Le pèlerinage à Rome de Sommorum Pontificum
publié dans nouvelles de chrétienté le 31 octobre 2014
Correspondance européenne | n° 292,
Le pèlerinage à Rome du Summorum Pontificum
Le 3e pèlerinage Summorum Pontificum s’est déroulé à Rome du 23 au 26 octobre derniers, et la messe Pontificale célébrée par le cardinal Raymond Burke, préfet de la Signature Apostolique, dans la Basilique Saint-Pierre, en présence de plus de 300 prêtres et 2 000 pèlerins venus du monde entier, en a été l’événement le plus important. Correspondance européenne a interviewé l’abbé Claude Barthe, aumônier du pèlerinage.
– Quel est le but du pèlerinageSummorum Pontificum et que se propose-t-il ?
Ce pèlerinage a pour but de conduire au Tombeau de saint Pierre des prêtres diocésains ou membres de communautés traditionnelles, des religieux, des séminaristes de toutes provenances, des fidèles, qui pratiquent paisiblement dans le monde la liturgie traditionnelle grâce au Motu Proprio Summorum Pontificum. Des communautés, des groupes divers sont représentées, mais chaque clerc ou laïc qui y participe le fait à titre personnel. Cela permet plus de liberté et de souplesse, et cela permet aussi, je tiens à le souligner, que des fidèles et prêtres appartenant à la Fraternité Saint-Pie-X puissent être présents paisiblement. J’ajoute que, de même que toute messe est célébrée pro vivis et pro defunctis, dans un pèlerinage comme celui-là la prière pour les défunts importe : nous faisons mémoire de ceux qui nous ont précédé en œuvrant pour la renaissance de la liturgie traditionnelle.
Pas plus qu’en France le Pèlerinage annuel à Chartres de la liturgie traditionnelle, ce Pèlerinage à Rome n’est une « manifestation ». C’est un acte de piété, un moment de prière et d’imploration. Mais parmi d’autres initiatives (je pense aux congrès Summorum Pontificum organisés par le P. Vincenzo M. Nuara, à des messes à la Basilique Saint-Pierre, à des pèlerinages comme ceux d’Una Voce), dans une Église visible, ce pèlerinage manifeste visiblement, l’existence et la présence de la messe traditionnelle, toujours jeune et vivante, à Rome même, auprès de Pierre.
– Après la renonciation de Benoît XVI et avec l’élection du pape François peut-on parler d’une importance historique duSummorum Pontificum et de son actualité?
Il est fort possible que Summorum Pontificum du pape Benoît XVI apparaisse un jour comme le principal acte de son pontificat, celui qui en qualifiera et synthétisera toute la portée. Toutes choses égales, il a la valeur réelle et symbolique d’Humanæ vitæ, qui montrait que, malgré les grandes secousses consécutives au Concile, l’Église gardait un cap identique du point de vue moral. Summorum Pontificum,d’une autre manière,a montré que l’Eglise romaine n’avait nullement abandonné son antique liturgie. « Deux documents pontificaux ont eu un impact sur ma vie, a écrit Mgr Gullickson, nonce en Urkraine : le premier est Humanæ vitæ, publié par Paul VI ; l’autre est Summorum Pontificum, de Benoît XVI ».
Ces deux axes, celui de la morale et celui de la liturgie pourraient bien être décisifs dans les évolutions contrastées qui s’amorcent sous nos yeux. D’autant qu’on peut constater que ces documents ont de fait correspondu à deux milieux de réception qui se recoupent assez largement : un milieu de familles, généralement nombreuses et pratiquantes, observant fidèlement la morale conjugale, et un milieu cultivant une liturgie traditionnelle ou très classique. Milieux qui forment un catholicisme jeune, vivant, qui semble, certes, numériquement minoritaire, mais qui pèse considérablement dans un corps ecclésial qui s’exténue de plus en plus. C’est patent dans le domaine des vocations.
On peut d’ailleurs observer qu’après Benoît XVI la liturgie traditionnelle continue sa remontée : de nombreux fidèles tout simples, des prêtres, des séminaristes, des religieux découvrent aujourd’hui encore sa richesse spirituelle et liturgique, l’exceptionnelle pédagogie de la foi qu’elle représente et le ferment missionnaire qu’elle porte. L’acte de Benoît XVI a consolidé juridiquement – c’est son immense mérite – un mouvement préexistant, qui continue et va continuer.
– L’utilisation de la langue latine dans la liturgie est-elle encore indispensable ? Et pourquoi ?
Votre question me permet de dire d’abord que je suis tout à fait de l’avis du Professeur De Mattei, qui avait développé lors d’un congrès d’étude sur Summorum Pontificum, tenu à l’Université Angélique en 2011, ce thème : la langue latine est vraiment constitutive de la liturgie romaine elle-même, en vertu d’une nécessité déterminée par l’histoire, de même – ce n’est qu’une analogie – que la Ville de Rome est devenue le Siège de Pierre et de ses successeurs.
Bien sûr, la cassure culturelle qu’a provoquée la réforme liturgique en suite du dernier concile, conjuguée avec la quasi-disparition de l’enseignement des humanités, en tout cas en France, a torpillé le vaisseau déjà fragile dans les années 60 du XXe siècle latin liturgique. L’œuvre nécessaire de restauration liturgique est donc confrontée à ce redoutable problème cultuel et culturel : la perte d’habitude de la langue liturgique latine par les fidèles et même par les prêtres de 50 ans et moins. Mais la difficulté n’est pas insurmontable. La preuve par la multiplication des messes tridentines. La preuve par le public nouveau qui les fréquente, sans avoir jamais connu, par le passé, la messe en latin.
En fait, la disparition presque totale du latin dans le rit romain a participé de ce mouvement de profanation de la liturgie, au sens étymologique du terme, à ce mouvement d’entrée massive du profane moderne dans la liturgie, par lequel on a voulu mettre de plain-pied la vie de tous les jours, pétrie de modernité, avec l’ordre du divin, la célébration eucharistique prenant la figure familière d’un repas en commun, avec des paroles de simple urbanité, des gestes de convivialité, le langage de tous les jours. La remise en honneur de la langue de l’Eglise romaine, qui fait corps avec ce qu’elle véhicule, est un élément essentiel de la resacralisation de la liturgie et de la récupération de la mémoire religieuse brisée.
– Les prêtres doivent-ils être autorisés à célébrer la Messe selon le rite tridentin? Et peut-on lui interdire cette célébration? Le problème s’est posé avec les Franciscains de l’Immaculée.
Non, certainement pas ! Le Motu Proprio de 2007 est formel, et c’est même sa disposition la plus importante : aux messes célébrées sans peuple, tout prêtre de rite latin, séculier ou religieux, peut utiliser le missel tridentin en sa dernière édition typique, celle de 1962. La Lettre apostolique reconnaît la liberté per se d’une liturgie « jamais abrogée » : tout prêtre latin a donc un droit natif à la célébrer, sans avoir à demander de permission (et les fidèles ont donc un droit natif à y assister). Per accidens, pour la vie paisible des communautés chrétiennes, elle a règlementé la célébration publique de cette liturgie : pour les messes communautaires dans les Instituts religieux, la célébration doit être déterminée par les supérieurs majeurs.
En ce qui concerne les Franciscains de l’Immaculée, au minimum il n’était pas possible de leur interdire la célébration traditionnelle privée. Le décret qui les a frappés n’était au reste pas clairement rédigé sur ce point. En tout cas, les Franciscains du P. Manelli ont toujours au moins le droit inaliénable de célébrer individuellement la messe traditionnelle.
– Lex orandi lex credendi : pouvez-vous nous expliquer brièvement ce que signifie cette formule ?
Le fameux adage : Lex orandi, lex credendi, résume la phrase : legem credendi statuat lex supplicandi, « que la loi de la prière règle la loi de la foi », contenue dans une lettre aux évêques de Gaule attribuée au pape Célestin Ier. La lettre en question, à l’époque des querelles pélagiennes, visait certaines oraisons de la messe qui portent un enseignement d’une très grande élévation théologique sur la grâce.
Mais cela vaut pour tous les textes liturgiques, comme plus largement tous les éléments de la discipline universelle de l’Eglise, qui sont, pour ce qu’ils contiennent de foi et de morale, une des expressions du magistère ordinaire et universel : l’Eglise romaine ne peut pas induire en erreur ses fidèles dans la manière dont elle leur ordonne de prier ou de vivre. Naturellement, il faut qu’il s’agisse d’unelex universelle : il n’y a d’expression magistérielle que s’il y a obligation, laquelle est ultimement obligation de croire. Le Motu Proprio dit que la forme extraordinaire du rite romain comme la forme ordinaire sont deux expressions de la lex orandi. Pour la forme extraordinaire, il n’y a pas de problème. Pour la forme ordinaire, on comprend que c’est vrai dans la mesure où elle se présente comme une lex universelle, pour la part où elle l’est.
Comme on sait, la nouvelle liturgie est généralement au moins aussi « pastorale » que le Concile, et donc elle se veut intrinsèquement aussi peu lex orandi que le Concile ne se veut lex dogmatique : il y a une infinité de libres options de célébrations, de choix de textes, de traductions, d’interprétations. Mais de même que Vatican II rapporte de nombreux points infailliblement définis par le magistère antérieur, la nouvelle liturgie porte de nombreux éléments parfaitement traditionnels. Pourrait-on dire que la forme ordinaire est lex orandi pour ce qu’elle contient de la forme extraordinaire ? N’est-ce pas ce que voulait dire Benoît XVI en présentant la seconde comme un trésor qu’il fallait toujours garder sous les yeux ?
– On discute beaucoup sur le problème de l’administration de l’Eucharistie aux divorcés remariés. Ne pensez-vous pas que cette requête puisse être liée aussi à la perte du sens du sacrifice eucharistique?
Oui, assurément. Il me semble que c’est le cardinal Ruini qui a souligné que le problème que le Synode a cru devoir discuter venait à l’origine de ce qu’aujourd’hui pratiquement tous les participants à la messe communient toujours, et beaucoup d’entre eux sans jamais se confesser. Il y a une perte vertigineuse du sens du péché. On n’apprend plus que la communion au Christ vivant dans l’eucharistie est un « sacrement des vivants », qui exige de ceux qui le reçoivent qu’ils soient en état de grâce ou qu’ils recouvrent l’état de grâce, c’est-à-dire qu’ils lavent leur âme par le sacrement de la pénitence de ces péchés qui la mettent en état d’aversio a Deo. C’est aujourd’hui, pour les prêtres de paroisses conscients de leurs devoirs, un très grave problème pastoral. La célébration de la messe traditionnelle peut aider à délivrer cette catéchèse sur le péché et sur la grâce par l’admirable révérence, ô combien pédagogique, de la foi, dont elle entoure le sacrement.