Lettre ouverte de Patrick Louis à Frigide Barjot
publié dans flash infos le 15 mai 2013
Lettre ouverte de Patrick Louis à Frigide Barjot
Par Eric Martin le 15 mai, 2013 @ 12:31
Lettre ouverte de Patrick Louis à Frigide BarjotChère Frigide,
Vous venez de lancer une lettre intitulée « chers amis de la Manif pour tous et de la paix civile » et qui se termine par ces phrases : « Je vous embrasse comme je vous aime, dans la Paix irréductible du Christ. Votre Fri. Qui vous emmène à la victoire et au-delà et qui a (presque) tout compris ».
Dans cet intitulé et dans cette conclusion, il y a beaucoup à dire mais ceci ne sera pas l’objet de courrier. Préalablement, je veux assurer que je suis conscient du travail que vous avez réalisé, et des luttes que vous avez menées. Et je vous remercie de tout cela.
Effectivement vous n’avez pas tout compris et certains points développés dans votre message ne vont pas. Comme nous sommes amis, la loyauté et la fidélité obligent celui-ci à parler franc. Ce que je vais faire en trois points.
1. Cessez de vous justifiez sans cesse, comme si vous aviez peur d’être qualifiée d’homophobe. Vous ne l’êtes pas. Cela suffit. Pas besoin d’en rajouter. Trop d’arguments tuent l’argument.
Il est injuste et contradictoire de toujours parler « d’homos ». Nous luttons contre les effets néfastes de la théorie du genre qui place l’orientation sexuelle sur la place publique. Je refuse cette référence permanente dans votre bouche qui réduit la personne à son orientation sexuelle. Notre combat est aussi un combat pour la défense des mots. En agissant ainsi vous rentrez dans la dialectique de nos opposants et vous enfermez chaque personne dans son comportement et sans le vouloir vous le stigmatisez.
2. Vous dites : « Depuis le début, j’ai lancé un mouvement de réveil de l’opinion et des consciences », ceci est injuste. Vous avez très largement participé à ce mouvement : c’est vrai. Les médias vous ont mis à la tête du mouvement. Mais vous n’en êtes ni l’âme, ni la source. Affirmer cela est une imposture et une fragilité.
– Imposture car ce mouvement s’est levé de la société civile. Il n’appartient à personne. Il a de multiples sources, à Lyon l’association Cossette et Gavroche avait programmé sa première manif avant même que vous n’apparaissiez à l’écran sur ce sujet.
– Fragilité car prétendre incarner le mouvement c’est certes lui donné toute vos qualités mais c’est aussi lui donner toutes vos vulnérabilités. Le monde médiatique aime réduire les réalités sociales et politiques à une image pour pouvoir mieux contenir et éventuellement détruire ce qui est signifié par cette image. Et bien non, vous n’êtes qu’un membre de la manif pour tous. Et vos propos ne peuvent engager toute la Manif pour tous.
3. Vous proclamez à juste titre que l’objet de la Manif pour tous est une seule chose : « le retrait de la loi Taubira » et que pour cela « nous ne lâcherons rien ». Oui vous avez raison. Mais maintenant vous lâchez du terrain et proposant le contrat d’union civile. En faisant cela, vous faites une triple erreur.
– Une première erreur car vous n’êtes pas mandatée pour cela. C’est une option et pas celle de la foule qui ne veut rien lâcher et ne souhaite que le retrait pur et simple de la loi Taubira. Option que vous aviez déjà affirmée lors de votre visite à Lyon aux Etats généraux de l’enfance. Rappelez-vous, ceci avait jeté un grand froid dans le public…
– La deuxième erreur est de nature tactique. Laissez Madame Taubira présenter le CUC comme une solution alternative à sa loi. Ceci est une hypothèse plausible mais ce n’est pas à vous de donner au gouvernement une solution qui nous met en porte à faux. Croyez vous sincèrement qu’il a besoin de vous pour y penser? Croyez-vous que vous laissez une porte de sortie à l’adversaire en lui retirant l’initiative de ce qui pour lui pourrait être une solution? Imaginez le Président Hollande annoncer qu’il propose le contrat d’union civil et retire le projet Taubira. Il est évident que nous nous en contenterons. Car nous aurons réalisé notre objectif et ceci « sans rien lâcher ». De plus, nous gardons notre cohérence car nous ne prolongeons pas le toboggan de la glissade libertaire.
La troisième erreur est de type stratégique donc encore plus grave. Je ne m’attarde pas au fait que votre proposition fragmente le mouvement. Je m’inquiète de la qualité de votre sens politique qui semble peu marqué par l’étude de l’histoire. En matière de résolution de dilemme « pol-éthique » Thomas More à son mot à nous dire. Face à la perversion de la décision de son Roi, Il ne lui à jamais dit que ce qu’il faisait était mal, il a simplement et toujours refusé d’appeler Bien ce qui à ses yeux était mal. Par prudence politique et par souci du bien commun, il laissait une place au silence. Ce n’était pas la politique du moindre mal, qui n’est pas un bon principe de politique quand il s’agit de l’essentiel. Ce n’était pas l’art du possible mais simplement l’art du meilleur possible. En proposant le CUC, vous faites un mauvais bruit. Vous divisez et fragilisez notre cohérence.
Si vous prétendez être plus que la marraine du mouvement, c’est-à-dire incarner ce mouvement né et représentatif de la société profonde, sachez vous garder de cette nouvelle extravagance. Maintenez un seul axe de conduite. L’axe qui donne l’efficacité du nombre car il s’appuie sur la rectitude des principes. L’attitude des manifestants, leur mobilisation à une source méta politique, ne la polluez pas par votre option contingente.
Laissez les politiques faire de la politique, c’est à eux de porter ou de ne pas porter cette option. Et vous, si vous voulez faire de la politique alors quittez le leadership de la Manif pour tous… vous serez libre de vos propos et vous libérez le mouvement de la Manif pour tous.
Car ce mouvement est fait pour durer, il augure l’enterrement des errances de mai 68, Ne gaspillez pas cette chance par un petit compromis qui sera inévitablement perçu comme une compromission !
Patrick Louis, ancien député français au Parlement européen, conseiller du 6e arrondissement de Lyon et conseiller du Grand Lyon.