La Nouvelle Évangélisation et la Liturgie catholique
publié dans regards sur le monde le 19 août 2014
Août 2014
J’ai l’occasion de donner deux conférences au Brésil à Sao Paulo, à la fin de ce mois d’août. J’ai pensé vous en faire profiter. Je les mets sur le site. J’ai choisi le thème :
La Nouvelle Évangélisation et la Liturgie.
Je vous donne les deux conférences qui se suivent.
La Nouvelle Evangélisation et la Liturgie Catholique
Conférence 1.
C’est Jean-Paul II qui a utilisé pour la première fois le terme de « Nouvelle Evangélisation ». Nous étions le 9 juin 1979, en Pologne, devant des ouvriers de Nowa Huta: «Une nouvelle évangélisation est commencée, une sorte de deuxième annonce, bien qu’en réalité ce soit toujours la même». Heureusement !
Tout au long de son pontificat, il a réemployé cette expression de « Nouvelle Evangélisation ». Par exemple, dans son exhortation apostolique post-synodale Christifideles laici « sur la vocation et la mission des laïcs dans le monde ». Elle était signée du 30 décembre 1988. Là, il déclarait que les laïcs doivent jouer un rôle central dans « la nouvelle évangélisation », notamment par le biais des multiples associations qu’ils animent. Et en 1990, il affirmera à la fin de l’introduction de son encyclique Redemptoris missio : « Aucun de ceux qui croient au Christ, aucune institution de l’Église ne peut se soustraire à ce devoir suprême d’annoncer le Christ à tous les peuples. » Et dans cette même encyclique, il précisera que « dans les pays de vieille tradition chrétienne mais parfois aussi dans les Églises plus jeunes, où des groupes entiers de baptisés ont perdu le sens de la foi vivante ou vont jusqu’à ne plus se reconnaître comme membres de l’Église, en menant une existence éloignée du Christ et de son Évangile, il faut une « nouvelle évangélisation » ou une « réévangélisation ».
En effet l’Eglise et ses Apôtres ont reçu l’ordre d’aller évangéliser le monde entier. C’est-à-dire d’annoncer le salut opéré par le Christ « afin que l’humanité prenne part, comme le disait Benoît XVI, au mystère de Dieu et de sa vie d’amour, et s’ouvre à un avenir d’espérance fiable et forte ».
Cette mission d’évangélisation s’origine, comme vous le voyez, dans l’ordre formel du Christ alors qu’il allait être exalté en gloire à la « droite de son Père » : « allez enseigner toutes les nations les baptisant au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit leur apprenant à garder tout ce que je vous ai enseigné ».
« Nouvelle Evangélisation » ! Terme qui peut à première vue surprendre. Car l’Eglise ne peut pas annoncer un nouvel Evangile, un nouveau message. Et de fait, la spécificité de la mission évangélique ne peut changer, nous dira Benoît XVI., puisqu’il s’agira toujours à travers les siècles de « proclamer Jésus-Christ, l’unique Sauveur du Monde ». La mission évangélique, aujourd’hui comme hier, « demeure la même qu’à l’aube de notre histoire ». « La mission n’a pas changé, de même que n’ont pas changé l’enthousiasme et le courage que montrèrent les Apôtres et les premiers disciples. Le Saint-Esprit qui les poussa à ouvrir les portes du Cénacle, faisant d’eux des évangélisateurs (cf. Actes 2:1-4), est le même Esprit qui anime l’Eglise d’aujourd’hui pour une annonce renouvelée d’espérance au peuple de notre temps »
Oui ! « Il existe une continuité dynamique entre l’annonce des premiers disciples et la nôtre ». Et Benoît XVI y insistera : « Au cours des siècles, l’Église n’a jamais cessé de proclamer le (même) mystère salvifique de la mort et de la résurrection de Jésus-Christ ».
Mais s’il agit bien de « la même annonce », il s’agit aussi « d’intensifier cette annonce » vue la situation de monde actuel. Alors le Magistère parlera aujourd’hui de « Nouvelle Evangélisation » parce qu’il est «nécessaire d’offrir une riposte particulière à un moment de crise dans la vie chrétienne qui se vérifie dans de nombreux pays, en particulier ceux d’ancienne tradition chrétienne ». Sous la plume de Benoît XVI, on trouve également cette phrase : « La nouvelle évangélisation c’est une « nouvelle modalité d’annonce, en particulier pour ceux qui vivent dans un contexte comme celui actuel, où le développement de la sécularisation ont laissé de lourdes traces dans les pays de tradition chrétienne ».
Voilà un succinct aperçu de la notion de « Nouvelle Evangélisation », « son auteur », sa « signification », son « objet », sa « réalité moderne ».
Aussi nous diviserons notre propos en deux parties :
1- Une rapide analyse du monde contemporain exigeant, pour la hiérarchie de l’Eglise, une « Nouvelle Evangélisation »
2- Mais quelle doit être cette Nouvelle Evangélisation. Elle doit inclure une vraie liturgie. C’est ma thèse.
A- Le monde moderne.
« Crise dans la vie chrétienne », nous dit Benoît XVI !
Quelle est donc cette crise ?
C’est la « sécularisation » jamais atteinte jusque-là laissant de « lourdes traces dans les pays de tradition chrétienne » confirme-t-il.
Mais que signifie le mot « sécularisation ?
Les papes l’ont analysé…surtout depuis le Syllabus et Quanta Cura.
Ils nous ont dit, avec autorité, et dans une forme solennelle, ce qu’il convient de penser de cette « sécularisation ». Il s’agit finalement d’une « désacralisation » de la vie personnelle, sociale et politique.
C’est Saint Pie X dans son encyclique E supremi apostolatus qui va préciser cette notion: « Peut-on ignorer la maladie si profonde, écrivait-il en 1903, et si grave qui travaille, en ce moment, bien plus que par le passé, la société humaine et qui, s’aggravant de jour en jour et la rongeant jusqu’aux moelles, l’entraine à sa ruine ? Cette maladie, vous la connaissez, c’est à l’égard de Dieu, l’abandon et l’apostasie ; et rien sans nul doute, qui mène plus sûrement à la ruine, selon cette parole du Prophète : « Voici que ceux qui s’éloignent de vous, périront ». De nos jours, il est que trop vrai, les nations ont frémi et les peuples ont médités des projets insensés contre leur Créateur, et presque commun est devenu ce cri de ses ennemis : Retirez-vous de nous. De là, en la plupart, un rejet total de tout respect de Dieu. De là des habitudes de vie, tant privées que publiques, où nul compte n’est tenu de sa souveraineté. Bien plus, il n’est effort ni artifice que l’on ne mette en œuvre pour abolir entièrement son souvenir et jusqu’à sa notion…on bat en brèche les dogmes de la foi, on tend d’un effort obstiné à anéantir tout rapport de l’homme avec la Divinité ! En revanche…avec une témérité sans nom, l’homme a usurpé la place du Créateur en s’élevant au-dessus de tout ce qui porte le nom de Dieu. C’est à tel point que, impuissant à éteindre complétement en soi la notion de Dieu, il secoue cependant le joug de sa majesté et se dédie à lui-même le monde visible en guise de temple où il prétend recevoir les adorations de ses semblables. Il siège dans le temple de Dieu où il se montre comme s’il était Dieu lui-même ».
On peut dire que le temps présent, grâce à l’union des forces maçonniques et capitalistes libérales cherche à établir pratiquement l’humanité dans l’athéisme, en instaurant réellement une cité sans Dieu, je veux dire une cité qui ignore d’une manière absolue, en tant que cité, toute autre fin qu’une perfection humaine exclusivement terrestre et en faisant de l’homme le Maître tout puissant gouvernant l’Histoire.
Saint Pie X, alors qu’il n’était encore que l’évêque Sarto, évêque de Mantoue, parlait déjà à ses diocésains du monde moderne en ces termes : « Dieu est chassé de la politique par les théories de la séparation de l’Eglise et de l’Etat, de la science par le doute érigé en système, de l’art avili jusqu’au vérisme, des lois marquées par la moral de la chair et du sang, des écoles avec l’abolition du catéchisme et même de la famille que l’on voudrait voir désacralisée dans ses racines et privée de la grâce du sacrement…Dieu est méconnu par les puissants qui n’abaissent plus leur front orgueilleux et croient se suffire à eux-mêmes. Il est abandonné par presque tout le monde au point qu’aucune autre génération peut-être n’a rompu de cette manière les pactes avec le ciel, aucune autre société n’a plus résolument adressé à Dieu cette parole : Recede a nobis (Job 21 4). Il faut combattre le délit capital de l’époque moderne qui voudrait substituer de façon sacrilège l’homme à Dieu…».
Vous comprenez que c’est bien ici – dans cette réalité – que se trouve la plus forte injustice de l’homme vis-à-vis de Dieu, contre Dieu. Car « bannir Dieu de la société et des cœurs, c’est bannir la justice. C’est ne pas rendre à Dieu son dû. Nous lui devons gloire et action de grâces pour tous ses bienfaits. C’est bannir l’ordre naturel et surnaturel.
Telle est la « « sécularisation » ou la « désacralisation ».
Il est clair que la « Nouvelle Evangélisation », si elle veut être efficace, doit tenir compte de cette situation nouvelle.
Et comment le fera-t-elle ?
Je réponds: par un amour puissant et communiqué aux fidèles de la vie liturgique, la fin de la vie liturgique étant précisément de rendre à Dieu tout honneur et toute gloire. « Omnis honor et gloria ». Ce sera l’objet de ma seconde partie.
Je suis encouragé à tenir cette proposition par saint Pie X lui-même. Ne dit-il pas dans la même encyclique « le retour des nations au respect de la majesté et de la souveraineté divine, quelques efforts que nous fassions par ailleurs pour la réaliser, n’adviendra que par Jésus-Christ…D’où il suit que tout restaurer dans le Christ et ramener les hommes à l’obéissance divine sont une seule et même chose ». Mais la liturgie est essentiellement christocentrique et parce que christocentrique, théocentrique, Le Christ n’a vécu que pour la gloire de son Père. D’où l’importance de la liturgie dans la « Nouvelle Evangélisation ».
Je suis même enclin à dire : si la « vraie » liturgie n’est pas intégrée dans la Nouvelle Evangélisation, vaine sera cette Evangélisation, rien d’autre qu’un flatus vocis.
Le monde moderne, disons-nous avec les Pontifes, a congédié Dieu et l’Evangile, nié les droits de Dieu sur la cité et sur la famille et même ôté à l’autorité, par l’usage du suffrage universel, le fondement divin de toute légitimité. On veut fonder en effet, l’ordre social sur la négation du péché originel, sur le dogme de la bonté originelle et sur la revendication des droits de la concupiscence. C’est une aberration ! Certes ! Mais c’est ainsi. Contre cette aberration, je propose aux fidèles pour qu’ils trouvent ou retrouvent la magnificence de Dieu et en témoigne autour d’eux, la vie liturgie ! Pour retrouver la grandeur de Dieu, son sens, il faut retrouver le sens liturgique, il faut retrouver le sacré de la vie liturgique, il faut retrouver le Christ dans la vie liturgique.
Insistons sur cette thèse
Le principe essentiel des jours présents, c’est, disons-nous, l’indépendance de l’homme à l’égard de Dieu. C’est le principe distinctif de ce « siècle ».
Voilà ce que la Nouvelle Evangélisation doit prendre en compte.
Comment le fera-t-elle ? Sinon par le sacré de la vie liturgique. C’est à un retour de la vie liturgique romaine qu’il nous faut œuvrer. C’est dans cette œuvre liturgique que se situe la restauration catholique du monde moderne. La liturgie est donc pour moi, au cœur même de toute restauration, non seulement individuelle, mais familiale et même politique. Je le crois.
Voilà ce qu’il faut justifier. Nous le ferons dans notre deuxième partie.
Mais poursuivons, pour l’instant, notre analyse des temps modernes, à la lumière des enseignements pontificaux. Il faut le bien connaître pour le bien « évangéliser » et utiliser les bon moyens.
Benoît XVI définira les temps modernes comme le fit Saint Pie X. Il dira lui aussi : « l’exclusion de Dieu de la vie de la population » est au cœur de tout, « une indifférence générale à la foi chrétienne, allant jusqu’à la tentative de la marginaliser de la vie publique. Ce n’est plus la foi qui est le principe de la culture et qui unifie une génération ».
Voilà ce que doit prendre en compte la Nouvelle Evangélisation dont nous parle Jean-Paul II.
Cette Evangélisation sera doctrinale, théologale ou elle ne sera pas. Elle sera donc aussi liturgique puisque la loi de la prière est la loi de la foi. « Lex orandi ; les credendi ».
Mais si l’on veut que la liturgie joue son vrai rôle au cœur de la Nouvelle Evangélisation et qu’elle redevienne un facteur de civilisation, il faut qu’elle retrouve son aspect « cultuel », son aspect « théologique », son aspect « christocentrique ». C’est ma thèse.
Dans sa lettre apostolique sous forme de Motu Proprio « Ubicumque et semper » par laquelle Benoît XVI instituait le Conseil Pontifical pour la promotion de la Nouvelle Evangélisation, il reprendra les paroles de Jean Paul II : « Les transformations sociales auxquelles nous avons assisté au cours des dernières décennies, ont des causes complexes, dont les racines remontent loin dans le temps et qui ont profondément modifié la perception de notre monde. Il suffit de penser aux progrès gigantesques de la science et de la technique, à l’accroissement des possibilités de vie et des espaces de liberté individuelle, aux profonds changements dans le domaine économique, au processus de mélange d’ethnies et de cultures provoqué par les phénomènes de migrations de masse, à l’interdépendance croissante entre les peuples. Tout cela n’a pas été sans conséquences également pour la dimension religieuse de la vie de l’homme. Et si, d’un côté, l’humanité a tiré des bénéfices incomparables de ces transformations et l’Eglise a reçu des encouragements supplémentaires pour rendre raison de l’espérance qu’elle porte (cf. 1 P 3, 15), de l’autre, est apparue une perte préoccupante du sens du sacré, arrivant jusqu’à remettre en question les fondements qui apparaissent indiscutables, comme la foi dans un Dieu Créateur et providentiel, la révélation de Jésus Christ unique Sauveur, et la compréhension commune des expériences fondamentales de l’homme comme la naissance, la mort, la vie au sein d’une famille, la référence à une loi morale naturelle. Si tout cela a été salué par certains comme une libération, on s’est très tôt rendu compte du désert intérieur qui naît là où l’homme, voulant devenir l’unique créateur de sa propre nature et de son propre destin, se trouve privé de ce qui constitue le fondement de toutes les choses ».
Jean Paul II, lui-même, dans son Encyclique « Ecclesia in Europa », insistera fortement sur cette « sécularisation ».
Il parlera de « la perte de la mémoire et de l’héritage chrétiens, accompagnés d’une sorte d’agnosticisme pratique et d’indifférentisme religieux, qui fait que beaucoup d’Européens donnent l’impression de vivre sans terreau spirituel et comme des héritiers qui ont dilapidé le patrimoine qui leur a été légué par l’histoire ». Et c’est ainsi que certains veulent purement et simplement exclure cet « héritage religieux, en particulier son âme profondément chrétienne, fondant les droits des peuples qui la composent, sans les greffer sur le tronc irrigué par la sève vitale du christianisme ».
Il parlera expressément de « l’expansion lente et progressive de la sécularisation », de sorte que beaucoup « n’arrivent plus à intégrer le message évangélique dans l’expérience quotidienne ; …il est plus facile de se dire athée que croyant ; on a l’impression que la non-croyance va de soi tandis que la croyance a besoin d’une légitimation sociale qui n’est ni évidente ni escomptée ».
Mais l’effet le plus important de la sécularisation c’est « la perte du sens de la vie ». C’est une perte radicale de « l’espérance ». Alors prévôt « une anthropologie sans Dieu et sans le Christ ». De sorte que l’homme devient comme « le centre absolu de la réalité, lui faisant occuper faussement la place de Dieu. On oublie alors que ce n’est pas l’homme qui fait Dieu, mais Dieu qui fait l’homme ».
Mais il faut bien en mesurer les conséquences. La Nouvelle Evangélisation devra en tenir le plus grand compte. Dans ce contexte de « l’oubli de Dieu … il n’est pas surprenant que se soient largement développés le nihilisme en philosophie, le relativisme en gnoséologie et en morale, et le pragmatisme, voire un hédonisme cynique, dans la manière d’aborder la vie quotidienne ».
Et le pape de conclure : nous assistons à une « apostasie silencieuse » de la part de l’homme comblé qui vit comme si Dieu n’existait pas ».
Tous ces constats vont façonner, vous dis-je, nécessairement l’objet et le mode de la Nouvelle Evangélisation. Il faudra redonner le sens de Dieu, de sa transcendance, de sa nécessité. Il est le principe de toutes choses. « Tout est par lui et rien de ce qui est, n’a été fait sans lui ». Voilà ce qu’il faut prêcher. Il est le Sauveur nécessaire, incontournable. Il est le principe de Vie nécessaire. C’est là que l’on peut comprendre que toute restauration chrétienne sera liturgique ou ne sera pas, la liturgie étant le seul « livre » que connaisse le peuple.
C’est ma thèse, vous dis-je ! J’y insisterai dans ma deuxième partie.
« Une nouvelle culture » apparaît dans ce monde actuel dont les caractéristiques et le contenu sont la plupart du temps « contraires à l’Évangile » et qui s’ouvre ultimement sur ce que Jean Paul II appela une « culture de mort ».
Et vous croyez que la Nouvelle Evangélisation ne devrait pas tenir compte de cela! Mais comment répondre à « cette culture de mort », sinon par une liturgie qui s’ouvre sur la transcendance et sur la vie divine et sur la notion de Sacrifice qui est vie. Ma thèse commence à se dessiner un peu mieux…
Sous la plume de Jean Paul II, l’analyse du temps présent devient plus subtil encore : « Mais l’homme, dit-il, ne peut pas vivre sans espérance : sa vie serait vouée à l’insignifiance et deviendrait insupportable ». Bien souvent, celui qui a besoin d’espérance croit pouvoir trouver un apaisement dans des réalités éphémères et fragiles. Et ainsi, l’espérance, emprisonnée dans un milieu purement humain fermé à la transcendance, est identifiée, par exemple, au paradis promis par la science et par la technique, ou à des formes diverses de messianisme, au bonheur de nature hédoniste procuré par le consumérisme, ou au bonheur imaginaire et artificiel produit par des stupéfiants, à certaines formes de millénarisme, à l’attrait des philosophies orientales, à la recherche de formes de spiritualité ésotériques, aux divers courants du New Age.
Mais tout cela se révèle profondément illusoire et incapable de satisfaire la soif de bonheur que le cœur de l’homme continue à ressentir en lui-même. Ainsi subsistent et s’intensifient les signes préoccupants de la disparition de l’espérance qui, parfois, se manifestent même à travers des formes d’agressivité et de violence ».
Devant cette désespérance, fruit de l’agnosticisme contemporain, la vie liturgique sera la merveilleuse réponse. Elle se dressera face à cette culture de mort et redonnera le goût de Dieu.
Ce courant anti-christique, qui mine les vieilles chrétientés, attaque, avec des moyens financiers énormes, nous dit le Pape, tout l’ordre naturel, tout l’ordre divin qui fait la beauté d’une cité. La famille, ce sanctuaire où germe la vie, don de Dieu… est un des bastions particulièrement attaqués par ces derniers, en ce début du XXIe siècle.
Et parce que la liturgie est une des réponses possibles de la Nouvelle Evangélisation, il n’est pas étonnant que les puissances maçonniques s’en soient pris dès longtemps au « jour du Seigneur » car c’est le jour où le peuple se nourrit de la belle liturgie romaine et chante son « gloria in excelsis Deo », son « sanctus, sanctus, sanctus » tout à la gloire trinitaire. Ne faut-il donc pas s’étonner que Mgr Bugnini, l’auteur majeur de la réforme liturgique paulinienne, ait été Franc-Maçon et qu’il ait dû s’éloigner de Rome lorsque la preuve en fut donnée…mais trop tard.
Déjà Pie IX avait noté cette haine des agnostiques contre cette institution divine du dimanche. Il écrivait dans son Encyclique de présentation du Syllabus : « Ils vont plus loin encore, et dans leur impiété ils prononcent qu’il faut….abolir la loi qui, à certains jours fériés, « défend les œuvres serviles pour vaquer au culte divin ». Tout cela sous le faux prétexte que cette faculté et cette loi sont en opposition avec les principes de la véritable économie publique ».Et Monsieur Delanoë, l’ancien Maire de Paris, en a récemment encore soutenu l’idée…
Haine du Christ. Haine de la religion. Haine du dimanche. Destruction des institutions chrétiennes…destruction de la liturgie…. Voilà ce que constatait Jean-Paul II dans son Exhortation apostolique « Ecclesia in Europa ».
Tous les effets nuisibles de cette « sécularisation », Jean-Paul II les dénonçait de nouveau dans: « Mémoire et Identité », son vrai testament politique, son ultime ouvrage, livre posthume.
« Mais en même temps, on ne peut pas ignorer la réapparition persistante du refus du Christ. Sans cesse, se manifestent à nouveau les signes d’une civilisation différente de celle dont la « pierre angulaire » est le Christ − une civilisation qui, si elle n’est pas athée de manière programmée, est assurément positiviste et agnostique, puisque le principe dont elle s’inspire est de penser et d’agir comme si Dieu n’existait pas ».
A cet « athéisme pratique », la Nouvelle Evangélisation doit présenter sa réponse et sa réponse sera entre autres, la belle liturgie romaine.
« On note facilement une telle disposition dans ce qu’on appelle la mentalité scientifique, ou plutôt scientiste, d’aujourd’hui, de même dans la littérature et, spécialement, dans les médias. Vivre comme si Dieu n’existait pas, veut dire vivre en dehors des repères du bien et du mal, c’est-à-dire en dehors du cadre de valeurs dont Dieu Lui-même est la source. On prétend, au contraire, qu’il appartient à l’homme de décider de ce qui est bon ou mauvais. Et une telle perspective est suggérée de diverses façons et de différents côtés.
« Si, d’un côté, l’Occident continue à donner un témoignage de l’action du ferment évangélique, d’un autre côté, les courants de l’anti-évangélisation n’en sont pas moins forts. Cette dernière ébranle les bases mêmes de la morale humaine, impliquant la famille et propageant la permissivité morale : les divorces, l’amour libre, l’avortement, la contraception, la lutte contre la vie dans sa phase initiale comme dans son déclin, sa manipulation. Ce programme se développe avec d’énormes moyens financiers, non seulement dans chaque nation, mais aussi à l’échelle mondiale. Il peut, en effet, disposer de grands centres de pouvoir économique par lesquels il tente d’imposer ses conditions aux pays en voie de développement. Face à tout cela, on peut légitimement se demander si ce n’est pas une autre forme de totalitarisme, sournoisement caché sous les apparences de la démocratie » (« Mémoire et Identité », pp. 63-64).
On comprend que face à ce drame, Jean Paul II puisse proposer une « Nouvelle Evangélisation ». Elle sera liturgique ou ne sera pas, vous dis-je ! Car seule la liturgie nous permet de comprendre quelle est la vraie totalité, Dieu, celle qui permet de tout ordonner dans le bien et selon le bien. Il faut présenter à ce monde, le théocentrisme liturgique. La liturgie vraie, avec le Sacrifice du Christ et le chant grégorien et polyphonique, essentiel à la liturgie, le fera mieux que toute autre action.
Résumons la pensée des Pontifes sur la sécularisation
Elle n’est rien d’autre, à terme, que « l’agonie et la mort de la chrétienté », elle est donc en substance la « fin du monde chrétien », la fin du « respect du Droit chrétien ». La « pierre d’angle » n’est plus le Christ, mais l’homme lui-même soumis à sa seule raison. En un mot l’homme prend la place de Dieu.
Voilà l’esprit actuel. La « sécularisation », c’est fondamentalement « l’esprit de la Révolution antichrétienne ». N’est-ce pas cet esprit qui domine dans les pays de vieille chrétienté, depuis surtout la Renaissance et la Réforme et qui a comme explosé avec la Révolution dite française ? Comme le dit Jacques Maritain, « le culte des Trois Personnes divines est remplacé partout par le culte du Moi humain ». (Antimoderne. p. 198). Dieu est ainsi écarté de « tout ce qui est centre de pouvoir ou d’autorité dans les peuples ». C’est le triomphe du naturalisme et avec lui, du laïcisme. C’est donc l’exclusion du nom de Dieu dans la sphère politique, sociale et personnel.
C’est ainsi que, sous cette pression, l’homme s’isole de la vie surnaturelle et donc de l’enseignement révélé et donc de l’Eglise. « Il se soustrait à Dieu par anti-théologisme » dira encore merveilleusement Jacques Maritain (J Maritain Antimoderne p 199). Il se replie sur soi et s’enferme comme un tout puissant dans sa propre immanence….et s’adore enfin comme étant l’auteur de la vérité par sa pensée et l’auteur de la loi par sa volonté. Il oublie Dieu et sa transcendance. Dieu est proscrit de la vie sociale comme de la vie intellectuelle.
« C’est là un état contraire à la nature, au surnaturel».
Tels sont quelques éléments d’appréciation de cette sécularisation, marques de ces derniers siècles, que les Pontifes ont analysé dans l’histoire moderne.
A ces maux, la papauté veut donc opposer la « Nouvelle Evangélisation ».
Elle encourage même « la réflexion sur les thèmes de la Nouvelle Evangélisation ». C’est ce que demandait expressément Benoît XVI dans son document constitutif : Ubicumque et semper, en son article 2 dans lequel il créait le Conseil Pontifical pour la promotion de la Nouvelle Evangélisation. C’est ce que nous voulons faire entre autres, ici. Elle veut même « solliciter la participation active des ressources présentes dans les Instituts de vie consacrée et dans les Sociétés de vie apostolique » (art 3). Nous en remercions la papauté. L’Institut du Bon Pasteur en est une. Nous ne nous sentons pas exclu de cette « Nouvelle Evangélisation ». Nous le faisons avec notre charisme propre : la liturgie romaine.
Aussi est-ce légitime de donner humblement notre concours à cette réflexion demandée.
B- La liturgie romaine au cœur de la Nouvelle Evangélisation.
Quelle sera notre réflexion ?
Comme je l’ai dit au fil de ma première partie, face au monde moderne et à ses caractéristiques, je soutiens – c’est ma thèse – qu’un élément essentiel de cette « Nouvelle Evangélisation » sera liturgique. Pour moi, la liturgie est la grande voie de l’Evangélisation. Elle est la grande évangélisatrice des peuples. Il en fut toujours ainsi. Elle doit être au cœur de la « Nouvelle Evangélisation ». La liturgie rappellera aux nations, devenues païennes, leurs devoirs à l’égard du Dieu transcendant, l’obéissance qui lui est due. Elle permettra ainsi aux nations, et aux individus de rendre un juste culte à Dieu par la médiation de son « Christ » et de son sacrifice, ainsi de retrouver l’ordre et la justice. Ce qui est essentiel.
Car telle est le sens de la liturgie, sa finalité.
Elle est la grande éducatrice des peuples. Son rôle éducatif est primordial.
Définition de la liturgie.
Nous l’emprunterons à Pie XII dans son encyclique « Mediator Dei ». La liturgie est « le culte et l’hommage dus à l’unique et vrai Dieu ». Ainsi honorer Dieu est l’objet de la liturgie. Elle comprend « un certain nombre d’actes faits par révérence pour Dieu ». Saint Thomas le dit expressément : « elle fera certaines choses par révérence pour Dieu », « facere aliqua propter divinam reverentiam » (III 81 2 ad 1um). Par ces actes variés, la liturgie va donc nous « ordonner à Dieu », dira saint Thomas : par elle « homo ordinatur ad solum Deum » ou encore elle nous « ordonne à l’honneur de Dieu », « ordinans (nos) in divinam reverentiam ».
Et quelle est la raison de cette révérence, de cet honneur dû à Dieu, de cette soumission ?
Nous devons révérence et honneur à Dieu et donc notre soumission,- c’est la même chose quoad nos – pour l’unique raison qu’il est principe de tout et de tout mon être, qu’Il est « Seigneur et Maître de toutes choses ». Il a la Seigneurie sur toute chose. La Seigneurie lui convient en propre. A Lui donc est dû un culte propre qu’on appellera le culte de « latrie ». Saint Thomas dira : « il est manifeste que la Seigneurie convient à Dieu d’une façon absolument propre à lui seul : à raison qu’il est l’auteur de tout et que sur toute chose il a rang suprême ». Telle est la raison du culte que je lui dois. La liturgie sera ce culte. Elle exprimera la religion que je lui dois, en justice. Elle sera l’honneur spécial, dit saint Thomas, que « je dois à Dieu, principe premier de toutes choses ». Ce sera le sens suprême de l’acte liturgique du Christ dans son Sacrifice du Golgotha, acte liturgique par excellence, reproduit sur les autels de la catholicité.
Vous aurez bien compris le formel de la liturgie !
A Dieu est dû l’honneur, la révérence « parce qu’il est le Principe premier de toutes choses », « Specialis honor debetur Deo, tamquam primo omnium principio » (III 81 1 ad 4). Il est le principe premier de toute chose. Saint Thomas ne cessera de le confesser. Dans la III 81 3, il dira : « que l’objet de la religion ou de la liturgie, c’est de rendre honneur au Dieu unique sous cette unique raison qu’il est le principe premier de la création et du gouvernement des choses ».
Parce que la liturgie permet à tous et chacun de rendre à Dieu ce qui lui est dû, l’honneur et la révérence, elle ordonne tous et chacun comme il convient vis-à-vis de Dieu. Voilà ainsi l’ordre rétabli grâce à la liturgie. Voilà la « riposte catholique » au monde moderne et à son « indépendance » voulue par son athéisme. Or puisque « l’ordre, dira saint Thomas, définit le bien » (III 81 2) – l’ordre a manifestement raison de bien : « Manifestum est autem quod reddere debitum alicui (ici Dieu) habet rationem boni ».(III 81 2), la liturgie est le bien de tous et de chacun. Et ne craignons pas d’affirmer que ce bien, cet ordre – rendre à Dieu son dû – touche tout le monde et les individus et les nations puisque rien n’échappe au Souverain Dominium divin. Ainsi la liturgie saura lutter contre le laïcisme et le naturalisme. Alors on comprend très facilement que la liturgie, en soi, par tout ce qu’elle est, en raison de son essence, est « antimoderne ». Elle sera le contre poison nécessaire, elle sera vie.
Pie XII est formel : révérer et honorer Dieu, – la liturgie le fait -, est « un devoir qui oblige en premier lieu les hommes pris en particulier, mais c’est aussi un devoir collectif de toute la communauté humaine basée sur des liens sociaux réciproques, parce qu’elle aussi dépend de l’autorité suprême de Dieu ».
Voilà une argumentation qu’il faut présenter avec force aujourd’hui face à la sécularisation du monde moderne. Voilà un des objets objet de la « Nouvelle Evangélisation ».
Ainsi la liturgique, par tout ce qu’elle est, va confesser de nombreuses valeurs, qui combleront les « déficiences » du monde moderne et tout d’abord sa prétention d’être « par soi », indépendante du principe premier de toute chose. C’est l’ « aséité », caractéristique du monde moderne, avons-nous dit, que va combattre, au plus haut point, la liturgie, la liturgie eucharistique, la Sainte Messe, l’acte liturgie du Christ, à tel point que la conclusion du Canon de la Messe dira : « Per Ipsum et cum Ipsum et in Ipsum …omnis honor et gloria ».
En effet, la liturgie, c’est à la fois honorer Dieu et le servir. C’est tout un, nous dira saint Thomas. « Le servir et lui rendre les devoirs de notre culte, c’est tout un » : « eodem actu, dira saint Thomas, homo servit Deo et colit eum ». C’est ce double aspect qui caractérise la vie liturgique. Le « servir » va exprimer « la sujétion qui fonde naturellement, du côté de l’homme, son obligation au culte d’honneur ». Mais c’est aussi dans ce service, dans cette sujétion (subjectio) que l’homme va exprimer l’honneur qu’il porte à Dieu. Ainsi la vie liturgique nous permettra de témoigner et de l’excellence divine et de notre sujétion à Dieu » (III 81 3 ad 2um): « nam cultus respicit Dei excellentiam, cui reverentia debetur ; servitus autem respicit subjectionem hominis qui ex sua conditione obligatur ad exhibendum reverentiam Deo ». (III 81 3 ad 2um). Tel fut le Christ en son sacrifice de la Croix : par sa soumission, il confessa l’honneur dû à son Père et sa sujétion qui fut réparatrice de l’acte de révolte d’Adam.
La liturgie, de plus, va nous permettre de confesser la Majesté divine. C’est sa raison d’être, avons-nous dit, sa finalité. La théologie le dit avec saint Thomas : « cultus respicit Dei excellentiam cui reverentia debetur ». « Le culte a regard aux exigences d’honneur de l’excellence divine ». Ainsi du Christ en son sacrifice de la Croix. Il voulut réparer l’insubordination d’Adam en confessant la Majesté divine par sa soumission à son Père. C’est tout le sens du sacrifice du Christ en Croix. Ce fut, certes, un sacrifice extérieur, oh combien douloureux, mais qui était d’abord un sacrifice intérieur : une « offrande » spirituelle de tout son être à Dieu comme principe de toute chose, en tant que Seigneur et Maître. C’est le sens du sacrifice, de tout sacrifice. « L’âme s’offre en sacrifice à Dieu comme au principe de sa création et à sa fin béatifiant » dira saint Thomas: « Anima autem se offert Deo in sacrificium sicut principio suae creationis et sicut fini suae beatificationis ».
La liturgie céleste le confirme. Voyez l’Apocalypse de saint Jean lorsqu’il lève un peu le voile du ciel. Que lit-on dans son chapitre 4 : « …Aussitôt je fus ravi en esprit; et voici qu’un trône était dressé dans le ciel, et sur ce trône quelqu’un était assis. Celui qui était assis avait un aspect semblable à la pierre de jaspe et de sardoine ; et ce trône était entouré d’un arc-en-ciel, d’une apparence semblable à l’émeraude. Autour du trône étaient vingt-quatre trônes, et sur ces trônes vingt-quatre vieillards assis, revêtus de vêtements blancs, avec des couronnes d’or sur leurs têtes. Du trône sortent des éclairs, des voix et des tonnerres; et sept lampes ardentes brûlent devant le trône : ce sont les sept Esprits de Dieu. En face du trône, il y a comme une mer de verre semblable à du cristal ; et devant le trône et autour du trône, quatre animaux remplis d’yeux devant et derrière. Le premier animal ressemble à un lion, le second à un jeune taureau, le troisième a comme la face d’un homme, et le quatrième ressemble à un aigle qui vole. Ces quatre animaux ont chacun six ailes ; ils sont couverts d’yeux tout à l’entour et au dedans, et ils ne cessent jour et nuit de dire : » Saint, saint, saint est le Seigneur, le Dieu Tout-Puissant, qui était, qui est et qui
vient ! Quand les animaux rendent gloire, honneur et actions de grâces à Celui qui est assis sur le trône, à Celui qui vit aux siècles des siècles, les vingt-quatre vieillards se prosternent devant Celui qui est assis sur le trône, et adorent Celui qui vit aux siècles des siècles, et ils jettent leurs couronnes devant le trône, en disant » Vous êtes digne, notre Seigneur et notre Dieu, de recevoir la gloire et l’honneur, et la puissance, car c’est vous qui avez créé toutes choses, et c’est à cause de votre volonté qu’elles ont eu l’existence et qu’elles ont été créées ».
La liturgie céleste doit être l’archétype de toute liturgie, celle de la terre, celle de l’Eglise. Elle ne doit pas être tournée vers l’assemblée, enfermée comme dans un enclos, dira avec force Benoît XVI, mais tournée vers Dieu et sa gloire. Elle est théocentrique.
Voici exprimée, par Saint Jean, la raison du culte céleste : confesser la majesté de Dieu, son excellence. Ce que saint Thomas explique théologiquement, saint Jean le contemple. Tous deux confessent, à leur manière, que l’excellence divine est la raison de notre culte, ce qui est merveilleusement réalisé dans le sacrifice du Christ. Ce fut la raison de son sacrifice.
Ainsi la liturgie solennelle célébrée en union avec le peuple fidèle, la messe, va corriger et compenser les erreurs du monde moderne, sa prétention de voir l’homme se substituer à Dieu, de vouloir prendre la place de Dieu. La liturgie étant ce qu’elle est, humble service humain à l’excellence divine, va corriger cette tendance à vivre en totale autonomie vis-à-vis de Dieu. Comment se replier sur soi, s’enfermer sur soi, lorsqu’on est « toute dépendance vis-à-vis de Dieu, ce que nous fait confesser la liturgie, ce que nous contemplons dans la sainte Messe ? La liturgie, la liturgie eucharistique, parce que théocentrique, nous ordonne à Dieu, elle nous fait contempler Dieu. Le monde moderne est « egocentrique », « anthropocentrique ». L’opposition est radicale. Si elle est bien vécue, elle changera le regard de l’homme sur lui et sur Dieu. Par la liturgie, la « Nouvelle Evangélisation » atteindra sa fin : réagir fortement contre les « vices » de ce monde.
La liturgie du Christ, Homme-Dieu, en est le modèle.
En effet l’honneur et le service que l’homme doit à Dieu, et qu’il lui rend dans sa liturgie, vient de haut. C’est ce que le Verbe incarné rendit à son Père et qu’il manifesta au plus haut point dans la liturgie sacrificielle sacramentelle qu’il institua lors de la Cène. « Ceci est mon Corps…Ceci est mon Sang…Faites ceci en mémoire de moi » et qu’il réalisa dans son Sang au Calvaire.
De fait, nous dit Pie XII, à peine » Le Verbe s’est-il fait chair « (Jn, I, 14)
qu’il fait au Père éternel un acte de soumission qui devait durer tout le temps de sa vie et qui culmina au Calvaire: » En entrant dans le monde il dit : voici que je viens… pour faire, ô Dieu, votre volonté » (Heb X. 5-7). Cet acte, il devait le porter à sa perfection d’une manière merveilleuse dans le sacrifice sanglant de la Croix. Notre Messe le reproduit.
Ainsi si l’on pénètre ce mystère de la Rédemption, c’est-à-dire le mystère de la liturgie eucharistique, sera-t-il facile de corriger cette volonté d’indépendance de l’homme moderne vis-à-vis de Dieu. Rien n’est fort comme l’exemple. « Jésus commença par faire, puis ensuite il enseigna ».
Et c’est pourquoi Pie XII a raison de dire que le sacrifice de la messe, c’est un sujet « très important ».
En effet, en la messe se retrouve tout le formel de la liturgie analysé plus haut.
Elle n’est pas une pure et simple commémoration des souffrances et de la mort de Jésus-Christ, mais elle est un vrai sacrifice, au sens propre, dans lequel, par une immolation non sanglante, le Souverain Prêtre fait ce qu’il a fait sur la croix, en s’offrant lui-même, par les mains du prêtre, au Père éternel comme une hostie très agréable. La Victime est la même, le Prêtre est le même, seule la manière d’offrir diffère ». (Ibid. cap. 2)
Les buts visés enfin, sont les mêmes.
Le premier est la glorification du Père céleste. De son berceau jusqu’à la mort, Jésus-Christ fut enflammé du désir de procurer la gloire de Dieu ; de la croix au ciel, l’offrande de son sang s’éleva comme un parfum délectable, et pour que cet hommage ne cesse jamais, les membres s’unissent à leur Chef divin dans le sacrifice eucharistique, et avec lui, unis aux anges et aux archanges, ils adressent en chœur à Dieu de continuels hommages (cf. Missale Rom., Praefatio) rapportant au Père tout-puissant tout honneur et toute gloire ( Ibid., Canon)
Ne pensez-vous pas alors que le saint Sacrifice de la messe, qui est la liturgie dans sa plus haute expression, parce que la liturgie du Christ, le Verbe fait chair, soit de nature à compenser les « déficiences » tragiques du monde moderne qui se ferme sur lui-même et tend à vivre « comme si Dieu n’existait pas ».
Voilà la plus belle signification de ce sacrifice. Il faut dresser ce sacrifice comme Constantin dressa le « labarum » devant Maxence et triompha…N’ai-je pas raison de dire que la liturgie sacrificielle est la plus belle arme à dresser contre le monde moderne. Elle doit être le tout de « la Nouvelle Evangélisation ».
Le second but, poursuivi par le sacrifice eucharistique, est de rendre grâce à Dieu, « de rendre à Dieu les actions de grâces qui lui sont dues ». Seul le divin Rédempteur, en tant que Fils bien-aimé du Père éternel, dont il connaissait l’immense amour, put lui offrir un digne chant d’action de grâces. C’est ce qu’il visa, ce qu’il voulut, à la dernière Cène. C’est, de fait, « en rendant grâces » ( Mc XIV, 23) qu’le Christ institua l’Eucharistie. Et il ne cessa de le faire lorsqu’il était suspendu à la croix ; il ne cesse pas de le faire dans le saint sacrifice de l’autel, dont le sens est « action de grâces » ou action « eucharistique », et ceci parce que « c’est vraiment digne et juste, équitable et salutaire » (Missale Rom., Praefatio). Cette « action de grâce » est ainsi une belle réponse à l’indifférence du monde moderne vis-à-vis de Dieu.
Et c’est parce que le sacrifice eucharistique rend à Dieu tout honneur et toute gloire, qu’il est pour nous propitiatoire, qu’il nous rend Dieu favorable, clément. « Le Christ, dans son culte plein d’honneur à son Père, s’est proposé un but d’expiation, de propitiation et de réconciliation. Aucun autre que le Christ ne pouvait assurément offrir à Dieu satisfaction pour toutes les fautes du genre humain ; aussi voulut-il être immolé lui-même sur la croix « en propitiation pour nos péchés, et non seulement pour les nôtres, mais pour ceux du monde entier » dira saint Jean (I Jn, II, 2).
Ne croyez-vous pas que cette vérité est de nature à convaincre les plus rebelles à élever leur âme vers un Dieu si clément et si bon et de l’aimer par-dessus toutes choses. Voilà ce qu’il faut prêcher. Voilà ce dont il faut que le prêtre vive. Qu’il soit lui-même d’abord absolument confondu d’un tel amour de Dieu.
Et de plus, c’est dans ce sacrifice que s’origine l’espérance chrétienne qu’il faut proposer au monde. Alors on luttera contre l’hédonisme moderne… Car c’est en ce sacrifice eucharistique que toute justice satisfactoire a été donnée à Dieu et qu’il fait miséricorde. Il fonde notre espérance. Comme le dit saint Paul, « le Christ est en nous l’espérance de la gloire ». Voilà le langage qu’il faut tenir au monde moderne. Tel est le langage de la liturgie. Telle est le langage de la Nouvelle Evangélisation.
Mais écoutez la suite. Pie XII traite de la valeur infinie du divin sacrifice : « Il est donc facile de comprendre pourquoi le saint concile de Trente affirme que la vertu salutaire de la croix nous est communiquée par le sacrifice eucharistique pour la rémission de nos péchés quotidiens » (cf. Sess. XXII, cap. 1)
L’apôtre des Gentils, en proclamant la surabondante plénitude et perfection du sacrifice de la croix, a déclaré que le Christ, par une seule oblation, a rendu parfaits à jamais tous les sanctifiés (cf. He X, 14). De fait, les mérites de ce sacrifice, infinis et sans mesure, n’ont pas de limites : ils s’étendent à l’universalité des hommes de tous les lieux et de tous les temps, parce que l’Homme-Dieu en est le Prêtre et la Victime ; parce que son immolation, comme son obéissance à la volonté du Père éternel, fut absolument parfaite, et parce qu’il a voulu mourir comme Chef du genre humain : « Vois comment fut traité notre rachat : le Christ pend au bois, vois à quel prix il a acheté… il a versé son sang, il a acheté avec son sang, il a acheté avec le sang de l’Agneau immaculé, avec le sang du Fils unique de Dieu… L’acheteur est le Christ, le prix, le sang ; l’achat, le monde entier (S. Augustin, Enarr. in Ps. CXLVII, n. 16)
Vraiment la liturgie, la vraie, est christologique.
Ce rachat, cependant, n’atteint pas aussitôt son plein effet : il faut que le Christ, après avoir racheté le monde au prix très précieux de lui-même, entre effectivement en possession réelle des âmes des hommes. Aussi, pour que leur rédemption et leur salut, en ce qui concerne les individus et toutes les générations qui se succéderont jusqu’à la fin des siècles, se réalisent et soient agréés de Dieu, il faut absolument que chaque homme en particulier entre en contact vital avec le sacrifice de la croix, et donc que les mérites qui en découlent lui soient transmis. On peut dire d’une certaine manière que sur le Calvaire le Christ a établi une piscine d’expiation et de salut, qu’il a remplie de son sang répandu, mais si les hommes ne se plongent pas dans ses eaux et n’y lavent les taches de leurs fautes, ils ne peuvent assurément obtenir purification ni salut ».
Là aussi in faut dire que la liturgie qui nous unit à l’acte du Christ est Christologique. Ainsi la foi en ce Christ rédempteur est-elle nécessaire. « Dieu a tellement aimé le monde qu’il a envoyé son Fils unique afin que quiconque croit en Lui ne périsse pas mais ait la vie éternelle ». La foi est le chemin royal de l’éternité. Autrement dit la participation des fidèles à cette liturgie est nécessaire pour la vie éternelle. Certes ! Elle est le chemin de la gloire ! C’est pourquoi toute la Tradition de l’Eglise, tous les Pères de l’Eglise n’ont cessé de proclamer que la liturgie eucharistique est le cœur de l’Eglise et son sommet.
Et c’est pourquoi sont admirables ces paroles de Pie XII, mais pas seulement admirable, mais vraies, toujours dans Mediator Dei : « Afin donc que chaque pécheur soit blanchi dans le sang de l’Agneau, les chrétiens doivent nécessairement associer leur travail à celui du Christ. Si, parlant en général, on peut dire, en effet, que le Christ a réconcilié, avec son Père par sa mort sanglante, tout le genre humain, il a voulu cependant que, pour obtenir les fruits salutaires produits par lui sur la croix, tous fussent conduits et amenés à sa croix, par les sacrements principalement et par le sacrifice eucharistique. Dans cette participation actuelle et personnelle, de même que les membres prennent chaque jour une ressemblance plus grande avec leur divin Chef, de même la vie salutaire découlant du Chef est communiquée aux membres, si bien que nous pouvons répéter les paroles de saint Paul : « Je suis attaché à la croix avec le Christ, et ce n’est plus moi qui vis, mais c’est le Christ qui vit en moi » (Gal II, 19-20). Or il vit tout ordonné à son Père, pour la gloire de son Père. Comme le dit encore Saint Paul, le Christ vit pour Dieu. « Vivit Deo ». Voilà ce que la liturgie nous fera vivre. Voilà qui est à l’opposé du monde moderne.
Comme Pie XII l’a dit en une autre occasion d’une façon expresse et concise, « Jésus-Christ en mourant sur la croix donna à son Église, sans aucune coopération de la part de celle-ci, l’immense trésor de la Rédemption ; mais quand il s’agit de distribuer ce trésor, non seulement il partage avec son Épouse immaculée cette œuvre de sanctification, mais il veut encore qu’elle naisse en quelque sorte de sa propre activité » (Lettre encycl. Mystici Corporis, du 29 juin 1943)
Ainsi renouvelé tous les jours, le saint Sacrifice de l’autel « nous rappelle qu’il n’y a pas de salut hors de la croix de Notre- Seigneur Jésus-Christ (cf. Ga VI, 14); et que Dieu lui-même tient à la continuation de ce sacrifice « de l’aurore au coucher du soleil » pour que jamais ne cesse l’hymne de gloire et d’action de grâces dû par les hommes à leur Créateur, car ils ont perpétuellement besoin de son secours, besoin aussi du sang du Rédempteur pour effacer des péchés qui provoquent sa justice ». (Pie XII)
Ainsi le Pape Pie XII, mieux que tout autre, affirme expressément l’urgente nécessité de prêcher et de vivre cette liturgie eucharistique pour que le monde quitte son agnosticisme, son hédonisme pratique et confesse que Jésus est le Seul Sauveur.
Et de fait, Pie XII insiste sur ce point : « Il est donc nécessaire, Vénérables Frères, que tous les chrétiens considèrent comme un devoir principal et un honneur suprême de participer au sacrifice eucharistique, et cela, non d’une manière passive et négligente et en pensant à autre chose, mais avec une attention et une ferveur qui les unissent étroitement au Souverain Prêtre, selon la parole de l’Apôtre : « Ayez en vous les sentiments qui étaient dans le Christ-Jésus » (Ph II, 5) offrant avec lui et par lui, se sanctifiant en lui ».
Cela demande donc « de tous les chrétiens qu’ils reproduisent, autant qu’il est humainement possible, les sentiments dont était animé le divin Rédempteur lorsqu’il offrait le sacrifice de lui-même, c’est-à-dire qu’ils reproduisent son humble soumission d’esprit, qu’ils adorent, honorent, louent et remercient la souveraine majesté de Dieu. »
La participation au saint sacrifice de la messe est donc bien le meilleur contre poison du mal contemporain.
La liturgie eucharistique est véritablement « antimoderne ». Elle est ainsi l’arme la plus puissante contre les déficiences du monde contemporain.
Même si il est vrai que seul le prêtre offre le sacrifice de l’hostie, il est vrai aussi que les fidèles participent à cette oblation sacrificielle qui est, de soi, « contrerévolutionnaire ».
L’oblation sacrificielle est faites et par le prêtre et par les fidèles. C’est exprimé par le rite lui-même de la messe.
« Non seulement, en effet, après l’offrande du pain et du vin, le ministre du sacrifice, tourné vers le peuple, dit expressément : » Priez, mes frères, pour que mon sacrifice qui est aussi le vôtre, trouve accès près de Dieu, le Père tout-puissant » (Missale Rom., Ordo Missae), mais en outre, les prières par lesquelles la divine hostie est offerte à Dieu sont formulées, la plupart du temps, au pluriel, et il y est plus d’une fois indiqué que le peuple, lui aussi, prend part à cet auguste sacrifice en tant qu’il l’offre. On y trouve ceci, par exemple : » Pour lesquels nous t’offrons, ou qui t’offrent… Nous vous prions donc, Seigneur, d’accueillir d’un cœur apaisé cette offrande de vos serviteurs et de toute votre famille… Nous, vos serviteurs, ainsi que votre peuple saint, nous offrons à votre glorieuse Majesté ce que vous-même nous avez donné et nous donnez, l’hostie pure, l’hostie sainte, l’hostie immaculée (Ibid., Canon Missae) ;
Concluons.
Après cet exposé, on comprend que la liturgie, par tout ce qu’elle est, et tout particulièrement le sacrifice du Christ, développe le sens de la transcendance, Elle s’adresse à Dieu qu’elle veut honorer et glorifier, à ce Dieu qui est un Dieu de Majesté. Il doit être adoré et vénéré. C’est la finalité théocentrique de la liturgie qu’il faut impérativement faire revivre aujourd’hui. Il faut insister sur cet aspect aujourd’hui, plus que jamais.
La liturgie eucharistique nous permet de contempler le Christ dans son oblation sacrificielle. Là, il confesse obéissance et soumission à la volonté de son Père. « Ma nourriture est de faire la volonté de mon Père », « Père, non ma volonté mais la vôtre ». Admirable docilité ! Il accomplit, de cette manière, réparation, et expiation et ainsi donne toute satisfaction à Dieu. Il nous rend Dieu clément, son acte sacrificiel étant théocentrique ! Dès lors cette liturgie sacrificielle, lorsque nous y participons, nous entraîne à une même obéissance, à une même soumission au Dieu rédempteur. Elle rétablit l’ordre détruit par le péché d’Adam, qui fut un péché d’indépendance, un refus d’obéissance. J’offre ce sacrifice « in signum debitae subjectionis et honoris Deo » (III 85 1). Le Christ fut tel en son sacrifice.
La liturgie ordonne ainsi l’homme vis-à-vis de Dieu et de sa miséricorde. « La liturgie nous ordonne par rapport à Dieu », dira saint Thomas. Nous l’avons dit plus haut. C’est de cette façon que l’homme accomplira ainsi toute justice, la justice étant de rendre à Dieu son dû. Or vivre dans l’ordre avec Dieu est le plus grand des biens pour l’homme.
Voilà quelques richesses de la liturgie ecclésiale : respect de Dieu, transcendance affirmée, majesté de Dieu confessée, docilité aimée.
La liturgie est vraiment le bien de l’Eglise, et partant le vrai bien de l’homme. Et c’est ainsi qu’elle est civilisatrice.
Il faut vivre de cette liturgie. Les prêtres en premiers, les fidèles ensuite. Alors sera détruit cet anthropocentrisme avec ses maux dévastateurs, que nous avons analysés plus haut.
On comprend que la liturgie soit « antimoderne ». Avec la liturgie royale restaurée de l’Eglise, la « Nouvelle Evangélisation » triomphera. C’est son but, nous disent les Pontifes : vaincre la sécularisation qui est oubli de Dieu et développement de l’anthropocentrisme. Comme le dit Jacques Maritain : le culte des Trois Personnes divines est supplanté en ce siècle par le culte du moi humain. Par l’anthropocentrisme. La liturgie, dans son essence même, est tout à l’opposé. Elle est le « contrepoison » nécessaire du monde moderne
Une récente conférence de Mgr Schneider vient nous encourager dans notre analyse. Il était en Angleterre, il y a quelques mois….Dans sa conférence à l’association « Latin Mass society », il déclara : « La vraie crise de l’Église est l’anthropocentrisme et l’oubli du christocentrisme », l’oubli du Christ qui est Dieu.
C’est tout à fait notre pensé, exposée ici.
Il le prouve par la pratique eucharistique actuelle : « Cette crise (se manifeste) quand nous nous plaçons, incluant les prêtres, au centre et quand Dieu est remisé dans un coin et cela se produit même matériellement. Le Saint-Sacrement est parfois dans une armoire éloignée du centre et la chaise du prêtre est au centre. Nous sommes déjà dans cette situation depuis plus de 40 ou 50 ans. Alors il y a un réel danger que Dieu et ses Commandements et ses lois soient remisés sur le côté et les désirs naturels des hommes soient mis au centre. Il y a un lien causal entre la crise eucharistique et la crise doctrinale. L’Eucharistie est au cœur de l’Église ».
Alors, vous dis-je, développons le vraie culte eucharistique par une vraie liturgie royale et nous lutterons efficacement contre l’anthropocentrisme moderne.
« Et quand les gens n’ont plus de vision surnaturelle de Dieu dans l’Eucharistie, poursuit Mgr Schneider, alors ils commencent à rendre un culte à l’homme et la doctrine change aussi selon les désirs des hommes » (Mgr Schneider).
Question, La vraie question.
Y aurait-il donc une pratique liturgique qui s’éloignerait de cette finalité théocentrique de toute vraie liturgie ?
C’est ce que laisse entendre Mgr Schneider :
« Notre premier devoir comme êtres humains est d’adorer Dieu, pas nous, mais Lui. Malheureusement, la pratique liturgique des 40 dernières années a été très anthropocentrique ».
« La crise est vraiment ceci: nous n’avons pas placé le Christ ou Dieu au centre. Et le Christ est Dieu incarné. Notre problème aujourd’hui est que nous avons mis de côté l’incarnation. Nous l’avons éclipsée. Si dans mon esprit, Dieu reste seulement comme une idée, alors c’est gnostique », continue Mgr Schneider dans sa conférence. « Nous vivons dans une société non-chrétienne, dans un nouveau paganisme. Aujourd’hui, la tentation pour le clergé est de s’adapter au nouveau monde, au nouveau paganisme, d’être des collaborateurs. Nous sommes dans une situation similaire aux premiers siècles de l’Église, alors que la majorité de la société était païenne et que le christianisme était discriminé.»
Quel est donc cette liturgie qui depuis une quarantaine d’années s’éloignerait de sa finalité théologale ?
C’est à cette question que je voudrais répondre dans notre deuxième conférence.
Quelle est cette liturgie nouvelle ?
Existe-t-elle vraiment ?
Quelles en sont les formes ?
Elle existe. C’est celle de Paul VI.
Quelles en sont les formes ?
Essentiellement la célébration de la messe face au peuple que le Pape Paul VI a expressément voulue, même si la constitution conciliaire Sacro sanctum concilium n’en dit rien, et la distribution de la Sainte Communion dans la main.
A demain.
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Conférence 2
« Omnia instaurare in Christo ».
Ce fut la devise de saint Pie X.
En réalité c’est toute la pensée de l’Eglise. Elle est toute remplie de ce « christocentrisme » théorique et pratique. Face à la déchristianisation du siècle l’Eglise élève l’étendard du Christ, la Sainte Hostie.
C’est ce que réclame l’Eglise de ses prêtres à l’occasion de cette Nouvelle Evangélisation, depuis surtout Jean Paul II.
Cette « Nouvelle Evangélisation sera doctrinale ou ne sera pas.
Elle sera aussi liturgique. C’est la thèse que j’ai soutenue dans la première conférence.
Mais si l’on veut que la liturgie joue son vrai rôle au cœur de la Nouvelle Evangélisation et qu’elle soit de nouveau un facteur de civilisation, il faut qu’elle retrouve son aspect « cultuel », son aspect théocentrique, son aspect christocentrique, sacrificiel. C’est ce que nous avons démontré dans la conférence précédente.
Or comme l’écrit très justement Mgr Nicolas Bux, dans son livre « la réforme de Benoît XVI » : « L’effondrement de la liturgie commence lorsqu’elle n’est plus comprise et vécue comme un acte d’adoration de la Très Sainte Trinité en Jésus-Christ, ni comme la célébration de toute l’Eglise catholique » ( p 109)
Il me semble que deux choses dans la réforme liturgique post-conciliaire mettent en péril ce sens de l’adoration de la Très Sainte Trinité.
Ce sont :
– la célébration de la messe face au peuple et non plus « ad orientem » comme cela c’est toujours fait dans l’Eglise ;
-et la communion dans la main et non plus sur la langue, comme cela se faisait habituellement dans l’Eglise, avant le Concile Vatican II.
Nous allons étudier tour à tour ces deux points
A- La célébration de la messe face au peuple.
Un point historique :
Nous étions le 7 mars 1965.
La première messe « légale » en langue vernaculaire et face au peuple a été célébrée par le Pape Paul VI lui-même en la paroisse de « Tous les saints » (Ognissanti), à Rome. Nous étions le premier dimanche de Carême de l’année 1965, jour d’entrée en vigueur de l’instruction Inter Œcumenici. Ce document – si l’on excepte le motu proprio Sacram Liturgiam, de peu d’importance – est lui-même le tout premier document d’application de Sacrosanctum Concilium, la Constitution conciliaire sur la liturgie du Concile Vatican II.
C’est donc en ce dimanche, le premier dimanche de Carême 1965, que le pape Paul VI, donna une première application, – son application – de la réforme liturgique issue du concile, qui n’était pas encore terminé.
Pour ce faire, il choisit de célébrer non pas dans une basilique patriarcale de Rome mais dans une simple paroisse romaine. L’événement eut un retentissement considérable en Italie, non seulement parce qu’il s’agissait d’une célébration du pape dans une paroisse ordinaire mais aussi parce que cette messe constituait le point d’orgue d’un effort national de « mise en œuvre de la réforme liturgique du concile ». Le cardinal Lercaro, archevêque de Bologne, avait fait une intervention à la télévision nationale le jeudi précédent pour expliquer comment « appliquer le concile » en matière liturgique. Pour l’essentiel, les textes du missel de 1962 restaient encore intacts (le nouveau missel ne date que de 1969-1970) mais de nombreuses rubriques importantes avaient changé.
L’essentiel de ces nouvelles rubriques, touchant donc le missel romain dit de saint Pie V, consistait surtout à passer du latin à la langue vernaculaire à l’exception du canon et à célébrer face à l’assemblée, la liturgie étant désormais la « chose » du peuple…
Comment donc s’est déroulée cette « première » ?
Il y avait une estrade de bois à trois degrés, sur laquelle était posé un grand autel-table également en bois, recouvert d’une seule nappe. Sur cet autel étaient disposés de façon symétrique un petit crucifix et des chandeliers bas et, entre l’autel et la foule, deux lutrins. Autour de l’estrade, des clercs mais aussi des laïcs, hommes et femmes.
L’autel majeur et son tabernacle avaient été masqués par une grande draperie, qui servait de toile de fond au nouvel agencement. Sur cette draperie, un crucifix monumental. L’autel-table sur son estrade de bois avait été installé devant le banc de communion en pierre, c’est-à-dire à l’extérieur du sanctuaire. Comme aucun banc de communion mobile n’avait été installé devant ce nouvel autel, il n’y avait plus aucune séparation entre ce dernier et la nef.
Cette église de « Tous les saints » ne possédait pas d’autel face au peuple avant la visite du pape ; seul existait l’autel majeur, doté d’un tabernacle qui était, dès l’origine, surmonté par une immense statue du Sacré Cœur, ce qui empêchait toute célébration face au peuple. L’autel-table en bois utilisé le 7 mars 1965 fut apporté par les services du Vatican et le passage du pape marqua bien un tournant, puisque, à partir de cette date, les cérémonies paroissiales se célébrèrent en italien, face au peuple, sur cet autel mobile placé en dehors du sanctuaire, sans barrière avec la nef.
En d’autres termes, en venant célébrer personnellement, ce 7 mars 1965, Paul VI traçait la voie nouvelle en liturgie.
C’est aujourd’hui la disposition à peu près universelle de tous les autels, certainement de toutes les cathédrales. C’est la disposition de l’autel de la cathédrale de Chartres, de Versailles…
Nous nous intéresserons donc à la question de l’orientation de l’autel, puisque Paul VI y a célébré, en ce jour, « face au peuple ».
Cette nouvelle orientation favorise-t-elle l’adoration et l’expansion du sacré? C’est la question que nous voulons nous poser. Elle est essentielle pour répondre au problème de la Nouvelle Evangélisation.
Nous nous inspirerons de la pensée du cardinal Ratzinger, futur pape Benoît XVI et de Mgr Gamber, maitre en liturgie du cardinal.
a- Tout d’abord la pensée du cardinal Ratzinger.
La pensée du cardinal Ratzinger dans son livre « l’Esprit de la liturgie »
Offrir le Saint Sacrifice de la Messe en direction de l’est, c’est-à-dire du soleil levant, symbole du Christ, et jamais face au peuple, (sauf dans certaines basiliques romaines comme à Saint Pierre à Rome – mais parce que pour des raisons topographiques, l’abside est orientée à l’ouest -) était la chose la plus commune et la plus universelle dans l’Eglise catholique avant le Concile. C’est même une tradition apostolique. Le cardinal Ratzinger le dit clairement dans son livre « L’esprit liturgique » – publié en 2000 et traduit en français en 2001 aux Editions « ad Solem » : ce mode « est de tradition depuis l’origine du christianisme » (p. 63).
Pour justifier une façon de faire contraire, on ne peut même pas invoquer la célébration de la sainte Cène. Là, le Christ ne faisait pas face à ses Apôtres, ni ne se trouvait au milieu d’eux. Il était sur la droite, tous du même côté de la table comme nous le démontre la mosaïque de la Cène de saint Apollinaire-le- Neuf à Ravenne qui date à peu près de l’an 500.
Pour prouver son jugement, le cardinal invoque la science liturgique du Père Bouyer : « L’idée qu’une célébration face au peuple ait pu être une célébration primitive, et en particulier celle de la Cène, n’a d’autre fondement qu’une conception erronée de ce que pouvait être un repas dans l’antiquité, qu’il fut chrétien ou non. Dans aucun repas du début de l’ère chrétienne, le président d’une assemblée de convives ne faisait face aux autres participants. Ils étaient tous assis ou allongés sur le côté convexe d’une table en forme de sigma, ou d’une table qui avait en gros la forme d’un fer à cheval. L’autre côté était toujours laissé libre pour le service. Donc nulle part, dans l’antiquité chrétienne, n’aurait pu survenir l’idée de se mettre « face au peuple » pour présider un repas. Le caractère communautaire du repas était accentué bien plutôt par la disposition contraire : le fait que tous les participants se trouvaient du même côté de la table » (p. 49-50).
Le Cardinal reconnaît que l’on a malheureusement perdu, en Occident, le sens symbolique de cette orientation « ad orientem », l’Orient étant le symbole de la lumière se levant, symbole du Christ, Lumière du monde. Les expressions populaires le laissent clairement entendre. « Comment comprendre autrement – cette perte de sens – lorsque l’on parle de « célébration vers le mur » ou de « tourner le dos au peuple » pour désigner l’orientation commune de la prière du prêtre et du peuple telle que la Tradition nous l’a transmise ? » (p. 67). C’est pourquoi, semble-t-il, cette mode de célébrer la messe « versus populum » et non plus « ad orientem » s’est imposée si facilement dans l’Eglise après le Concile Vatican II. Et c’est pourquoi on disposa partout de nouveaux autels, tant et si bien que l’orientation de la célébration « versus populum » a pu paraître être la conséquence du renouveau liturgique voulu par le Concile Vatican II. Mais ce dernier ne mentionne même pas dans sa Constitution « Sacro Sanctum Concilium » de « se tourner vers le peuple ».
C’est vrai ! Mais l’exemple du Paul VI, donna son interprétation de la Réforme liturgique, et son autorité emporta le mouvement…en pleine infidélité à l’être historique de l’Eglise. Ainsi s’engendre le désordre. Comment un instant penser à le « béatifier » ?
Or cette orientation nouvelle est lourde de conséquences théologiques, nous dit le cardinal Ratzinger, le futur pape Benoît XVI.
A- Cette nouvelle orientation implique d’abord, dit-il, une conception nouvelle de l’essence liturgique, celle de la célébration d’un repas en commun.
Il écrit : « En fait l’orientation « versus populum » est l’effet le plus visible d’une transformation qui ne touche pas seulement l’aménagement extérieur de l’espace liturgique, mais implique une conception nouvelle de l’essence de la liturgie : la célébration d’un repas en commun » (p 65) alors que la messe est d’abord essentiellement un sacrifice, le sacrifice du Christ (pour la louange et la gloire de la Trinité, « ad maiorem Dei gloriam).
C’est sa première critique. Nous la retrouverons dans les œuvres de Mgr Gamber.
Il confirme son jugement : «Il n’y a pas d’autre explication au fait que le repas – de surcroît le repas conçu en termes modernes – soit devenu l’idée normative de la célébration liturgique chrétienne » (p. 67).
Cette critique est très grave.
Qu’on mesure bien le mot : l’idée de repas est devenu «l’idée normative de la célébration liturgique chrétienne ».
Mgr Gamber avait déjà exprimée cette idée dans son livre « Tournés vers le Seigneur ». Dans l’avant-propos, il écrivait de fait: « A la base de cette nouvelle position (du prêtre par rapport à l’autel c’est-à-dire face au peuple et la célébration orientée vers ce dernier) – et il s’agit ici sans nul doute d’une innovation et non d’un retour à une pratique de l’Eglise primitive – il y a une conception nouvelle de la messe : celle qui en fait une « communauté de repas eucharistique ». Il poursuit et confirme : « Ce qui primait jusqu’ici, la vénération cultuelle et l’adoration de Dieu, ainsi que le caractère sacrificiel de la célébration considérée comme représentation mystique et actualisation de la mort et de la résurrection du Seigneur, passe au second plan. De même, la relation entre le sacrifice du Christ et notre sacrifice de pain et de vin n’apparaît plus qu’à peine » (p. 4)
B- De plus cette orientation « versus populum » – c’est la deuxième critique du cardinal- a permis que se développe une « cléricalisation » comme jamais il n’en a existé auparavant.
« Le prêtre ou plutôt « l’animateur liturgique », comme on préfère l’appeler maintenant, est devenu, écrit-il, le véritable point de référence de la célébration liturgique. Tout se rapporte à lui. Il faut le regarder, suivre ses gestes, lui répondre ; c’est sa personnalité qui porte toute l’action. Pour encadrer ce « one man show », on a confié à des « équipes liturgiques » l’organisation « créative de la liturgie ; on a ainsi distribué des fonctions liturgiques à des laïcs dont le désir et le rôle sont souvent de se faire valoir eux-mêmes. Dieu, cela va sans dire, est de plus en plus absent de la scène. L’important c’est d’être ensemble, de faire quelque chose qui échappe à un « schéma préétabli » (p. 67-68).
Que devient alors le caractère théocentrique de la liturgie, pourtant essentiel ? Et le monde moderne continuera à s’enfoncer dans son « égocentrisme » destructeur de la personne. La Nouvelle Evangélisation échouera certainement.
C- Le futur pape Ratzinger fait encore une autre remarque des plus importantes – c’est la troisième remarque particulièrement critique : cette nouvelle orientation de la célébration « versus populum » a fait de l’assemblée priante « une communauté fermée sur elle-même ». « Celle-ci n’est plus ouverte ni sur le monde à venir, ni vers le Ciel…(ni vers Dieu) Un cercle fermé n’est donc pas une forme capable de traduire l’élan commun qui s’exprime dans une même direction de prière » (p. 68-69), ce que permet pourtant la célébration de la messe, le prêtre et les fidèles, tournés « ad orientem ».
D- Ainsi cette nouvelle orientation de la prière et de la célébration à l’autel face au peuple a pour conséquence de « changer l’essence de la liturgie chrétienne » (p. 70). Rien moins que cela! En effet « la prière vers l’orient…exprim(ait) la spécificité de la synthèse chrétienne qui intègre cosmos et histoire passé et monde à venir dans la célébration du mystère du salut. Dans la prière vers l’Orient nous exprimons donc notre fidélité au don reçu dans l’Incarnation et l’élan de notre marche vers le second avènement ». Saint Ignace de Loyolla s’exprimait différemment mais confessait la même vérité lorsqu’il écrivait dans son livre des Exercices : « L’homme a été créé pour louer, honorer et servir Dieu et par ce moyen sauver son âme ». La liturgie vraie, celle de l’Eglise catholique, lui en donnait l’occasion.
La Nouvelle Evangélisation dans sa liturgie si elle ne tient pas compte de cet impératif théologal, échouera…certainement, car le « mystère du salut » est central dans la pensée de l’Eglise. La liturgie est christologique ou elle n’est pas. Elle permet seule de restaurer l’amour du Christ et son adoration parmi les nations.
E- C’est pourquoi « l’important (dans la liturgie) n’est pas de regarder le prêtre mais de tourner un regard commun vers le Seigneur » (p69). « Cette orientation vers l’ « est » pendant le canon est essentielle. Il ne s’agit pas d’un élément accidentel de la liturgie…Il n’est plus question ici de dialogue mais d’une commune adoration, de notre marche vers Celui qui vient » (p. 69).
Voilà l’essence de la liturgie chrétienne. Voilà ce qu’il faut « redécouvrir ». Le mot est du Cardinal. Voilà ce qu’il est urgent de restaurer.
Voilà pourquoi il préfaça en particulier le livre de Mgr Ganber « Tournés vers le Seigneur » publié aux Editions sainte Marie Madeleine du Barroux, en 1993. Là, il écrit : « L’orientation de la prière commune aux prêtres et aux fidèles était conçue comme un regard tourné vers le Seigneur, vers le soleil véritable. Il y a dans la liturgie une anticipation de son retour ; prêtres et fidèles vont à sa rencontre. Cette orientation de la prière exprime le caractère théocentrique de la liturgie ; elle obéit à la monition : « Tournons nous vers le Seigneur ! »
Mgr Schneider, lorsqu’il dit que la liturgie a perdu son caractère théocentrique et christologique s’exprime en vrai disciple de Benoît XVI.
Pour toutes ses raisons qui touchent à l’essence même de la liturgie, – c’est en dire l’importance – on comprend que le cardinal ait exprimé souvent et clairement son désir de voir la liturgie latine et romaine revenir à cette coutume « immémoriale » de l’orientation de la prière commune prêtres et fidèles « ad orientem ».
C’est ainsi, de fait, qu’il termine sa préface du livre de Mgr Gamber : « Cet appel s’adresse à nous tous, et montre, au-delà même de son aspect liturgique, comment il faut que toute l’Eglise vive et agisse pour correspondre à la mission du Seigneur ».
C’est clair !
F- La « réforme de la Réforme ».
Il serait donc heureux que là où cela est possible, l’ordre soit donné de retirer ces autels face au peuple – « monstrueux » à tous points de vue, tant sur le plan esthétique que liturgique – et que l’on retrouve l’autel « majeur » pour célébrer à nouveau le sacrifice « ad orientem ». Mais là où cela n’est plus possible, en raison des bouleversements intervenus dans l’Eglise suite au « renouveau conciliaire » et au mauvais exemple donné par Paul VI, il serait heureux tout de même de retrouver les crucifies et les chandeliers sur l’autel.
C’est ce que nous avons vu lors de la messe célébrée sur la place des Invalides par le pape Benoît XVI lors de sa venue en France. L’autel n’était plus une « table nue », celle du repas, – celle sur laquelle célèbrent encore bien des évêques -, mais elle était bien un autel, le crucifie lui redonnant son sens, son sens sacrificiel, son sens de louange.
C’est aussi la solution qu’exprimait déjà le cardinal Ratzinger dans son livre que nous analysons : « L’esprit de la liturgie ». Il répond à une objection, la plus importante pour lui. Elle est d’ordre pratique : « Faut-il à nouveau tout changer, tout réarranger, alors que rien n’est plus dommageable à la liturgie que cet activisme constant, même s’il a pour but une rénovation authentique ? ».
Voici sa solution : « Je vois pour ma part une solution qui m’a été suggérée par les travaux d’Erik Peterson. L’orientation vers l’est, nous l’avons vu, fut mise en rapport avec le « signe du Fils de l’homme », la Croix, qui annonce la seconde venue du Seigneur. L’ « est » fut ainsi relié très tôt avec le signe de la Croix. Là où l’orientation commune vers l’ « est » n’est pas possible, la Croix pourrait servir d’ « est intérieur ». Elle devrait se trouver au milieu de l’autel et représenter le point focal commun pour le prêtre et les fidèles en prières. Nous obéissons ainsi à l’antique injonction qui inaugurait la liturgie eucharistique : « Conversi ad Dominum » – « Tournez vers le Seigneur ». Ainsi nous regarderions ensemble vers Celui dont la mort a déchiré le rideau du Temple, Celui qui pour nous se tient devant le Père, et nous prend dans ses bras pour faire de nous le nouveau Temple vivant. Je compte, parmi les manifestations les plus absurdes des dernières décennies d’avoir mis la croix de côté pour libérer la vue sur le prêtre. La croix est-elle gênante pendant la messe ? Le prêtre est-il plus important que le Seigneur ? On devrait remédier à cela le plus vite possible, cela ne requiert d’ailleurs aucune nouvelle transformation. Le Seigneur est le point de référence. Il est le Soleil levant de l’histoire. C’est pourquoi il pourrait s’agir aussi bien de la Croix de la Passion, signe du Seigneur souffrant, au flanc transpercé d’où s’écoulent pour nous le sang et l’eau – l’eucharistie et le baptême – , comme de la Croix glorieuse qui, évoquant le retour du Christ, dirige notre regard vers Lui. Car c’est toujours le même et unique Seigneur : le Christ hier, aujourd’hui et à jamais » (HE 13 8) » (p.71).
Mais les évêques n’ont pas dû prendre encore le temps de lire ce beau passage ?
Mode pratique pour mode pratique, je suggère que l’on mette une « simple estrade » devant l’autel « nouveau ». Je l’ai fait combien de fois déjà. Et le caractère théocentrique de la messe a été restauré sans aucun bouleversement.
Le pape Benoît XVI pourtant tient à cette idée. Il la reprenait dans son discours conclusif du colloque qui s’est tenu à Fontgombault, les 22-24 juillet 2001 : « Le troisième problème est la célébration versus populum. Comme je l’ai écrit dans mes livres, je pense que la célébration vers l’orient, vers le Christ qui Vient, est une tradition apostolique. Cependant je suis contre la révolution permanente dans les églises ; on a restructuré maintenant tant d’églises, que recommencer de nouveau en ce moment ne me semble pas du tout opportun. Mais s’il y avait toujours sur les autels une croix, une croix bien en vue, comme point de référence pour tous, pour le prêtre et pour les fidèles, nous aurions notre orient, parce que finalement le Crucifié est l’orient chrétien ; et, sans violence, on pourrait, me semble-t-il, faire ceci : donner comme point de référence le Crucifié, la Croix, et ainsi une nouvelle orientation à la liturgie. Je pense que ce n’est pas une chose purement extérieure : si la liturgie se réalise en un cercle clos, s’il y a seulement le dialogue prêtre-peuple, c’est une fausse cléricalisation et l’absence d’un chemin commun vers le Seigneur vers lequel nous nous tournons tous. Donc avoir le Seigneur comme point de référence pour tous, le prêtre et les fidèles, me semble une chose importante et tout à fait faisable et réalisable ». (p. 181)
Les temps changent ! La crise de l’Eglise est venue par la liturgie. Les églises se sont vidées favorisant en proportion la désacralisation du monde. Elle prendra fin par la « redécouverte de l’essence de la liturgie chrétienne » et le monde retrouvera le « sens de Dieu et de sa gloire » (p. 70). De cette découverte du sens de Dieu, la célébration de la messe « ad orientem » en est un élément constitutif. Qu’on se le dise ! C’est la réflexion que je propose à la hiérarchie. J’ai des arguments de poids…Ils viennent de Benoit XVI.
Mais cette réflexion me paraît tellement importante qu’il ne faut pas craindre d’insister. Mgr Gamber m’y aidera. Etudions son livre « Tounés vers le Seigneur ».
B- Tournés vers le Seigneur
Nous venons d’étudier la pensée du cardinal Ratzinger dans son livre « l’Esprit de la Liturgie », dans le chapitre 3 de la seconde partie du livre, «le temps et l’espace de la liturgie ».
Nous voulons poursuivre et compléter notre « recherche » par les raisons liturgiques et historiques exposées par Mgr Gamber dans son livre « Tournés vers le Seigneur » publié aux éditions Sainte Madeleine, en 1993.
Le livre a été de nouveau préfacé par le cardinal Ratzinger. Il en dit l’importance et conclut : « Ce qui fait l’importance de ce livre, c’est surtout le substrat théologique mis à jour par ces savantes recherches. L’orientation de la prière commune aux prêtres et aux fidèles – dont la forme symbolique était généralement en direction de l’est, c’est-à-dire du soleil levant – était conçue comme un regard tourné vers le Seigneur, vers le soleil véritable. Il y a dans la liturgie une anticipation de son retour ; prêtres et fidèles vont à sa rencontre. Cette orientation de la prière exprime le caractère théocentrique de la liturgie ; elle obéit à la monition : Tournons nous vers le Seigneur ». Et le cardinal terminait, nous le savons, par ces mots : « Cet appel s’adresse à nous tous, et montre, au-delà même de son aspect liturgique, comment il faut que toute l’Eglise vive et agisse pour correspondre à la mission du Seigneur ».
Et quelle est donc cette mission sinon l’Evangélisation des nations ?
Il écrivait cette préface, le 18 novembre 1992.
Mgr Gamber, tout comme le cardinal, constate que depuis une quarantaine d’années, dans l’Eglise latine, le prêtre célèbre face au peuple et non plus face à l’Orient comme cela s’est pourtant toujours fait selon la tradition de l’Eglise.
A qui la faute ? Au Pape Paul VI.
Condamnation des autels face au peuple.
Il condamne très fortement cette façon de faire. Il écrit dans son « avant-propos » : « personnellement, je tiens l’introduction des autels face au peuple et la célébration orientée vers ce dernier pour beaucoup plus graves et génératrices de problèmes pour l’évolution future que le nouveau missel ». Il en donne la raison : « Car à la base de cette nouvelle position du prêtre par rapport à l’autel, il y a une conception nouvelle de la messe : celle qui en fait une « communauté de repas eucharistique ».
Le cardinal dit la même chose, nous l’avons vu.
Mais c’est un des caractères fondamentaux du « Novus Ordo Missae », une « déficience » de cette nouvelle liturgie, dira Jean Paul II dans son encyclique sur l’Eucharistie. Les dangers sont graves, doublement graves.
C’est pourquoi Mgr Gamber, comme le cardinal Ratzinger, voudrait que l’on revienne à l’usage constant de l’Eglise: célébrer la messe « ad orientem ».
C’est l’objet de son livre. Il répond à 12 questions après une introduction générale.
La liturgie céleste, l’archétype de la liturgie terrestre
Dans son introduction, il rappelle un principe fondamental qu’il faudrait réapprendre aux séminaristes entre autres si l’on veut être réaliste: la liturgie céleste est l’archétype de la liturgie terrestre. Il rappelle la doctrine de saint Paul exposée dans l’Epître aux Hébreux : le Temple de Jérusalem – et son autel – est « l’image du sanctuaire » qui est au Ciel et dans lequel le Christ, éternel grand prêtre, est entré. Et c’est pourquoi la liturgie terrestre doit s’inspirer de la liturgie céleste. Or l’Apocalypse nous dit dans son chapitre 8 verset 3 : « Survint un autre ange qui se plaça devant l’autel, un encensoir d’or à la main. On lui remit quantité de parfums à offrir, avec les prières de tous les saints, devant l’autel d’or qui fait face au trône ». Cette place de l’ange devant l’autel face au trône a toujours « déterminé l’agencement et la position du prêtre devant lui dans la liturgie terrestre, nous dit Mgr Gamber.
Les choses ont changé. On pense ainsi avoir fait « revivre un usage de la chrétienté primitive » (p 20). C’est faux, enseigne Mgr Gamber. Il va le prouver: « il n’y a jamais eu, ni dans l’Eglise d’Orient ni dans celle d’Occident, de célébration « versus populum », mais toujours tous se tournaient vers l’Orient pour prier « ad Dominum » (vers le Seigneur).
Le prêtre face au peuple, une idée de Martin Luther
Ce face à face avec l’assemblée remonte, non point à la pratique de l’Eglise primitive, mais bel et bien au 16ème siècle, avec le protestantisme luthérien. C’est une idée de Martin Luther qui, dans son livre « la messe allemande et l’ordonnance du culte divin », au début du chapitre « Du dimanche pour les laïcs » notait : « Nous conserverons les ornements sacerdotaux, l’autel, les lumières jusqu’à épuisement, ou jusqu’à ce que cela nous plaise de les changer. Cependant nous laisserons faire ceux qui voudront s’y prendre autrement. Mais dans la vraie messe, entre vrais chrétiens, il faudrait que l’autel ne restât pas ainsi et que le prêtre se tournât toujours vers le peuple comme sans aucun doute Christ l’a fait lors de la Cène. Mais cela peut attendre ».
Nous étions en 1526.
En a-t-il été ainsi lors de la Cène ?
C’est la première question que se pose Mgr Gamber : « Quelle était la situation dans l’Eglise primitive ? Les fidèles n’étaient-ils pas alors assis avec le président à la « table du Seigneur » ?
Mgr Gamber écrit qu’il faut bien distinguer entre la célébration de « l’agape », repas fraternel et celle de l’eucharistie qui primitivement faisait suite à l’agape. « Alors que pour le repas en commun, l’agape, on était assis à des tables, – Mgr Gamber le prouve en citant l’épître aux Galates (2 11-12) où l’apôtre Paul reproche à Pierre de s’être attablé avec les juifs convertis, à l’écart des païens convertis – pour la célébration de l’eucharistie, on se levait et on allait se placer derrière le célébrant qui se tenait à l’autel ». Il citela Didascaliedes Apôtres, une instruction du IIe –IIIe siècle exigeant qu’on se tournât strictement vers l’Orient.
Il est de plus impossible pour justifier la célébration de l’Eucharistie face au peuple de s’inspirer comme le fait Martin Luther, de la sainte Cène. Elle prouve le contraire. Certes les représentations habituelles de la Cène au I6ème siècle figuraient Jésus debout ou assis au milieu d’une grande table, les Apôtres l’entourant à sa droite et à sa gauche.
Mais ce n’est pas ainsi que les choses se sont passées. « Cela aurait contrevenu aux usages domestiques de l’époque » (p 21) dit Mgr Gamber : « Au temps de Jésus, et encore des siècles plus tard, on utilisait soit une table ronde soit une table en forme de sigma (en demi-cercle). Le devant de celle-ci demeurait libre pour permettre le service des plats. Les convives étaient assis ou allongés derrière le demi-cercle de la table. A cet effet, ils utilisaient des divans ou un banc, en forme de sigma. La place d’honneur ne se trouvait pas, comme on pourrait le croire, au milieu mais à droite (in cornu dextro). La seconde place d’honneur lui faisait face » (p21)
« On trouve, poursuit Mgr Gamber, cette disposition des sièges de façon constante dans les plus anciennes représentations de la Cène de Jésus et jusqu’au cœur du Moyen Âge. Le Seigneur est toujours allongé ou assis du côté droit de la table ». Il cite la fameuse Mosaïque de saint Apollinaire-le-Neuf à Ravenne vers 500. La représentation est claire. Et c’est cette disposition qui permet de comprendre l’attitude de Marie Madeleine lors du repas du Seigneur chez le pharisien Simon. Autrement elle n’eut pu arroser de ces larmes les pieds de Jésus. Ou de Saint Pierre faisant signe à saint Jean de demander à Jésus qui était le traite annoncé.
Ce n’est que vers le 13ème siècle qu’un nouveau type de représentation artistique commence à s’imposer : Jésus est désormais placé derrière la table, au milieu des Apôtres qui l’entourent. Ainsi de la représentation de Léonard de Vinci…. « C’est cette image que Luther avait devant les yeux » (p21). « Elle a effectivement les apparences d’un célébration versus populum. Pourtant il ne s’agit en réalité de rien de semblable puisque le « peuple » vers lequel le Seigneur aurait dû se tourner était, on le sait, absent de la salle de la Cène. Ce qui enlève toute valeur à l’argumentation de Luther ».
Mais alors comment se fait-il que les « autels face au peuple aient été introduits pratiquement dans le monde entier ? ». Ne serait-ce pas la volonté expresse du Concile ? C’est la deuxième question que se pose Mgr Gamber.
Il répond clairement : « On chercherait en vain dans la Constitutionsur la liturgie promulguée par le deuxième Concile du Vatican, une prescription exigeant de célébrer la sainte messe tourné vers le peuple » (p. 24). Certes, il y bien eut l’instruction de la Congrégation des Rites « Inter oecumenici » de 1964 qui a inspiré par la suite le nouveau missel, où il est dit « Il est bien de construire l’autel majeur séparé du mur pour qu’on puisse en faire facilement le tour et qu’on puisse y célébrer vers le peuple, et il y sera placé dans l’édifice sacré de façon à être véritablement le centre vers lequel l’attention de l’assemblée des fidèles se tourne spontanément » (N° 91). Mais c’est là une possibilité. Ce n’est pas un ordre. Ce n’est pas une prescription proprement dite. Que l’autel doive être écarté du mur c’est tout à fait conforme à la tradition liturgique. Mais que l’on célèbre la messe face au peuple cela va contre la tradition des églises orthodoxes. C’est fortement préjudiciable à une époque de dialogue œcuménique… De tout temps et en Orient et même en Occident, on cherchait plutôt à dissimuler l’autel, pour en magnifier la sainteté et le sacré : c’est le sens de l’iconostase chez les orthodoxes, des rideaux chez les arméniens et même en Occident, du baldaquin précieux reposant sur quatre colonnes, des courtines étant fixées aux quatre côtés certainement en référence au rideau du Temple de Jérusalem qui séparait le Saint des saints du sanctuaire ainsi que Dieu l’avait prescrit à Moïse. Et Mgr Gamber de conclure : « Alors qu’ainsi l’Eglise en ses débuts dissimulait l’autel autant qu’elle le pouvait, tout en l’ornant de tissus précieux et d’antependiums, voici qu’aujourd’hui cet autel se trouve placé, nu, au milieu de l’église exposé à tous les regards. Sa sainteté en tant que lieu de l’offrande du sacrifice s’en trouve-t-il mieux soulignée ? Sûrement pas. A moins qu’on ne veuille, contre toute tradition, prendre en considération que sa fonction de table du repas et la rendre ainsi manifeste. Alors bien sûr il ne me reste qu’à m’incliner…. » . Mais avant de s’incliner – et il ne s’incline pas – il invoque au préalable Pie XII qui, dans son encyclique « Mediator Dei » affirmait « combien se fourvoierait celui qui voudrait redonner à l’autel son ancienne forme de « mensa » (table) (n° 49) (p.24) et de faire remarquer que « dans ce cas il ne s’agit plus de rendre présent ici-bas le monde de l’au-delà : il ne s’agirait plus que de l’homme et de son univers. L’univers de Dieu, des anges et des saints deviendrait marginal ; à peine toucherait-il le nôtre. Peut-être s’intéressera-t-on malgré tout encore à un homme nommé Jésus et à quelques pages soigneusement sélectionnés de son Evangile » (p. 27).
La critique est amère ! Terriblement amère ! Mais elle montre bien que la Nouvelle Evangélisation sera vaine si elle n’inclut pas en son sein la réforme liturgique telle que la souhaitait Benoît XVI : le retour à la célébration de la messe « ad orientem » soulignant le caractère sacré et révérencielle de l’acte liturgique.
Mgr Gamber constate que dans bien des églises, on a mis un autre autel en plus du maître autel ou qu’on a purement et simplement supprimé le maître autel. Cette pratique ne peut-elle invoqué une tradition moyenâgeuse ? « N’y- avait-il pas, dit-il, au Moyen Âge un autel destiné, en plus du maître-autel comme de nos jours ? C’est la troisième question.
Sans doute, dit-il. Cela se voyait dans les églises cathédrales et dans les monastères. Depuis la fin de l’époque romane, il y avait, de fait, un autel placé devant le jubé. C’était l’autel que l’on appelait « l’autel de la croix ». C’est sur cet autel que, dans ces églises, on célébrait la messe pour le peuple, mais toujours dos au peuple, ainsi que toute messe destinée à des assistances nombreuses. De plus on prêchait du haut du jubé. Seules les messes conventuelles (solennelles) étaient célébrées dans le chœur. Les jubés ont aujourd’hui disparu, sauf exception, comme à la Chaise-Dieuen Haute Loire. Et dans la plupart des cas, l’ancien-maître autel avec son tabernacle ne sert plus qu’à conserver la sainte communion. Ce qui oblige le prêtre, qui se tient à l’autel face au peuple de tourner constamment le dos au tabernacle « sur lequel jusqu’ici, les yeux des fidèles en prières étaient fixés ». Et cela ne gêne personne ! Même quelque fois c’est la chorale paroissiale qui s’installe sur les marches du maître-autel, les chanteurs tournant le dos au tabernacle. Et cela ne dérange personne…Faut-il qu’on ait perdu le sens de l’eucharistie. Souvent aussi, le maître-autel a disparu ainsi que les retables, alors on conserve l’eucharistie dans un tabernacle mural latéral. Ou dans une chapelle latérale de sorte qu’il est difficile de trouver le tabernacle et de venir l’adorer.
Ainsi « aucune de ces solutions n’est satisfaisante » aux yeux de la foi eucharistique. Et de plus « en installant un nouvel autel, on a fait disparaître le centre de gravité spatial que constituait le maître-autel aux yeux de l’architecte qui avait conçu l’église » (p 30). Mais nul ne s’en soucie. ! Le « centre de gravité spatial »… ! Mais c’est l’autel, c’est le tabernacle qu’il ne fallait dissocier de l’autel, rappelait Pie XII.
Tout cela contribue à la perte de la foi en l’Eucharistie, à la perte de la dimension christologique de nos mystères…Comment avec cela voulez-vous rechristianiser ? Et le prêtre risque de ne plus être « l’homme de Dieu » mais un être social…Et c’est ainsi qu’une société se désacralise. La liturgie doit être vraiment au cœur de la Nouvelle Evangélisation.
Notre auteur en arrive à l’argument que l’on croit absolu, celui de l’autel de saint Pierre au Vatican. « Le pape ne célèbre-t-il pas depuis des temps immémoriaux tourné vers le peuple et n’y a-t-il pas dans saint Pierre de Rome un autel isolé sur un podium, comme dans la plupart des églises modernes ? »
Il faut le reconnaître : l’autel papal sous son fameux baldaquin, le Bernin, « se trouve isolé au milieu de l’Eglise, juste au-dessous de la coupole central qui surplombe la confession sur le tombeau de saint Pierre » et le pape y célèbre non pas devant l’autel mais derrière, face au peuple. De là, à conclure que la célébration du sacrifice de la messe face au peuple était la manière de célébrer dans l’église primitive, il n’y a qu’un pas. Il fut franchi, de fait. On entend aujourd’hui encore l’argument. Mais c’est oublier que l’église de saint Pierre, pour des raisons typographiques, n’a pas, comme dans la majorité des églises anciennes, l’abside à l’est mais à l’ouest ». (p. 33). De sorte que lorsque le pape célèbre à l’autel de saint Pierre, il ne célèbre pas face au peuple, il célèbre face à l’Orient., tourné face à l’Orient. (p33)
C’est sa réponse à la cinquième question.
Mais n’était-ce pas inconvenant que le prêtre ait prié, jusqu’ici, en direction du mur ? C’est qu’en même bien mieux de le voir tourné vers l’assemblée ? C’est la sixième question.
Il n’est pas question de prier en direction du mur. Il est question de prier « en direction du Seigneur » .Voilà la réponse de notre auteur : « Lorsqu’il se tient devant l’autel, le prêtre ne prie pas en direction d’un mur, mais tous ceux qui sont présents prient ensemble en direction du Seigneur. D’autant plus que jusqu’ici, ce qui importait, ce n’était pas de réaliser une communauté, mais de rendre un culte à Dieu par l’intermédiaire du prêtre représentant des participants et unis à eux » (p. 34).
Ce qui est hautement traditionnel. Ainsi le demandait Saint Augustin. « Quand nous nous levons pour prier, nous nous tournons vers l’Orient (ad orientem convertimur) Ainsi le réclamait Tertullien. Et l’on peut même penser que saint Paul dans 2 Cor 5, 6-8 souhaitait ardemment de se tourner vers le Seigneur.
Ce serait, du reste, le sens de la réponse liturgique des fidèles : « Habemus ad Dominum » (Nous le tournons vers le Seigneur) au prêtre leur demandant d’élever leur cœur : « Sursum corda » (Elevons nos cœurs).
Il fait remarquer qu’il en fut toujours ainsi, même chez les Juifs. Même chez les Romains. Il cite le romain Vitruve qui écrit dans son étude sur l’architecture : « Les temples des dieux doivent être tournés de telle sorte que…l’image qui est dans le temple regarde vers le couchant, afin que ceux qui iront sacrifier soient tournés vers l’Orient et vers l’image, et qu’ainsi, faisant leurs prières, ils voient tout ensemble et le temple et la partie du ciel qui est au levant et que les statues semble se lever avec le soleil pour regarder ceux qui les prient dans les sacrifices » (p 35).
N’oublions pas la finalité théocentrique de la liturgie. Rappeler cette finalité est absolument indispensable pour la conversion du monde ! Voilà ce que doit inclure la Nouvelle Evangélisation.
Et quand le prêtre se trouvait placé « derrière » l’autel dans les églises ayant leur abside « occidentée » comme saint Pierre de Rome, ou à Saint Clément de Rome n’aboutissait-on pas malgré tout à une célébration face au peuple ? C’est la huitième question, neuvième et dixième questions.
Non, répond-il, car « pendant la prière eucharistique, non seulement le célébrant mais aussi les fidèles étaient tournés vers l’Orient » (p. 37). En effet « tous regardaient en direction des portes ouvertes de l’église par où pénétrait la lumière du soleil levant, symbole du Christ ressuscité qui revient ». Cela était possible parce que « à l’origine, les fidèles se tenaient non pas dans la nef mais dans les bas-côtés ». Il le prouve en invoquant l’exemple de l’église saint Clément de Rome. L’espace central devant l’autel est en effet occupé par la schola cantorum (enceinte réservé aux chanteurs) et par les deux ambons pour la lecture de l’épître, du graduel et de l’évangile. C’était la même chose pour l’église de Sabratha en Lybie. « Dans les basiliques à bas-côtés multiples, ayant l’abside orientée vers l’est, les participants à la messe se trouvaient au début, eux aussi, la plupart du temps, dans les bas-côtés ainsi que dans la partie arrière de la nef. Ils formaient de la sorte, écrit-il, un demi-cercle ouvert vers l’orient, le célébrant se trouvant au point de convergence de ce dernier » (p43). Cette disposition symbolisait merveilleusement l’attente des fidèles de la venue du Seigneur qui, monté au ciel vers l’Orient, en reviendrait lors de son retour en gloire. (Mt 24 27 ; Act 1, 11). « C’est ainsi, écrit-il, que lorsqu ‘une personnalité éminente est attendue, on écarte les rangs pour former un demi-cercle, afin d’y accueillir l’hôte d’honneur en son centre » (p. 43) Et de citer saint Jean Damascène : « Lors de son Ascension, il monta vers l’Orient et c’est ainsi que les Apôtres l’adorèrent, et c’est ainsi qu’il reviendra, de la même manière qu’ils le virent monter au ciel comme le Seigneur lui-même l’a dit :Tel l’éclair qui jaillit de l’Orient et brille jusqu’à l’Occident, tel sera le retour du Fils de l’homme ». Parce que nous l’attendons, nous l’attendons tournés vers l’Orient. C’est là une tradition non écrite des Apôtres » (p 44) Et cette idée explique la représentation dans de nombreuses églises orientées, « depuis le VI siècle de l’Ascension du Seigneur, sous la voûte principale de l’abside : en haut de l’image, le Christ en gloire porté par deux anges, au-dessous Marie représentant l’Eglise » (p. 44) Alors il conclut cette très belle idée par ces mots qui donne tout le sens de la liturgie : « Regardez vers l’est, ce n’est pas seulement regarder vers le Seigneur transfiguré au ciel et revenant à la fin des temps, mais c’est aussi le désir de la manifestation ultime, de la révélation de la gloire future ». (p.45)
Cette idée liturgique très belle n’est-elle pas essentielle à toute catéchèse fondée sur l’ordre du Christ : « Allez enseigner toutes les nations ». Telle doit être l’objet de la prédication de la Nouvelle Evangélisation. Il est christologique.
Il faut le reconnaître, l’homme moderne n’est plus très sensible à ce symbolisme de l’orientation de la prière vers l’Orient. « Pour les chrétiens d’aujourd’hui, c’est quand même la communauté de table qui prime » (p. 48). C’est la onzième question ou objection. Il ne faut pas se décourager. Il faut insister et rappeler le symbolisme liturgique : « De toute façon, l’usage pour tous ceux qui sont présents d’être orientés tous ensemble vers le Seigneur est intemporel et garde aujourd’hui encore tout son sens » (p. 49) Ce qu’il faut rappeler et enseigner : « la Liturgie n’est pas une « offre » comme l’est la liturgie de la Parole qui doit être célébrée face au peuple. Elle est un événement sacré au cours duquel le ciel et la terre s’unissent et où le Dieu de grâces s’incline vers nous ». Comme le dit Origine, cité par Mgr Gamber, « la liturgie est un symbole, celui de l’âme regardant vers le lever de la vraie lumière » « dans l’attente de la bienheureuse espérance et de la glorieuse manifestation de son grand Dieu et Sauveur Jésus-Christ ».
La célébration face au peuple oublie tout cela pour centrer toute l’attention des fidèles sur le prêtre. Cette nouvelle liturgie a entraîné une « clérification » de l’acte liturgique. C’est horrible ! Sans parler des aspects sociologiques du nouveau mode de célébrer qui ne sont pas toujours flatteurs !
Et vous croyez pouvoir évangéliser avec une telle liturgie ! Que d’illusion ! Elle vous ferait plutôt fuir !
Enfin voilà la dernière question, la dernière interrogation. La réfutation de la raison la plus importante de ce problème : célébrer la messe le prêtre tourné vers le peuple permet d’accentuer l’aspect repas et de mettre à l’ombre l’aspect sacrificiel.
C’est cela que les « réformateurs veulent. Alors que toute la tradition demande la célébration « ad orientem » pourquoi ne supprime-t-on pas les « tables du repas » « érigées avec une étonnante unanimité dans le monde entier » ?
La réponse tombe de la plume de notre auteur comme un couperet : « Bien probablement parce qu’elles répondent davantage que l’ancienne pratique à la nouvelle conception de la messe et de l’eucharistie » (p. 53) « Il est très net que l’on voudrait aujourd’hui éviter de donner l’impression que la « sainte table » puisse être un autel du sacrifice (avec sa signification théocentrique). « L’autel » doit rester la table du repas » (p 53). « Certains théologiens catholiques modernes ne nient pas directement le caractère sacrificiel de la messe, mais ils aimeraient le faire passer à l’arrière-plan afin de pouvoir d’autant mieux souligner le caractère de repas de la célébration. Cela le plus souvent à cause de considérations œcuméniques en faveur des protestants »
Mais à l’église, nous avons l’autel du sacrifice. Or « on se tient devant l’autel du sacrifice. On ne se tient pas derrière. Il en était déjà ainsi pour le prêtre sacrificateur chez les païens. Dans le sanctuaire, son regard se dirigeait vers la représentation de la divinité à qui le sacrifice était offert. Il en était de même dans le Temple de Jérusalem, où le prêtre chargé d’offrir la victime se tenait devant la « table du Seigneur » (cf. Mal 1 12), comme on appelait le grand autel de l’holocauste dans la cour du Temple, face au temple intérieur abritant l’arche d’alliance dans le Saint des saints, le lieu où habite le Très Haut. Un repas se déroule sous la présidence du père de famille, au milieu du cercle familial ; en revanche, dans toutes les religions, c’est un liturge désigné à cet effet qui accomplit le sacrifice, et cela dans ou devant un sanctuaire (qui peut-être aussi un arbre sacré) Le liturge est séparé de la foule et se tient devant elle, devant l’autel, tourné vers la divinité. De tout temps les hommes qui offraient un sacrifice se sont tournés vers celui auquel ce sacrifice était destiné et non pas vers les participants à la cérémonie » (p. 53)
Et la conclusion de notre auteur est drastique : « Seuls l’élimination de la table du repas et le retour à la célébration au maître autel pourront amener un revirement dans la conception de la messe et de l’eucharistie, à savoir la messe comprise comme acte d’adoration et de vénération de Dieu, comme acte d’action de grâces pour les bienfaits, pour notre salut et notre vocation au royaume céleste, et comme représentation mystique du sacrifice de la croix du Seigneur »(p. 54) « Cela n’exclut pas que la liturgie de la parole soit célébrée non à l’autel mais au siège ou à l’ambon, comme elle l’était autrefois lors de la messe épiscopale. Mais les prières, elles, doivent toutes être dites vers l’Orient, c’est-à-dire vers l’image du Christ à l’abside et vers la croix sur l’autel » (p. 54)
Concluons, avec Mgr Gamber, en disant : « Ce qui est décisif pour la place du prêtre à l’autel c’est le caractère sacrificiel de la messe. Le sacrificateur se tourne vers celui à qui le sacrifice est offert. C’est pourquoi il se tient devant l’autel « ad Dominum », vers le Seigneur. Or on le sait la messe est plus qu’une communauté de repas faisant mémoire de Jésus de Nazareth. L’important n’est pas la constitution d’une communauté et ce qu’elle vit – quoi que cela ne soit pas à être sous-estimé – mais bien le culte rendu à Dieu. C’est Dieu qui doit toujours être le point de référence et non l’homme. D’où, dès l’origine, l’orientation de tous vers Lui et non un face à face entre le prêtre et l’assemblée ». (p. 59)
« Il nous faut en tirer la conséquence et reconnaître franchement que la célébration « versus populum » est une erreur. Car elle est en définitive orientation vers l’homme et non vers le Seigneur ».
Merveilleuse justification de la coutume immémoriale de l’Eglise. Célébrer les saints mystères tous « tournés vers le Seigneur »!
C’est le mode nécessaire pour entrainer la conversion adorante des fidèles et par eux, du monde.
Restons bien attacher à notre célébration vers l’Orient. Cette orientation est essentielle, du moins, durant la prière du Canon.
Car privée de cette orientation « ad orientem », la liturgie perd son caractère sacré, son caractère cultuel. Dès lors elle n’obtiendrait plus son but : la gloire de Dieu. Elle serait donc stérile dans l’œuvre de l’Evangélisation et qui plus est, infidèle à l’article 2 de Sacro Sacrum Concilium qui affirme : dans la liturgie, « tout ce qui est humain doit être subordonné et soumis au divin, le visible à l’invisible, l’action à la contemplation, le présent à la cité divine future que nous recherchons ».
Or la célébration de la messe ad Orientem favorise, oh combien , la subordination de l’humain au divin, le présent à la cité divine future… Et combien cela est nécessaire pour la conversion de ce monde replié sur lui-même, oublieux de Dieu et de son Règne. C’est l’aspect théocentrique que la liturgie de toujours favorise. Et ce point est fondamental.
C’est ce que Dom Guillou, moine de l’Abbaye de la Source à Paris, écrivait dans sa revue « Nouvelles de Chrétienté » dans des pages sublimes montrant l’importance de cette célébration ad Orientem :
« Toute l’histoire de l’Église elle-même, est une montée de lumière dans l’accroissement du nombre des élus et dans l’épanouissement du développement de ses dogmes et de son mystère propre, jusqu’à son achèvement dans les éblouissantes splendeurs de la Jérusalem éternelle où l’introduira, toute blanche, lavée dans le sang de l’Agneau, l’Époux divin, revenu en gloire pour établir son règne définitif, apparaissant sur les nuées du Ciel comme un éclair qui part de l’Orient ‘’sicut fulgur exit ab oriente…’’.
« Faut-il redire ici, poursuit-il, après ce bref aperçu, le dommage causé à l’esprit et à la manière liturgique par l’abandon de la règle de l’orientation des églises et de la Messe et de la prière orientée, règle qui se relie à un immense contexte éminemment humain, biblique et chrétien. Les Anciens voulaient que le sanctuaire de leurs églises soit comme un Orient spirituel que la lumière matinale inonde à cette première heure de l’office de Laudes qui se termine, chaque jour, par le chant du ‘’Benedictus’’ de Zacharie, célébrant l’Orient ‘’ex alto’’, illuminant ceux qui sont assis à l’ombre de la mort… Comme elle est significative ensuite, dans la joyeuse clarté de l’aurore, cette prière du prêtre au bas des degrés (de l’autel) lorsqu’il s’apprête à monter dans la nuée lumineuse de l’autel : ‘’Emitte lucem tuam et veritatem tuam : ipsa me deduxerunt et adduxerunt in montem sanctum tuum… et introibo ad altare Dei, ad Deum qui laetificat juventutem meam’’ (Ps. 42). Sera-t-il dit que tout ce poème des choses, que toutes ces correspondances merveilleuses échapperont à la myopie réformiste ? Pourtant, même au strict point de vue pastoral, quelle plus belle illustration de cette vérité : notre vie tout entière est comme une Messe qui nous conduit à l’union au Christ, à la céleste illumination où tout sera renouvelé dans une jeunesse éternelle, par les mérites de la Passion et de la Résurrection du Sauveur » (Lumen Christi – Nouvelles de Chrétienté – numéro spécial de Pâques 1952).
Oh, merveille de foi et de symbolisme !
« Nous devons redonner à la liturgie, disait le cardinal Stickler, la dimension du sacré. La liturgie n’est pas un festival, elle n’est pas une réunion de détente. Ce qui importe, ce n’est pas que le curé réussisse à produire de son cru des idées suggestives ou des élucubrations. La liturgie, c’est Dieu trois fois saint se rendant présent parmi nous, c’est le buisson ardent, c’est l’alliance de Dieu avec l’homme, en Jésus-Christ, celui qui est mort et ressuscité. La grandeur de la liturgie ne se fonde pas sur le fait qu’elle offre un passe-temps intéressant, elle consiste bien plutôt dans l’acte de se rendre tangible du Totalement-Autre que nous ne sommes pas en mesure de faire venir. Il vient parce qu’Il le veut. Autrement dit, l’essentiel dans la liturgie est le mystère, qui se réalise dans le rite commun de l’Eglise ; tout le reste la réduit. Les gens le ressentent vivement, et se sentent trompés, lorsque le mystère se transforme en distraction, quand l’auteur principal dans la liturgie n’est pas le Dieu vivant mais le prêtre ou l’animateur liturgique. » C’est pourquoi ils quittent l’Eglise.
La désacralisation de la liturgie –c’est un comble – va contre le but que les pontifes ont donné à la Nouvelle Evangélisation. Que la liturgie redevienne « sacrée », alors elle transformera le monde agnostique !
Tant qu’on verra se développer dans l’Église « un agir cultuel de conception humaine et projeté vers l’extérieur » rien ne sera possible dans l’ordre de l’Evangélisation. C’est ma thèse. Cette liturgie réformée est inapte à l’évangélisation du monde moderne qui a besoin d’un langage sacré et donc surnaturel. Comme le dit le cardinal Ratzinger, elle doit exprimer avant tout « le mystère du sacré ». C’est à Dieu que l’on doit s’adresser dans la liturgie
B- La communion dans la main
C’est la deuxième réforme liturgique qui a suivi le Concile Vatican II. Elle nuit considérablement au caractère sacré de la liturgie et au but que Benoit XVI a fixé à la Nouvelle Evangélisation.
On sait que c’est imposé, dans l’Eglise, depuis la publication du document « Memoriale Domini », document de la Congrégation du culte divin, publié en date du 29 mai 1969, signé par le Cardinal Gut et cosigné par son Secrétaire, Mgr Bunigni, une façon de distribuer la Sainte Communion « étrange » : la communion dans la main.
Cette manière de faire, nouvelle dans l’Eglise, porte atteinte à la vénération, au respect, à l’adoration que l’on doit à la Sainte Eucharistie.
C’est la thèse que Mgr Schneider vient tout récemment de soutenir dans un livre qu’il a intitulé « Corpus Christi ». Le cardinal Burke, préfet de la Congrégation de la Signature Apostolique, a écrit la préface, de l’édition française. Il soutient tout à fait la prise de position de Mgr Schneider. « Ce livre servira d’occasion pour renouveler le mode de réception de la Sainte Communion, discipline qui dispose le communiant à reconnaître pleinement le Corps, le Sang, l’Âme et la Divinité du Christ et ainsi à recevoir Jésus Eucharistie avec une révérence et adoration amoureuse ». Et il conclut : « c’est de cette réception révérencielle et amoureuse de Notre Seigneur dans la saint Communion que nous devons puiser la force de transformer et renouveler nos vies personnelles et notre société, avec la force de l’Evangile, comme le faisaient les premiers chrétiens ». (p. 16)
Le cardinal, dans cette conclusion, lie bien la transformation de la société – but de la Nouvelle Evangélisation – à l’adoration et à la révérence liturgique, en particulier dans la réception de la communion telle qu’elle s’était établie dans l’Eglise depuis des siècles.
C’est précisément la thèse que soutient, dans ce livre, Mgr Schneider.
C’est le souhait le plus formel de Benoît XVI. Il y était revenu lui-même dans les cérémonies pontificales.
Mgr Schneider affirme tout d’abord que « l’œuvre la plus sainte, la plus grande, la plus admirable et la plus divine de toute la Création et pour l’éternité est le Saint Sacrifice de la Messe » (p. 33) puisqu’elle réalise substantiellement mais sacramentellement « le saint sacrifice du Golgotha » (p. 33). C’est en cela que consiste essentiellement la Sainte Messe.
Dès lors, « la plus grande réalité de la Saint Messe est le Christ lui-même, réellement présent avec son Corps immaculé et glorifié dans la petite hostie consacrée » (p. 38). C’’est pourquoi, confesse Mgr Schneider, « chaque fidèle, quand il s’approche du Corps divin du Christ au moment de la communion, doit lui manifester non seulement la pureté intérieure de son âme mais aussi l’adoration extérieure de son corps et le saluer en s’agenouillant, en signe d’humilité mais aussi d’enfance spirituelle en ouvrant la bouche et en se laissant nourrir du Christ de la main du prêtre qui, lors de la messe, agit in persona Christi » (p. 38). La vraie grandeur se révèle lorsqu’on s’incline. Comme le dit Saint Pierre Julien Eymard, que Mgr Schneider cite : «A Lui (au Christ eucharistique) l’honneur solennel, la magnificence, la richesse, la beauté du culte ».
Oui ! conclut notre auteur : « Recevons le Seigneur Eucharistique avec amour et pureté de cœur, en un geste d’adoration en nous agenouillant. Recevons Le en un geste d’humilité » (p. 40). N’est-ce pas aux enfants qu’appartient le Royaume de Dieu ? Tel est le culte qui plait à Dieu, nous dit Mgr Schneider s’inspirant de l’enseignement de l’Epître aux Hébreux : « Rendons à Dieu un culte qui lui soit agréable, avec piété et crainte (cum metu et reverentia) car Notre Dieu est aussi un feu dévorant » (Hb 12 28-29)
N’oublions pas ce que nous avons dit plus haut, la liturgie de la terre doit s’inspirer de la liturgie angélique ! C’est avec crainte que les anges adorent. « Tremunt Potestates » le Dieu tout puissant.
Et Mgr Schneider en tire une première conclusion :
« L’authentique renouveau et la réforme de la vie de l’Eglise doivent être issus du renouveau de la liturgie, donc de l’approfondissement de la dévotion et de la crainte de Dieu dans les rituels ». (p44)
C’est donc au renouveau du rituel de la Sainte Communion dans l’Eglise que va s’attacher notre auteur dans les pages qui suivent.
Il appelle ce rituel, de donner la communion dans la main, de « plaie profonde » (p47). Il écrit même : « cette pratique moderne est la plus profonde des lacérations du Corps mystique de l’Eglise du Christ » (p.47)
Et pourquoi donc ?
Parce qu’elle entraîne, entre autres, « une minimalisme surprenant en matière de geste d’adoration et de respect. Généralement la pratique moderne de la communion dans la main ne s’accompagne de quasiment aucun signe d’adoration visible ». (p. 47) Prendre le pain dans la main, « c’est le geste qui est réservé à la nourriture commune » (p. 47). Les conséquences de ce geste en sont déplorables, en particulier chez les enfants. Et que dire des profanations des parcelles eucharistiques et même des vols de l’hostie eucharistique que ce mode permet.
Comment se fait-il, se demande-t-il, que tant de personnes dans l’Eglise ne reconnaisse pas cette « plaie »…alors qu’il n’ a rien sur la terre de plus sacré, de plus divin, de plus vivant et personnel que la Sainte Communion parce que la Communion est le Seigneur eucharistique en personne » (p. 48)
Il prend en témoignage Saint François d’Assise qui dans une lettre aux custodes écrit : « Je vous en prie donc instamment, vous tous mes frères en vous baisant les pieds et avec tout l’amour dont je suis capable : témoignez tout le respect et tout l’honneur que vous pouvez au Corps et au Sang très saints de notre Seigneur Jésus-Christ, en qui tout ce qu’il y a dans le ciel et tout ce qu’il y a sur la terre a été pacifié et réconcilié au Dieu tout-puissant….Suppliez humblement les clercs de vénérer par-dessus tout le Corps et le Sang très saints de Notre Seigneur Jésus-Christ…Lorsque le prêtre le consacre sur l’autel, ou lorsqu’il le transporte, que tout le monde se mette à genoux pour rendre louange, gloire et honneur au Seigneur Dieu, vivant et vrai ». (p. 102-103.
C’est pourquoi l’Eglise, dans sa longue histoire, a toujours manifesté adoration intérieurement et extérieurement à la Saint Eucharistie. . « C’est de la sorte que fut vénéré le Corps du Christ, le Dieu incarné » (p51) et cela, depuis les Mages de la crèche, depuis les personnes guéries par le Christ, en passant aux femmes qui virent le Seigneur ressuscité le matin de Pâques (Mt 28 9), des Apôtres lors de l’Ascension du Corps de Jésus au Ciel. De même l’Apocalypse nous fait voir les Anges et les élus se prosterner et adorer l’humanité glorifiée du Christ, symbolisée par l’Agneau.
Le Concile de Trente résume cette pratique ecclésiale d’une manière claire : « Il n’y a pas lieu de douter que tous les fidèles chrétiens, suivant la coutume reçue de tout temps dans l’Eglise catholique, ne soient obligés de rendre au Très Saint Sacrement le culte de latrie qui est dû au vrai Dieu. Car pour avoir été institué par Notre Seigneur Jésus-Christ afin qu’il fut reçu par les fidèles, nous ne devons pas moins l’adorer, puisque nous y croyons présent le même Dieu, dont le Père éternel a dit en l’introduisant dans le monde : « Et que tous les anges de Dieu l’adorent » (Sess. 13 chapitre 5) (p.53).
Fort de cette attitude de l’Eglise, il peut légitimement conclure que ce mode nouveau de distribution de la sainte Communion est vraiment « une plaie » « dans le Corps mystique du Christ » (p. 54)
« Ainsi existe-t-il « une vraie urgence pastorale que les catholiques du monde entier commencent à traiter le Corps eucharistique du Christ durant la Sainte Communion de la juste manière, avec un grand respect intérieur et extérieur, indéniable et explicite, comme Dieu seul le mérite. Un catholique doit traiter l’Eucharistie, le Très Saint Sacrement comme le faisaient la Sainte Vierge, les Apôtres, nos parents, nos grands-parents ; comme l’ont fait les chrétiens de toutes les époques, selon l’axiome suivant : « ose donner au Christ autant de respect que tu en es capable » (le quantum potes, tantum aude de Saint Thomas d’Aquin dans la Séquence Lauda Sion). Au moment de la communion, quand on reçoit l’hostie consacrée, il est demandé non pas un minimum mais un maximum de dévotion et d’adoration intérieures et extérieures. Le fait que la Sainte Hostie soit si petite n’autorise personne à la traiter avec légèreté. L’être le plus petit, le plus fragile, le plus sans défense aujourd’hui dans l’Eglise, c’est le Seigneur sous les espèces eucharistiques au moment de la Sainte Communion. On peut avancer des raisons pastorales en faveur de la poursuite de la pratique de la communion debout et dans la main comme, par exemple, le droit des fidèles. De tels droits, cependant, violent les droits du Christ le seul saint, le Roi des Rois : Lui a le droit de recevoir l’excellence des honneurs divins, y compris dans la petite et sainte hostie. Voici quel est le droit du plus faible dans l’Eglise. Toutes les raisons possibles en faveur de la poursuite de la pratique de la communion debout et dans la main perdent toute consistance face à la gravité de l’évidente situation de respect et de sacralité réduits au minimum : face au peu de souci pour les parcelles eucharistiques, tombées par terre ; et face au phénomène croissant de vol des hosties consacrées.
Surtout toute raison imaginable en faveur de la poursuite de la pratique de la communion dans la main perd tout fondement en considération de la diminution, si ce n’est la disparition, de l’intégrité de la foi catholique dans la présence réelle et dans la transsubstantiation. Une telle pratique moderne, qui n’ jamais existé dans l’Eglise sous cette forme extérieure concrète, finit incontestablement par affaiblir la plénitude la foi catholique en l’Eucharistie….Poursuivre cette pratique moderne de la communion se révèle toujours plus comme un choix non pastoral. Parce que lorsque quelque décision vient amoindrir l’intégrité de la foi, compromettre le respect et les gestes d’adoration, lorsqu’elle lèse les droits divins du Seigneur eucharistique, alors cette décision ne peut à tous égards qu’être non pastorales » (p.58-60)
Mgr Schneider, pour justifier sa thèse, à savoir l’urgente nécessité de restaurer la communion sur la bouche directement par le prêtre – car la pratique actuelle a pour effet de favoriser au contraire « un état objectif minimal de vénération eucharistique » (p. 60) – c’est son expression – invoque également l’apparition de l’ange de Fatima en 1916 et son adoration avec les enfants de l’hostie. C’est un confirmateur de sa prise de position. « L’ange laissa suspendu en l’air le calice et s’agenouilla tout près de nous et nous fit répéter trois fois : « Très Sainte Trinité, Père, Fils et saint Esprit, je vous offre le très précieux Corps, Sang, Ame et Divinité de Jésus-Christ, présent dans tous les tabernacles du monde en réparation des outrages, sacrilèges et indifférences par lesquels Il est Lui-même offensé. Et par les mérites infinis de son très Saint Cœur et Cœur immaculé de Marie, je vous demande la conversion des pauvres pécheurs » (….) Ensuite, il se releva et prit dans ses mains le calice et l’hostie. Il me donna la sainte Hostie et le Sang du calice et il partagea entre Jacinthe et François en disant : « prenez et buvez le Corps et le Sang de Jésus-Christ terriblement outragés par les hommes ingrats…En se prosternant à terre, il répéta avec nous encore trois fois la même prière » (Mémoires de sœur Lucie, Fatima 2006)
Et il en conclut : « C’est donc au respect maximum et non minimum que nous sommes appelés, aussi bien intérieurement qu’extérieurement. Le fait que la Sainte Hostie soit si petite ne légitime pas de la traiter avec un minimum de gestes d’adoration et de sacralité au moment culminant de la Sainte Communion » (p. 71)
Dès lors cette nouvelle attitude aujourd’hui devant la communion de l’Eucharistie permet de mesurer la crise de l’Eglise, dit-il : « La vraie crise de l’Eglise contemporaine est au fond une crise eucharistique et plus concrètement une crise causée de façon décisive par la communion dans la main…Une crise confirmée par les faits et provoquée par le laxisme de l’autorité ecclésiale »
J’en arrive à la conclusion de l’exposée de Mgr Schneider qui confirme aussi ma position : « Il est inutile de songer à une vraie réforme de l’Eglise et à une vraie nouvelle Evangélisation ( qui doit réapprendre au peuple le sens de l’adoration) si l’on ne soigne pas le mal à la racine ; or ce mal c’est la crise eucharistique en général et en particulier la crise provoquée par la communion dans la main…Dans les discours et les programmes soutenant une nécessaire réforme de l’Eglise et une nouvelle Evangélisation, on parle de façon générique ou théorique de la nécessité d’un plus grand respect et d’une meilleure attention envers le pain consacré – on a comme l’impression que l’évêque en est agacé – mais, tant que perdurera la véritable cause concrète de l’irrespect et de l’insouciance généralisée, i.e. la communion dans la main, ces discours n’auront pas d’effet sur la foi et sur la piété eucharistique, le cœur battant de l’Eglise » (p.80)
N’est-ce pas soutenir la thèse que la Nouvelle Evangélisation et son but – restaurer le respect de Dieu face à la désacralisation du monde contemporain – passe nécessairement par la restauration de la liturgie dont le Christ est le cœur : restaurer toutes choses dans le Christ. « Le Seigneur apportera à l’Eglise d’aujourd’hui les grâces particulières nécessaires au vrai renouveau (souhaité par les autorités ecclésiales) seulement dans la mesure où il sera vénéré et aimé de façon visible, en particulier et surtout au moment de la Saint Communion » (p. 82)
L’appel est pathétique.
Il est fondé sur une grande foi en l’Eucharistie que la réforme de la liturgie doit restaurer. Vraiment la Nouvelle Evangélisation face au monde sécularisé exige la réforme de la liturgie au moins en ce deux plaies, celle de célébration de la messe face au peuple et de celle de donner la communion dans la main.