Révision de la traduction du Pater repoussée aux calendes grecques
publié dans regards sur le monde le 16 octobre 2013
Sur Riposte-catholique, on peut lire:
Et tout le monde se dit qu ‘il va bien falloir changer la formule, notamment à la messe dominicale, car, comme chacun sait, plus personne ne récite le Pater en latin à la messe du dimanche, à l’exception des traditionalistes. Ce serait pourtant si simple de réciter la prière de Notre-Seigneur dans la langue de l’Eglise…
Cela étant dit, Mgr Bernard Podvin, porte-parole de la Conférence des évêques de France, écrit que cette nouvelle traduction française du texte latin est repoussée aux calendes grecques ! N’ayant pas peur du ridicule, il va même jusqu’à se moquer des journalistes qui ont tiré trop vite :
« Depuis plusieurs jours, est médiatisée l’information selon laquelle la prière du Notre Père changerait « immédiatement » dans la pratique des croyants. Apportons les précisions suivantes :
Il y a 17 ans, les conférences épiscopales francophones ont demandé de mettre en chantier une traduction intégrale de la Bible à usage liturgique. En effet, au lendemain du Concile, seuls les textes utilisés pour la Messe et les sacrements ont été traduits en français. Cette traduction post conciliaire méritait aussi une révision. La traduction, à paraître le 22 novembre prochain, est cette version intégrale et révisée. Parmi les modifications remarquables figure cette demande du Notre Père : « Et ne nous laisse pas entrer en tentation » qui remplace « Ne nous soumets pas à la tentation ». Rien ne change actuellement pour la prière du Notre Père, y compris à la Messe. Un changement pourra intervenir dans quelques années lorsqu’entrera en vigueur la nouvelle traduction du Missel Romain, qui est encore en chantier.
Comme l’écrivait Saint Jacques : « Que nul, quand il est tenté, ne dise que sa tentation vient de Dieu ». Communier à la prière du Christ de cette manière réjouira donc les croyants… le moment venu.
L’intérêt journalistique pour le Notre Père est positivement révélateur du sens populaire de la principale prière des chrétiens. Mais la pendule des rédactions est un peu en avance sur celle des églises ! »
C’est vrai que 17 ans de traductions, ce n’est pas assez long. Quant aux prêtres qui attendent depuis des lustres une authentique traduction du missel romain, ils devront encore ronger leur mal en patience. A moins de célébrer la messe directement dans la langue de l’Eglise. Mais cela, c’est une autre histoire.
Voilà l’article de Perepiscopus :
La réforme de la réforme suit son cours. Je dirais même qu’elle avance ! A partir du 22 novembre, sera publiée une nouvelle traduction officielle de la Bible pour la liturgie francophone. Dans cette nouvelle traduction se trouve notamment une révision de la traduction du Pater, dont la très controversée sixième demande ne sera plus « Et ne nous soumets pas à la tentation » mais « Et ne nous laisse pas entrer en tentation ».
Les évêques français ont eu en leurs mains un volumineux document de travail, dont Monseigneur Hervé Giraud, évêque de Soissons, Laon et Saint-Quentin, avait fait un résumé publié sur le site de son diocèse en juin 2011.
L’histoire de la traduction erratique de cette formule est à retranscrire.
Le 29 décembre 1965, le président la Conférence des Evêques de France, Mgr Maurice Feltin, archevêque de Paris, annonce l’adoption d’une nouvelle traduction. Le 4 janvier 1966, dans un communiqué commun avec les représentants des chrétiens orthodoxes et réformés, cette nouvelle traduction est annoncée comme étant commune aux trois confessions chrétiennes. Cette nouvelle traduction se rapproche beaucoup de la version utilisée jusqu’alors par les réformés et implique une modification importante de la sixième demande qui était formulée ainsi : « ne nous laisse pas succomber à la tentation ».
En 1969, l’abbé Jean Carmignac publie sa thèse « Recherches sur le Notre Père », qui reste une référence majeure. Lors qu’il tente de s’opposer à certains points de la traduction du nouveau lectionnaire français, son analyse de la sixième demande du Pater sera la première à faire suspecter un caractère blasphématoire dans la traduction œcuménique de 1966. Les évêques français, plutôt que de céder à l’idée de l’abbé Carmignac, car cette idée a été reprise par le mouvement traditionaliste; se sont appuyés sur le travail de l’exégète Jean Delorme , qui cherchait un consensus, pour réconcilier tout le monde. « Ne nous laisse pas entrer en tentation. » n’est ni impératif (« ne nous introduis pas ») ni permissif («ne permets pas… »). Et cette formule laisse entière la possibilité de l’interprétation traditionnelle : « ne nous laissez pas succomber à la tentation. ».
La version grecque (kai mi issénènguis imas is pirasmone, alla rhissai imas apo tou ponirou) a été traduite littéralement : Et ne nos inducas in tentationem. Inducas, comme issénènguis, cela veut dire conduire dans, faire entrer : Ne nous fais pas entrer dans la tentation. De ce point de vue, Ne nous soumets pas à la tentation est donc une traduction correcte. Et pourtant cette traduction est théologiquement mauvaise, car Dieu n’est pas tentateur, seul le démon peut nous faire entrer dans la tentation. Pour le coup on a ici un hébraïsme. Les hébraïsants expliquent que le verbe grec traduit un verbe araméen à la forme causative. Or le causatif peut avoir un sens factitif fort, faire, faire faire, et un sens permissif, laisser faire, permettre de faire. Ce qui est le cas ici, comme en plusieurs endroits de la Septante. Par exemple dans le psaume 140 qui dit littéralement, de façon très proche de la demande du Pater : N’incline pas mon cœur vers les paroles mauvaises. Le sens est : Ne laisse pas mon cœur s’incliner vers les paroles mauvaises. Du moins si l’on tient à traduire pirasmone par tentation. En fait ce mot veut dire d’abord épreuve. Le psaume 25 dit à Dieu : Tenta me, ce qui ne se traduit pas par « Tente-moi », bien sûr, mais par « Mets-moi à l’épreuve ». Sans m’y laisser succomber…