au cours de l’histoire doivent la retrouver. Il disait toujours à Bruxelles : « Ceux qui se séparent de l’Eglise, eh bien, ils s’en séparent ! Ils ne font plus partie de l’unité de l’Eglise. Si l’on veut qu’ils s’unissent à l’Eglise, il faut leur demander de se convertir, d’abandonner leurs erreurs pour adopter la foi catholique, et alors ils seront dans l’unité de l’Eglise. C’est un concept absolument faux que de dire : « L’Eglise est divisée ! C’est un scandale que cette division de l’Eglise ». Il n’y a pas de division de l’Eglise. Je le répète : « Il n’y a pas de division dans l’Eglise ». Ils ne font pas partie de l’Eglise, ceux qui n’ont plus la foi de l’Eglise puisqu’il n’y a, dit saint Paul, qu’une seule foi, un seul baptême, un seul Dieu ».
C’est l’enseignement de l’Eglise, tout particulièrement rappelé par le Pape Pie XI dans son Encyclique « Mortalium animos ». Il écrit :
« Ce Siège Apostolique n’a jamais autorisé ses fidèles à prendre part aux congrès des non-catholiques : il n’est pas permis, en effet, de procurer la réunion des chrétiens autrement qu’en poussant au retour des dissidents à la seule véritable Église du Christ, puisqu’ils ont eu jadis le malheur de s’en séparer ».
« Le retour à l’unique véritable Eglise, disons-Nous, bien visible à tous les regards »…Voilà le principe des principes en matière œcuménique. Car il faut le confesser clairement, l’Eglise n’a jamais perdu son unité.
Saint Cyprien s’étonnait vivement, et à bon droit, qu’on pût croire « que cette unité provenant de la stabilité divine, consolidée par les sacrements célestes, pouvait être déchirée dans l’Église et brisée par le heurt des volontés discordantes » (ibid.). C’est pourquoi Pie XI pouvait écrire : « Le corps mystique du Christ, c’est-à-dire l’Eglise, étant un (I Cor., XII, 12), formé de parties liées et coordonnées (Eph. IV, 16) à l’instar d’un corps physique, il est absurde et ridicule de dire qu’il peut se composer de membres épars et disjoints ; par suite, quiconque ne lui est pas uni n’est pas un de ses membres et n’est pas attaché à sa tête qui est le Christ » (Eph.V, 30 ; 1,22).
La conséquence de ce principe est qu’il faut nécessairement, pour être dans cette Eglise, la reconnaître telle qu’elle est et confesser l’autorité du Pontife suprême :
« Or, dans cette unique Eglise du Christ, personne ne se trouve, personne ne demeure si, par son obéissance, il ne reconnaît et n’accepte l’autorité et le pouvoir de Pierre et de ses légitimes successeurs. N’ont-ils pas obéi à l’Evêque de Rome, Pasteur suprême des âmes, les ancêtres de ceux qui, aujourd’hui, sont enfoncés dans les erreurs de Photius et des novateurs ? Des fils ont, hélas, déserté la maison paternelle, laquelle ne s’est point pour cela effondrée et n’a pas péri, soutenue qu’elle était par l’assistance perpétuelle de Dieu. Qu’ils reviennent donc au Père commun, qui oubliera les insultes proférées jadis contre le Siège Apostolique et les recevra avec la plus grande affection. Si, comme ils le répètent, ils désirent se joindre à Nous et aux nôtres, pourquoi ne se hâteraient-ils pas d’aller vers l’Eglise, » mère et maîtresse de tous les fidèles du Christ » (Conc. Latran IV, c. 5).
Qu’ils écoutent Lactance s’écriant : » Seule… l’Eglise catholique est celle qui garde le vrai culte. Elle est la source de vérité, la demeure de la foi, le temple de Dieu ; qui n’y entre pas ou qui en sort, se prive de tout espoir de vie et de salut. Que personne ne se flatte d’une lutte obstinée. Car c’est une question de vie et de salut ; si l’on n’y veille avec précaution et diligence, c’est la perte et la mort » (Divin. Instit., IV. 30, 11-12).
Que les fils dissidents reviennent donc au Siège Apostolique, établi en cette ville que les princes des Apôtres, Pierre et Paul, ont consacrée de leur sang, au Siège » racine et mère de l’Eglise catholique » (S. Cypr., Ep. 48 ad Cornelium, 3).
Qu’ils y reviennent, non certes avec l’idée et l’espoir que » l’Eglise du Dieu vivant, colonne et fondement de la vérité » (I Tim. II, 15) renoncera à l’intégrité de la foi et tolèrera leurs erreurs, mais au contraire, pour se confier à son magistère et à son gouvernement. Plaise à Dieu que cet heureux événement, que tant de nos prédécesseurs n’ont pas connu, Nous ayons le bonheur de le voir, que nous puissions embrasser avec un cœur de père les fils dont nous déplorons la funeste séparation ; plaise à Dieu notre Sauveur, » qui veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité » (I Tim. II,4), d’entendre Notre ardente supplication pour qu’il daigne appeler tous les égarés à l’unité de l’Eglise. En cette affaire certainement très importante, Nous faisons appel et Nous voulons que l’on recoure à l’intercession de la Bienheureuse Vierge Marie, Mère de la divine grâce, victorieuse de toutes les hérésies et Secours des chrétiens, afin qu’elle Nous obtienne au plus tôt la venue de ce jour tant désiré où tous les hommes écouteront la voix de son divin Fils » en gardant l’unité de l’Esprit dans le lien de la paix » (Eph. IV, 3).
Vous comprenez, Vénérables Frères, combien nous souhaitons cette union. Nous désirons que Nos fils le sachent aussi, non seulement ceux qui appartiennent à l’univers catholique, mais aussi tous ceux qui sont séparés de nous. Si, par une humble prière, ces derniers implorent les lumières célestes, il n’est pas douteux qu’ils ne reconnaissent la seule vraie Église de Jésus-Christ et qu’ils n’y entrent enfin, unis à Nous par une charité parfaite. Dans cette attente, comme gage des bienfaits divins et en témoignage de Notre bienveillance paternelle, Nous vous accordons de tout cœur, Vénérables Frères, ainsi qu’à votre clergé et à votre peuple, la bénédiction apostolique.
Voilà qui est clair. Voilà ce que confessait Mgr Lefebvre.
Et voilà pourquoi il manifestait sa stupéfaction devant les propos que tenait Jean-Paul II en 1989 lors de sa visite dans les pays nordiques : « Ma visite aux pays nordiques est une confirmation de l’intérêt de l’Eglise catholique dans l’œuvre de l’œcuménisme qui est de promouvoir l’unité entre tous les chrétiens » – Il ne s’agit pas d’une unité entre tous les chrétiens comme si tous les chrétiens avaient la même vérité : les protestants n’ont pas notre vérité, ils sont chrétiens, mais ils n’ont pas notre vérité. On ne peut pas unir ce qui est contraire, c’est impossible. Il ne parle pas de la conversion des protestants au catholicisme, mais de l’unité entre tous les chrétiens, i.e. de l’unité entre les protestants, les catholiques et tous ceux qui croient en Jésus-Christ, ce qui est impossible. Le pape poursuit : « Il y a 25 ans, le Concile Vatican II insistait vivement sur l’urgence de ce défi de l’Eglise, oui, c’est un véritable défi, et mes prédécesseurs ont poursuivi cette entreprise avec une persévérante attention par la grâce du Saint-Esprit qui est la source divine et le garant du mouvement œcuménique. Depuis le début, telle est ma sollicitude pour l’action pastorale ».
Pour le Pape, c’est clair, la priorité de son action pastorale, c’est l’union, l’union de tous les chrétiens. Mais comment la réaliser ? On ne peut pas unir les contraires, l’unité doit se faire dans l’Eglise catholique, pas à côté, pas avec tous ceux qui ne sont pas de l’Eglise. Donc, le Pape n’a pas changé, il a ces idées-là, ce sont encore les idées du Concile, il n’y a rien à faire » (Préd. A Albias le 10 octobre 1990). Et il concluait souvent ce genre de réflexions en disant : « L’Eglise a toujours prêché Notre-Seigneur Jésus-Christ. Il n’y a pas d’œcuménisme possible. L’œcuménisme est faux ! Il est une fausse route ! Il est absolument impossible » (Conférence du 22 mars 1986, p. 19).
G – Le dialogue interreligieux et Mgr Lefebvre.
Enfin, nous en arrivons à la dernière idée : son attitude par rapport à ces réunions interreligieuses. On venait de voir le Pape à la Synagogue de Rome. On venait d’assister à la Journée d’Assise en 1986. Il y voyait un risque certain de latitudinarisme, d’indifférentisme religieux, plus encore une insulte à Notre-Seigneur Jésus-Christ et, bien sûr, une infidélité de la foi au Christ Jésus.
A Bruxelles, dans sa fameuse conférence du 22 mars 1986, Mgr Lefebvre disait au sujet de la prochaine visite du Pape à la Synagogue – il s’y rendit le 13 avril 1986 : « Quand le Pape va se trouver dans la Synagogue, à quel Dieu va-t-il adresser sa prière, puisqu’il dit qu’il va prier avec les Juifs ? Je me le demande. Réfléchissez-y un instant. Demandez-vous quel est le Dieu auquel le pape va s’adresser dans sa prière à la Synagogue. Il est impossible pour nous de prier avec les Juifs. Comment voulez-vous que nous prions avec les Juifs ? Nous, nous prions toujours « per Christum Dominum Nostrum ». Toujours ! Il est notre Dieu. Jésus-Christ est Dieu. Jésus-Christ est le Verbe de Dieu fait homme. Il n’y a pas d’autre chemin que Notre-Seigneur Jésus-Christ. Il l’a dit Lui-même : « Ego sum ostium ». Je suis la porte du paradis. Je suis la porte de la bergerie. Personne ne pourra entrer au ciel s’il ne passe par moi ». C’est pourquoi toutes nos prières, dans l’Eglise, se terminent toujours par ces mots : Per Christum Dominum Nostrum. Il est la voie de toutes nos prières. Il est notre prière, en quelque sorte. Notre-Seigneur est notre prière, toutes nos prières passent par Lui. Comment prier Notre-Seigneur Jésus-Christ avec les Juifs qui n’acceptent pas Notre-Seigneur Jésus-Christ ? Ils le condamnent depuis qu’ils l’ont crucifié. Ils le combattent ! Ils combattent son Corps mystique. Ils ne peuvent plus combattre contre Notre-Seigneur Jésus-Christ qui est ressuscité, bien sûr ; mais ils combattent maintenant contre son Corps mystique qu’est l’Eglise. Depuis vingt siècles, ils sont opposés foncièrement à Notre-Seigneur Jésus-Christ. Ils ont persécutés tous les Juifs qui se sont convertis. Car il y en a eu des milliers qui se sont convertis, des centaines de milliers, après la prédication des Juifs qui étaient les Apôtres. Ceux-ci furent même les premiers convertis ; ils ont prêché et ils ont convertis des milliers, des milliers de Juifs. Ces Juifs-là ont été persécutés, massacrées. Et Paul était chargé, avant sa conversion, de les enchaîner et de les amener à Jérusalem pour qu’on les condamne et qu’on les lapide, qu’on les tue… Les Juifs ont toujours été opposés à Notre-Seigneur Jésus-Christ. Ils disent : « Il n’est pas le Messie, nous ne Le reconnaissons pas comme Dieu. Nous attendons toujours le Messie. A plus forte raison, nous ne Le reconnaissons pas comme Dieu. Nous attendons toujours le Messie, il n’est pas encore venu. Donc, il sera impossible pour le Pape de prier Notre-Seigneur Jésus-Christ lorsqu’il sera à la Synagogue, c’est absolument exclu. Il ne pourra pas prier le vrai Dieu. Car Notre-Seigneur Jésus-Christ est Dieu, et s’il ne peut pas prier Notre-Seigneur Jésus-Christ, il ne peut pas prier le vrai Dieu. Quel Dieu va-t-il prier ? Je ne sais pas… C’est tout de même très grave. Nous sommes vraiment placés devant une situation invraisemblable qui ne s’était jamais rencontrée, je crois, dans l’Histoire de l’Eglise » (pp. 7-8).
Ce dialogue interreligieux oblige nécessairement à traiter toutes les religions sur un pied d’égalité. Mais comment est-ce possible ? se demandait Mgr Lefebvre. Il ne comprenait pas cette « politique » vaticane. Contre elle, il reprenait son grand argument, Notre-Seigneur Jésus-Christ. « Que doit penser Notre-Seigneur Jésus-Christ de tout cela, Lui qui est mort sur la Croix ?… Comment peut-on mettre sur le même pied Notre-Seigneur Jésus-Christ, Bouddha, Mahomet… Ce n’est pas possible. C’est impossible. Car tout nous vient de Notre-Seigneur Jésus-Christ, tout, tout. Nous avons été créés par Lui, c’est Lui qui a jeté les mondes dans l’espace, c’est Lui qui nous soutient dans l’existence. Nous lui devons tous. Il a versé son sang pour nous. Nous devons nous tourner vers Lui pour recevoir les grâces dont nous avons besoin, et l’existence même. Il est le Maître de notre santé, de nos maladies, de notre vie, de notre mort. Le jour où Il dira que nous devons mourir, nous mourrons, et nous serons jugés par Lui. Il est le Maître. Comment pouvons-nous ne pas nous tourner vers le Seigneur pour lui demander de donner la grâce de la conversion au monde entier… la grâce de donner Jésus-Christ aux hommes…Cette crise dans l’Eglise est une crise d’une gravité inconnue au cours de son histoire » (p. 17).
Ainsi, comme vous le voyez, Mgr Lefebvre, tout comme Mgr de Castro Mayer, fut très opposé, à ces réunions interreligieuses. C’est ensemble en effet qu’ils écrivirent au Souverain Pontife Jean-Paul II la fameuse lettre après la journée d’Assise. En voici le texte :
« Déclaration de Mgr Marcel Lefebvre et de Mgr Antonio de Castro Mayer, 2 décembre 1986 faisant suite à la visite de Jean-Paul II à la Synagogue et au Congrès des Religions à Assise.
« Rome nous a fait demander si nous avions l’intention de proclamer notre rupture avec le Vatican à l’occasion du Congrès d’Assise.
La question nous semblerait plutôt devoir être la suivante :
Croyez-vous et avez-vous l’intention de proclamer que le Congrès d’Assise consomme la rupture des Autorités romaines avec l’Eglise Catholique ?
Car c’est bien cela qui préoccupe ceux qui demeurent encore catholiques.
Il est bien évident, en effet, que depuis le Concile Vatican II, le Pape et les Episcopats s’éloignent toujours plus nettement de leurs prédécesseurs.
Tout ce qui a été mis en œuvre pour défendre la foi par l’Eglise dans les siècles passés, et tout ce qui a été accompli pour la diffuser par les missionnaires, jusqu’au martyre inclusivement, est désormais considéré comme une faute dont l’Eglise devrait s’accuser et se faire pardonner.
L’attitude des onze Papes qui, depuis 1789 jusqu’en 1958 ont dans des documents officiels condamné la Révolution libérale, est considérée comme « un manque d’intelligence du souffle chrétien qui a inspiré la Révolution ».
D’où le revirement complet de Rome depuis le Concile Vatican II, qui nous a fait redire les paroles de Notre-Seigneur à ceux qui venaient l’arrêter : Haec est hora vestra et potestas tenebrarum (« C’est ici votre heure et la puissance des ténèbres ») (Luc 22, 52-53).
Adoptant la religion libérale du protestantisme et de la Révolution, les principes naturalistes de Jean-Jacques Rousseau, les libertés athées de la Constitution des Droits de l’Homme, le principe de la dignité humaine n’ayant plus de rapport avec la vérité et la dignité morale, les Autorités romaines tournent le dos à leurs prédécesseurs et rompent avec l’Eglise Catholique, et elles se mettent au service des destructeurs de la Chrétienté et du Règne universel de Notre-Seigneur Jésus-Christ.
Les actes actuels de Jean-Paul II et des Episcopats nationaux illustrent, d’année en année, ce changement radical de conception de la foi, de l’Eglise, du sacerdoce, du monde, du salut par la grâce.
Le comble de cette rupture avec le magistère antérieur de l’Eglise s’est accompli à Assise, après la visite à la Synagogue. Le péché public contre l’unicité de Dieu, contre le Verbe Incarné et Son Eglise fait frémir d’horreur : Jean-Paul II encourageant les fausses religions à prier leurs faux-dieux : scandale sans mesure et sans précédent.
Nous pourrions reprendre ici notre Déclaration du 21 novembre 1974, qui demeure plus actuelle que jamais.
Pour nous, demeurant indéfectiblement attachés à l’Eglise Catholique et Romaine de toujours, nous sommes obligés de constater que cette Religion moderniste et libérale de la Rome moderne et conciliaire s’éloigne toujours davantage de nous, qui professons la foi catholique des onze Papes qui ont condamné cette fausse religion.
La rupture ne vient donc pas de nous, mais de Paul VI et Jean-Paul Il, qui rompent avec leurs prédécesseurs.
Ce reniement de tout le passé de l’Eglise par ces deux Papes et les Evêques qui les imitent est une impiété inconcevable et une humiliation insoutenable pour ceux qui demeurent catholiques dans la fidélité à vingt siècles de profession de la même foi.
Nous considérons donc comme nul tout ce qui a été inspiré par cet esprit de reniement : toutes les Réformes post-conciliaires, et tous les actes de Rome qui sont accomplis dans cette impiété.
Nous comptons avec la grâce de Dieu et le suffrage de la Vierge fidèle, de tous les martyrs, de tous les Papes jusqu’au Concile, de tous les Saints et Saintes fondateurs et fondatrices des Ordres contemplatifs et missionnaires, pour nous venir en aide dans le renouveau de l’Eglise par la fidélité intégrale à la Tradition.
Buenos Aires, le 2 décembre 1986.
S. Exc. Mgr LEFEBVRE, Archevêque-Evêque émérite de Tulle
S. Exc. Mgr Antonio de CASTRO MAYER, Evêque émérite de Campos
en parfait accord avec la présente Déclaration
H – Mgr Lefebvre et l’Eglise romaine.
Cette lettre de Mgr Lefebvre au Pape a pour raison, pour principe, son amour de Notre-Seigneur Jésus-Christ, son amour de l’Eglise. Aussi je ne donnerais pas le vrai visage de Mgr Lefebvre si je ne terminais pas cette conférence sur cet article de notre Credo : « Je crois en l’Eglise, une, sainte, catholique, apostolique et romaine ». Tout procède chez lui de cet amour de Rome. Il reçut sa formation à Rome, ce qui l’a tellement marqué. Il l’a reçu du Père Le Floch qui développa en son cœur l’amour des Papes et de leurs enseignements. C’est à Rome que Pierre a consommé son sacrifice, et c’est à Pierre que Notre-Seigneur Jésus-Christ a remis son Eglise et ses trésors, son trésor de vérités, son Ecriture Sainte, sa Bible, la Vulgate, son Sacrifice de la Croix, perpétué dans le Sacrifice de la Messe, son Eucharistie, sa Présence réelle et effective soutenant la marche de son Eglise au milieu d’un monde hostile. Notre spiritualité, notre liturgie, notre théologie sont romaines. Elles s’expriment dans cette langue latine, langue romaine. « C’est, comme l’écrit Mgr Lefebvre dans son livre Itinéraires spirituels, cette langue qui a porté l’expression de la foi et du culte catholique jusqu’aux confins du monde. Et les peuples convertis étaient fiers de chanter leur foi dans cette langue, symbole réel de l’unité de la foi catholique. Les schismes et les hérésies ont souvent commencé par une rupture avec la Romanité, rupture avec la liturgie romaine, avec le latin, avec la théologie des Pères et des théologiens latins et romains ».
Il a cette phrase formidable qui dit bien qui était Mgr Lefebvre, ce qui le porta dans toute sa vie : « Aimons scruter comme les voies de la Providence et de la Sagesse divine passent par Rome et nous conclurons qu’on ne peut être catholique sans être romain. Cela s’applique aussi aux catholiques qui n’ont ni la langue latine, ni la liturgie romaine ; s’ils demeurent catholiques, c’est parce qu’ils demeurent romains – comme les Maronites par exemple, par les liens de la culture française catholique et romaine qui les a formés » (pp. 90-91).
« A nous aussi, concluait-il, de garder cette Tradition romaine voulue par Notre-Seigneur Jésus-Christ comme Il a voulu que nous ayons Marie pour Mère » (p. 92).
Notre-Seigneur Jésus-Christ, l’Eglise Catholique, Apostolique et Romaine, la Très Sainte Vierge Marie, voilà les trois biens de l’héritage que nous lègue Mgr Lefebvre. A nous d’y être fidèles.
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Vous pouvez retrouver ce texte dans mon petit livre: « L’héritage doctrinal de Mgr Lefebvre » publié aux éditions Godefroy de Bouillon (www.godefroydebouillon.fr) au prix de 12 euros.