L’aveu de Luther sur la messe
publié dans nouvelles de chrétienté le 17 février 2015
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L’aveu de Luther sur la messe
Je ne sais si vous avez la chance d’avoir, comme moi, dans votre rayon d’action, un bouquiniste compétent, qui connaît vos goût et sait vous dégoter le texte rare que vous n’auriez pas trouvé sur Internet parce que vous n’auriez pas su le chercher. Je me fournis régulièrement Boulevard de Grenelle, chez Jean-Michel qui se reconnaîtra. Il sait ma passion pour le XVIème siècle et mon indulgence (coupable ?) pour Luther. Il m’a donc dégoté une édition des Articles de Smalkalde, que le vieux Martin Luther avait rédigés au cas où Paul III (le pape qui succéda au calamiteux Clément VII) l’aurait invité à ce concile qui devait d’abord se tenir à Mantoue et se tint en fait à Trente. Martin Luther voulut encore une fois affirmer avec forces ses positions : « J’aimerais bien qu’un Concile vraiment chrétien s’assemblât afin de porter remède aux choses et aux hommes » déclare-t-il. A le lire, on devine quel traumatisme a traversé l’Europe en ce temps-là.
Ce traumatisme des populations germaniques traversées de différentes manières par l’idée de la Réforme de l’Eglise, Luther le connaît bien. Toute sa vie en a été marquée. Il en a été le détonateur et le symbole, mais non, tant s’en faut, le seul acteur. Immédiatement il se défend d’accusations que l’on pourrait lui faire, tout en marquant le coup, et en manifestant involontairement une sorte de désarroi :
Crise de l’autorité comme il n’y en eut jamais, analogue en cela à la Révolution française, l’apparition et la consolidation en Europe de la Réforme protestante émeut profondément un François Ier, roi de France (1512-1547) qui n’est pourtant pas un pilier de sacristie, mais que l’affaire des Placards (en 1534, on est allé placarder une nuit dans tout Paris et jusque dans la chambre royale des caricatures insultantes contre l’eucharistie) a durablement terrifié, lui montrant à quel degré de haine peuvent s’étendre « les prodiges du sacrilège ». Encore et toujours… des caricatures ! L’invention de l’imprimerie est toute récente. Avouons que Luther, aidé de son ami Cranach l’Ancien, avait montré la voie. Il était lui-même passé maître en Allemagne dans ce genre. Ivan Gobry a d’ailleurs fait rééditer les dessins de Cranach avec les textes de Luther (chez Jérôme Milon). Attention, le personnage ridiculisé par Luther, n’est évidemment pas le Christ et pas l’eucharistie ; c’est avant tout… le pape ! Rien de nouveau sous le soleil ! L’image a toujours plus d’impact que tous les textes. Image ? Cranach n’est pas Charb. Il n’a pas fait que des caricatures. Il a par ailleurs réalisé, on le sait, de somptueux et très réalistes portraits de Luther, mais aussi de sa femme l’ancienne religieuse Catherine Bora. Face à cette crise de l’autorité, Luther s’est tout de suite décidé à sévir : il prend position très vite (1524) contre la révolte des paysans anabaptistes [soutenant l’idée d’un re-baptême général des populations protestantes]. Lui, Luther se met encore et toujours du côté des Princes allemands, ces chefs de la Nation allemande auxquels il avait envoyé son fameux Discours à la noblesse allemande. Par ailleurs, il se veut très ferme sur le front doctrinal. Pas question pour lui de voir la foi luthérienne se dissoudre dans un symbolisme analogue à celui que professe Zwingli en Suisse à propos de l’eucharistie. Il croit au Sacrement. On dit que le vieux Luther à la fin de sa vie, ayant fait tomber son calice, s’est mis à laper le Précieux sang répandu sur l’autel… Il a une théorie de la présence réelle qui n’est pas celle de Thomas d’Aquin et qu’il a dû emprunter à Gabriel Biel ou à tel de ses maîtres nominalistes Pour autant, il maintiendra toujours son opposition viscérale, à « la messe ». Oui, dit-il, à l’eucharistie. Oui à une présence réelle du Christ au milieu de son peuple lors de la célébration de la Cène. Mais non à la messe. Non à une Présence continue du Christ, non à la célébration privée des saints Mystères par les prêtres, non à l’efficacité spirituelle de la messe, non au sacerdoce qui produit cette efficacité spirituelle. Non à cette épiphanie durable du Divin dans le monde humain (il la compare à de l’idolâtrie). Non aux mérites du Christ que la messe nous ferait partager. Non à l’efficacité spirituelle de la messe pour les vivants et surtout pour les morts. Mgr Lefebvre avait raison de penser que certains réformateurs du Nouvel Ordo de la Messe s’approchaient de la critique luthérienne, lui faisaient droit. On voit bien que beaucoup de bricoleurs liturgiques après la Réforme de 1969, ont cru qu’ils pourraient eux aussi en finir avec cette Plénitude de présence et avec les grâces merveilleuses qu’elle nous délivre. Mais voici l’aveu de Luther, toujours occupé de ce qu’un prochain concile pourrait penser de son oeuvre :
Etrange texte ! Il nous fait comprendre le coeur du problème et combien aujourd’hui encore le coeur du problème est liturgique. Il ne s’agit pas de messe de Pie V ou de Paul VI. Il s’agit de la messe tout court. C’est ce que Cajétan a compris le premier lorsque le jeune Martin Luther en 1518 à Augsbourg (ou à Worms) lui débitait la scolastique occamienne qu’il avait apprise comme jeune novice augustinien, l’enseignement d’un Durand de Saint-Pourçain par exemple sur le sacrement Lutter pour la beauté de la liturgie, ce n’est donc pas anecdotique. Le vieux lutteur Martin Luther avait fini par le comprendre, il est fier de dire que ses cérémonies sont belles (les réformateurs conciliaires eux n’ont eu aucune conscience de l’importance du beau dans la liturgie). Pourquoi est-ce si important ? Parce que la messe, sacrifice prophétisé par le prophète Malachie (Mal. 1, 11), c’est le coeur du problème religieux. Teilhard de Chardin l’avait compris dans La messe sur le monde : la messe, c’est ce qui dénoue le drame humain par l’offrande réelle de tout ce que nous sommes, non pas dans l’a tentative d’offrande mais dans l’offrande christique sans cesse renouvelée ou réactualisée, dans le Christ s’offrant réellement et disant : Hoc est Corpus meum. L’esthétique liturgique est importante. Mais elle n’est pas tout. Elle est encore de l’ordre du signe. Or la messe n’est pas seulement un signe mais une réalité. Si la messe n’est pas cette épiphanie actuelle du divin, le prêtre diseur de messes n’est pas l’homme du divin et le premier des prêtres, le pape, perd son autorité spirituelle. Ainsi, il est absurde de lutter pour la messe et contre le pape : Martin Luther nous le dit, c’est la même chose, c’est la même économie spirituelle catholique qui se manifeste dans l’infaillibilité du pape et dans la réalité spirituelle du sacrifice eucharistique, c’est le même réalisme et la même liberté prodigieuse d’un sacrifice analogiquement réel dans toutes les églises du monde, d’une Puissance spirituelle réelle partout où ce sacrifice est offert et d’une autorité pontificale limitée (infiniment limitée) au caractère divin de l’enseignement de l’Eglise, mais réelle dans le très petit nombre de ses affirmation. Quelle question fondamentale pose la réalité du sacrifice de la messe ? Le problème est au fond de savoir si l’Incarnation continue ou non ; si le Christ Dieu et homme, s’incarne à nouveau dans chaque messe pour se réaliser, par la puissance du Saint Esprit, en nous-mêmes. Notre communion n’est pas seulement l’affirmation d’un lien signifié avec le Christ mais notre christification effective quoi qu’advenant de manière progressive et si seulement nous le voulons.. |