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le dilemne que pose la canonisation de Jean-Paul II

publié dans nouvelles de chrétienté le 17 février 2014


Le dilemme que pose la canonisation de Jean-Paul II

SOURCE – Abbé Gleize, fsspx – DICI – 14 février 2014

Dans le Courrier de Rome de janvier 2014 (n°372), l’abbé Jean-Michel Gleize, professeur d’ecclésiologie au Séminaire Saint-Pie X d’Ecône, publie une étude intitulée «Jean-Paul II : un nouveau saint pour l’Eglise?». Après avoir rappelé qu’une canonisation est infaillible, il pose la question : « Les nouvelles canonisations obligent-elles en conscience tous les fidèles catholiques?». Puis il demande : « Jean-Paul II peut-il être canonisé ? », citant les déclarations du pape polonais aux luthériens, anglicans, orthodoxes, juifs et musulmans, reprenant également ses propos sur la liberté religieuse.
En épilogue, l’abbé Gleize écrit :
Si l’on doit considérer Jean-Paul II comme saint, on doit tenir sa doctrine comme irréprochable, jusque dans les moindres détails. En effet, le degré héroïque de la vertu de foi implique une docilité sans failles à tout l’esprit du magistère, qui s’exprime à travers tout l’enseignement des docteurs, et pas seulement à la lettre des enseignements du magistère infaillible et au plus petit dénominateur commun des dogmes obligatoires.

Si Jean-Paul II est réellement saint, les fidèles catholiques doivent reconnaître que l’Eglise catholique et les communautés orthodoxes sont des Eglises sœurs, responsables ensemble de la sauvegarde de l’unique Eglise de Dieu[1]. Ils doivent donc réprouver l’exemple de Josaphat Kuncewicz, archevêque de Polotsk (1580-1623). Converti de l’orthodoxie, celui-ci publia en 1617 une Défense de l’unité de l’Eglise, dans laquelle il reprochait aux orthodoxes de déchirer l’unité de l’Eglise de Dieu et c’est pourquoi il excita la haine de ces schismatiques qui le martyrisèrent.

Si Jean-Paul II est réellement saint, les fidèles catholiques doivent reconnaître les anglicans comme des frères et des sœurs dans le Christ et exprimer cette reconnaissance par la prière commune[2]. Ils doivent donc aussi réprouver l’exemple d’Edmund Campion (1540-1581), qui refusa de prier avec le ministre anglican, au moment de son martyre.
Si Jean-Paul II est réellement saint, les fidèles catholiques doivent considérer que ce qui divise les catholiques et les protestants – c’est-à-dire la réalité du saint sacrifice propitiatoire de la messe, la réalité de la médiation universelle de la Très Sainte Vierge Marie, la réalité du sacerdoce catholique, la réalité du primat de juridiction de l’évêque de Rome – est minime par rapport à ce qui peut les unir[3]. Ils doivent donc réprouver l’exemple du capucin Fidèle de Sigmaringen (1578-1622) qui fut martyrisé par les réformés protestants, auprès desquels il avait été envoyé en mission et qui composa une Disputatio contre les ministres protestants, au sujet du saint sacrifice de la messe.
Si Jean-Paul II est réellement saint, les fidèles catholiques doivent reconnaître la valeur du témoignage religieux du peuple juif[4]. Ils doivent donc réprouver l’exemple de Pierre d’Arbues (1440-1485), grand inquisiteur d’Aragon, qui fut martyrisé en haine de la foi catholique par les juifs.
Si Jean-Paul II est réellement saint, les fidèles catholiques doivent reconnaître qu’après la résurrection finale, Dieu sera satisfait des musulmans et que les musulmans seront satisfaits de Lui[5]. Ils doivent donc réprouver l’exemple du capucin Joseph de Léonessa (1556-1612), qui se dépensa sans compter à Constantinople auprès des chrétiens réduits en esclavage par les adeptes de l’Islam : ce zèle lui valut d’être inculpé auprès du sultan pour avoir outragé la religion musulmane et on lui appliquera le supplice du gibet : il y resta trois jours suspendu à une chaîne, une main et un pied percés d’un crochet. Les fidèles catholiques devraient aussi réprouver l’exemple de Pierre de Mavimène, mort en 715 après avoir été supplicié pendant trois jours pour avoir insulté Mahomet et l’Islam.
Si Jean-Paul II est réellement saint, les fidèles catholiques doivent reconnaître que les chefs d’Etat ne peuvent s’arroger le droit d’empêcher la profession publique d’une religion fausse[6]. Ils doivent donc réprouver l’exemple du roi de France Louis IX, qui limita autant qu’il le put l’exercice public des religions non chrétiennes.
Pourtant, Josaphat Kuncewicz a été canonisé en 1867 par Pie IX et Pie XI lui a consacré une encyclique ; il est fêté dans l’Eglise le 14 novembre. Edmund Campion a été canonisé par Paul VI en 1970 et est fêté le 1er décembre. Fidèle de Sigmaringen a été canonisé en 1746 et Clément XIV l’a désigné comme le « protomartyr de la Propagande » (de la foi) ; il est fêté au calendrier de l’Eglise le 24 avril. Pierre d’Arbues a été canonisé par Pie IX en 1867. Joseph de Léonessa l’a été lui aussi en 1737 par Benoît XIV et sa fête est célébrée dans l’Eglise le 4 février ; Pie IX l’a proclamé patron des missions de Turquie. Saint Pierre Mavimène, enfin, est célébré dans l’Eglise le 21 février. Quant au roi saint Louis, son exemple suffisamment connu illustre on ne peut mieux les enseignements du pape saint Pie X, lui aussi canonisé. Si Jean-Paul II est réellement saint tous ces saints se sont gravement trompés et ont donné à toute l’Eglise non pas l’exemple d’une sainteté authentique mais le scandale de l’intolérance et du fanatisme. Il est impossible d’échapper à ce dilemme.
Le seul moyen d’en sortir est de tirer la double conclusion qui s’impose : Karol Wojtyla ne peut pas être canonisé et l’acte qui prétendrait déclarer sa sainteté à la face de l’Eglise ne saurait être qu’une fausse canonisation.
On lira avec profit l’étude complète de l’abbé Jean-Michel Gleize dans le Courrier de Rome n° 372 (3 €). S’adresser au Courrier de Rome – B.P. 10156 – F-78001 Versailles Cedex Télécopie : +33.(0)1 49 62 85 91 – Courriel : courrierderome@wanadoo.fr Abonnement France : 20 €, Etranger : 24 €, Suisse : CHF 40
Source : DICI n°290 du 14/02/14

Notes
[1] L’Eglise catholique et les communautés orthodoxes « se reconnaissent comme Eglises sœurs, responsables ensemble de la sauvegarde de l’unique Eglise de Dieu, dans la fidélité au dessein divin, et tout spécialement en ce qui concerne l’unité. » – Jean-Paul II,Déclaration commune de Jean-Paul II et du Patriarche orthodoxe Bartholomeos I, cosignée au Vatican le 29 juin 1995, dans DC n°2121, p. 734-735.
[2] Le pape et le chef des anglicans rendent grâce à Dieu « pour le fait que, dans de nombreux endroits du monde, les anglicans et les catholiques se reconnaissent mutuellement comme des frères et des sœurs dans le Christ et expriment cette reconnaissance par la prière commune, l’action commune et le témoignage commun. » – Déclaration commune de Jean-Paul II et du Primat de la Communion anglicane, cosignée le 5 décembre 1996, dans DC n°2152, p. 88-89.
[3] « L’espace spirituel commun l’emporte sur bien des barrières confessionnelles qui nous séparent encore les uns les autres au seuil du troisième millénaire. Si malgré les divisions nous arrivons à nous présenter toujours davantage ensemble devant le Christ dans la prière, nous réaliserons de plus en plus combien est minime ce qui nous divise en comparaison de ce qui nous unit. » – Jean-Paul II, Discours au Docteur Christian Krause, président de la Fédération luthérienne mondiale, le 9 décembre 1999, dans DC n°2219, p.109
[4] « Oui, par ma voix, l’Eglise catholique (…) reconnaît la valeur du témoignage de votre peuple. » – Jean-Paul II, Discours à la communauté juive d’Alsace, le 9 octobre 1998,dans DC n°1971, p.1027.
[5] « Je crois que nous, chrétiens et musulmans, nous devons reconnaître avec joie les valeurs religieuses que nous avons en commun et en rendre grâce à Dieu. (…) Nous croyons que Dieu nous sera un juge miséricordieux à la fin des temps et nous espérons qu’après la résurrection, il sera satisfait de nous, et que nous serons satisfaits de lui. » – Jean-Paul II, Discours lors de la rencontre avec la jeunesse au stade de Casablanca, le 18 août 1985, dans DC 1903, p. 945.
[6] « L’Etat ne peut revendiquer une compétence, directe ou indirecte, sur les convictions religieuses des personnes. Il ne peut s’arroger le droit d’imposer ou d’empêcher la profession et la pratique publiques de la religion d’une personne ou d’une communauté. » – Jean-Paul II,Message pour la Journée mondiale 1988 de la paix, le 8 décembre 1987,dans DC n° 1953, p. 2.

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