le cardinal Burke et la famille
publié dans regards sur le monde le 26 mars 2015
Exclusif : un entretien inédit avec le cardinal Burke à propos de la famille, du mariage et du synode
que vous pouvez copier et coller. Merci à Jean-Marie Molitor, directeur de Monde & Vie, de m’avoir autorisée à mettre en ligne la partie de l’interview parue dans ses colonnes. Monde & Vie, c’est par là, aussi bien pour s’abonner que pour acheter un numéro.
— En tant que catholiques, nous savons que le mariage engage pour la vie ; que le mariage est un « signe » de l’union du Christ et de l’Eglise. Nous connaissons également son lien profond avec l’Eucharistie. La Théologie du Corps du Jean-Paul II a mis cela en lumière de manière très spéciale, mais ses travaux n’ont pas été cités dans les documents successifs du synode. Comment percevez-vous cette omission ? La vulgarisation de cette œuvre n’offrirait-elle pas les vraies réponses aux problèmes d’aujourd’hui ?
— Absolument. L’enseignement de Jean-Paul II est si lumineux, il s’est consacré avec tant d’attention et d’intention à la question de la vérité sur la sexualité humaine et de la vérité du mariage, ainsi que nous avons été plusieurs à le dire lors des discussions au synode et des travaux en groupes linguistiques : nous avons plaidé pour un retour à ce magistère de saint Jean-Paul II qui est une réflexion sur ce que l’Eglise a toujours enseigné et mis en pratique. Mais à vrai dire, on avait l’impression que l’Eglise n’a aucun enseignement en ces domaines.
— Voilà qui est extraordinaire…
— Tout à fait extraordinaire. C’est ahurissant. J’avais du mal à le croire alors que j’en étais témoin. Je crois que certaines personnes refusent de le croire parce que c’est absurde.
— Saint Jean-Paul II a répondu à l’idéologie du genre avant qu’elle devienne connue.
— En effet. Il s’occupait de toutes ces questions au niveau le plus profond : il s’en occupait strictement sur le plan de la loi morale naturelle, ce que la raison nous enseigne ; et sur le plan de la foi et de ce qu’elle nous enseigne, évidemment en union avec la raison mais en élevant et en illuminant ce que la raison nous dit de la sexualité humaine et du mariage.
—Parmi les points de vues développés par le cardinal Kasper, et plus récemment par Mgr Bonny, l’évêque d’Anvers, il y avait l’idée que les homosexuels « fidèles », les divorcés « remariés » et les couples au sein d’une union maritale irrégulière font preuve de qualités d’oubli de soi, de générosité et de dévouement que l’on ne peut ignorer. Mais par leur choix de vie, ils se trouvent dans ce que les tiers doivent considérer comme étant objectivement un état de péché mortel : un état choisi et prolongé de péché mortel. Pourriez-vous nous rappeler l’enseignement de l’Eglise sur la valeur et le mérite de la prière et des bonnes actions dans cet état ?
— Pour celui qui vit publiquement dans un état de péché mortel aucun acte bon qu’il peut être amené à poser ne peut justifier cette situation : cette personne demeure en état de péché grave. Nous croyons que Dieu a créé tous les hommes bons, et que Dieu veut la rédemption de tous les hommes, mais celle-ci ne peut se réaliser que par une conversion de vie. C’est pourquoi nous devons appeler ceux qui vivent dans ces situations gravement peccamineuses à la conversion. Vouloir donner l’impression que d’une certaine manière il y a quelque chose de bon dans le fait de vivre dans un état de péché grave est tout simplement contraire à ce que l’Eglise a toujours enseigné, partout.
— Ainsi, lorsque l’homme de la rue dit qu’en effet, il est vrai que ces personnes sont bonnes, dévouées, généreuses, cela ne suffit donc pas ?
— Bien sûr que non. C’est comme une personne qui commet un meurtre mais qui est pourtant aimable avec les autres…
— Quels véritables soins pastoraux recommanderiez-vous pour les personnes qui vivent dans ces situations, et que peuvent-elles obtenir de la pratique de la foi dans la mesure du possible, alors qu’elles ne peuvent pas obtenir l’absolution ni recevoir la sainte Communion ?
— Au cours de ma propre expérience pastorale j’ai travaillé avec des individus qui se trouvent dans ce type de situation et j’ai essayé de les aider, avec le temps, à changer de vie, tout en respectant les obligations qu’ils sont tenus de remplir eu égard à la justice. Par exemple, dans le cas de ceux qui se trouvent au sein d’une union matrimoniale invalide, il s’agira de les aider à se séparer si c’est possible, ou à vivre comme frère et sœur dans le cadre d’une relation chaste, s’il y a des enfants et qu’ils ont l’obligation de les élever.
— Dans de cas de couples remariés qui ont des enfants à eux mais aussi des enfants d’un précédent mariage, cela ne crée-t-il pas des situations très compliquées ?
— Evidemment ! Je suis d’ailleurs très préoccupé par la discussion à propos de la procédure de reconnaissance de nullité du mariage : on donne l’impression que seule une partie est en cause, à savoir la personne qui demande une déclaration de nullité. En réalité il y a deux parties en cause, il y a des enfants en cause, et il y a toutes sortes d’autres relations qu’implique tout mariage. Et ainsi la matière est extrêmement complexe, elle n’est jamais capable d’une solution facile quelconque.
— Pour les personnes vivant dans le cadre de mariages invalides ou d’unions impossibles, on a soulevé la question de la communion spirituelle. Je ne comprends pas bien comment on peut faire une communion spirituelle dans cet état.
— Le terme a été utilisé de manière imprécise. Pour faire une communion spirituelle il est nécessaire d’avoir toutes les dispositions nécessaires à la réception actuelle de la sainte Communion. La personne qui fait une communion spirituelle, c’est celle qui, simplement, se trouve dans une situation où elle n’a pas accès au Sacrement mais est pleinement disposée à le recevoir, et elle fait alors un acte de communion spirituelle. Je pense que certaines personnes qui ont utilisé ce terme voulaient parler du désir de la personne qui se trouve dans une situation de péché de se libérer de cette situation, et qui prient Dieu de les aider à remettre leur vie à l’endroit, à changer de vie, à trouver une nouvelle manière de vivre afin qu’ils puissent se trouver dans un état de grâce. Nous pourrions appeler cela le désir de la sainte Communion, mais ce n’est pas la communion spirituelle. Cela n’est pas possible. La communion spirituelle a été définie par le Concile de Trente : celui-ci avait très clairement posé qu’elle nécessite toutes les dispositions, et cela est logique.
— Comment l’Eglise peut-elle vraiment venir en aide à tous ceux qui sont impliqués dans ces situations : époux abandonnés, enfants de mariages légitimes qui sont blessés par le divorce de leurs parents, les personnes qui se battent avec une tendance homosexuelle ou qui d’une manière ou d’une autre se sont laissé « piéger » au sein d’une union illégitime ? Et quelle doit être notre attitude ? L’attitude des fidèles ?
— Ce que l’Eglise peut faire, et c’est le plus grand acte d’amour qui puisse être de la part de l’Eglise, c’est de présenter à tous l’enseignement sur le mariage, cet enseignement qui nous vient de la parole du Christ elle-même, et qui a été constant dans la tradition de l’Eglise. C’est un signe d’espoir pour tous. Elle peut aussi les aider à reconnaître le caractère peccamineux de la situation où ils se trouvent, et en même temps les appeler à quitter cette situation de péché et de trouver une manière de vivre en accord avec la vérité. C’est la seule manière dont l’Eglise peut les aider. Cela avait été ma grande espérance pour ce synode : qu’il puisse montrer au monde la grande beauté du mariage – et cette beauté du mariage, c’est la vérité sur le mariage. Je dis toujours au gens : l’indissolubilité n’est pas une malédiction, c’est elle qui fait la grande beauté de la relation conjugale. C’est ce qui fait la beauté de la relation entre l’homme et la femme : que leur union soit indissoluble, qu’elle soit fidèle, qu’elle soit procréatrice. Mais aujourd’hui on aurait presque l’impression que d’une façon ou d’une autre, l’Eglise a honte de ce très beau trésor qui nous est donné dans le mariage, conforme à la manière dont Dieu a créé l’homme et la femme depuis l’origine.
— Certains pasteurs semblent même avoir honte de parler du péché, ou de parler de la chasteté.
— Cette question a également été soulevée au synode. L’un des pères synodaux a demandé : « N’y a-t-il plus de péché ? » On a cette impression. Malheureusement, depuis la chute de nos premiers parents, la tentation existe toujours de pécher, et le péché est dans le monde : nous devons le reconnaître et l’appeler du nom qui est le sien, et chercher à le vaincre.
— L’Eglise et les parents chrétiens ne sont ils pas appelés d’une manière particulière à éduquer les enfants à la modestie et à la décence ? Celles-ci ont complètement disparu dans de nombreux lieux.
— Oui, cela est tellement vrai. Une partie de l’Evangile de la Vie ordonne d’enseigner aux enfants, aussi bien à la maison qu’à l’école, les vertus fondamentales qui mettent en évidence le respect de notre propre vie et de la vie d’autrui, ainsi que le respect de notre propre corps : la modestie, la pureté, la chasteté. Il faut y former les jeunes enfants dès leurs plus tendres années. Mais tout cela aussi est en péril, simplement parce que la catéchèse de l’Eglise a été si faible, et dans certains cas confuse et erronée ; et il y a eu une telle dégradation de la vie familiale, que les enfants ont été sujets à une éducation qui les laisse désarmés lorsqu’il faut vivre la vérité du mariage et la vérité de leur propre corps, de leur propre vie humaine.
— Quelle est la chose la plus urgente que nous devions faire pour éviter le désordre du divorce et de toutes les unions désordonnées ?
— Je pense vraiment que cela commence dans la famille. Nous devons renforcer les familles, en formant d’abord les époux à vivre la vérité du mariage dans leur propre foyer qui devient dès lors – et pas seulement pour eux – une source de rédemption, et en même temps une lumière pour le monde. Un mariage vécu dans la vérité est si attirant et si beau qu’il mène d’autres âmes à la conversion. Pour former les enfants en ce sens, spécialement aujourd’hui, il faut les élever de manière à ce qu’ils puissent choisir d’être « contre-culturels ». Ils ne peuvent par exemple accepter cette théorie du genre qui contamine notre société : il faut donc les élever de manière à ce qu’ils rejettent ces mensonges et vivent dans la vérité.
— Il existe un lien entre la contraception et le divorce : 30 à 50 % des couples mariés qui utilisent la contraception divorceront, tandis que les couples qui ne l’utilisent pas – qu’ils soient chrétiens ou non – ou qui ont recours à la régulation naturelle des naissances, seront moins de 5 % à divorcer. Etes-vous d’accord pour dire qu’un langage plus clair et un plus grand engagement pastoral de l’Eglise pour la promotion d’Humanae Vitae sont indispensables afin d’obtenir des unions plus stables ?
— Absolument. Le bienheureux pape Paul VI l’a bien mis en évidence dans la lettre encyclique Humanae Vitae : la pratique de la contraception allait entraîner la rupture de la vie familiale et la perte du respect à l’égard des femmes. Nous devons simplement réfléchir au fait qu’au sein d’un couple qui a recours à la contraception les époux ne se donnent plus totalement l’un à l’autre. Cela introduit déjà un élément de rupture dans le mariage : s’il n’est pas corrigé, si l’on n’y porte pas remède, cela peut facilement mener au divorce.
— Sur la question de la taille de la famille et de la liberté des parents, le mouvement écologiste mondial, avec la promotion internationale du planning familial et du contrôle de la population sont-ils pour vous des sujets d’inquiétude ?
— Oui, cela m’inquiète beaucoup car les gens sont faussement amenés à penser qu’ils devraient avoir recours à une forme ou l’autre de contraception pour être des intendants responsables de cette terre. En réalité, le taux de natalité de la plupart des pays est bien en deçà de celui qui est nécessaire pour assurer le renouvellement des générations. Et quoi qu’il en soit de tout cela, la vérité est celle-ci : si Dieu appelle un couple au mariage, alors Il les appelle aussi à être généreux pour ce qui est de recevoir le don de la vie humaine nouvelle. Et nous avons donc besoin de beaucoup plus de familles nombreuses aujourd’hui. Grâce à Dieu, je vois parmi certains jeunes couples aujourd’hui une générosité remarquable par rapport aux enfants.
Une autre chose que je n’entends guère aujourd’hui, mais sur laquelle on mettait toujours l’accent lorsque j’étais jeune, comme on l’a toujours fait dans la tradition de l’Eglise, c’est que les parents doivent être généreux en ce qui concerne le nombre d’enfants afin que certains d’entre eux puissent recevoir l’appel à la prêtrise ou à la vie consacrée, et au service de l’Eglise. Et cette générosité des parents va certainement inspirer à l’enfant qui reçoit cette vocation une réponse généreuse.
— Le mariage monogame, c’est très bien pour les catholiques, dira-t-on, mais la « dureté des cœurs » des non catholiques doit faire que l’on accepte le divorce et le remariage dans les lois civiles. D’un autre côté, les nations chrétiennes ont beaucoup fait pour apporter la stabilité sociale et la dignité du mariage naturel à de nombreux endroits du monde. La venue du Christ a-t-elle changé la situation de tous les hommes et est-il juste de promouvoir, peut-être même d’imposer cette vision du mariage naturel jusque dans les sociétés non catholiques ?
— Je crois qu’il faut souligner exactement que l’enseignement du Christ sur le mariage est une affirmation, une confirmation de la vérité du mariage depuis l’origine – pour reprendre ses propres paroles – et cette vérité du mariage qui est inscrite dans tout cœur humain. Et ainsi l’Eglise, lorsqu’elle enseigne le mariage monogame, fidèle, pour la vie, enseigne la loi morale naturelle et elle a raison d’insister sur ces points dans la société en général. Le Concile œcuménique Vatican II a qualifié le divorce de plaie pour notre société, et en effet, il l’est. L’Eglise doit être toujours plus forte dans son opposition à la pratique très répandue du divorce.
— Pensez-vous que les études sur la situation et les meilleurs résultats finaux constatés chez les enfants élevés au sein de familles monogames stables devraient jouer un rôle plus important lors des préparations au mariage ?
— Je le pense. Il faut mettre l’accent sur la beauté du mariage tel que beaucoup de couples le vivent aujourd’hui, fidèlement et généreusement, et la vie de famille telle qu’en font l’expérience les enfants qui vivent au sein d’une famille aimante… Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de défis. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de moments difficiles dans la famille et dans le mariage, mais qu’avec le secours de la grâce de Dieu, la réponse est toujours, au bout du compte, une réponse d’amour, de sacrifice, d’acceptation de toute souffrance nécessaire pour être fidèle à l’amour.
— Mais la société moderne n’accepte pas la souffrance, que ce soit en fin de vie, ou pendant la grossesse, ou dans le mariage…
— Evidemment ! Parce qu’elle ne connaît pas la signification de l’amour. Le Christ a dit : si quelqu’un veut me suivre, qu’il prenne sa croix à ma suite, et ainsi l’essence de notre vie est de souffrir au nom de l’amour : l’amour de Dieu et de notre prochain.
— Seriez-vous d’accord, ainsi que l’affirment nombre de personnes, pour dire que de nombreux mariages catholiques aujourd’hui, que ce soit faute de préparation ou par ignorance à l’égard de la signification des vœux matrimoniaux, ne sont pas valides ? Quelle a été votre expérience précise de cette question en tant que préfet du Tribunal suprême de la Signature apostolique ?
— J’estime qu’il est très irresponsable de faire des déclarations générales sur le nombre de mariages qui seraient valides ou invalides. Chaque mariage doit être examiné. Le fait que des personnes ont pu être mal catéchisées, et ainsi de suite, peut certainement les rendre moins fortes par rapport à la vie conjugale, mais cela n’indiquerait pas nécessairement qu’elles donnent un consentement matrimonial invalide, parce que la nature elle-même nous instruit de la vérité du mariage. C’est ce que nous avons vu à la Signature apostolique : oui, il y avait davantage de déclarations de nullité de mariage, mais en examinant tous les cas, il y en avait de nombreux où la nullité du mariage n’était pas établie, n’a pas été démontrée.
— Vous avez montré dans le livre Demeurer dans la vérité du Christ que la simplification de la procédure n’est pas la solution.
— Elle ne l’est pas du tout, car il s’agit de situations très complexes, qui exigent une procédure soigneusement articulée afin de parvenir à la vérité. Si la vérité ne nous importe plus, alors n’importe quelle procédure sera acceptable, mais si nous avons le souci de la vérité, alors il faut une procédure comme celle utilisée actuellement par l’Eglise.
— Et l’Eglise a beaucoup fait en faveur des procédures judiciaires dans le monde civilisé…
— L’Eglise a été admirée au cours des siècles comme un miroir de justice : sa manière propre d’administrer la justice a été un modèle pour les autres juridictions. Il y a déjà eu au sein de l’Eglise une expérience de modification de procédure en nullité de mariage : elle a eu lieu aux Etats-Unis de 1971 à 1983. Elle a eu des effets désastreux, à tel point que des gens commençaient à parler du « divorce catholique », non sans raison. C’est une cause de scandale pour ceux qui travaillent dans le domaine de la justice ou les ministres de la justice dans l’ordre séculier, car lorsqu’ils voient que l’Eglise ne pratique pas la justice, qu’elle n’a plus le souci de la vérité, que peuvent alors signifier la loi et de la justice ?
pleinement pour la vérité, pour les biens non négociables en ce qui concerne la vie humaine et la famille. Et ils doivent affirmer très clairement leur propre position, et insister sur celle-ci, auprès des partis politiques qui existent, afin de constituer une force qui impulse la réforme de ces partis. Bien évidemment, vous ne pouvez pas prendre part à un mouvement qui serait contraire à la loi morale. La même réflexion permettrait de soutenir un mouvement politique qui montrerait des signes de réforme, de vouloir adhérer à la loi morale : il faut l’encourager.