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Mohammed Ibn Guadi: « Le problème ne vient pas des musulmans, mais de la République française »

publié dans regards sur le monde le 25 juin 2013


Mohammed Ibn Guadi: « Le problème ne vient pas des musulmans, mais de la République française »

Mohammed Ibn Guadi, Islamologue à l’université de Strasbourg, nous explique qu’il est vain de penser que l’islam est compatible avec la laïcité et qu’il s’agit donc bien d’un choc de civilisation entre la notre et la civilisation islamique qui veut imposer partout la soumission à l’Islam… En clair l’islamisation de l’Europe est obligatoire pour l’Islam.

Mohammed Ibn Guadi : « Que l’on soit choqué ou non, le fait que des musulmans puissent déclarer que le Coran passe avant les lois de la République est parfaitement juste en Islam. », « Or, un musulman ne peut se trouver en terre non musulmane sans l’appréhender comme un territoire où les lois islamiques doivent prévaloir », « Les efforts des musulmans qui souhaitent concilier islam et laïcité sont vains. »

L’islam a toujours été politique, Par Mohamed Ibn Guadi

Les récentes déclarations de Dalil Boubakeur sur le rôle «néfaste» que pourrait avoir l’UOIF au sein de la République appellent à un examen plus poussé du sujet. Le débat ne peut se poser seulement en termes de citoyenneté. Il ne s’agit pas de commenter mot à mot les propos de M. Boubakeur. Mais trois éléments ou idées émergent de ses déclarations : le problème fondamentaliste, la réforme et le politique en Islam. L’islam ne se résume pas en ces termes, mais il est indispensable d’en comprendre l’origine et la signification pour ne pas tronquer le débat.

Lors du vingt-cinquième anniversaire, en Iran, de la mort du docteur Ali Shariati, l’un des théoriciens de la révolution islamique, le docteur Hashem Aghajari fut condamné, en novembre 2002, pour atteinte envers l’islam. En effet, il avait déclaré qu’une réforme en Islam était nécessaire et qu’il fallait ainsi instaurer un «protestantisme islamique». Professeur d’histoire à l’université de Hamedan, Hashem Aghajari bénéficia du soutien de ses étudiants. Soutien qui se mua en manifestations en Iran. Si louable que puisse être une telle déclaration de la part d’Aghajari, la condamnation des dignitaires religieux n’en reste pas moins justifiée, voire cohérente avec la théologie orthodoxe, donc avec l’islam. Pour des raisons autant historiques que sémantiques.

Même si elles ne font guère référence à un «protestantisme islamique», des déclarations semblables sont faites de part et d’autre en Europe par des «musulmans laïcs». Or, invoquer de telles orientations pour l’islam, c’est se disqualifier en tant que croyant musulman. Il ne peut y avoir de réforme en Islam, tout simplement parce que la venue de l’islam est une réforme en elle-même…

Dans la théologie islamique et, a fortiori, dans l’esprit de Mahomet, l’islam était venu confirmer les révélations précédentes, à savoir le judaïsme et le christianisme. Mais ce que semblent oublier ceux qui sont avides de dialogue islamo-chrétien, c’est que l’islam les confirme, certes, mais que son objectif est de les corriger également.

Par ailleurs, la notion propre à la réforme chrétienne de la séparation de l’Eglise et de l’Etat est totalement inconnue en Islam. Les institutions religieuses ne sont pas séparées des institutions civiles. Le spirituel est indissociable du temporel. C’est encore pour cette raison que calquer l’expérience de la réforme chrétienne sur l’islam serait illogique et inapproprié.

On s’offusque aujourd’hui de la politisation de l’islam. Ce terme lui-même est également un non-sens. L’islam a toujours été politique. Mais il ne faut nullement lui prêter une connotation péjorative. La seule forme d’organisation politique que connurent les musulmans à travers leur histoire, depuis les origines de l’islam, fut l’Etat islamique. Le nationalisme arabe a été la seule idéologie étrangère aux musulmans, car importée d’Europe. Le nationalisme n’a été qu’un épisode court et superficiel de l’histoire des Arabes. Durant quatorze siècles, l’Etat islamique resta la norme et la référence.

Que l’on soit choqué ou non, le fait que des musulmans puissent déclarer que le Coran passe avant les lois de la République est parfaitement juste en Islam. On peut en être offusqué, mais on ne peut retirer à ces propos leur cohérence avec quatorze siècles d’histoire islamique. Les efforts des musulmans qui souhaitent concilier islam et laïcité sont vains. Il est tout aussi vain pour des musulmans de rechercher des textes à l’appui d’une telle conciliation. Il n’existe aucun texte provenant des hadiths ou du Coran, ou des commentaires exégétiques islamiques, qui spécifie la place que devrait avoir un musulman en terre «infidèle» puisqu’il existe en Islam la zone musulmane (Dar al-Islam) et la demeure de la guerre (Dar al-Harb).

Or, un musulman ne peut se trouver en terre non musulmane sans l’appréhender comme un territoire où les lois islamiques doivent prévaloir. Et, sur un plan sociologique, c’est là tout le problème de la France. Le problème, à vrai dire, ne vient pas des musulmans, mais de la République française. Si la France connaît de tels problèmes avec les musulmans sur son sol, c’est précisément parce qu’elle n’a pas d’opinion définie vis-à-vis de l’islam en tant que religion.

La France est-elle hostile à l’islam ? Elle ne l’a jamais dit. Y est-elle favorable ? Elle ne l’a jamais dit non plus. C’est cette absence d’engagement et de conviction, doublée d’une méconnaissance théologique de l’islam, qui fait problème. Cela contraste très fortement avec le rituel auquel sont invités, aux Etats-Unis, les étrangers obtenant leur naturalisation, qui prêtent serment devant la bannière étoilée… Si beaucoup refusent de voir dans l’expérience de la réforme chrétienne une chose unique et spécifique aux chrétiens, c’est parce qu’il est difficile à l’esprit occidental de voir que des religions prétendant aux mêmes origines, aux mêmes références historiques et au même Dieu, aboutissent à des conclusions aussi opposées les unes aux autres. Cela pousserait également certains à conclure que certains problèmes liés au monde musulman ne peuvent guère avoir de réponse, à l’instar du conflit israélo-arabe. Lorsque, le 3 novembre 2001, Ben Laden a déclaré à la chaîne al-Jezira : «Il est impossible d’oublier l’hostilité qui existe entre les infidèles et nous. C’est une question de religion et de credo», il avait, malheureusement, raison.

L’islam a donné naissance à l’une des plus belles civilisations de l’histoire de l’humanité (NDLR: nous avons beau chercher mais nous ne voyons aucune « belle » civilisation créée par l’Islam). Mais son objectif est également non de dominer, mais de faire adhérer le plus grand nombre au message de Mahomet à travers la soumission à l’islam. Il n’y a rien de choquant à ce que les musulmans souhaitent être représentés par les dirigeants de l’UOIF. C’est une réaction normale puisque l’UOIF représente un islam expurgé d’artifices considérés comme propres à l’Occident (réforme, laïcité, intégration, etc.). Il est d’autant plus illusoire de penser que les musulmans dits «réactionnaires» forment la minorité en France. L’Etat le sait, et le nier est précisément offenser les musulmans.

Mohammed Ibn Guadi *

* Islamologue à l’université de Strasbourg

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