Reflexions sur le résultat des élections municipales
publié dans regards sur le monde le 12 avril 2014
Source Correspondance Européenne du 10 avril 2014
France: le résultat des élections municipales
Les élections municipales qui se sont déroulées en France les 23 et 30 mars 2014 ont été la traduction électorale du très fort mécontentement populaire dont nous avions déjà, à plusieurs reprises, au cours de ces derniers mois, relevé certaines expressions spectaculaires.
D’une part, l’abstention a atteint un nouveau record : 36,5 %, et ce dans le scrutin qui, avec les élections présidentielles, mobilise le plus l’attention des Français.
D’autre part, le Front National a enregistré une forte progression. Dans plus de trois cents villes, il a réussi à dépasser la barre des 10 % permettant de figurer au 2ème tour. A l’issue du 2ème tour, il a conquis dix villes (contre quatre en 1995): Hénin-Beaumont (Pas-de-Calais), Fréjus, Le Luc et Congolin (Var), Beaucaire (Gard), Le Pontet (Vaucluse), Villers-Cotterêts (Aisne), Hayenge (Moselle), Mantes-la Ville (Yvelines), ainsi que l’un des huit secteurs de Marseille, le plus peuplé. Cette progression confirme notamment du ralliement d’un électorat de gauche radicale touché par la crise économique : songez que dans cette vieille terre de gauche qu’est Limoges, le FN a atteint 17 % au 1er tour !
Les listes indépendantes de droite ont rencontré un certain succès : Jacques Bompard a été aisément réélu à Orange, sa femme l’a été à Bollène (Vaucluse) et l’un de ses proches, Philippe de Beauregard a été élu à Camaret sur Aigue. Véronique Besse (MPF) a emporté au 1er tour la mairie des Herbiers (Vendée) avec près de 58 % des voix. Nicolas Dupont-Aignan (Debout la République) a été réélu à Yerres (Essonne), au 1er tour, avec 77,1 % des voix.
Par ailleurs, la gauche, aussi bien socialiste que communiste, a essuyé une véritable déroute, aussi marquée qu’en 1983. Si le PS conserve Paris, Lyon, Strasbourg, Lille, Dijon, Rouen, Nantes, Rennes et Brest, il perd, notamment, Toulouse, Reims, Pau, Evreux, Angers, Quimper, Laval et même La Roche-sur-Yon, ville de fonctionnaires qui semblaient à la droite imprenable. Des bastions historiques comme Roubaix et Limoges, socialiste depuis 1912, ont basculé à droite.
Les communistes perdent plusieurs de leurs bastions historiques, notamment en région parisienne: Bobigny, Le Blanc-Mesnil, St Ouen et Villejuif passent à droite: la ceinture rouge de Paris, déjà bien entamée depuis 1995, est aujourd’hui en lambeaux. Certains de ces résultats illustrent notamment un fait sociologique: la crise de la transmission des valeurs, touchant aussi bien les familles de droite que celles de gauche bouleverse la géographie électorale, ouvrant un jeu naguère relativement figé. La notion de fief historique dans lequel une même tendance domine de manière constante n’a plus aujourd’hui beaucoup de sens.
Ces élections municipales ont été par ailleurs marquées par le parachèvement du verrouillage du jeu électoral au profit des grands partis: une nouvelle règle a supprimé le vote préférentiel dans les communes de 1 000 à 3 500 habitants, leur imposant la constitution de listes comprenant autant d’hommes que de femmes, dûment déclarées en préfecture. Ces listes devaient obligatoirement choisir une étiquette politique, quitte à s’en voir imposer une par le préfet.
De même, l’obligation de déclarer sa candidature a été imposée dans les communes de moins de mille habitants. Résultat, dans de nombreuses communes, les électeurs n’avaient d’autre choix que de voter pour une liste unique sans pouvoir retrancher aucun nom. Dans ces communes, la participation a souvent fortement fléchi (entre 10 et 20 %) et le nombre de bulletins blancs a flambé, atteignant habituellement 20 à 30 %, souvent même 35 ou 40 %, exceptionnellement plus de 50 %, comme à St Laurent-des-Autels (Maine-et-Loire). Après avoir verrouillé l’élection régionale en 2003, après avoir tué l’élection législative par l’instauration du quinquennat, le gouvernement a ainsi considérablement restreint la liberté de choix des électeurs dans les communes rurales.
La prochaine étape, annoncée récemment, est la suppression des cantons ruraux, leur regroupement dans de grandes entités de vingt ou trente mille électeurs, dans lesquelles seront désormais élus un binôme (homme-femme), entités trop vastes et trop peuplées pour permettre à un indépendant de s’y faire élire sur son nom. Il est incontestable que ce verrouillage du jeu politique par les grands partis alimente la crise politique actuelle en soulignant le caractère oligarchique du système des partis.
Au lendemain du 2ème tour, le président de la République, François Hollande, a affirmé avoir entendu le “mécontentement” et la “deception” des Français. Il a décidé de changer de gouvernement, écartant Jean-Marc Ayrault au profit de Manuel Valls. La nomination de Manuel Valls, si elle ne constitue pas une véritable surprise, n’en a pas moins été commentée avec sévérité.
Les Verts ont annoncé qu’ils ne participeraient à ce nouveau gouvernement. Jean-Luc Mélenchon s’est montré également très sévère, épinglant un “suicide politique”. Une fraction du groupe socialiste était réunie hier soir à l’Assemblée nationale, manifestant son inquiétude. Il n’est donc pas certain que Manuel Valls puisse disposer d’une majorité stable pour gouverner. La nomination de Manuel Valls est-elle dès lors une nouvelle expression du désarroi d’un chef de l’Etat qui “navigue à vue” ?
Ou est-elle au contraire la première étape d’une manœuvre machiavélique, digne de feu François Mitterrand, manœuvre dont le scénario serait le suivant : en nommant premier ministre un homme rejeté par l’aile gauche de la majorité, François Hollande placerait celle-ci devant ces responsabilités; dans le cas où cette aile gauche déciderait, avec l’appui de la droite et du centre, de censurer le gouvernement, le président serait amené à dissoudre l’Assemblée.
Victorieuses aux élections législatives anticipées, l’UMP et l’UDI seraient dès lors condamnées à supporter l’impopularité de la politique de rigueur, ce qui permettrait à François Hollande d’être réélu à un deuxième mandat en 2017. Le seul moyen pour la droite d’échapper à ce piège serait d’exiger en cas de défaite de la gauche aux législatives la démission du chef de l’Etat. Il est peu probable qu’elle le fasse. Dans l’immédiat, après les européennes du 25 mai prochain, la perspective d’élections législatives anticipées à l’automne 2014 devient une hypothèse extrêmement sérieuse (P.P.B.).